Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 4, 2 juillet 2020, n° 19/08232

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 2 - ch. 4, 2 juill. 2020, n° 19/08232
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/08232
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 10 février 2019, N° 18/01406
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 4

ARRÊT DU 02 JUILLET 2020

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/08232 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7YGE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Février 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 18/01406

APPELANT

Monsieur X Y

[…]

[…]

Représenté par :

Avocat plaidant : Me Isabelle TESTE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1400

Avocat postulant : Me Frédéric BURET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1998

INTIMES

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS

[…]

[…]

Représenté par Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d’avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124

CPAM DE PARIS

[…]

[…]

Non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application :

— de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;

— de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, notamment ses articles 1er et 8 ;

— de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ;

L’affaire a été retenue selon la procédure sans audience le 30 avril 2020, les avocats y ayant consenti expressément ou ne s’y étant pas opposés dans le délai de 15 jours de la proposition qui leur a été faite de recourir à cette procédure ;

La cour composée comme suit en a délibéré :

Madame Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente, chargée du rapport

Madame Sylvie LEROY, Conseillère

Madame Sophie BARDIAU, Conseillère

MINISTERE PUBLIC : auquel le dossier a été communiqué

ARRET :

— réputé contradictoire

— par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Madame Catherine COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente et par Madame Sylvie FARHI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Le 13 novembre 2015, M. X Y assistait au concert des Eagles of Death Metal dans la salle de concert du Bataclan. Il se trouvait dans la fosse lorsque un commando armé a fait irruption dans la salle et a ouvert le feu sur les personnes présentes. Il parvenait à s’enfuir en traversant la scène et en sortant par une issue de secours boulevard Beaumarchais. Il trouvait refuge dans un bar.

Il consultait son médecin traitant, le docteur A-B, le lendemain. Ce praticien attestait qu’il présentait un hématome de la jambe droite de 20 cm sur 15, un hématome de l’épaule droite de 10 cm sur 10, un hématome de l’épaule gauche de 3 cm sur 3 comportant une éraflure en son centre, une douleur de la jambe gauche, un syndrome de stress post traumatique.

Il était examiné le 30 décembre 2015 par un médecin psychiatre des UMJ qui retenait qu’il souffrait d’un retentissement psychologique sévère justifiant une incapacité totale de travail supérieure à 45 jours.

Le 4 janvier 2016, M. X Y saisissait le FGTI d’une demande d’indemnisation de son préjudice. Par lettre du 11 janvier 2016, le FGTI l’informait qu’il procédait à un premier règlement de 10.000 €. Le 13 mai 2016, le FGTI lui indiquait être en mesure de lui régler le préjudice spécifique des victimes des actes de terrorisme et lui proposait un montant forfaitaire de 30.000 €. M. X Y signait le procès verbal de transaction le 31 mai 2016.

Le 21 novembre 2017, son conseil sollicitait du FGTI l’organisation d’une expertise amiable contradictoire. Par courrier du 29 décembre 2017, le FGTI rejetait la demande au motif que M. X Y avait transigé avec lui aux termes du procès verbal du 31 mai 2016 lequel bénéficiait de l’autorité de la chose jugée en dernier ressort conformément à l’article 2052 du code civil.

C’est dans ces conditions que M. X Y a saisi le tribunal de grande instance de Paris lequel, par jugement du 11 février 2019, a :

— dit que la demande de réparation du préjudice situationnel spécifique d’angoisse de la victime directe d’un acte de terrorisme était couverte par l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux termes du protocole transactionnel du 31 mai 2016,

— dit que la demande d’indemnisation des autres postes du préjudice corporel de M. X Y n’était pas couverte par l’autorité de la chose jugée s’attachant au protocole transactionnel signé le 31 mai 2016,

— déclaré ces demandes recevables,

— sursis à statuer sur la liquidation définitive du préjudice corporel de M. X Y et ordonné, avant dire droit sur le fond, son expertise médicale,

— rejeté la demande d’indemnité provisionnelle présentée par M. X Y,

— condamné le FGTI à lui payer la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire,

— condamné le FGTI aux dépens,

— accordé aux avocats en ayant fait la demande le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

— rejeté le surplus des demandes plus amples ou contraires,

— renvoyé l’affaire à une audience ultérieure.

