Cour d'appel de Paris, Pôle 4 chambre 2, 14 juin 2023, n° 21/22202

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 ch. 2, 14 juin 2023, n° 21/22202
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/22202
Importance : Inédit
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 19 juin 2023
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Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 2

ARRET DU 14 JUIN 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/22202 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3XW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Novembre 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS RG n° 19/12629

APPELANTS

Monsieur [A] [K]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 12] (92)

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représenté par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

ayant pour avocat plaidant : Me Audrey WEISSBERG de la SELARL WEISSBERG, avocat au barreau de PARIS, toque : P0046

Madame [R] [B] épouse [K]

née le [Date naissance 5] 1957 à [Localité 11] (14)

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

ayant pour avocat plaidant : Me Audrey WEISSBERG de la SELARL WEISSBERG, avocat au barreau de PARIS, toque : P0046

INTIMEES

Société VINCI IMMOBILIER DEVELOPPEMENT HOTELIER

immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 382 807 295

[Adresse 7]

[Localité 9]

Représentée par Me Nathalie PEYRON et plaidant par Me Eleonora BUFALINI – SELARL DELSOL AVOCATS – avocat au barreau de PARIS, toque : P0513

S.C.I. CPS [Adresse 6] 1

immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 812 868 800

[Adresse 4]

[Localité 10]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

ayant pour avocat plaidant : Me Géraldine MACHINET, sté d’avocats FRANKLIN, avocats au barreau des HAUTS DE SEINE, toque : PN 1701

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 Avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre

Madame Muriel PAGE, Conseillère

Mme Nathalie BRET, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique CARMENT

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre, et par Dominique CARMENT, Greffière présente lors du prononcé.

* * * * * * * * * * *

FAITS & PROCÉDURE

M. [A] [K] et Mme [R] [B] épouse [K] sont locataires d’un appartement situé [Adresse 2] à [Localité 8], dans lequel ils exercent respectivement la profession de chirurgien dentiste et de psychothérapeute.

La société civile immobilière CPS [Adresse 6] 1 est propriétaire d’un ensemble immobilier, voisin, à usage d’habitation et de bureaux, situé au [Adresse 6] et [Adresse 3] à [Localité 8].

La société CPS [Adresse 6] 1 a fait réaliser d’importants travaux de restructuration afin de transformer l’immeuble en hôtel de tourisme.

L’appartement dans lequel M. et Mme [K] exercent leur activité professionnelle est accolé à cet immeuble et donne sur la même cour intérieure.

En raison de la nature des travaux envisagés, la société CPS [Adresse 6] 1 a fait assigner en référé préventif les riverains et les intervenants à l’acte de construction et, par ordonnance en date du 27 octobre 2016, M. [G] [W] a ainsi été désigné en qualité d’expert par le président du tribunal de grande instance de Paris.

Le 24 novembre 2016, la société CPS [Adresse 6] 1 a conclu avec la société par actions simplifiée Vinci immobilier développement hôtelier (ci-après VIDH) un contrat de promotion immobilière et, par ordonnance de référé en date du 22 mars 2017, les opérations d’expertise ont été déclarées communes à cette dernière.

Les travaux relevant de la compétence de la société VIDH ont démarré fin mars 2017.

Par courrier en date du 6 décembre 2017, le conseil de M. et Mme [K] a mis en demeure la société VIDH de suspendre immédiatement les travaux dans l’attente d’une solution pour mettre fin aux nuisances sonores.

Par ordonnance de référé en date du 19 janvier 2018, d’une part les opérations d’expertise ont été rendues communes à M. et Mme [K] ainsi qu’à M. et Mme [L] et à la société Axima Concept, copropriétaires au sein de l’immeuble, et, d’autre part, la mission de l’expert a été étendue aux nuisances sonores dénoncées par M. et Mme [K].

Les travaux relevant de la compétence de la société VIDH ont été livrés le 22 novembre 2018.

Le rapport d’expertise a été déposé le 20 juin 2019.

Par acte délivré le 22 octobre 2019, M. [A] [K] et Mme [R] [K] ont fait assigner la société CPS [Adresse 6] 1 et la société VIDH, aux fins d’indemnisation de leurs préjudices subis du fait des nuisances générées par le chantier, sur le fondement de la théorie des troubles du voisinage et de l’article R.1336-10 du code de la santé publique.

