Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 16 septembre 2021, n° 20/04951

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 2, 16 sept. 2021, n° 20/04951
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/04951
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 22 juin 2020, N° 18/09965
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRET DU 16 SEPTEMBRE 2021

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04951 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFQY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/09965

APPELANT DU CHEF DE LA COMPÉTENCE

Monsieur X Y

[…]

[…]

Représenté par Me Jean-Paul TEISSONNIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0268

INTIMEES DU CHEF DE LA COMPÉTENCE

Société A B.V

Meester treublaan 7

[…]

Pays-Bas

S.A.S. A FRANCE SAS

[…]

[…]

Société A MANAGEMENT BV

Meester treublaan 7

[…]

Pays-Bas

Tous représentées par Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 mai 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Mariella LUXARDO, Présidente

M. François LEPLAT, Président

Mme Natacha PINOY, Conseillère

qui en ont délibéré,

Greffière lors des débats : Mme Alicia CAILLIAU

ARRET :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mariella LUXARDO, Présidente et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. X Y a signé avec la société A un contrat de partenariat dont les conditions générales ont été éditées le 1er juillet 2013.

La première course réalisée par M. X Y par l’intermédiaire de la plate-forme A a eu

lieu le 19 novembre 2012.

A compter du 1er février 2016, de nouvelles conditions générales ont régi l’utilisation de la plate-forme A et ont été annexées au contrat de prestations de service signé électroniquement par le chauffeur.

M. X Y a obtenu sa carte professionnelle de conducteur de voiture de transport avec

chauffeur et est devenu auto-entrepreneur aux fins d’exercer son activité de chauffeur.

Il a installé sur son smartphone, « l’application chauffeur ».

M. X Y a poursuivi son activité de chauffeur pour la société A jusqu’au 14 août 2017,

date de sa dernière course.

Le 31 décembre 2018, M. X Y a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin d’obtenir la requalification de son contrat de travail et la condamnation de la société A.

Par jugement du 23 juin 2020, le conseil de prud’hommes de Paris :

— S’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris ;

— A réservé les dépens.

***

M. X Y a interjeté appel de la décision le 30 juillet 2020

***

Le 31 juillet 2020, M. X Y a sollicité par requête la mise en 'uvre de la procédure à jour fixe.

Par ordonnance du 1er septembre 2020, le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris a

autorisé celle-ci et fixé l’affaire à l’audience du 15 janvier 2021.

***

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 12 mai 2021, M. X Y demande à la cour de :

— Dire et juger tant recevable que bien-fondé M. X Y en l’ensemble de ses demandes

— Infirmer la décision d’incompétence rendue par le conseil de prud’hommes de Paris en date du 23 juin 2020,

— Déclarer le conseil de prud’hommes de Paris compétent pour connaître du présent litige opposant M. X Y aux sociétés A FRANCE SAS, A MANAGEMENT B.V. et A B.V.

— Renvoyer l’affaire devant la juridiction prud’homale

— Condamner solidairement les sociétés A FRANCE SAS, A MANAGEMENT B.V. et A B.V. à verser à M. X Y la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

— Condamner solidairement les sociétés A FRANCE SAS, A MANAGEMENT B.V. et A B.V. aux entiers dépens d’instance.

***

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 12 mai 2021, les sociétés A MANAGEMENT BV, A BV et A SAS demandent à la cour de :

— Constater que les appelants échouent à renverser la présomption de non-salariat qui leur est applicable;

— Constater que les intimées n’ont de surcroît pas la qualité de donneur d’ordre ;

— Constater que les différentes libertés dont bénéficient les chauffeurs utilisant l’application A ne sont en tout état de cause pas compatibles avec la reconnaissance d’un contrat de travail ;

En conséquence,

— Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du tribunal de commerce de Paris ;

— Confirmer le jugement rendu le 23 juin 2020 par le conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a débouté les appelants de l’ensemble de leurs demandes ;

— Condamner l’appelant à verser à chacune des sociétés A Management BV, A BV et A France SAS une somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

— Condamner l’appelant aux dépens.

***

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions qu’elles ont déposées et à la décision déférée.

***

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’existence d’un contrat de travail entre M. X Y et les sociétés A France SAS, A Management et A BV (dites les sociétés A)

M. X Y demande la requalification de son contrat dit « de partenariat » en contrat de travail et invoque la compétence du conseil de prud’hommes précisant que celui-ci peut statuer tant sur l’existence d’un contrat de travail que sur la détermination de la qualité de l’employeur.

