Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 3, 7 septembre 2020, n° 18/17189

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 2 - ch. 3, 7 sept. 2020, n° 18/17189
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/17189
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 21 mai 2018, N° 13/16647
Dispositif : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 3

ARRÊT DU 07 SEPTEMBRE 2020

(n° 2020/ 93 , 17 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/17189 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6AN7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mai 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 13/16647

APPELANTE

Compagnie d’assurances ALLIANZ IARD

[…]

[…]

r e p r é s e n t é e p a r M e G h i s l a i n D E C H E Z L E P R E T R E d e l a S E L A R L C A B I N E T DECHEZLEPRETRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1155 et assistée de Me Perrine FROMENTIN, Cabinet DECHEZLEPRETRE, toque E 1155

INTIMÉS

Monsieur D X

[…]

[…]

né le […] à […]

Madame F C

[…]

[…]

née le […] à […]

Monsieur H X

[…]

[…]

né le […] à

Tous trois représentés par Me Serge BEYNET de la SELARL SERGE BEYNET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0482 et assistés par Me Chloé SERS, Cabinet Serge BEYNET, toque C0482

Maître Vincent MEQUINION, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société PLANET FUN

[…]

[…]

défaillant

SA PLANET FUN, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

SAS LDS – LECLERC DISTRIBUTION SPORT, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

[…]

[…]

N° SIRET : 511 94 6 7 33

représentée par Me Eric MANDIN de la SARL MANDIN – ANGRAND AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0435 et assisté de Me Céline DELAGNEAU, COMOLET-ZANATI, toque P 435

SA GENERALI IARD prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

2 rue Pillet-Will

[…]

N° SIRET : 552 06 2 6 63

représentée et assistée de Me Julie VERDON de l’ASSOCIATION HASCOET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0577

SA GROUPE INTERSPORT SA, coopérative d’achats en commun de commerçants détaillants à capital et personnel variable, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

[…]

[…]

N° SIRET : 964 20 1 1 49

représentée et assistée de Me Julie VERDON de l’ASSOCIATION HASCOET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0577

SA NTERSPORT, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège ;

[…]

[…]

N° SIRET : 964 20 1 1 23

représentée et assistée de Me Julie VERDON de l’ASSOCIATION HASCOET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0577

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Juillet 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente, chargée du rapport et de Mme Clarisse GRILLON, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Clarisse GRILLON, Conseillère

Mme Sophie BARDIAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET

ARRÊT : Réputé contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente et par Laure POUPET, greffière présente lors du prononcé.

******

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 25 octobre 2012 vers 15 heures, M. D X a chuté au cours d’une randonnée cycliste dans la forêt domaniale de Meyriat, située dans le département de l’Ain. Cet accident a entraîné une tétraplégie de niveau C8.

M. X avait acquis son vélo tout chemin (VTC) de marque Nakamura modèle Crossrider le 20 septembre 2012, dans un magasin à l’enseigne Intersport de la SAS Leclerc distribution sport, qui s’était fournie auprès de la SA Intersport France, filiale de la société Groupe Intersport, centrale d’achat. La société Intersport France l’avait acquis le 3 février 2012 de la société Planet’fun, son

fabricant.

Par ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris en date du 23 septembre 2014, M. I Z a été désigné en qualité d’expert pour examiner la bicyclette litigieuse. Il a clos son rapport le 26 mai 2016.

Par jugement du 22 mai 2018 (instance n° 13-16647), le tribunal de grande instance de Paris a :

• reçu la SA Intersport en son intervention volontaire,

• prononcé la mise hors de cause de la société Groupe Intersport,

• déclaré irrecevables toutes demandes de condamnations pécuniaires, tant en principal que garantie, dirigées contre la société Planet’fun,

• déclaré Ia société Planet’fun entièrement responsable, en tant que producteur, du dommage causé le 25 octobre 2012, par la défectuosité de son produit, à M. D X,

• condamné la société Allianz à garantir, dans les limites de ses engagements contractuels, la société Planet’fun, son assurée, des conséquences pécuniaires des dommages subis par M. D X ainsi que par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain,

• ordonné une expertise médicale,

• condamné la société Allianz France à payer à M. D X une indemnité provisionnelle de 85 000 € à valoir sur la réparation définitive de son préjudice corporel,

• sursis à statuer jusqu’au dépôt du rapport d’expertise sur la liquidation du préjudice corporel de M. X et sur le recours de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain,

• condamné la SA Allianz France à payer :

— à M. H X la somme de 5 000 € en réparation de son préjudice moral,

— à Mme F C la somme de 5 000 € en réparation son préjudice moral,

• condamné la société Allianz France à payer à M. D X, à M. H X et à Mme F C, chacun, la somme de 2 500 € à titre de frais irrépétibles, en application de l’article 700 du code de procédure civile,

• débouté les sociétés Leclerc distribution sport, Generali France assurances, Groupe Intersport, Intersport et Maître Y, en qualité d’administrateur judiciaire de la société Planet’fun, de leurs plus amples demandes, tant en principal que garantie, et de leurs prétentions respectives au titre de frais irrépétibles,

• réservé les dépens, en ce compris les frais et honoraires de M. Z,

• prononcé l’exécution provisoire du jugement sur le tout.

