Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 10, 25 mai 2022, n° 18/06987

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 ch. 10, 25 mai 2022, n° 18/06987
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/06987
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Longjumeau, 12 avril 2018, N° 17/00101
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 25 MAI 2022

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/06987 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5ZCT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LONGJUMEAU – RG n° 17/00101

APPELANT

Monsieur [F] [L]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Aurélie SORIA, avocat au barreau de PARIS, toque : G0716

INTIMEE

SAS INFOVISTA Société prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-sébastien GRANGE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0790

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 16 décembre 2021

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

— contradictoire

— mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [F] [L] a été engagé par la société Accelent, suivant contrat à durée indéterminée le 1er avril 2005, en qualité de responsable Grands Comptes.

En 2008, son contrat de travail a été transféré au sein de la société par actions simplifiée (SAS) Infovista à la suite d’une Transmission Universelle de Patrimoine. Le salarié a alors signé un avenant à son contrat de travail initial prévoyant une classification 2.3, coefficient 150 de la convention collective nationale des bureaux d’étude technique, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite Syntec), ainsi qu’une rémunération annuelle brute à hauteur de 50 543 euros, outre le versement d’une part variable.

Au cours des années suivantes, le salarié a régularisé plusieurs avenants contractuels prévoyant, en 2011 et 2013, une augmentation de sa rémunération.

Chaque année, des objectifs lui ont été définis dans le cadre de plans de commissionnement qu’il a systématiquement signés.

En mars 2015, M. [F] [L] a écrit à son supérieur, M. [G] [B], pour lui indiquer que les objectifs de son équipe avaient été fixés au regard de la présence de deux commerciaux et que le départ de l’un d’entre eux, M. [S], l’empêcherait d’atteindre l’objectif fixé. Il a donc demandé à ce que celui-ci soit révisé en otant de son quota exigé la moitié de celui de M. [S].

Il lui a été opposé un refus au motif que les quotas étaient fixés en début d’année et qu’il n’y avait pas lieu de les réviser pour tenir compte des mouvements intervenus en cours d’année.

Au cours de l’été 2015, la SAS Infovista a fusionné avec la société Ipanema.

Dans le dernier état des relations contractuelles, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 8 850 euros (moyenne sur les 12 derniers mois).

Le 30 décembre 2015, le salarié s’est vu notifier un licenciement pour faute grave, libellé dans les termes suivants :

« Je suis au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave, pour les raisons exposées au cours de l’entretien préalable précité et reprises ci-après.

Vous avez eu au cours des derniers mois de nombreux échanges avec votre hiérarchie, tant écrits qu’oraux, relatifs à votre situation contractuelle et à votre rémunération notamment variable, ce depuis début juillet 2015, mois au cours duquel ont eu lieu les évolutions des équipes commerciales suite à l’achat et à l’intégration de la société IPANEMA Technologies, sise à [Localité 5], au sein d’INFOVISTA.

Le dimensionnement et les objectifs des équipes commerciales ont en conséquence été revus au regard de cette nouvelle situation et des nouveaux enjeux « business » à savoir pour ce qui vous concerne le marché des produits « entreprise » avec à l’origine 58 clients INFOVISTA étendus à 150 clients IPANEMA (dont 10 en commun) qui – de facto ' se transforment en prospects qualifiés.

Ainsi,afin que soient portés à votre connaissance tant les objectifs commerciaux que la rémunération variable afférente, vos nouveaux objectifs vous ont été transmis sous la forme du « commission plan » pour validation par votre nouvelle hiérarchie le 30 septembre 2015. Il est à noter que cette remise s’est faite en décalage par rapport aux autres membres de l’équipe afin de tenir compte de votre absence et à votre retour effectif.

Vous n’avez pourtant jamais donné suite à votre supérieur hiérarchique malgré sa dernière relance écrite par email en date du 18 novembre 2015 dans lequel il ne manquait pas de vous signaler que vous étiez le seul de l’équipe à ne pas avoir signé son plan de commissionnement.

A aucun moment, vous n’avez répondu à cette dernière relance et remarque.

Lors de l’entretien préalable du 11 décembre, vous avez ' à deux reprises ' confirmé que vous ne signeriez pas ce « commission plan » attaché à l’année fiscale de l’entreprise (juillet 2015 à juin 2016 ' FY16).