Il expose que, pour travailler pour le compte d’A, il a obtenu sa carte professionnelle de chauffeur de voiture et est devenu auto-entrepreneur aux fins d’exercer son activité de chauffeur ; qu’il a installé sur son smartphone, « l’application conducteur » visée au point 1.1 des conditions de partenariat, désignant « l’application logicielle détenue, contrôlée, gérée, maintenue, hébergée, accordée sous licence et /ou conçue par A ('), pour fonctionner sur le Dispositif » (appelé aussi smartphone) ; il souligne qu’est également définie au point 1.3 de l’annexe au contrat de prestations de services, « l’application chauffeur » qui est « l’application mobile A qui permet aux prestataires de transport d’accéder aux services A afin de chercher, recevoir et exécuter des sollicitations de service de transport sur demande par des utilisateurs ».

Il entend démontrer que chaque service de transport qu’il a effectué pour le compte des sociétés A, le plaçait dans un lien de subordination à leur égard, celles-ci ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de se sanctionner les manquements de leur subordonné.

A l’appui de ces prétentions, il précise qu’il a intégré un service de prestations de transport créé et entièrement organisé par A et qui n’existe que grâce à cette plateforme ; qu’il n’a jamais développé de clientèle propre s’étant vu interdire de conserver les informations personnelles de ses passagers alors même que ce passager est censé appartenir à sa clientèle ; qu’il n’a jamais eu la possibilité de fixer librement ses tarifs alors qu’A a modifié, dans des proportions considérables et sans demander l’accord des chauffeurs, la part qui lui revient sur le prix de la course.

Il souligne que c’est la société A qui recrute les chauffeurs VTC, car c’est elle qui autorise ou non l’utilisation et l’accès à la plateforme au chauffeur et que pour pouvoir assurer un service de transport par l’intermédiaire de la société A, il a été contraint de signer électroniquement divers documents contenant les règles, ordres et directives imposées par la société A.

Qu’ainsi, il était nécessaire d’avoir une voiture aux normes et bien entretenue et qu’il n’était pas possible de se connecter avec un véhicule différent de celui sélectionné dans l’application, le choix du véhicule étant restreint pour l’enregistrement sur la plateforme ; qu’il convenait de rester professionnel en toutes circonstances et se conformer à tout moment aux normes de qualité fixées par la société A.

Il expose également que le pouvoir de contrôle de la société A commençait dès qu’il se connectait car la société contrôlait au préalable si tous les documents contractuels avaient été signés et si tous les documents relatifs au véhicule et au chauffeur avaient été enregistrés et scannés sur la plateforme.

Il relève que ce n’est pas le client qui choisit son chauffeur transporteur mais A qui affecte aux clients un chauffeur choisi par l’algorithme ; qu’A ne fournit pas au chauffeur toutes les informations utiles pour lui permettre de donner un accord éclairé et explicite : notamment l’absence des coordonnées complètes du client qui sont détenues par A seulement, l’absence du nombre de passagers, l’absence de l’adresse de destination finale, l’absence de la durée estimée de la course, le chauffeur ne choisissant librement ni son client, ni le lieu de ramassage du client, ni le chemin qu’il

empruntera pour arriver à destination de la course. Il précise que ne lui sont transmises, via l’application A, que le prénom et l’adresse de prise en charge du client.

Il ajoute que le chauffeur est obligé de rester connecté à l’application pendant toute la durée de la course pour permettre à la société A de contrôler l’exécution et le suivi de la course ce qui rompt la logique d’un simple service de mise en relation qui devrait s’arrêter une fois la mise en relation effectivement réalisée.

Il explique qu’A exerce aussi un contrôle complet sur la rémunération ; que la société perçoit directement le prix de la course, prélève un pourcentage, émet la facture et reverse le solde au chauffeur ; que c’est elle qui fixe les tarifs, ceux-ci s’imposant au chauffeur et c’est elle qui peut décider de mettre en place un système de majoration tarifaire par zone, ou de diminution du tarif selon certaines circonstances ; que c’est elle encore qui peut proposer des primes au chauffeur si un nombre minimum de courses a été effectué ; que cela caractérise son pouvoir souverain.