Sur appel interjeté par déclaration du 9 juillet 2018 et selon dernières conclusions notifiées le 5 juin 2019, la SA Allianz iard demande à la cour de :

à titre principal,

infirmant le jugement entrepris,

• dire et juger que la société Planet’fun et la société Intersport France sont co-conceptrices du cycle,

• dire et juger qu’il n’y a pas eu de défaut de conception,

• dire et juger qu’il n’y a pas eu de défaut d’assemblage,

• débouter les demandeurs et les autres parties de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de la société Planet’fun et de la société Allianz iard,

• ordonner la restitution à la société Allianz iard des provisions versées en exécution du jugement déféré à la cour,

à titre subsidiaire,

infirmant le jugement entrepris,

• dire et juger que M. X a commis une faute qui a directement contribué à la réalisation de son dommage corporel,

• dire et juger qu’en présence d’un défaut de conception, la société Planet’fun et la société Intersport, co-conceptrices, interviendront par parts égales dans la prise en charge du dommage corporel de M. D X,

• ventiler les responsabilités de la manière suivante :

— M. D X : 7 %

— Planet’fun : 15 %

— Intersport : 15 %

confirmant le jugement entrepris,

• dire et juger que la garantie de la société Allianz iard à l’égard de la société Planet’fun s’effectuera dans les limites des garanties souscrites,

• ordonner l’expertise médicale sollicitée aux frais avancés de M. D X,

• fixer à 85 000 € le montant de la provision allouée à M. D X, à 5 000 € le montant de la provision allouée à Mme F C et à 5 000 € le montant de la provision allouée à M. H X,

• surseoir à statuer sur les demandes de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain,

à titre très subsidiaire,

• débouter les sociétés Intersport et Generali de leur appel en garantie contre la société Planet’fun et la société Allianz iard,

• débouter toutes parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Selon dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2019, M. D X, Mme F C et M. H X (ci-après les consorts X) demandent à la cour de :

• confirmer le jugement en ce qu’il a retenu que le vélo Nakamura Crossrider présentait des défauts à l’origine de la chute subie le 25 octobre 2012 par M. D X et jugé que ces défauts sont incontestablement à l’origine des préjudices subis par lui,

• confirmer le jugement en ce qu’il a jugé la société Planet’fun responsable du défaut et des conséquences de l’accident du 25 octobre 2012 et condamné son assureur, la société Allianz, à indemniser M. D X, Mme F C et M. H X de leurs préjudices,

• infirmer le jugement en ce qu’il a mis hors de cause la société Intersport et statuant à nouveau,

• dire et juger la société Planet’fun et la société Intersport entièrement responsables des préjudices résultant de l’accident du 25 octobre 2012,

• condamner in solidum la société Planet’fun et la société Intersport ainsi que leurs assureurs respectifs, la compagnie Allianz iard et la compagnie Generali, à indemniser M. D X, Mme F C et M. H X de leurs préjudices,

• confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné une expertise médicale et sursis à statuer sur l’indemnisation des préjudices de M. D X,

• infirmer le jugement en ce qu’il a limité l’indemnité provisionnelle et statuant à nouveau, condamner in solidum la société Planet’fun, la société Allianz, son assureur, la société

• Intersport et la société Generali à verser à M. D X la somme provisionnelle de 300 000 €, infirmer le jugement en ce qu’il a limité l’indemnité provisionnelle et statuant à nouveau, condamner in solidum la société Planet’fun, la société Allianz, son assureur, la société Intersport et la société Generali à verser à Mme F C la somme de 30 000 € en réparation de ses préjudices personnels,

• infirmer le jugement en ce qu’il a limité l’indemnité provisionnelle et statuant à nouveau,

• condamner in solidum la société Planet’fun, la société Allianz, son assureur, la société Intersport et la société Generali à verser à M. H X la somme de 30 000 € en réparation de ses préjudices personnels,

• condamner in solidum la société Planet’fun, la société Allianz, son assureur, la société Intersport et la société Generali à verser aux consorts X la somme totale de 10 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,

• condamner in solidum la société Planet’fun, la société Allianz, son assureur, la société Intersport et la société Generali aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Beynet, avocat à la cour, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,

• dire et juger opposable à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain la décision à intervenir.

Par conclusions notifiées le 5 avril 2019, la SA Groupe Intersport, la SA Intersport France et la SA Generali iard demandent à la cour de :

• à titre liminaire, confirmer le jugement en ce qu’il a :

— prononcé la mise hors de cause du Groupe Intersport,

— reçu la société Intersport France en son intervention volontaire,

à titre principal,

• confirmer le jugement en ce qu’il a :

— jugé que la société Intersport France n’est pas co-conceptrice du vélo Nakamura Crossrider T50 vendu à M. X,

— jugé que la société Intersport ne peut être qualifiée de producteur au sens de la législation sur la responsabilité du fait des produits défectueux,

— jugé que la société Planet’fun a seule assuré la conception du vélo,

— jugé que la responsabilité de la société Planet’fun est intégrale et exclusive,

par conséquent,

• débouter la société Allianz iard, la société Planet’fun, la société Leclerc distribution sport et les consorts X de leurs demandes dirigées contre les sociétés Intersport et Generali iard,

• condamner in solidum la société Planet’fun et la société Allianz iard à indemniser les préjudices des consorts X,

à titre subsidiaire,

• juger que la société Intersport France n’a pas commis de faute,

• juger que le défaut d’assemblage imputable à la société Planet’fun est la cause exclusive du dommage subi par M. X,

• juger que la chute de M. X est en lien direct avec le défaut d’assemblage imputable à la seule société Planet’fun,

par conséquent,

• débouter la société Allianz iard, la société Leclerc distribution sport et les consorts X de leurs demandes dirigées contre les sociétés Intersport et Generali iard,

• condamner in solidum les sociétés Planet’fun et Allianz iard à relever et garantir les sociétés Intersport et Generali iard de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur égard,

