Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 22 septembre 2020, n° 18/05870

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 11, 22 sept. 2020, n° 18/05870
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/05870
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 18 janvier 2018, N° 17/07378
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Copies exécutoires délivrées aux parties le :

COUR D’APPEL DE PARIS à : M e C h r i s t o p h e VIGNEAU Pôle 6 – Chambre 11 Me Frédéric INGOLD

ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/05870 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5S7W

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 17/07378

APPELANT

Monsieur I X […] Représenté par Me Christophe VIGNEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : D2128

INTIMÉE

SA QUANTIC DREAM 56 boulevard Davout 75020 PARIS Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 30 Juin 2020, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre qui a présidé la formation Mme Anne HARTMANN, Présidente de chambre, M. Didier MALINOSKY, Vice-président placé

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre et par Mathilde SARRON, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


EXPOSÉ DU LITIGE
M. I X, né en 1987, a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 mars 2015 en qualité de technicien support informatique par la SA Quantic Dream. Fondée en 1997, cette société a connu un essor remarqué dans le développement de jeux videos basés sur des expériences narratives permettant aux joueurs d’influer sur le cours du jeu. Son effectif initial de 16 personnes était passé à 170 collaborateurs au moment du litige en 2017, la moyenne d’âge étant inférieure à 40 ans.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. X s’élevait à la somme de 2.491,68 euros.

Il travaillait au sein du service informatique et technique dit « IT » qui était composé de trois autres personnes, M. K Y, supérieur hiérarchique du salarié, M. V Q, administrateur système réseau et support et M. H A, technicien support informatique comme M. X.

Le 27 février 2017, en début d’après-midi, M. L Z, délégué du personnel, salarié de l’un des services R&D (Game Logic) adressait par mail à l’ensemble des membres de l’entreprise un « montage-photo » mettant en scène M. Y, pastiché en « Supernanny faisant un doigt d’honneur » où il est écrit : « à l’occasion du 600ème montage, nous nous devions de remercier notre sponsor officiel ». Le message comportait un lien vers les 599 montages précédents.

Les parties ont produit de nombreux autres exemplaires des montages réalisés depuis 2015 par M. Z, qui concernaient tant les salariés de la société que ses dirigeants. Parmi ceux-ci, 3 autres concernaient le service IT :

- sur l’un, M. Y apparaît en tenue très vulgaire (en porte-jarretelles), faisant un salut hitlérien mais la diffusion de cette image est contestée par la société ainsi que par son auteur,

- dans le second, M. X apparaît sur une affiche s’inspirant de celle de « l’Oncle Sam » (« I want you for US Army ») avec la mention « Va te faire enc….., fils de p… », le fichier étant intitulé « Message de l’IT » ;

- sur le dernier, intitulé « L’IT vous remercie », figurent plusieurs personnes, torse nu dans des poses « acrobatiques » dont les 4 membres du service IT, M. Y, M. M M. X et M. A ainsi que deux autres salariés, M. AC-AD C, directeur technique R&D et M. W T U, du service Game Logic.

Une demi-heure après la réception du message de M. Z, M. Y le transférait, à M. B N, PDG de la société, M. AA P, directeur général délégué, Mme O E, responsable des ressources humaines et à M. AC- AD C, en leur demandant s’ils cautionnaient ce type de contenus diffamatoires, doutant que ce soit de l’humour et que ce soit adapté en entreprise.

M. P lui répondait une heure plus tard : « ils ne cherchent absolument pas à vexer qui que ce soit (…). Ce n’est jamais de très bon goût … C’est l’humour GL [Game Logic] …dont B et moi sommes des victimes régulières … Je prends cela au 8ème degré… Mais l’humour étant par nature subjectif et la liberté des uns ne devant pas empiéter sur la liberté des autres, si tu ne souhaites pas être pastiché de la sorte, je leur demanderai de bien vouloir s’abstenir à l’avenir te concernant ». M. Y répondait qu’il estimait cet humour diffamatoire et injurieux en joignant les 4 montages critiqués et, en se plaignant de la formule figurant sur le pastiche de M. X. Il demandait que cela cesse et que des sanctions soient prises.