Il relève également que le pouvoir de contrôle d’A sur les chauffeurs se matérialise dans le système de notation instauré par A, les conditions de partenariat disant que « Les clients qui ont utilisé le service de conduite seront priés par A de commenter le service de conduite et d’attribuer un score pour le service de conduite et le conducteur », le chauffeur « devant maintenir une évaluation moyenne par les utilisateurs, supérieure à l’évaluation minimale moyenne acceptable fixée par A sur le territoire, susceptible d’être mise à jour de temps à autre par A à son entière discrétion » ; que dans son règlement, la société A stipule que chaque chauffeur est noté sur 5, et qu’une note inférieure à 4,5/5 est problématique, ce qui a pour conséquence qu’un chauffeur peut tout simplement se voir exclu de l’application.

Il souligne enfin qu’A exerce un pouvoir de sanction, par la possibilité qu’a la société d’ajuster le tarif utilisateur et d’opérer unilatéralement une désactivation du compter du chauffeur.

Il conclut que tous ces éléments, caractéristiques de l’organisation interne mise en place par la société A, permettent de reconnaître l’existence d’un lien de subordination entre la société A et M. X Y.

***

Les sociétés A France SAS, A Management et A BV (dites les sociétés A) s’opposent en réplique à cette prétention en considérant que M. X Y échoue à renverser la présomption de non-salariat qui pèse sur lui, qu’elles ne sont pas des donneuses d’ordre et que les chauffeurs qui utilisent l’application A ne sont pas dans un lien de subordination juridique à leur égard.

Elles soulignent tout d’abord que le modèle d’A consiste à mettre en relation une demande de transport, indépendante par nature, avec une offre de transport aussi indépendante qu’elle ; que le modèle utilisé est fondé sur l’indépendance et la liberté des chauffeurs d’utiliser discrétionnairement l’application ; qu’A ne contrôle ni ne dirige le client ou ses chauffeurs.

Elles affirment que la requalification en contrat de travail serait contraire aux aspirations de la plupart d’entre eux.

Elles précisent également qu’avec les professionnels de transport, A conclut des partenariats commerciaux, leur objet étant la mise à disposition de l’application en échange du versement de frais de service prélevés sur chaque course effectuée via l’application ; que ces partenariats sont sans engagement financier pour les chauffeurs indépendants ou les sociétés de transport et qu’ils n’incluent aucune forme d’obligation de travail, ni aucune obligation d’exclusivité.

Elles invoquent l’incompétence du conseil de prud’hommes soulignant que la relation contractuelle entre les appelants et la société A BV est de nature commerciale et qu’aucun contrat de travail

n’existe entre les parties ; qu’il s’agit de travailleurs indépendants ayant constitué leur propre société, titulaires d’une carte de chauffeur de voiture de tourisme, immatriculés au registre des exploitants de voitures de tourisme avec chauffeur.

Les sociétés A en déduisent que la présomption de non salariat est applicable et que les appelants, pour renverser cette présomption, doivent démontrer, qu’ils fournissaient des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard de celui-ci.

Elles relèvent qu’A n’a pas la qualité de donneur d’ordre ; que la société A n’est pas un exploitant de transport mais un intermédiaire ; qu’elle n’est pas le client ni le bénéficiaire direct de la prestation de transport ; que ce sont les partenaires, qui réalisent la prestation de transport, qui sont les clients d’A, ce dernier lui fournissant un service de mise en relation ; que les véritables donneurs d’ordre des travailleurs réalisant la prestation de transport sont les consommateurs finaux qui bénéficient de cette prestation de transport.

Elles soulignent également que les libertés dont bénéficient les chauffeurs utilisant l’application A sont incompatibles avec le salariat ; que les chauffeurs n’ont aucune obligation de travailler par le biais de l’application A alors que l’obligation de travailler est inhérente au contrat de travail ; que le maintien à disposition de l’employeur qui constitue la première obligation que tout contrat de travail met à la charge du salarié, est absente pour les chauffeurs ; qu’ils restent libres de se connecter ou pas ; qu’ils n’ont ni obligation de travail, ni durée, ni horaires de travail ; qu’ils sont libres d’utiliser d’autres plateformes et d’accepter les courses ou pas : qu’A n’impose pas d’ordres et de directives aux chauffeurs utilisant son application ; que tout cela caractérise l’indépendance des chauffeurs.

Elles considèrent ne pas avoir la qualité de donneur d’ordre et réfutent l’existence d’un lien de subordination avec les chauffeurs qui utilisent l’application A.

Les sociétés A soulignent que de nombreuses décisions de jurisprudence ont retenu l’indépendance des chauffeurs et leur liberté de travail, exclusives d’une relation salariée.