à titre plus subsidiaire,

• juger que la responsabilité de la société Intersport dans la réalisation du dommage devrait être limitée à 10 % du préjudice final,

par conséquent,

• condamner in solidum les sociétés Planet’fun, Allianz iard et Leclerc distribution sport ainsi que les consorts X à relever et garantir les sociétés Intersport et Generali de toute condamnation in solidum qui pourrait être prononcée à leur égard, sauf la part de responsabilité qui leur revient strictement,

en tout état de cause,

• confirmer le jugement entrepris s’agissant des montants alloués à la famille X à titre provisionnel,

• débouter les consorts X de leurs demandes de provisions supplémentaires,

• donner acte à la société Generali iard que le plafond de garantie prévu par la police souscrite par la société Intersport est de 1 800 000 € par année d’assurance quel que soit le nombre de sinistres,

• condamner la société Allianz iard ou tout succombant à verser à la société Intersport France et la société Generali une somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• condamner la société Allianz iard ou tout succombant à supporter les entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 7 janvier 2019 (et le 3 juin 2019 à la SA Planet’fun), la SAS Leclerc distribution sport demande à la cour de :

• dire et juger que la société Allianz iard, appelante, ne forme aucune demande à son encontre,

• dire et juger que l’expert judiciaire a attribué la chute de M. X à la perte du boulon assurant le maintien du garde-boue avant avec la tringle, ce qui constitue un défaut d’assemblage du matériel imputable à la société Planet’fun,

• dire et juger que l’expert judiciaire a considéré que la solution technique de fixation choisie sur le garde-boue était inadaptée et que le processus de conception mis en 'uvre par la société Planet’fun et la société Intersport France n’était pas rigoureux,

• dire et juger que la perte du boulon de fixation du garde-boue avant traduit un défaut imputable à la société Planet’fun en sa qualité de concepteur développeur et le cas échéant à la société Intersport France si sa qualité de co-concepteur de la solution technique devait être retenue,

• dire et juger que l’expert judiciaire a exclu tout défaut d’entretien du vélo imputable à M. X et toute défaillance de la société Leclerc distribution sport dans le contrôle de fixation du garde-boue lors de la vente dès lors qu’elle n’avait pas à effectuer une telle opération,

• dire et juger que la responsabilité de la société Leclerc distribution sport dans la chute

survenue à M. X n’est pas établie,

par conséquent,

• confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions objets de l’appel interjeté par la société Allianz iard,

• débouter les sociétés Intersport France et Generali iard de leur appel en garantie formé à l’encontre de la société Leclerc distribution sport,

• infirmer le jugement uniquement en ce qu’il a débouté la société Leclerc distribution sport de sa demande formée au titre des frais irrépétibles,

statuant à nouveau sur ce chef uniquement,

• condamner la société Allianz iard, ou à défaut tout succombant, à lui payer la somme de 8 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel exposés, et en tous les dépens qui seront recouvrés par Maître Eric Mandin, avocat aux offres de droit en application de l’article 699 du code de procédure civile.

La SA Planet’fun a constitué avocat mais n’a pas conclu.

Maître Vincent Y, désigné en qualité d’administrateur judiciaire de la société Planet’fun par jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde le 15 octobre 2013 puis en qualité de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde arrêté par jugement du 17 février 2015, auquel la déclaration d’appel et les conclusions de l’appelant ont été signifiées à personne habilitée, respectivement les 20 septembre 2018, 12 octobre 2018 et 6 mars 2019 n’a pas constitué avocat.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 15 juin 2020.

MOTIFS DE L’ARRÊT

A titre liminaire, la mise hors de cause de la société Groupe Intersport, intimée, n’est contestée par aucune des parties et sera confirmée à sa demande.

1- sur la responsabilité du fait du produit défectueux à l’égard de la victime

Le tribunal a considéré :

— que la société Planet’fun peut seule être considérée comme producteur au sens de la législation relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, puisqu’elle a procédé par 'à l’assemblage de la totalité des pièces composant la bicyclette vendue sous la marque Nakamura, modèle Crossrider, à la fabrication de ce matériel et que le vélo vendu à M. X provient de sa fabrication en série,

— que la chute de M. X est imputable à la perte du boulon assurant le maintien du garde-boue avant avec la tringle en U de fixation, laquelle s’est retrouvée libre de toute attache et a bloqué la roue,

— que les conditions de la responsabilité de plein droit de la société Planet’fun sont remplies,

— qu’elle ne peut s’en exonérer en invoquant un défaut de conception de la fabrication,

— que la société Intersport France ne peut être, comme l’a retenu à tort l’expert judiciaire, considérée comme le co-concepteur de la bicyclette litigieuse,

— qu’il n’y a pas lieu de rechercher si la société Leclerc distribution sport, revendeur, a commis une faute puisque la responsabilité du producteur envers la victime n’est pas réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage,

— que la victime n’a commis aucune faute de nature à exonérer la société Planet’fun de sa responsabilité.

La société Allianz iard soutient à titre principal qu’aucune responsabilité de la société Planet’fun n’est prouvée, et à titre subsidiaire qu’un partage de responsabilité doit être ordonné entre elle, la victime et la société Intersport France, co-conceptrice du vélo.