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M. C, quant à lui, répondait à M. Y qu’il avait discuté avec M. Z pour que cela ne se reproduise plus, ce à quoi M. Y lui indiquait qu’il estimait que c’était de la diffamation portant atteinte à son image, son honneur et sa considération.

En fin de journée, M. Z a adressé un mail d’excuse à M. Y, celui-ci répondant alors qu’il était « atterré par la situation et psychologiquement touché » et que I X était « resté sans voix lorsqu’il a vu la violence de cette publication » , estimant que des excuses étaient insuffisantes et qu’une prise de conscience et une véritable remise en question seraient plus intéressantes.

Le 28 février 2017, M. Y était reçu par M. P puis le 1 mars, il étaiter reçu ainsi que M. X, par le PDG de l’entreprise.

L’ensemble des fichiers ont été effacés et il a été demandé de stopper ce genre de montages à M. Z, qui, par lettre remise en main propre le 1 mars, a été sanctionné par uner avertissement.

Une réunion des délégués du personnel, hors M. Z, a été organisée le 1 mars àer l’initiative du PDG.

Le 6 mars 2017, les quatre salariés du service IT adressaient un courrier collectif aux délégués du personnel retraçant les événements survenus depuis le 27 février 2017, décrivant une réaction agressive de certains salariés et du service Game Logic dont étaient stigmatisés des dérapages à l’égard du service IT, sans réaction de la direction à leur égard. Aux termes de ce courrier, estimant être victimes d’un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, voire de harcèlement moral, les quatre salariés indiquaient souhaiter un processus de médiation dans lequel la direction accepte de les libérer de leur fonction et sollicitaient une indemnité transactionnelle de 8 mois de salaire en ce qui concerne M. X, 6 mois pour Messieurs A et Q et 12 mois pour M. Y.

Le 7 mars 2017, ayant pris connaissance par l’intermédiaire de la responsable des ressources humaines de la correspondance adressée aux délégués du personnel, M. P adressait un mail aux quatre salariés réservant la réponse de la société aux accusations portées mais se disant dans l’immédiat favorable à la mise en oeuvre d’une procédure de médiation et leur proposant un rendez-vous le 9 mars 2017.

Le même jour, il envoyait à l’ensemble des salariés une note de service relative à la charte des attitudes et du respect d’autrui.

Au cours de la réunion avec les délégués du personnel du 9 mars 2017, organisée à l’initiative de M. P, il était acté l’accord des parties pour un processus de médiation. Le lendemain, M. P acceptait le choix des salariés d’un autre médiateur que ceux proposés par l’entreprise, sous réserve de vérification des références de celui proposé par les salariés ; M. Y contestant alors le fait que la médiation implique également les membres du service Game Logic, M. P rappelait que cette implication avait été pourtant acceptée la veille.

Le 14 mars 2017, M. P adressait aux quatre salariés un courrier dans lequel il démentait les accusations portées par eux tout en indiquant que contact allait être pris avec le médiateur qu’ils avaient choisi.

Le même jour, M. X était placé en arrêt de travail pour maladie jusqu’au 17 mars 2017 et par lettre datée du 14 mars adressée par son conseil, sollicitait une rupture conventionnelle, courrier auquel l’employeur répondait en proposant un entretien fixé au 28 avril 2017.

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Après avoir pris des congés, M. X reprenait son travail le 27 mars. Examiné par le médecin du travail le 29 mars, il était déclaré apte à son poste. M. X était à nouveau placé en arrêt de travail pour maladie le lendemain et jusqu’au 28 avril 2017.