Elles exposent que la possibilité de suspendre le compte du chauffeur en cas de manquement aux règles de sécurité et de savoir-vivre régissant la communauté A, ne saurait emporter la reconnaissance d’un statut de salarié ; mais qu’A est responsable, à l’égard du client, de la bonne exécution des obligations du contrat de transport.

Elles précisent que la géolocalisation est inhérente au fonctionnement de l’application et qu’elle n’est pas utilisée pour contrôler en temps réel l’activité des chauffeurs ; que la notation des chauffeurs par les passagers est facultative et loin d’être systématique ; qu’elle ne relève pas d’un pouvoir de contrôle dont serait détenteur l’employeur ; qu’A ne met pas en place un service organisé au sein duquel il déterminerait unilatéralement les conditions de travail des chauffeurs ; que la fixation par A d’un prix minimum de la course et sa facturation ne constituent pas la preuve d’un lien de subordination.

Elles relèvent enfin qu’A n’exerce pas un pouvoir disciplinaire à l’égard des chauffeurs ; que la déconnexion d’un compte chauffeur utilisant l’application ne correspond pas à l’exercice d’un pouvoir de sanction par un employeur mais à la faculté donnée à tout acteur économique de rompre un partenariat commercial si les termes et conditions de celui-ci ne sont pas respectés par son cocontractant.

De ces éléments, les sociétés A tirent comme conséquence que M. X Y ne renverse pas la présomption de non-salariat qui lui est applicable.

***

La cour rappelle que le contrat de travail est constitué par l’engagement d’une personne à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre moyennant rémunération, le lien de subordination juridique ainsi exigé se caractérisant par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

La qualification de contrat de travail étant d’ordre public, il ne peut y être dérogé par convention.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité, l’office du juge étant d’apprécier le faisceau d’indices qui lui est soumis pour dire si cette qualification peut être retenue.

La preuve de l’existence d’un contrat de travail peut être rapportée par tous moyens.

L’article L.8221-6 du code du travail dispose, quant à lui, que : " I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;

2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l’article L. 214-18 du code de l’éducation ou de transport à la demande conformément à l’article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;

3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;

II.- L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. (…)", instituant ainsi une présomption simple de non-salariat, qui supporte la preuve contraire.

Selon l’article L.111-7 du code de la consommation : " I.-Est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service. (…)".

A revendique avoir mis en service une plateforme en ligne d’intermédiation de transport destinée à mettre en relation des professionnels indépendants fournissant une prestation de transport et des utilisateurs souhaitant en bénéficier.

Une condition essentielle de l’entreprise individuelle indépendante est le libre choix que son auteur fait de la créer ou de la reprendre, outre la maîtrise de l’organisation de ses tâches, sa recherche de clientèle et de fournisseurs.

Il convient de relever que les dispositions de l’article 2.4 du contrat de partenariat produit aux débats, qualifient de « légale et commerciale la relation d’A avec les chauffeurs, qu’elle ne dirige ni ne contrôle ». Mais la qualification contractuelle que les parties donnent à leur relation doit s’effacer devant les conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité que la convention prétend régir.

Le fait que le travail soit effectué au sein d’un service organisé peut constituer un indice de

l’existence d’un lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions

d’exécution de la prestation au sein de ce service.

En l’espèce, M. X Y s’est engagé auprès de la société A BV, en qualité de chauffeur, par un « formulaire d’enregistrement de partenariat », dans lequel il déclare avoir reçu et lu les conditions générales d’A, dénommées « Conditions de partenariat », faisant partie intégrante de ce formulaire, avec lequel, elles forment le « Contrat ».

Il verse aux débats, au titre des documents contractuels, outre le formulaire d’enregistrement de partenariat, le contrat de prestation de services, dans sa version mise à jour au 1er février 2016, la charte de la communauté A et les règles fondamentales A.

Du fait de son immatriculation au répertoire des métiers, M. X Y entre dans la catégorie des personnes visées au I de l’article L.8221-6 précité.

Il ne saurait être contesté que M. X Y a été contraint pour pouvoir devenir « partenaire » de la

société A et de son application de s’inscrire au répertoire des métiers.

Sans pouvoir décider librement de l’organisation de son activité, de rechercher une clientèle ou de choisir ses fournisseurs, M. X Y a ainsi intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par A, qui n’existe que grâce à cette plateforme, service de transport à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régis par A.