Elle fait valoir :

à titre principal,

— que la chute ne peut être imputée de manière certaine à un prétendu défaut d’assemblage du vélo puisqu’il est impossible de savoir si le vélo examiné plus de deux ans après l’accident n’a pas fait l’objet d’une manipulation postérieurement au 25 octobre 2012, qu’aucune indication n’est donnée sur le montage et la conservation du vélo par la société Leclerc distribution sport après sa livraison et pendant cinq mois avant qu’il ne soit acquis par la victime et que le vélo n’a pas fait l’objet d’une vérification lors de la vente à M. X,

— que le vélo Nakamura Crossrider a été conçu par la société Planet’fun et la société Intersport,

laquelle communiquait dans le catalogue de sa marque Nakamura comme sur son site internet sur le fait qu’elle était conceptrice des vélos distribués sous sa marque,

— que la société Intersport France a établi un cahier des charges qu’elle a transmis à la société Planet’fun, laquelle lui a envoyé une fiche technique finalisée du vélo pour validation,

— que l’expert a retenu une conception par les deux sociétés en collaboration,

— que la société Planet’fun n’a eu qu’un rôle réduit d’assembleur intervenant sur les directives imposées par la société Intersport France,

— qu’aucun défaut de conception n’est prouvé, l’expert ayant retenu à tort une norme non applicable aux cycles, alors que la norme NF EN 14764 applicable a été respectée en ce qui concerne le garde-boue ainsi que l’a estimé le Centre de recherche, innovation, transfert et technologie (CRITT),

— que le défaut d’assemblage allégué n’est pas plus démontré, alors que l’expert a relevé une trace de matage consécutive à un serrage vis-écrou,

— que le fait que M. X ait circulé sur un chemin bitumé en bon état et ait eu une utilisation très réduite de son cycle permet d’exclure l’hypothèse imaginée par l’expert d’un desserrage progressif du dispositif vis-écrou lié à une application irrégulière du 'frein de filet',

subsidiairement,

— que la victime a commis une faute puisqu’elle a entendu un bruit de claquement provenant du garde-boue avant et a vu qu’il ' battait', mais n’a effectué aucun contrôle et a continué sa route pendant 5 kilomètres,

— que la société Intersport France et la société Generali devront garantir la société Planet’fun et la société Allianz, son assureur, d’une condamnation pour défaut de conception,

— qu’un partage de responsabilité doit être ordonné à concurrence de 70 % à l’encontre de M. X, 15 % à l’encontre de la société Planet’fun et 15 % à l’encontre de la société Intersport.

Les consorts X concluent à la condamnation in solidum de la société Planet’fun, de la société Intersport et de leurs assureurs, en infirmation du jugement.

Ils font valoir :

— que selon l’article 1386-9 devenu 1245-8 du code civil, le produit défectueux est défini comme celui qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre,

— que le producteur est responsable de plein droit des dommages causés par le défaut de son produit,

— que deux témoins attestent que la chute a été provoquée par le support du garde-boue sorti de son logement et venu bloquer la roue,

— que les conclusions expertales retiennent sans ambiguïté que le vélo présentait un défaut de conception, à savoir une solution technique d’attache du garde-boue par l’intérieur non rigoureuse, imputable aux deux sociétés Plante’fun et Intersport, co-conceptrices, et un défaut de montage, à savoir l’application irrégulière de la colle frein-filet, imputable à la société Planet’fun, à l’origine de la chute,

— que la société Intersport a reconnu l’existence d’un défaut du produit en diffusant une note à ses clients,

— que les deux sociétés sont mal fondées à invoquer la faute de sociétés tiers pour voir écarter ou réduire leur responsabilité,

— que la faute de la victime ne peut être retenue dans la mesure où l’expert a estimé qu’elle ne pouvait raisonnablement prévoir qu’un bruit de battement de garde-boue allait engendrer un blocage de la roue, et dans la mesure où, le vélo ayant été acheté à peine un mois avant l’accident, elle ne pouvait imaginer qu’il était atteint d’un tel défaut.

La société Intersport France et la société Generali sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu la seule responsabilité de la société Planet’fun.

Elles soutiennent :

— que la société Planet’fun a seule fabriqué le vélo en procédant par assemblage de matériaux qu’elle a elle-même choisis et a seule assuré la conception du système de fixation du garde-boue à l’origine de l’accident,

— que la société Planet’fun n’a pas procédé à un calcul précis de validation de son système de fixation ni respecté les normes applicables au montage d’un assemblage de pièces ; qu’elle a choisi une solution technique de blocage de type chimique sur les boulons assurant le maintien des gardes-boue qui n’est efficace que si toutes les précautions de propreté sont respectées sur les éléments filetés, ce qui n’a pas été le cas,

— que la société Intersport France n’a pas la qualité de producteur puisqu’elle n’a pas participé à la fabrication ou à la conception du vélo, en tant que co-concepteur- développeur du matériel et notamment de la solution technique comme l’a retenu à tort l’expert judiciaire ; que le cahier des charges qu’elle avait établi n’imposait aucune solution technique notamment quant à la méthode de fixation, hormis la matière de la tringle en U,

— que la société Planet’fun a elle-même conçu le système de fixation du garde-boue, de sorte qu’elle ne peut s’exonérer en prétendant que le défaut de conception serait imputable aux instructions données par le producteur,

— à titre subsidiaire, qu’aucun défaut de conception n’est démontré, faute pour l’expert d’avoir mis en évidence un manquement à une norme de sécurité ou à une règle de l’art, et que le mécanisme de fixation du garde-boue par l’intérieur est utilisé par la majorité des constructeurs sans qu’une question de sécurité n’ait jamais été élevée,

— que sa campagne de rappel de certains cycles ne portait pas sur le modèle en litige,

— que si la qualité de producteur lui était reconnue, elle n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité, le défaut d’assemblage imputable à la société Planet’fun étant le seul en lien de causalité avec le dommage,

— plus subsidiairement, que si la responsabilité de la société Intersport devait être retenue pour un défaut de conception que l’expert analyse comme secondaire, elle ne saurait excéder 10 %, les sociétés Planet’fun et Allianz mais aussi la société Leclerc distribution sport qui n’a procédé à aucun contrôle du serrage du point de fixation du garde boue lors de la vente, et M. X qui ne s’est pas arrêté après avoir entendu un bruit suspect, devant les garantir de toute condamnation solidaire prononcée contre elles et excédant cette part.