M. X ne s’est pas rendu au rendez-vous fixé par l’employeur pour la rupture conventionnelle au 28 avril 2017.

Par lettre du 28 avril 2017, M. X a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, le courrier relatant notamment les éléments suivants : « Les faits à caractère délictuel qui ont été commis au sein de la société QUANTIC DREAM à mon encontre et dont j’ai eu connaissance le 27 février 2017 m’obligent à vous adresser la présente. En effet, il ne saurait être contesté que vous n’avez pas su faire respecter le règlement intérieur et la charte internet signés par tous les employés (notamment la partie 4.2, activités prohibées). Pire, vous avez laissé exploiter mon image ainsi que celle de mes collègues du service informatique et d’autres salariés de l’entreprise dans des positions dénigrantes, homophobes, injurieuses, discriminatoires et raciales sans mon accord préalable et ce, notamment au travers d’un mail en accès libre envoyé sur tous les postes de la société. C’est ainsi que j’ai pu découvrir un montage avec mon image comportant des injures en libre accès dans la société, alors que je n’en avais pas eu connaissance avant (cf. montage message à l’it.jpg). Plus de 600 images ont été diffusées, et peut-être davantage. Elles mettent en évidence des salariés en exercice au sein de la société mais également des anciens ayant quitté l’entreprise. Aucune sanction proportionnée n’a été prise à l’encontre du salarié auteur de ces agissements, pire, vous avez cautionné en qualifiant les dessins d’humoristiques (cf. vos mails du 27 février 2017). Encore une fois, ces faits sont non seulement contraires aux règles prévues par le règlement intérieur et par la charte internet applicable au sein de la société, mais encore ils contreviennent aux dispositions des articles 9 du Code civil et L 226-1 du Code pénal. En outre, le 14 avril 2017, alors que je faisais encore partie des effectifs à cette date, vous avez réinitialisé les mots de passe de ma messagerie sans mon accord et sans en justifier le motif. En ne respectant pas vos obligations, vous rendez impossible la poursuite du contrat de travail. Profondément affecté par le caractère attentatoire et injurieux des images, du manque de respect à mon égard, à l’intimité de ma vie privée, j’ai été contraint de consulter un médecin, lequel m’a prescrit des arrêts travail avec un traitement médicamenteux. A ce jour, aucune solution n’a pu être trouvée. La situation n’a que trop perdurée (…) ».

A la date de la rupture, M. X avait une ancienneté de 2 ans et 1 mois et la société Quantic Dream occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Soutenant que la prise d’acte de la rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant diverses indemnités, M. X a saisi le 18 septembre 2017 le conseil de prud’hommes de Paris, de même que les trois autres salariés du service IT. Par jugement rendu le 19 janvier 2018, le conseil de prud’hommes a débouté M. X de l’ensemble de ses demandes (de même que M. A).

M. Q a quant à lui obtenu la requalification de sa prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse (jugement du 24 juillet 2018).

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M. Y n’a obtenu qu’une indemnisation au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (jugement du 21 novembre 2019).

Par déclaration du 27 avril 2018, M. X a relevé appel de la décision du conseil de prud’hommes qui lui avait été notifiée le 7 avril 2018.

Par conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 février 2020, M. X demande à la cour de le dire recevable et bien-fondé en son appel, d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- dire que la prise d’acte de la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Quantic Dream à lui verser les sommes suivantes :

* 4.983,36 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 498,33 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 1.715,62 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

* 19.933, 44 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 10.000 euros pour manquement à l’obligation de santé et de sécurité,

* 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

- dire que les condamnations à intervenir porteront intérêts à partir de chaque échéance mensuelle avec capitalisation desdits intérêts selon l’article 1343-2 du code civil à partir de la date de la saisine,

- condamner la société Quantic Dream aux entiers dépens.

Par conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 28 février 2020, la société Quantic dream demande à la cour de : À titre principal,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 19 janvier 2018 en ce qu’il a :

* constaté l’absence de manquement de la société Quantic Dream à l’égard de M. X,

* jugé que la prise d’acte de rupture du contrat de travail du 28 avril 2017 de M. X s’analyse en une démission,

* débouté M. X de l’intégralité de ses demandes à ce titre,

- infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes reconventionnelles et condamner M. X au paiement des sommes de :

* 4.983,36 euros à titre de dommages et intérêts,

* 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

À titre subsidiaire,

- constater l’absence de manquement suffisamment grave,

- juger que la prise d’acte de rupture du contrat de travail du 28 avril 2017 de M. X s’analyse en une démission,

- débouter M. X de l’intégralité de ses demandes à ce titre ;

À titre infiniment subsidiaire, sur les sommes réclamées par M. X,

- juger que l’indemnité à titre de dommages et intérêts est manifestement disproportionnée et injustifiée,

- débouter M. X de sa demande de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. X de sa demande d’exécution provisoire, celle-ci n’étant ni motivée ni justifiée,

- condamner M. X au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 mars 2020. En raison de la crise sanitaire, l’audience initialement fixée au 24 mars 2020 n’a pas pu être tenue.