Les raisons mises en avant, à savoir votre rôle de Directeur commercial qui ne serait notamment « de ne pas refaire de la vente sur le terrain » et de « se consacrer au coaching et au management » nous apparaissent totalement infondées tant au regard des moyens mis en 'uvre pour compléter l’équipe commerciale, qu’en termes d’extension du champ de prospects qualifiés (+ 140 clients ex-IPANEMA).

De plus, avec le quasi triplement de ces prospects, votre position de qualifier d’irréaliste la cible à 1,7 millions d’euros par rapport à près de 1,5 réalisés l’année précédente est totalement irrecevable, alors même que le champ d’action a été élargi en nombre de prospects qualifiés et l’équipe commerciale renforcée.

Nous vous avons précisé que :

— Le « commission plan » proposé pour 2016 tenait parfaitement compte de votre situation contractuelle de « Sales director » / Directeur commercial,

— Le mode de calcul figurant dans ce « commission plan » qui vous était proposé était semblable à ceux définis dans les précédents plans.

Le seul contrat qui régit donc notre relation en l’état actuel est le contrat initial signé le 4 janvier 2005 et son dernier avenant en date du 31 juillet 2013, marquant votre nomination en qualité de

« Sales Director » à compter du 1erjuillet 2013, que nous respectons en tous points.

Vous terminez notre entretien du 11 décembre dernier en persistant dans votre refus réitéré du « commission plan » qui vous a été proposé.

Il résulte donc de ce qui précède :

— que vous avez refusé de manière obstinée et illégitime la simple actualisation et la prorogation d’un élément contractuel qui est temporaire et borné dans le temps.

— que votre refus est d’autant plus inacceptable et pour le moins abusif que par ailleurs vous demandiez de percevoir les fruits du « commission plan » (votre dernier email du 23 décembre 2015 adressé à Monsieur [C], Vice-président Sales France),

— que,pour notre part,nous avons scrupuleusement respecté les dispositions contractuelles aujourd’hui applicables.

Votre attitude obstinément et manifestement déloyale crée une situation de blocage très préjudiciable compte tenu de vos fonctions et empêche la poursuite de nos relations contractuelles. Elle est constitutive d’une faute grave.

Vousn’avez apporté aucun élément valable susceptible de justifier votre refus,alors que le« commissionplan » présente la même forme que celle employée les années antérieures, forme à laquelle vous n’avez auparavant rien trouvé à redire. Votre argument de prétendre que signer le « commission plan » serait reconnaître la nouvelle organisation miseenplace,montreuneattitudedenon-coopération,totalementdéloyalevis-à-visdel’entreprisequevousêtes pourtant censé développer en votre qualité de directeur commercial.

Aucoursdel’entretienpréalable,malgréunedemandeexpressedemapartderevoirvotreposition,vousavez maintenu votre refus de signer le « commission plan » de 2016.

En conséquence, devant votre refus obstiné de signer cet élément indispensable à notre relation contractuelle compte tenu du poste que vous occupez, nous sommes donc contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave ».

Le 20 février 2017, M. [F] [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Longjumeau pour contester son licenciement et solliciter des dommages-intérêts au titre de la nullité de la convention de forfait, pour exécution fautive du contrat de travail ainsi qu’un rappel de commissions pour l’année 2015.

Le 13 avril 2018, le conseil de prud’hommes de Longjumeau, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :

— requalifier de licenciement pour faute grave prononcée à l’encontre de M. [F] [L] en licenciement pour cause réelle et sérieuse

— condamne en conséquence la SAS Infovista, prise en la personne de son représentant légal, à verser à M. [F] [L] les sommes suivantes :

* 50 094,59 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement

* 26 550 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

* 2 650 euros au titre des congés payés sur l’indemnité de préavis

* 4 425 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de signature par M. [F] [L] de la convention forfait jours

* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

— déboute M. [F] [L] du surplus de ses demandes

— déboute la SAS Infovista de sa demande reconventionnelle

— dit n’y avoir lieu a prononcé l’exécution provisoire autre que celle de plein droit pour les sommes visées par l’article R. 1454-28 du code du travail

— met les dépens à la charge de la SAS Infovista.