Cela résulte notamment du formulaire d’enregistrement de partenariat versé aux débats, dans lequel M. X Y a, en y adhérant, intégré un service organisé par A qui déterminait unilatéralement les conditions d’exécution de la prestation.

Cela se déduit également de la gestion des tarifs, pour lesquels il sera relevé qu’ils sont contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme A par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix.

Ainsi, les articles 4-1, 4.2 et 4.3 sur les dispositions financières, démontrent que la société A fixe pour le service un tarif correspondant à un montant « recommandé », laissant au chauffeur la seule faculté d’imputer un tarif inférieur au tarif utilisateur qu’A a seul prédéfini, ou de négocier avec A un tarif inférieur au tarif prédéfini ; que la société A peut « modifier à tout moment à sa discrétion » le calcul du tarif utilisateur, se réservant également le droit « d’ajuster le tarif utilisateur pour un cas particulier de service de transport (…) ou d’annuler le tarif utilisateur pour un cas particulier de service de transport notamment en cas de plainte d’un utilisateur le contrat prévoyant une possibilité d’ajustement par A du tarif, notamment si le chauffeur a choisi un « itinéraire inefficace ».

M. X Y ne disposait donc pas de la liberté effective de fixer ses tarifs, dès lors que la seule

faculté qui lui était laissée était de proposer un tarif en deçà du maximum fixé par A qui se

réservait la possibilité d’augmenter ou de diminuer le-dit maximum et de l’imposer en tant que tel.

De même, le document intitulé « règles fondamentales A » renvoie à des règles que seule la société fixe sous peine de suspension du compte et du partenariat, en particulier des directives comportementales, notamment sur le contenu des conversations à s’abstenir d’avoir avec les passagers ou bien la non acceptation de pourboires de leur part, peu compatibles avec l’exercice indépendant d’une profession.

Il en est de même de la charte de la communauté A prescrivant de nombreuses règles s’imposant au chauffeur mais aussi du contrat de partenariat qui, par exemple en son article 2.2 recommande d’attendre au moins 10 minutes que l’utilisateur se présente au lieu convenu.

S’agissant de la constitution d’une clientèle propre, il doit être rappelé que la charte de la communauté A, sous la rubrique « Activités inacceptables » interdit aux chauffeurs, pendant l’exécution d’une course réservée via l’application A de prendre en charge d’autres passagers en dehors du système A. Par ailleurs, pour garder seule la maîtrise de la clientèle, A ne communique au chauffeur via l’application, que le prénom du client et l’adresse de prise en charge.

Les chauffeurs n’ont aucun contact direct avec la clientèle de la plateforme lors de la conclusion du contrat de transport, puisque, seule A, centralise toutes les demandes de prestations de transport et les attribue, en fonction des algorithmes de son système d’exploitation, à l’un ou l’autre des chauffeurs connectés.

C’est donc vainement que les sociétés A affirment que seuls les utilisateurs sont les donneurs d’ordre des chauffeurs.

L’ensemble de ces éléments démontrent un pouvoir de direction d’A, la dépendance des chauffeurs à ses directives, et caractérisent l’inscription de leur activité dans un service organisé par A.

Il doit être également constaté qu’A a mis en 'uvre à l’égard de M. X Y, un pouvoir de

contrôle de l’exécution de la prestation et de sanction des manquements constatés.

Ainsi il est mentionné à l’article 2-6-2 du contrat de partenariat un « système d’évaluation moyenne »

des prestations du chauffeur, par le biais des utilisateurs, la société A se réservant expressément le

droit de désactiver l’accès si l’évaluation passait en dessous de « l’évaluation moyenne minimale »

qu’elle seule fixait.

S’il est spécifié à l’article 2-4 du contrat que le chauffeur garde « la possibilité de tenter d’accepter, de

refuser ou d’ignorer une sollicitation de service de transport acceptée par A, ou d’annuler une

demande de service de transport acceptée par l’intermédiaire de l’application chauffeur », il est

cependant précisé que cette possibilité existe « sous réserve des politiques d’annulation d’A alors

en vigueur », ce même article rappelant « qu’A se réserve également le droit de désactiver ou

autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation de l’Application Chauffeur ou des services A par le

Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d’A",

ces dispositions ayant pour effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une

course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition d’A,

sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui

leur convient ou non, ce d’autant que le point 2.2 du contrat stipule que le chauffeur "obtiendra la

destination de l’utilisateur, soit en personne lors de la prise en charge, ou depuis l’Application

Chauffeur si l’utilisateur choisit de saisir la destination par l’intermédiaire de l’Application mobile

d’A", ce qui implique que le critère de destination, qui peut conditionner l’acceptation d’une

course est parfois inconnu du chauffeur lorsqu’il doit répondre à une sollicitation de la plateforme

A, ce que confirme le constat d’huissier de justice dressé le 13 mars 2017 versé aux débats, étant

observé que ce même constat indique que le chauffeur dispose de seulement huit secondes pour

accepter la course qui lui est proposée.