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La proposition faite aux parties de recourir à la procédure sans audience faite par la cour en application de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété ayant été refusée par la société intimée, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 30 juin 2020.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites ainsi qu’au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat

La prise d’acte de la rupture du contrat par un salarié produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d’acte de la rupture produit les effets d’une démission.

Au soutien de ses prétentions, M. X invoque les éléments suivants :

- la diffusion d’images dégradantes dont il n’a pris connaissance que le 27 février 2017,

- l’examen des 600 photomontages fait apparaître leur caractère misogyne, pornographique, raciste, homophobe ou handiphobe,

- les montages le concernant ainsi que M. Y étaient particulièrement violents et agressifs,

- l’employeur, qui en avait connaissance, n’a pas respecté son droit à l’image et a ainsi méconnu l’article 9 du code civil ainsi que l’obligation de sécurité lui incombant, en cautionnant la diffusion de photomontages dégradants pour ses salariés ;

- à la suite de la dénonciation de ces faits, l’employeur a commis de nouveaux manquements à ses obligations,

- d’une part, après qu’il a été en arrêt de travail pour maladie du 14 au 7 mars puis en congés jusqu’au 27 mars, M. P l’a reçu et a fait pression sur lui pour qu’il se désolidarise de M. Y, le menaçant de donner de mauvaises références à des futurs employeurs, ces pressions le conduisant à un nouvel arrêt de travail à compter du 30 mars;

- d’autre part, le 14 avril 2017, alors qu’il était toujours en arrêt de travail pour maladie, l’employeur a fait réinitialiser le mot de passe permettant l’accès à son ordinateur, alors qu’il ne démontre pas la nécessité d’une telle opération pour la bonne marche de l’entreprise ;

- enfin, loin de soutenir la dénonciation légitime des salariés, la direction a au contraire entretenu une attitude suspicieuse voire menaçante à leur égard, ce dont attestent les autres salariés et n’a pas officiellement condamné les agissements qu’ils dénonçaient ;

- les salariés subissaient des conditions de travail dégradées ayant dû, au début de l’année 2017, affronté une charge de travail supplémentaire ainsi qu’en témoigne le lien qui figurait sur le message adressé par M. Z le 27 février 2017 intitulé « \\qd-wk- 12311\Sahred\Boulot a la con\-Détroit-\Montages », faits également dénoncés par la presse et connaissaient des tensions récurrentes avec le Pôle Game Logic, ce qu’avait dénoncé en vain M. Y en avril 2015 ;

- l’employeur ayant minimisé ces faits, le service informatique avait cessé d’informer la direction mais a rapporté ces comportements dans la lettre adressée aux délégués du personnel le 6 mars 2017, évoquant notamment que le mot de passe de la session de travail de M. Z était « Itde merde » et que celui-ci avait traité les membres de l’équipe informatique de « tas de fainéants » lorsque ceux-ci avaient refusé de porter des charges lourdes lors de déménagements de postes ;

- l’employeur, bien qu’alerté de ces tensions, n’a engagé aucune démarche pour permettre la résolution de ces conflits.