La société Leclerc distribution sport conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il n’a prononcé aucune condamnation à son encontre, en faisant valoir :

— que la société Allianz iard ne lui réclame rien, seules les sociétés Intersport et Generali lui reprochant une absence de contrôle de fixation du garde-boue lors de la vente,

— que son technicien a procédé aux opérations de préparation, de contrôle et réglages de base selon une procédure fixée par la fiche de point de contrôle de préparation,

— que l’expert a écarté toute faute de sa part,

— que l’opération de contrôle du serrage du boulon de fixation n’était pas obligatoire en l’absence d’instructions données par la société Planet’fun et la société Intersport France ,

— que même si elle avait effectué un contrôle manuel, elle n’était pas en mesure de relever l’absence ou la mauvaise application du dispositif de blocage (la colle frein-filets) qui est la cause de la perte du boulon.

L’article 9 alinéas 1 et 3 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations dispose que les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016 et que lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation.

En application de cette disposition transitoire, dès lors que l’assignation introductive de la première instance a été délivrée le 9 octobre 2013, les articles du code civil visés ci-après sont ceux dans leur rédaction antérieure à ladite ordonnance, applicables dans la présente instance d’appel.

L’action est fondée sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants du code civil, qui instaurent une responsabilité de droit du producteur au titre des dommages résultant d’une atteinte à la personne causés par les défauts de son produit, dès lors que la victime apporte la démonstration du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, sachant que selon les articles 1386-11

et 1386-14 du même code, les causes exonératoires de responsabilité du producteur sont limitativement énumérées et la responsabilité de celui-ci ne peut être réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage.

> sur la qualité de producteur des sociétés Planet’fun et Intersport France

Selon l’article 1386-6 du code civil, est producteur au sens de l’article 1386-1 du même code, lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante, et est assimilée à un producteur toute personne agissant à titre professionnel qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.

En l’espèce, la société Allianz iard, assureur de la société Planet’fun, ne conteste pas la qualité de producteur de son assurée qui a procédé à la fabrication du vélo, à l’inverse de la société Intersport France.

Cependant, il ressort de l’extrait K-bis de la SA coopérative d’achat communs de commerçants détaillants Groupe Intersport, dont la société Intersport France est une filiale, que le nom commercial du groupe est 'McKinley Nakamura Etirle Polochon’ et le site internet de la société Intersport France mentionne notamment (cf page 29 du rapport d’expertise) que 'Nakamura est une marque exclusive du groupe Intersport qui a été créée il y a bientôt 25 ans.'

Le document intitulé 'information clients’ (pièce n° 28 des consorts X) à l’entête d’Intersport et de la marque Nakamura démontre que la société Intersport France, dont l’activité déclarée est la fabrication, l’achat ou la vente de tous articles pour les sports, et non une centrale d’achats comme elle le soutient, a apposé sa marque sur le VTC acquis par M. X.

L’expert judiciaire a relevé que la société Intersport France communiquait déjà à l’époque des faits sur le fait qu’elle était la conceptrice des vélos produits et vendus ainsi qu’en atteste la mention figurant en page 3 du catalogue Nakamura 2012 que l’expert judiciaire a reproduite en page 28 de son rapport :

'Une Marque française.

'A un centre du Village', c’est la signification du mot Nakamura en japonais et c’est une image assez fidèle de notre philosophie. Mais Nakamura, c’est avant tout une équipe de passionnés basée tout près de Paris dont l’ambition est de développer des vélos cohérents avec l’utilisation que vous allez en faire. Et nous nous concentrons sur l’essentiel. Que ce soit pour les loisirs ou pour les pratiques sportives, pour les hommes, les femmes et les enfants, chaque modèle a été conçu pour obtenir le meilleur rapport prix/prestation dans sa catégorie. Toute la collection est élaborée et dessinée par notre équipe puis testée (')'

Il s’évince de ces éléments que la société Intersport France qui a apposé sa marque sur le vélo vendu doit être assimilée à un producteur.

> sur les causes de l’accident

L’expert a conclu que la chute en avant de M. X est consécutive au blocage de la roue avant de son vélo, lequel trouve son origine dans l’entraînement de la tringle métallique en U de maintien du garde-boue avant par les sculptures du pneumatique avant.

Après avoir relevé une absence de dommages importants sur le garde-boue avant et sur l’oeillet de positionnement du boulon sur la tringle en U permettant de confirmer que ce dernier s’est détaché progressivement et sans arrachement, il a estimé que ce mouvement a été possible à la suite de la

perte du boulon du point d’attache de la tringle installé à l’intérieur du garde-boue avant, ayant permis à ce dernier de se déplacer en toute liberté sous l’effet dynamique et vibratoire du vélo.

Il a exclu toute autre hypothèse au regard, d’une part, de l’absence d’intervention faite sur le garde-boue avant par la victime, par la société Leclerc distribution sport, revendeuse du matériel et par la société Intersport, et d’autre part, de l’existence d’un matage sur le corps du garde-boue au niveau du point d’attache, signe d’un serrage d’écrou.

> sur les défauts du produit

Selon l’article 1386-4 du code civil, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation

Le défaut de sécurité peut résulter d’un vice de conception ou de fabrication.

Après examen du vélo de M. X et d’un vélo neuf livré par la société Planet’Fun servant d’échantillon témoin, l’expert a procédé à une analyse déductive des différents scénarios pouvant expliquer la désolidarisation du garde-boue avant, et retenu celui d’un desserrage de l’écrou installé sur la vis assurant la fixation rigide de l’ensemble 'garde-boue – tringle en U'.