M. X Y a relevé un appel limité à la disposition du jugement ayant dit que la demande de réparation du préjudice situationnel spécifique d’angoisse de la victime directe d’un acte de terrorisme était couverte par l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux termes du protocole transactionnel du 31 mai 2016 et était donc irrecevable.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 octobre 2019, il demande à la cour :

In limine litis, de rejeter les conclusions du FGTI signifiées le 23 septembre 2019 comme 'irrecevables tant pour défaut de motivation d’un appel incident saisissant utilement la cour’ que, si la cour s’estimait saisie du dispositif des conclusions du FGTI 'comme irrecevable comme nouvelles', les demandes exposées au dispositif n’étant pas 'l’accessoire, le complément nécessaire ou la conséquence d’aucune de ses demandes principales ou subsidiaires en 1re instance',

— de dire qu’il est recevable et fondé en son appel ainsi qu’en toutes ses demandes, fins et conclusions,

— de dire que le préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme et le préjudice situationnel d’angoisse de la victime d’un acte de terrorisme sont deux préjudices distincts, qu’ils ne

recoupent pas les mêmes préjudices et qu’ils ne sauraient dès lors être confondus en un seul poste de préjudice,

— d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la demande de réparation du préjudice situationnel spécifique d’angoisse de la victime directe d’un acte de terrorisme est couverte par l’autorité de la chose jugée s’attachant au protocole transactionnel signé le 31 mai 2016,

— de dire que dans le cadre de la future liquidation de son préjudice M. X Y pourra prétendre à l’indemnisation du préjudice situationnel d’angoisse qu’il a subi durant la prise d’otage du Bataclan le 13 novembre 2015,

— de renvoyer les parties devant le JIVAT aux fins de liquidation de son préjudice une fois le rapport d’expertise du docteur Touitou déposé,

— de réserver les dépens.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 2 mars 2020, le FGTI sollicite de la cour :

— qu’elle déclare M. X Y mal fondé en son appel,

— qu’elle l’en déboute,

— qu’elle confirme le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la demande de réparation du PESVT était couverte par l’autorité de chose jugée,

— qu’elle déboute M. X Y de sa prétention visant à voir reconnaître l’existence d’un

préjudice situationnel d’angoisse dès lors que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés est inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées ou dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, il ne peut être indemnisé séparément quelle que soit l’origine de ces souffrances,

— qu’elle déboute M. X Y de toutes prétentions plus amples ou contraires.

Sans opposition des parties, l’ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2020.

Les parties ont donné leur accord exprès à l’application de la procédure sans audience prévue à l’article 8 de l’ordonnance n° 304/2020 du 25 mars 2020. Elles ont été informées par message envoyé le 12 mai 2020 par le RPVA que l’arrêt serait rendu le 2 juillet 2020 par mise à disposition au greffe.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :

Sur l’irrecevabilité des conclusions du FGTI

Il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande qui ne concerne que les conclusions notifiées par le FGTI le 23 septembre 2019 lesquelles ne sont pas les dernières conclusions sur lesquelles la cour statue.

Sur le préjudice d’angoisse de la victime directe d’un acte de terrorisme

M. X Y reproche au tribunal d’avoir dit que le préjudice situationnel spécifique d’angoisse de la victime d’un acte de terrorisme recouvrait les mêmes contours et les mêmes conséquences que le préjudice spécifique des victimes d’actes de terrorisme et par suite que la demande de réparation

de ce préjudice était couverte par l’autorité de la chose jugée s’attachant aux termes du protocole transactionnel du 31 mai 2016.