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La société Quantic Dream conclut au rejet des prétentions de M. X, soutenant que la prise d’acte de la rupture de son contrat doit produire les effets d’une démission en faisant valoir les éléments suivants :

- M. X avait parfaitement connaissance de la pratique des photomontages depuis plusieurs mois et ne s’en était jamais ému même lorsqu’il avait été plus spécialement destinataire du seul le concernant directement ;

- il ne s’est pas associé aux premières protestations de son supérieur, se joignant seulement à la lettre collective du 6 mars 2017 et ne prenant la décision de quitter l’entreprise que deux mois plus tard ;

- après que M. X, comme ses collègues du service IT, a accepté le principe d’une médiation au cours de la réunion avec les délégués du personnel le 9 mars 2017, M. Y, se présentant comme le porte-parole de son service, s’est opposé le lendemain à la participation à la médiation du service Game Logic ;

- le 14 mars, M. X a sollicité une rupture conventionnelle mais n’a donné aucune suite à la réponse de la société lui proposant un rendez-vous le 28 avril, rendez-vous qu’il n’a pas honoré, prenant acte de la rupture de son contrat par lettre à même date ;

- les pressions prétendues qu’il aurait subies, avant ou après le 27 février 2017 ne sont pas établies et la présentation de l’ambiance au sein de la société est démentie par de nombreuses attestations ;

- en réalité, « l’ultimatum » posé par M. X et ses collègues est intervenu à point nommé pendant la période critique de finalisation du dernier jeu, où l’implication de tous était nécessaire, le moment choisi n’étant donc pas anodin ;

- la société a immédiatement réagi aux protestations de M. Y puis des autres salariés du service IT et a pris les mesures nécessaires de manière immédiate et ce, alors qu’aucun salarié n’avait auparavant signalé une quelconque difficulté ;

- concernant la réinitialisation du mot de passe, la société fait valoir que les 4 salariés étaient en arrêt de travail et qu’elle a dû faire appel à un prestataire externe pour pouvoir utiliser les outils informatiques auxquels seuls avaient accès les salariés du service IT.

Sur l’atteinte à la dignité et au droit à l’image par la diffusion d’images dégradantes

L’examen des différents photomontages produits ne peut que conduire à considérer que l’employeur n’aurait pas dû accepter voire seulement tolérer les agissements de M. Z, ces photomontages étant incontestablement attentatoires à la dignité et au droit à l’image des salariés qui en étaient l’objet.

Cependant, il ressort des pièces produites par la société que cette pratique était connue de tous les salariés de longue date et n’avait suscité jusqu’alors aucune réaction de la part de M. X et de ses collègues qui n’ont manifesté leur désapprobation que lorsqu’ils en ont été la cible directe. En particulier, il est établi que le photomontage mettant en scène toute l’équipe du service IT et deux membres du service Game Logic qui ne présente pas de caractère dégradant avait été porté à la connaissance de tous les salariés le 22 septembre 2015 (pièce 2.2 société).

De nombreux salariés, anciens ou toujours présents dans l’entreprise (pièces 0.3 à 0.24 société), témoignent d’une ambiance dans l’entreprise respectueuse des différences, de l’absence de volonté de porter atteinte ou de nuire aux personnes concernées résultant des photomontages réalisés par M. Z qui visaient à la fois de nombreux salariés mais aussi les dirigeants de la société et du fait que ces photomontages ne correspondaient pas aux valeurs véhiculées au sein de l’entreprise.

La plupart de ces témoins s’offusquent des informations parues dans la presse et notamment dans les articles dont se prévaut M. X quant aux conditions de travail régnant au sein de l’entreprise et certains d’entre eux tels Messieurs D, R S déclarent que tous les collaborateurs impliqués dans les photomontages en étaient directement destinataires par mail.

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Or même si le photomontage concernant M. X, dont il n’est pas démontré qu’il en ait eu connaissance avant le 27 février 2017, ne peut qu’être qualifié de choquant, il ne l’était pas plus que nombre des autres et, surtout, il participait d’un « humour » tout aussi déplorable que celui résultant notamment des échanges empreints d’une incontestable vulgarité entre M. Y notamment avec Mme E, responsable des ressources humaines et Mme F (pièces 2.4 à 2.9 société), auxquels au moins pour certains, M. X était directement associé (pièce 2.9 société).