Par déclaration du 24 mai 2018, M. [F] [L] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification le 30 avril 2018.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 31 mars 2020, aux termes desquelles

M. [F] [L] demande à la cour d’appel de :

I- Sur le licenciement

— confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Longjumeau du 13 avril 2018 en ce qu’il a jugé que le licenciement ne procède pas d’une faute grave

— confirmer ledit jugement en ce qu’il a condamné la société Infovista à payer à Monsieur

[L] la somme de 50 094,59 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement

— infirmer le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse

Statuant à nouveau

— dire que le licenciement de Monsieur [L] est irrégulier et sans cause réelle et sérieuse

— condamner la SAS Infovista à verser à Monsieur [L] la somme de 40 678,32 au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 4 067,83 euros au titre des congés payés afférents

— confirmer, à défaut, la condamnation de la société Infovista à verser à Monsieur [L] la somme de 26 550 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 2 655 euros au titre des congés payés afférents

— condamner la société Infovista à verser à Monsieur [L] la somme de 325 425 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

— infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté que le licenciement est intervenu dans des conditions brutales et vexatoires

Statuant à nouveau

— condamner la société Infovista à verser à MonsieurVersace la somme de 5 000 euros au titre du préjudice distinct

II- Sur le rappel de commission 2015

— réformer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de rappel de salaire variable au titre de l’exercice 2015

Statuant à nouveau

— condamner la société Infovista à verser à Monsieur [L] la somme de 56 512,84 euros au titre du rappel des commissions pour l’année 2015, outre 5 651,28 euros au titre des congés payés afférents

III ' Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

— réformer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de Monsieur [L] tendant à faire

— condamner la société Infovista à l’indemniser au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

Statuant à nouveau,

— condamner la société Infovista à verser à Monsieur [L] la somme de 10 000 euros au titre de l’exécution fautive et déloyale du contrat de travail.

IV ' Sur la convention de forfait

— confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la convention de forfait en jours de Monsieur

[L] est nulle

— réformer le jugement en ce qu’il a évalué le préjudice de Monsieur [L] à 4 425 euros,

Statuant à nouveau

— condamner la société Infovista à verser à Monsieur [L] la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts au titre de la sujétion représentée par la convention de forfait nulle

— condamner la société Infovista à établir le bulletin de paie requis et des documents de fin de contrat rectifiés

— juger que l’appel incident de la société Infovista est infondé

En conséquence

— rejeter les demandes, moyens et fins de la société Infovista

— condamner la société Infovista à verser à Monsieur [L] la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 21 février 2019, aux termes desquelles la SAS Infovista demande à la cour d’appel de :

A titre principal :

— infirmer partiellement le jugement de première instance en ce qu’il a jugé le licenciement de Monsieur [F] [L] comme n’étant pas justifié par l’existence d’une faute grave

— dire que le licenciement de Monsieur [F] [L] est justifié par une faute grave

— le débouter de l’intégralité de ses demandes

— infirmer partiellement le jugement de première instance en ce qu’il a condamné la société Infovista au paiement d’une somme de 4 425 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de signature de la convention de forfait jours

— dire que la convention de forfait jours signée entre les parties est parfaitement valable et qu’elle a pleinement été acceptée par Monsieur [F] [L]

— ordonner le remboursement des sommes indument versées à Monsieur [F] [L] au titre des condamnations mises à la charge de la société Infovista par le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Longjumeau

— confirmer le jugement de première instance dans toutes ses autres dispositions

— débouter Monsieur [F] [L] de l’intégralité de ses demandes

Subsidiairement :

— confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a jugé que le licenciement de Monsieur [F] [L] était justifié parl’existence d’une cause réelle et sérieuse

— dire que le licenciement de Monsieur [F] [L] est justifié par une cause réelle et sérieuse

— condamner la société Infovista à lui payer les sommes de :

* 26 550 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 2 6500 euros de congés payés afférents

* 31 712,50 euros à titre d’indemnité de licenciement

— ordonner le remboursement des sommes indûment versées à Monsieur [F] [L] au titre des condamnations mises à la charge de la société [L] par le jugement de première instance

— infirmer partiellement le jugement de première instance en ce qu’il a condamné la société Infovista aupaiement d’une somme de 4 425 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de signature de la convention de forfait jours

— dire que la convention de forfait jours signée entre les parties est parfaitement valable et qu’elle a pleinement été acceptée par Monsieur[F] [L]

— confirmer le jugement de première instance dans toutes ses autres dispositions

— débouter Monsieur [F] [L] de ses demandes

A titre infiniment subsidiaire :

— minorer le quantum de ses demandes et les ramener à de plus justes proportions

En tout état de cause :

— condamner Monsieur [F] [L] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

— le condamner aux entiers dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 2 février 2020.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur le forfait annuel en jours

Une convention de forfait en jours sur l’année ne peut être conclue qu’avec des salariés qui disposent d’une autonomie réelle dans l’organisation de leur travail et pour autant qu’elle soit prévue par un accord collectif qui assure la garantie du respect des durées maximales de travail et des repos, journaliers et hebdomadaires, ainsi que stipulée dans un écrit auquel le salarié a donné son accord et qu’un entretien portant sur l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle du salarié soit organisée.