Il fait valoir :

— que le préjudice spécifique des victimes d’actes de terrorisme est réparé par une somme forfaitaire offerte dès lors qu’une personne a été victime d’un acte de terrorisme c’est à dire sans considération de séquelles,

— que le préjudice d’angoisse qui est par nature un préjudice temporaire, ne se confond ni avec ce préjudice, ni avec le préjudice permanent exceptionnel, préjudice post consolidation, lié au handicap, ni avec le déficit fonctionnel permanent, préjudice extrapatrimonial permanent,

— qu’il ne se confond pas davantage avec le poste de préjudice des souffrances endurées qui indemnise les souffrances endurées pendant la maladie traumatique c’est à dire à partir du moment où la victime a subi une atteinte corporelle, et qui n’a pas vocation à saisir les souffrances psychiques liées à l’angoisse extrême ressentie par les victimes confrontées à l’acte violent pendant le cours de l’événement et ce indépendamment des conséquences du stress post traumatique ou de l’existence de blessures,

— qu’il a été reconnu par la jurisprudence en matière d’accidents collectifs,

— que l’évaluation de ce préjudice qui doit se faire in concreto, variera en fonction de la manière objective dont la victime aura été confrontée à la situation,

— que cette évaluation sera faite en dehors de toute expertise médicale,

— qu’il s’agit d’un préjudice autonome.

En réponse, le FGTI tout en sollicitant la confirmation de la décision entreprise, prétend :

— que le préjudice d’angoisse n’est pas un préjudice autonome,

— qu’aux termes de la jurisprudence constante de la 2e chambre civile de la cour de cassation, les souffrances en lien avec les circonstances de l’infraction subie par la victime -quelle que soit son origine – ne constituent pas un préjudice spécifique et autonome mais sont incluses dans le poste des souffrances endurées ou du déficit fonctionnel permanent.

Sur ce,

Il ressort des écritures du FGTI que son conseil d’administration a décidé de retenir, en sus des postes de préjudices définis par la nomenclature Dintilhac, un préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme, le PESVT, afin de prendre en compte la spécificité de leur situation et notamment l’état de stress post traumatique et/ou les troubles liés au caractère particulier de ces événements.

Cependant, et contrairement à ce qu’il soutient, ce poste de préjudice, réparé par une indemnité complémentaire et forfaitaire, n’indemnise pas le préjudice d’angoisse de la victime directe qui confrontée à un danger mortel, prend conscience de sa possible voire probable, mort imminente. En effet, ce préjudice, par nature temporaire, s’apprécie in concreto en fonction d’une part de la démonstration de la réalité de la conscience de la victime du péril auquel elle est exposée, d’autre part des circonstances objectives dans lesquelles elle aura été confrontée à la situation.

Ce préjudice n’est pas pour autant un préjudice autonome. Il est inclus dans le poste de préjudice de

la souffrance endurée lequel regroupe toutes les souffrances de la victime, qu’elles soient physiques ou psychiques et les troubles qui y sont associés, subies à compter de la survenance de l’événement à l’origine de ces souffrances et ce quel que soit l’acte y ayant conduit.

Il s’ensuit que la demande d’indemnisation d’un préjudice d’angoisse de mort imminente n’est pas couverte par l’autorité de la chose jugée attachée au procès verbal de transaction du 31 mai 2016 qui a réparé le seul préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme, et est recevable. Le jugement est en conséquence infirmé de ce chef et il appartiendra au JIVAT d’apprécier la demande d’indemnisation du préjudice de souffrances de M. X Y en fonction des éléments qui lui seront soumis.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l’acte d’appel,

Infirme le jugement rendu le 11 février 2019 par le tribunal de grande instance de Paris en sa seule disposition ayant dit que la demande de réparation du préjudice situationnel spécifique d’angoisse de la victime directe d’un acte de terrorisme était couverte par l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux termes du protocole transactionnel du 31 mai 2016,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Dit que la demande d’indemnisation d’un préjudice d’angoisse de mort imminente n’est pas couverte par l’autorité de la chose jugée attachée au procès verbal de transaction du 31 mai 2016 et est recevable,

Dit que le préjudice d’angoisse de mort imminente est une composante du préjudice de souffrances,

Y ajoutant,

Renvoie l’affaire devant le JIVAT,

Laisse les dépens d’appel à la charge de l’État.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 4, 2 juillet 2020, n° 19/08232