Par ailleurs et surtout, il est également justifié par la société qu’à réception des premières doléances de M. Y, ses dirigeants ont pris immédiatement plusieurs mesures de nature à mettre fin à cette pratique. Contrairement à ce que soutient M. X, la réaction des dirigeants de la société ne peut être qualifiée de banalisation ou de minoration de la gravité des faits dénoncés par M. Y. Certes, M. P a essayé, dans un premier temps de temporiser l’impact de ces photomontages mais sa réaction s’explique aussi par son positionnement hiérarchique et par la mission lui incombant nécessairement en sa qualité de directeur général d’atténuer les tensions pouvant exister entre les différents services de l’entreprise, le service informatique étant fréquemment ressenti par les utilisateurs comme contraignant au regard notamment des consignes de sécurité qu’il préconise et qui sont souvent vécues comme limitant la marge de manoeuvre des autres services d’une entreprise. Or, d’une part, il est justifié par la société que les photomontages litigieux ont été immédiatement rendus inaccessibles à l’ensemble des salariés, que l’employeur a organisé une réunion des délégués du personnel le 1 mars 2017, dont il ressort que ceux-cier n’avaient pas été précédemment saisis d’une difficulté quelconque au sujet de ces photomontages. Il est aussi justifié d’une diffusion par la direction de l’entreprise à bref délai, le 7 mars 2017, d’un rappel des règles éthiques devant présider aux échanges notamment via la messagerie entre les salariés. Même si cette diffusion ne comportait pas clairement une « condamnation » des photomontages, là encore, la position adoptée par la direction ne peut être que légitimée par la nécessité de concilier le fonctionnement des différentes entités de l’entreprise ayant des objectifs et des préoccupations distincts.

Il est également établi que tant M. Y et M. X ont été reçus individuellement par la direction de l’entreprise, étant observé que les pressions prétendument subies par M. X ne reposent que sur ses seules affirmations, les attestations des autres salariés du service IT ainsi que celle de Mme F ne pouvant qu’être accueillies avec circonspection puisque tous ont engagé une procédure prud’homale relative à la rupture de leur contrat de travail, d’autant que ces attestations sont démenties par celles que la société verse aux débats.

Il est aussi démontré que M. Z a fait l’objet d’un avertissement sanctionnant les faits dénoncés et que dès le 27 février, il présentait ses excuses auprès de M. Y en des termes dont la sincérité n’est pas utilement remise en cause.

Enfin, la société établit avoir acquiescé à plusieurs reprises à la volonté exprimée par M. X d’un règlement amiable du litige, d’abord en acceptant le principe d’une médiation puis celui d’une rupture conventionnelle. Les termes du procès verbal de la réunion des délégués du personnel attestent de ce que les salariés du service IT avaient le 9 mars 2017 accepté que la médiation concerne les membres du service Game Logic, de manière cohérente, puisqu’ils mettaient directement en cause ce service comme à l’origine des tensions, voire du harcèlement dont ils se prétendaient victimes.

Le lendemain, M. Y a remis en cause cet accord sans que M. X ne s’explique sur ce changement de cap.

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Il n’explique pas plus qu’après avoir sollicité le 14 mars 2017 une rupture conventionnelle de son contrat de travail, il n’a finalement pas honoré l’entretien proposé à cet effet par la société, adressant le jour même la prise d’acte de la rupture de son contrat.

Or, à la date de celle-ci, les manquements invoqués à l’encontre de l’employeur quant à la diffusion des photomontages avaient cessé et n’étaient pas de nature à empêcher la poursuite de la relation contractuelle.

Ces manquements justifient néanmoins de faire droit à hauteur de la somme de 2.000 euros à la demande présentée en cause d’appel de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

*** M. X fait également valoir que l’employeur a porté atteinte à sa vie privée en faisant réinitialiser en son absence le mot de passe permettant l’accès à son ordinateur professionnel.

La société fait justement valoir, sans être démentie sur ce point, que confrontée à la situation d’arrêt de maladie des quatre salariés du service IT, elle n’avait d’autre choix de faire appel à un prestataire informatique externe qui, pour pouvoir accéder aux applications nécessaires, devait procéder à cette réinitialisation.

Ce manquement ne peut donc être retenu comme justifiant la prise d’acte de la rupture.