M. [F] [L] indique qu’il a été soumis à un forfait annuel en jours depuis le début de la relation contractuelle, à savoir le 1er avril 2005, et ce, en dépit du fait qu’aucune convention individuelle de forfait n’a été signée entre les parties, à cette date.

Dans l’avenant du 19 juin 2012, la clause relative à la durée du travail est venue préciser : « Le salarié est cadre au forfait annuel en jours. Le salarié est donc totalement autonome dans la gestion de son temps », pour autant, cet article n’a pas précisé le nombre de jours travaillés dans le cadre du forfait annuel, ni l’accord collectif permettant de recourir à cette convention de forfait.

À cet égard, le salarié appelant rappelle que la Cour de cassation dans un arrêt du 24 avril 2013 a invalidé les conventions de forfait jours conclues sur le fondement de la convention collective Syntec, en considérant que les dispositions qu’elle prévoyaient n’étaient pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié reste raisonnable.

En conséquence, le salarié affirme que pendant plus de 10 ans il a été assujetti à un forfait en jours sans qu’aucune convention valide n’ait été conclue et il demande à ce que la cour constate la nullité de cette convention de forfait.

En outre, faisant valoir qu’il s’est trouvé privé, du fait de l’application de la convention de forfait jours, d’un décompte de son temps de travail et d’une éventuelle majoration de ses heures supplémentaires, M. [F] [L] sollicite une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des sujétions particulières qui lui ont été imposées en toute illégalité pendant la durée de la relation contractuelle.

L’employeur soutient que la convention de forfait en jours à laquelle a été soumis le salarié était parfaitement valable et, qu’à compter du 1er avril 2014, la convention collective Syntec a été modifiée de manière à garantir le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires pour tenir compte de la jurisprudence de la Cour de cassation. La SAS Infovista affirme qu’elle a bien mis en 'uvre ces dispositions et que le salarié appelant ne s’est jamais plaint de sa charge et de ses horaires de travail durant la relation contractuelle, ni n’a demandé le paiement d’heures supplémentaires.

Mais, la cour observe qu’il n’est pas justifié par l’employeur de la signature par le salarié d’une convention individuelle de forfait précisant le nombre de jours inclus dans le forfait et qu’en l’absence de ce document la convention de forfait auquel il a été soumis lui est parfaitement inopposable. De surcroît, jusqu’au 1er avril 2014, cette convention de forfait s’est référée à un accord collectif qui ne respectait pas les prescriptions en matière de garantie des durées maximales de travail et de repos.

Toutefois, à défaut pour M. [F] [L] de s’expliquer sur ses horaires de travail et de justifier des sujétions particulières qu’il aurait eu à supporter en raison du forfait jours qui lui a été appliqué, il n’est pas établi l’existence d’un préjudice dont le salarié pourrait demander réparation. Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a fait droit partiellement à la demande de dommages-intérêts formée par le salarié de ce chef.

2/ Sur la demande de rappel de commissions

M. [F] [L] explique, qu’aux termes de l’avenant du 31 juillet 2013, sa rémunération variable a été fixée à 75 800 euros et que le plan de commissionnement pour l’année 2015 prévoyait qu’elle soit portée à 78 832 euros (pièce 60), or, il n’a perçu qu’une somme de 22 319,16 euros au titre de l’année 2015, l’employeur ayant refusé de lui verser la moindre commission de juillet 2015 jusqu’à la date de son licenciement. Il sollicite, en conséquence, une somme de 56 512,84 euros à titre de rappel de commissions, outre

5 651,28 euros au titre des congés payés y afférents.

L’employeur répond que le salarié ne rapporte pas le moindre élément de nature à démontrer qu’il aurait réalisé le travail demandé et atteint la totalité des objectifs fixés. Il est, aussi, reproché à M. [F] [L] de ne pas expliquer sur quelle base il fonde ses calculs puisqu’il a refusé le plan de commissionnement pour l’année 2016.