Il a, d’une part, relevé sur le vélo identique à celui de la victime que le garde-boue avant était fixé à la fourche selon la technique de l’assemblage boulonné en deux points, au moyen d’un système démontable composé de vis et d’écrous bloqués par du frein filet adhésif (colle liquide formant un joint plastique thermodur), ce blocage des systèmes boulonnés étant nécessaire du fait que les écrous se desserrent à la suite de vibrations ou de charges fluctuantes, et a constaté sur le vélo de la victime que la vis du système vis-écrou du garde-boue arrière était bien équipée d’un élément de blocage chimique de type adhésif par frein filet bleu et que s’agissant du garde-boue avant, le boulon formant l’un des points de fixation n’était plus présent.

Il a estimé que le choix de cette technique n’appelait aucune critique de sa part mais qu’elle n’était efficace que si toutes les précautions de propreté étaient respectées sur les éléments filetés et si la colle frein-filets faisait l’objet d’une application avec répartition homogène sur toute la surface contact au niveau de la zone d’engagement de l’écrou.

Or, il a noté : 'force était de constater au vu des observations effectuées sur le boulon du garde-boue avant du vélo échantillon et sur le boulon du garde-boue arrière du vélo de M. X que l’application du frein filets n’était pas identique ni régulière d’un vélo à l’autre, certains filets n’étant pas recouverts de colle et la localisation de la colle étant majoritairement située sur les filets inactifs dans le serrage plutôt sur les filets proches de la tête de vis'.

Il a ainsi constaté non pas un défaut de serrage alors même qu’il a relevé des traces de matage, mais un défaut du dispositif de blocage du dispositif de serrage pour en assurer la sécurité en empêchant le desserrage, ce qui caractérise un défaut d’assemblage dans la chaîne de production.

Il a considéré, d’autre part, que le montage d’une tringle en U par l’intérieur tel que choisi par les concepteurs est une disposition inadaptée et dangereuse lorsque le point de fixation intérieur vient à se détacher, alors que d’autres solutions techniques garantissant un niveau de sécurité bien plus élevé ont été mis en oeuvre sur la gamme de vélos de la marque Nakamura, tels une solution par tringle passant à l’extérieur du garde-boue et maintenue par écrou-frein Nylstop ou par l’intérieur avec rivetage des points de fixation interdisant tout dévissage intempestif.

Il a conclu que la solution technique de maintien du garde-boue avant était inadaptée du point de vue de la sécurité des personnes, ce qui caractérise un défaut de conception.

Les contestations de la société Allianz iard relatives au manque de fiabilité des constatations expertales effectuées sur le vélo litigieux plus de deux ans après l’accident, sans qu’il soit possible de savoir si le vélo n’a pas fait l’objet d’une manipulation postérieurement au 25 octobre 2012 et sans que les conditions de montage et de conservation du VTC par la société Leclerc distribution après sa livraison soient connues, sont vaines dans la mesure où :

— les deux forestiers qui ont porté secours à M. X resté au sol sur le bord du chemin ont attesté dès 2013 avoir vu que l’attache du garde-boue était sortie de son logement et était venue bloquer la roue avant,

— l’expert a pris soin de constater, s’agissant des conditions de conservation du vélo par la société Leclerc distribution sport pendant cinq mois après sa livraison par la société Intersport, que l’absence d’observations ou de retours adressés par les professionnels du cycle à la société Intersport France tout comme l’absence de réclamations du client adressées à la société Leclerc distribution sport montrent que la conservation effectuée par cette dernière entre le 17 avril 2012 et la vente du 20 septembre 2012 n’a pas été affectée par des dégradations du vélo et ne souffre aucune critique.

Les deux sociétés qualifiées de producteurs ne peuvent se retrancher derrière la déclaration de conformité du vélo Crossrider par le Centre de recherche, innovation, transfert et technologie (CRITT), organisme habilité selon l’expert pour procéder aux tests de vérification de conformité, en date du 2 février 2012, puisque selon l’article 1386-10 du code précité, le producteur peut être responsable du défaut du produit, alors même que celui-ci a été fabriqué dans le respect des règles de la ou des normes existantes ou qu’il a fait l’objet d’une autorisation administrative.

En raison des deux défauts parfaitement caractérisés par l’expert judiciaire qui sont en lien de causalité direct avec le dommage occasionné par le blocage de la roue, la bicyclette litigieuse doit être qualifiée de produit défectueux puisqu’elle n’offrait pas, à l’évidence, la sécurité à laquelle la victime pouvait s’attendre, compte tenu de l’usage classique de son VTC par M. X et de sa très récente acquisition, un mois avant l’accident.

Dès lors, la responsabilité de plein droit des deux sociétés qualifiées de producteurs est engagée.

> sur la faute de la victime

En vertu de l’article 1386-13 du code civil, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable.

Il ne peut être reproché à M. X d’avoir continué à faire usage de sa bicyclette après avoir entendu, environ cinq kilomètres avant sa chute, un bruit de claquement venant du garde-boue avant, alors :

— qu’il était un utilisateur profane en matière de cycle, aucun argument contraire ne pouvant être tiré de la présence sur son vélo d’une trousse à outils qui lui avait été offerte par le vendeur,

— qu’il venait tout juste d’acquérir un vélo neuf et ne pouvait raisonnablement prévoir que le bruit de battement du garde-boue pouvait engendrer le blocage de la roue avant,

— que le garde-boue ne peut être considéré comme un accessoire et qu’aucune mise en garde à ce titre, plus particulièrement à la rubrique sécurité, ne figurait dans le manuel d’utilisation,

— enfin, que ce risque n’avait pas été envisagé dans le cadre du processus de conception du vélo, lequel avait fait l’objet d’un test approbatif du Centre de recherche, innovation, transfert et technologie.

Enfin, selon l’article 1386-14 du code civil, la responsabilité du producteur envers la victime n’est pas réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage et il sera relevé que la responsabilité de la société Leclerc distribution sport n’est recherchée que dans les rapports des professionnels entre eux.