Il sera également relevé que M. X Y ne disposait pas d’une liberté effective d’accepter ou de

refuser les courses proposées dès lors que le refus répété de trois courses impliquait une

désactivation temporaire de son compte tel que cela résulte du constat d’huissier en date du 13 mars

2017, produit aux débats. Ce constat démontre un contrôle formel d’A, lorsque le chauffeur

souhaite se connecter sur l’application et passer du statut « hors ligne » à « en ligne », l’huissier ayant

constaté que le chauffeur avait dû accepter de nouvelles conditions contractuelles, pour passer « en

ligne », car il n’y avait aucun onglet « refuser » ; que sans acceptation de ces modifications, il lui

était impossible de recevoir les notifications de courses.

Ainsi, le pouvoir discrétionnaire d’A de pouvoir désactiver ou restreindre l’accès à l’application chauffeur, limite d’autant la liberté de connexion des chauffeurs à la plateforme.

A exerce également un contrôle sur la rémunération du chauffeur car c’est la société qui perçoit directement le prix de la course, prélève un pourcentage, émet la facture et reverse le solde au chauffeur.

Il doit aussi être relevé que le contrôle des chauffeurs utilisant la plateforme A s’effectue via un système de géolocalisation, le point 2.8 du contrat stipulant que : « (…) les informations de géolocalisation du chauffeur seront analysées et suivies par les services A lorsque le chauffeur est connecté et l’Application A est disponible pour recevoir des demandes de service de transport, ou lorsque le chauffeur fournit des services de transport (…) », peu important les motivations avancées par A de cette géolocalisation.

Le pouvoir de sanction des sociétés A se matérialise notamment dans le système de notation instauré, les clients ayant utilisé le service du chauffeur étant priés de commenter le service de conduite et d’attribuer une note, celle-ci ayant une incidence sur une éventuelle exclusion du chauffeur de l’application, telle que cela résulte de l’article 2.4 du paragraphe « Notes » de l’annexe au contrat de prestation de services mis à jour le 1er février 2016 produite aux débats.

S’agissant encore du pouvoir de sanction, il convient de relever que la fixation par A d’un taux d’annulation de commandes, variable dans « chaque ville » selon la charte de la communauté A, pouvant entraîner la perte d’accès au compte y participe, tout comme la perte définitive d’accès à l’application A en cas de signalements de « comportements problématiques » par les utilisateurs.

Enfin, le fait que ne soit imposé au chauffeur aucun horaire ou jour de travail ne peut être considéré

comme déterminant pour écarter le statut de salarié alors que certaines catégories de salariés ne sont

pas soumis à des horaires fixes.

La cour en déduit qu’un faisceau suffisant d’indices se trouve réuni pour permettre à M. X Y de caractériser le lien de subordination dans lequel il se trouvait lors de ses connexions à la plateforme A et d’ainsi renverser la présomption simple de non-salariat que font peser sur lui les dispositions de l’article L.8221-6 I du code du travail.

Infirmant le jugement entrepris, la cour dira que le contrat de partenariat signé par M. X Y avec les sociétés A s’analyse en un contrat de travail, pour lequel l’article L.1411-1 du code du travail donne compétence au conseil de prud’hommes pour régler les différends qui peuvent s’élever à son occasion.

Le conseil de prud’hommes, devant lequel l’affaire sera renvoyée, par application de l’article 86 du code de procédure civile, statuera sur les demandes de M. X Y et sur la question de savoir si les sociétés A France et A Management doivent être mises hors de cause.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Il est équitable d’allouer à M. X Y une indemnité de procédure de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Dit que le contrat ayant lié M. X Y à la société de droit néerlandais A BV est un contrat de travail,

Renvoie l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Paris pour statuer sur les demandes de M. X Y,

Condamne in solidum la société A BV, la société par actions simplifiée A France et la société A Management à payer à M. X Y la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la société A BV, la société par actions simplifiée A France et la société A Management aux dépens d’appel.

La Greffière, La Présidente,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 16 septembre 2021, n° 20/04951