Cependant, la cour constate que l’employeur à qui il incombe de justifier des éléments permettant de déterminer si les objectifs fixés au salarié au titre de l’année 2015 ont été réalisés ne produit aucune pièce.

A défaut de pouvoir apporter cette preuve, les objectifs seront réputés atteints et il sera alloué au salarié l’intégralité de la prime réclamée, ainsi que les congés payés afférents. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

3/ Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Le salarié fait grief à l’employeur :

— de ne pas lui avoir réglé ses commissions à compter du mois de juillet 2015

— de lui avoir fixé des objectifs irréalisables en refusant de revoir le niveau des objectifs de son équipe après le départ d’un de ses deux commerciaux

— de lui avoir retiré ses fonctions de manager d’équipe et de directeur des ventes EMEA à compter du mois de juillet 2015 pour le rétrograder au rang de simple commercial dans l’équipe en charge des ventes en France, ainsi qu’en atteste son repositionnement au même niveau que son ancienne subordonnée dans le nouvel organigramme (pièce 7)

— d’avoir dégradé ses conditions de travail et soumis à des man’uvres humiliantes de sa direction.

En réparation du préjudice moral et financier subi du chef de ses agissements, M. [F] [L] revendique une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.

L’employeur affirme que M. [F] [L] n’a jamais été chargé de manager une équipe de commerciaux et que s’il a pu, ponctuellement, superviser leur travail, il n’est pas fondé, pour autant à revendiquer le rôle de « responsable d’équipe » alors qu’il ne disposait d’aucune délégation en matière disciplinaire et pour gérer le temps de travail et les congés de ses deux commerciaux. En conséquence, il ne peut valablement prétendre qu’il aurait été privé de ses fonctions managériales postérieurement au départ de M. [S]. De la même façon, la redéfinition du périmètre d’intervention du salarié dans le cadre de la fusion entre Infovista et Ipanema ne saurait être interprétée comme une rétrogradation dès lors que le salarié n’a subi aucune modification de sa rémunération fixe et variable, ni de diminution de ses responsabilités.

La cour retient que le salarié verse aux débats les témoignages d’anciens salariés de la société qui sont unanimes pour indiquer que la fonction de « Sales Director » excluait toute mission de prospection à titre personnel et que celle-ci était dévolue aux commerciaux composant l’équipe (pièces 66, 68, 69, 70). D’ailleurs, il apparaît que le plan de commissionnement soumis au salarié pour l’exercice 2015 prévoyait un quota de commandes de logiciels pour un montant de 2 600 000 euros prenant en compte les chiffres réalisés par les deux commerciaux de l’équipe de M. [F] [L] et que ce chiffre s’est trouvé réduit à 1 750 000 euros pour l’exercice 2016, lorsque le salarié intimé s’est trouvé privé de collaborateurs et contraint à devoir réaliser lui-même les prospections qui reposaient antérieurement sur ses subordonnées. Cette suppression des fonctions de management qu’il assumait antérieurement et qui lui étaient reconnues par l’employeur dans la détermination de ses objectifs, la redéfinition de ses fonctions et la réduction de son périmètre de vente au territoire français alors qu’il couvrait précédemment l’international, constitue une rétrogradation et une modification unilatérale du contrat de travail du salarié que l’employeur a cherché à lui imposer sous la forme non pas d’un avenant, mais « d’un plan de commissionnement » et dont il a sanctionné le défaut de signature par le licenciement du salarié. Cette man’uvre constitue une exécution déloyale du contrat de travail.

En réparation du préjudice moral subi du fait de l’inexécution loyale du contrat de travail, il sera alloué au salarié la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts et le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

4/ Sur le licenciement pour faute grave

L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il incombe à l’employeur d’alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il appartient à l’employeur d’en apporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est fait grief à M. [F] [L] d’avoir refusé, de manière réitérée, de signer le plan de commissionnement qui fixait pour l’année ses objectifs. L’employeur soutient que l’attitude d’opposition adoptée par le salarié rendait impossible son maintien dans ses fonctions eu égard aux responsabilités qu’il assumait au sein de la société.