*** M. X reproche aussi à l’employeur son inertie face au conflit et aux tensions récurrentes qui opposaient le service informatique et le pôle Game Logic et invoque notamment le traitement à la légère d’un incident survenu entre M. Y et M. G, surnommé « Jaja » qui avait été signalé par M. Y le 9 avril 2015 et que M. P avait minimisé dans la réponse qu’il avait apportée. L’échange de mails produit aux débats ne permet pas de retenir l’inertie reprochée à l’employeur : en effet, est seulement versé aux débats le mail envoyé par M. Y où celui-ci indique : « Si je ne vous tiens pas informé de certaines dérives, c’est que je cautionne certains comportements. Je vous laisse donc prendre connaissance de certains courriels ou messages joints à ce mail ». Les courriels ou messages joints ne sont pas versés aux débats. Au vu de la reproduction qui en a été faite dans la lettre collective adressée par les salariés du service IT aux délégués du personnel le 6 mars 2017, il est clair que certains des utilisateurs se plaignaient des contraintes imposées par les règles de sécurité. Or, les termes de la réponse de M. P ne permettent pas de retenir que ces faits exigeaient une réaction autre, M. Y étant invité à être un peu moins sur la défensive face à « l’énervement » qui pouvait résulter des difficultés informatiques rencontrées mais qui n’était pas ciblé sur les personnes de son service, lui demandant de faire un effort de communication en étant plus à l’écoute des utilisateurs et, à propos des échanges entre « W et H » (M. T U et M. A), proposait de rencontrer les deux intéressés si M. Y l’estimait nécessaire. Au surplus, M. X n’apparaît pas avoir été directement concerné par ces faits antérieurs de près de deux ans à la prise d’acte de la rupture de son contrat.

Enfin, si les salariés du service IT ont dénoncé dans leur courrier du 6 mars deux autres faits dégradant l’image du service informatique, outre que ces faits ne reposent que sur leurs seules déclarations, ils ne sont pas datés et il n’est pas justifié que la « direction a toujours été informée des dérapages» du service Game Logic pas plus que « des brimades » exercées par ce service qui auraient contraint des salariés à la démission.

***

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M. X soutient également avoir été l’objet de pressions de la direction après le 27 février 2017. Cette affirmation ne repose que sur ses seules déclarations, les attestations des autres salariés du service informatique, également en litige avec la société ne pouvant qu’être sujettes à caution, d’autant qu’elles sont en contradiction avec les témoignages produits par l’intimée, ainsi qu’il l’a été relevé précédemment, étant ajouté que si ces salariés ont fait l’objet d’arrêt de travail, ils étaient tous les trois déclarés dans le même temps aptes à leur poste par le médecin du travail et, pour M. X le 29 mars 2017.

*** M. X invoque enfin l’existence d’une charge de travail supplémentaire au visa d’articles de presse. La présentation de faits précis relatifs à l’existence d’éventuelles heures supplémentaires ne peut résulter de ces seuls articles de presse, dont le contenu à ce sujet est démenti notamment par le témoignage de M. D.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la prise d’acte de la rupture doit produire les effets d’une démission et le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté M. X de l’ensemble de ses demandes à ce titre.

Sur la demande reconventionnelle de la société Quantic Dream

Le salarié dont la prise d’acte de la rupture produit les effets d’une démission est redevable du préavis envers son employeur. M. X sera en conséquence condamné à payer à la société Quantic Dream la somme de 4.983,36 euros à ce titre.

Sur les autres demandes

Chacune des parties succombant partiellement du chef de ses prétentions, les dépens seront supportés par moitié par chacune d’elle et il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté la SA Quantic Dream de sa demande au titre du préavis,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

CONDAMNE la SA Quantic Dream à payer à M. I X la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur,

CONDAMNE M. I X à payer à la SA Quantic Dream la somme de 4.983,36 euros au titre du préavis,

DIT n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT que les dépens seront supportés par moitié par chacune des parties.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code pénal
  3. Code civil
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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 22 septembre 2020, n° 18/05870