En conséquence, les sociétés Planet’fun et Intersport France seront déclarées responsables in solidum de l’intégralité du préjudice corporel de M. X.

2 – sur le partage de responsabilité entre les deux producteurs et le vendeur

Selon l’expert, 'la défaillance du boulon de fixation du garde-boue est imputable à titre principal à la société Planet’Fun en sa qualité d’assembleur (fabricant) du matériel, et à titre secondaire à la société Groupe Intersport en sa qualité de co-concepteur de la solution technique de maintien du garde-boue par l’intérieur à l’aide d’une tringle. La solution de fixation du garde-boue, choisie en commun par la société Planet’fun et la société Intersport, étant inadaptée d’un point de vue de la sécurité aux personnes, lors de la survenance d’une situation prévisible de défaillance du boulon de fixation'.

Le défaut d’assemblage relevé par l’expert incombe sans conteste à la société Planet’fun qui a participé seule aux phases d’assemblage du vélo.

S’agissant du défaut de conception, aucun appel d’offre ou bon de commande établi par la société Intersport France à l’intention de la société Planet’fun n’a été communiqué à l’expert malgré sa demande ni produit au débat.

Il est seulement produit :

— un courriel de M. A, chef de produits Cycles Nakamura, adressé le 15 décembre 2010 à M. B, responsable développement produit de la société Planet’fun, ayant pour objet la gamme 2012 et annonçant l’envoi en pièce jointe des 'specs Plant’fun 2012', rédigé ainsi : 'Bonjour Guillaume, Tu trouveras ci-joint les modifications sur les modèles actuels pour l’année prochaine. J’ai volontairement supprimé Hurricane et Ranger car ils sont remplacés par le projet Cliff qui fera l’objet d’un appel d’offres ultérieurement. Quant au Crossrider et au Valley, les specs sont dans la PJ.' ;

— un courriel du 15 juin 2011 de M. B à M. A d’envoi des mises à jour des fiches techniques des modèles de la gamme Nakamura 2012, comportant notamment les spécifications du modèle Crossrider,

— une déclaration de conformité du vélo Crossrider par le CRITT en date du 2 février 2012 adressée à la société Planet’fun.

L’expert a qualifié le document adressé par la société Intersport France à la société Planet’fun de cahier des charges sous forme de fichier Excel, faisant état de l’ensemble des spécifications techniques des composants constitutifs du vélo pour lui permettre de qualifier les solutions techniques et de commander les composants auprès des fournisseur et/ou équipementiers. Il a précisé : 'A la lecture de ce document, il ressort que certaines spécifications sont d’ordre général et n’imposent aucune solution technique tandis que d’autres sont précises conduisant à une impossibilité de liberté de conception. En outre, il ressort aussi, après étude du cahier des charges et du choix des solutions techniques, que la société Planet’fun a transmis une fiche technique finalisée du vélo à la société Intersport pour validation avant toute certification et mise en production.'

La société Intersport France soutient vainement qu’elle n’est pas intervenue dans la conception du VTC Crossrider commercialisé sous sa marque alors même qu’elle note dans son catalogue 2012 que 'toute la collection est élaborée et dessinée par son équipe' et qu’elle admet avoir adressé un cahier des charges à la société Planet’fun.

De même, la société Planet’fun ne peut prétendre qu’elle n’avait qu’un rôle réduit d’assembleur alors qu’il est prouvé qu’elle a établi les fiches techniques des cycles de la gamme.

Dès lors, la cour retiendra, comme l’expert l’a conclu, que 'dans ce contexte, la société Planet’fun est intervenue en qualité de concepteur- développeur principal et la société Intersport France en qualité de co-concepteur-développeur du matériel.'

De même, l’expert a souligné page 54 de son rapport) que les sociétés conceptrices n’ont pas été en mesure de lui communiquer les justifications techniques permettant de qualifier ou de valider le choix de la solution technique de fixation du garde-boue par rapport aux autres solutions (fixation de la tringle par l’extérieur, usage d’un écrou frein Nylstop en lieu et place de la colle frein-filets sur une fixation par l’intérieur, etc) déployées sur les différents modèles de la gamme de vélos.

Il s’en déduit que les deux sociétés ont retenu d’un commun accord une solution technique inadaptée au niveau de la sécurité et leur responsabilité doit être partagée à parts égales entre elles au titre du défaut de conception.

S’agissant de la responsabilité du revendeur, la société Leclerc distribution sport, à laquelle la société Intersport et la société Generali reprochent une absence de contrôle de serrage du boulon de maintien de la tringle en U, la fiche intitulée 'points de contrôle de préparation’ communiquée par cette société montre qu’il n’a pas été effectué de serrage du boulon de fixation du garde-boue avant et que le revendeur s’est limité à procéder au remontage des composants du vélo livré pré-assemblé , la roue avant déposée, dans un carton individuel, en sortie d’usine, ainsi qu’aux réglages utiles sur les roues, les freins, la suspension et la direction.

Toutefois, l’expert a relevé avec pertinence que 'les règles de l’art indiquent seulement qu’il faut monter et régler le matériel avant la livraison au client et ce, de façon générique, que ces règles n’imposent pas la vérification du serrage au couple des points de fixation des gardes-boue, que le vendeur professionnel a appliqué une méthode de montage-contrôle des vélos qui restait de sa propre appréciation et selon sa pratique habituelle et qu’en l’absence d’instructions imposées par la société Planet’fun ou par la société Intersport aux vendeurs professionnels du réseau, sur les opérations de présentation et de réglage – contrôle à réaliser impérativement, l’opération de contrôle du boulon de fixation n’était pas obligatoire'.