Cependant, le refus du salarié de signer un plan de commissionnement, présenté par l’employeur comme une simple notification de ses objectifs est insuffisante à fonder son licenciement puisque la détermination des objectifs par l’employeur peut être décidée unilatéralement sans avoir à recueillir l’accord exprès du salarié. En revanche, si l’on considère, ainsi qu’il l’a été retenu au point précédent, que le plan de commissionnement constituait en réalité une modification du contrat de travail du salarié et des conditions de sa rémunération, l’employeur avait l’obligation de lui soumettre à la signature un avenant et de lui laisser un délai de réflexion pour accepter ou refuser la proposition. C’est d’ailleurs très précisément ce qui a été expliqué par la Présidente de la société en réponse aux membres du Comite d’Entreprise lors d’une réunion en date du 10 octobre 2017 (pièce 63 salarié), en ajoutant « le collaborateur n’est pas licencié s’il ne signe pas , bien évidemment, le but de ces plans comme nous l’avons expliqué au cours de ces deux réunions, est que chacun ait compris, où est son intérêt, où est sa motivation (') si d’aventure un collaborateur ne voulait pas signer, ça n’entraînerait pas son licenciement (') clairement en cas de non-accord sur un changement ça pourrait être le plan précédent qui s’applique ».

La cour relève, encore, que le « plan de commissionnement » soumis au salarié et modifiant les conditions de sa rémunération était rédigé en anglais, qui lui a été remis avec 3 mois de retard sur sa prise d’effet, et que les objectifs qui étaient fixés au salarié étaient irréalisables puisqu’ils étaient supérieurs de près d’un tiers aux objectifs qui avaient été assignés à sa meilleure commerciale l’année précédente.

Le jugement sera donc infirmé et le licenciement dit dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [F] [L] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 41 ans, de son ancienneté de plus de 11 ans dans l’entreprise, du montant de la rémunération qu’il aurait du percevoir en intégrant sa prime d’objectif 2015 (13 559,44 euros), de la justification du fait qu’il n’a pas retrouvé un emploi dans les premiers mois qui ont suivi son licenciement, il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 135 595 euros.

Le jugement déféré sera réformé sur le montant des indemnités accordées au salarié et il lui sera alloué les sommes suivantes :

* 40 678,32 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

* 4 067,83euros au titre des congés payés y afférents.

S’agissant de l’indemnité conventionnelle de licenciement, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a a accordé au salarié une somme de 50 094,59 euros, en intégrant dans les calculs la part variable de la rémunération non versée.

Il sera ordonné à la SAS Infovista de délivrer au salarié un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision et les documents de fin de contrat rectifiés.

5/ Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

Le salarié fait valoir qu’il a été licencié dans des circonstances particulièrement vexatoires et après avoir subi un déclassement au sein de la société et que la notification de son licenciement, qui est intervenue durant les fêtes de fin d’année, a généré un stress et une anxiété qui l’ont contraint à arrêter toute activité et à se voir prescrire des antidépresseurs (pièce 40).

Il demande, en conséquence, à ce qu’il lui soit alloué une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice.

Toutefois, la cour relève que la prescription d’un traitement antidépresseur au salarié est intervenue en juillet 2015, soit avant la notification de son licenciement et que le lien de causalité entre la dégradation de son état de santé et le caractère supposément vexatoire de son licenciement n’est pas rapporté. S’agissant de la rétrogradation subie par le salarié elle a, par ailleurs, déjà été réparée au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice distinct.

6/ Sur les autres demandes

La SAS Infovista supportera les dépens d’appel et sera condamnée à payer à M. [F] [L] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :

— condamné la SAS Infovista à payer à M. [F] [L] la somme de 50 094,59 euros à titre d’indemnité légale de licenciement

— condamné la SAS Infovista à payer à M. [F] [L] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

— débouté M. [F] [L] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

— débouté la SAS Infovista de sa demande reconventionnnelle

— mis les dépens à la charge de la SAS Infovista,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit nulle la convention de forfait en jours appliquée au salarié,

Dit le licenciement de M. [F] [L] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS Infovista à payer à M. [F] [L] les sommes suivantes :

—  56 512,84 euros à titre de rappel de commissions

—  5 651,28 euros au titre des congés payés y afférents

—  2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

—  135 595 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

—  40 678,32 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

—  4 067,83 euros au titre des congés payés y afférents

—  1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

Ordonne à la SAS Infovista de délivrer à M. [F] [L] un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision et les documents de fin de contrat rectifiés,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS Infovista aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 10, 25 mai 2022, n° 18/06987