Enfin, il a ajouté 'qu’en sortie d’usine le système vis-écrou était installé et serré de par l’existence d’une empreinte de matage sur le garde-boue consécutivement à l’application d’un effort de serrage et que dès lors et quand bien même la société Leclerc distribution sport aurait réalisé un contrôle manuel, elle n’était pas en mesure de relever l’absence ou la mauvaise application du système de blocage (la colle frein-filets) qui est la cause de la perte du boulon de fixation du garde-boue avant.'

Au vu de ces éléments, aucune faute ne peut être reprochée à la société Leclerc distribution sport, en confirmation du jugement.

En conséquence, et puisqu’un défaut de conception et un défaut d’assemblage sont retenus à l’encontre de la société Planet’fun et que seul un défaut de conception est retenu à l’encontre de la société Intersport, un partage de responsabilité sera ordonné à hauteur de 70 % à l’encontre de la première et de 30 % à l’encontre de la seconde.

3 – sur les demandes indemnitaires

Il ressort du jugement que M. D X sollicitait une provision de 300 000 € et Mme C et M. H X une provision de 30 000 € chacun.

Le tribunal a alloué une provision de 85 000 € à la victime directe et une somme de 5 000 € à chacune des victimes par ricochet en réparation de leur préjudice d’affection, et non à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice.

M. D X, né le […] et âgé de 50 ans au jour de l’accident, est devenu tétraplégique à la suite de l’accident et n’a pu reprendre son activité de facteur. Il perçoit depuis 2015 une pension civile d’invalidité. Au vu de ces éléments, il lui sera alloué une provision de 180 000 € à valoir sur l’indemnisation de son préjudice, en infirmation du jugement.

M. H X, né en 1992, qui réclame une somme de 30 000 € en réparation de son préjudice d’affection, se verra allouer en confirmation du jugement une somme de 5 000 € à ce titre, et non à titre de provision, faute d’alléguer d’autres postes de préjudice dont l’indemnisation ne pourrait être liquidée au jour où la cour statue.

Il en sera de même pour Mme C, ex-épouse de M. D X, qui réclame la même somme au même titre.

Il n’est pas fait appel du jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables toutes demandes de condamnations pécuniaires, tant en principal que garantie, dirigées contre la société Planet’fun.

Ces sommes seront donc payées non par la société Planet’fun mais par la société Allianz iard, son assureur, la société Intersport France et la société Generali, son assureur, in solidum.

4 – sur la demande de donner acte

Il ne sera pas fait droit à la demande de donner acte formulée par la société Generali, laquelle n’a aucune portée juridique.

5 – sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens d’appel doivent incomber à la société Planet’fun, la société Allianz iard, la société Intersport France et la société Generali iard, parties perdantes.

La demande en cause d’appel des consorts X fondée sur l’article 700 du code de procédure civile sera accueillie pour un montant de 5 000 €. De même, la demande de la société Leclerc distribution sport sera accueillie à hauteur de 3 000 € à l’encontre de la SA Allianz iard qui l’a intimée, conformément à sa demande.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement en ce qu’il a :

• reçu la SA Intersport France en son intervention volontaire,

• prononcé la mise hors de cause de la société Groupe Intersport,

• déclaré irrecevables toutes demandes de condamnations pécuniaires, tant en principal que garantie, dirigées contre la société Planet’fun,

• condamné la société Allianz iard à garantir, dans les limites de ses engagements contractuels,

• la société Planet’fun, son assurée, des conséquences pécuniaires des dommages subis par M. D X ainsi que par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain, ordonné une expertise médicale,

• sursis à statuer jusqu’au dépôt du rapport d’expertise sur la liquidation du préjudice corporel de M. X et sur le recours de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain,

• condamné la société Allianz France à payer à M. D X, à M. H X et à Mme F C, chacun, la somme de 2 500 € à titre de frais irrépétibles, en application de l’article 700 du code de procédure civile,

• réservé les dépens, en ce compris les frais et honoraires de l’expert judiciaire,

Infirme le jugement en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau, dans cette limite,

Déclare la SA Planet’fun et la SA Intersport France responsables in solidum, en tant que producteurs, du dommage causé le 25 octobre 2012 à M. D X,

Condamne in solidum la SA Allianz iard en sa qualité d’assureur de la SA Planet’fun, la SA Intersport France et la SA Generali iard, son assureur, à indemniser M. D X, Mme F C et M. H X de leurs préjudices,

Condamne in solidum la SA Allianz iard en sa qualité d’assureur de la SA Planet’fun, la SA Intersport France et la SA Generali iard, son assureur, à payer à M. D X une provision de 180 000 € à valoir sur l’indemnisation de son préjudice,

Condamne in solidum la SA Allianz iard en sa qualité d’assureur de la SA Planet’fun, la SA Intersport France et la SA Generali iard, son assureur, à payer à M. H X et Mme F C la somme de 5 000 € chacun en réparation de leur préjudice d’affection,

Déboute la SA Intersport France et la SA Generali iard de leur appel en garantie à l’encontre de la SAS Leclerc distribution sport,

Dit que dans leurs rapports entre elles, la SA Planet’fun est responsable des dommages subis à hauteur de 70 % et la SA Intersport France à hauteur de 30 %,

Dit que les recours entre les parties s’exerceront dans ces limites,

Condamne la SA Planet’fun, la SA Allianz iard, la SA Intersport France et la SA Generali iard in solidum aux dépens d’appel, avec distraction au profit de Maître Beynet et Maître Mandin,

Condamne la SA Planet’fun, la SA Allianz iard, la SA Intersport France et la SA Generali iard in solidum à payer aux consorts X la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SA Allianz iard à payer à la SAS Leclerc distribution sport la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 3, 7 septembre 2020, n° 18/17189