Par jugement en date du 26 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

— débouté M. [A] [K] et Mme [R] [K] de l’intégralité de leurs demandes,

— condamné M. [A] [K] et Mme [R] [K] aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise,

— condamné M. [A] [K] et Mme [R] [K] à régler la somme de 2.500 €, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, tant à la société CPS [Adresse 6] 1 qu’à la société Vinci immobilier développement hôtelier,

— dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire.

M. [A] [K] et Mme [R] [K] ont relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 15 décembre 2021.

La procédure devant la cour a été clôturée le 22 mars 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu les conclusions notifiées le 8 mars 2023 par lesquelles M. [A] [K] et Mme [R] [K], appelants, invitent la cour, au visa de l’article R.1336-10 du code de la santé publique et du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, à :

— infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 26 novembre 2021 en toutes ses dispositions,

et, statuant à nouveau,

— juger que la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier sont solidairement responsables des troubles anormaux du voisinage subis par eux,

— condamner la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier à supporter solidairement les conséquences des troubles anormaux de voisinage subis par eux,

— condamner solidairement la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier à verser 188.479 € à M. [A] [K] au titre de son préjudice économique,

— condamner solidairement la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier à verser 5.000 € à M. [A] [K] au titre de son préjudice moral,

— condamner solidairement la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier à verser 10.000 € à Mme [R] [K] au titre du préjudice lié à la détérioration de son état de santé,

— condamner solidairement la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier à verser 5.000 € à Mme [R] [K] au titre de son préjudice moral,

— condamner solidairement la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier à verser 4.482 € à Mme [R] [K] au titre de son préjudice économique,

en tout état de cause,

— débouter la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier de leurs demandes contre eux,

— à titre subsidiaire sur la demande de désignation d’un expert financier formulée par la société CPS [Adresse 6] 1, si la cour devait faire droit à la demande de la société CPS [Adresse 6] de désigner un expert financier pour confirmer les montants de leurs préjudices, d’ordonner que la société CPS [Adresse 6] 1 assume seule les frais liés à une telle désignation,

— condamner solidairement la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier à leur verser 11.355 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel,

— condamner solidairement la société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions notifiées le 12 septembre 2019 par lesquelles la société Vinci immobilier développement hôtelier, intimée, invite la cour, au visa des articles R.1336-10 du code de la santé publique et 1231-1 du code civil et du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, à :

à titre principal,

— confirmer la décision déférée rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 26 novembre 2021 en toutes ses dispositions,

— débouter les époux [K] de l’ensemble de leurs demandes à son encontre,

à titre subsidiaire,

— condamner la société CPS [Adresse 6] 1 à la garantir et la relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son égard,

— débouter les époux [K] de l’ensemble de leurs demandes de condamnation, pour défaut de justificatifs,

— condamner tout succombant à lui verser la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, plus les entiers dépens,

— ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Vu les conclusions notifiées le 20 février 2023 par lesquelles la société CPS [Adresse 6] 1, intimée, invite la cour, au visa des articles 544 du code civil et R.1336-10 du code de la santé publique, à :

à titre principal,

— confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 26 novembre 2021 en toutes ses dispositions,

en conséquence,

— débouter les époux [K] de l’ensemble de leurs demandes,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait qu’il existe un trouble anormal de voisinage et infirmerait le jugement dont appel,

— débouter la société Vinci immobilier développement hôtelier de sa demande de condamnation à la garantir et relever indemne de toute condamnation qui serait prononcée à son égard,

— condamner la société Vinci immobilier développement hôtelier à la garantir et relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son égard,

à titre très subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait qu’il existe un trouble anormal de voisinage imputable à sa responsabilité,

— désigner tel expert qu’il lui plaira afin de déterminer précisément le préjudice financier subi par les époux [K] de janvier 2017 à janvier 2018, date d’achèvement des travaux de gros oeuvre,

en tout état de cause,

— condamner les époux [K] au paiement de la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et en tous les dépens ;

SUR CE,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel ;

En application de l’article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ;

Les moyens soutenus par l’appelant ne font que réitérer sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d’une discussion se situant au niveau d’une simple argumentation ;

Il convient seulement de souligner et d’ajouter les points suivants ;

Sur le trouble anormal de voisinage

M. et Mme [K] estiment, sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage et de l’article R.1134-36 du code de la santé publique, qu’ils ont subi des troubles anormaux de voisinage, des troubles sonores, de vibration et de poussière anormaux, et 'des troubles commerciaux anormaux’ ; ils estiment démontrer, au sens de l’article R.1134-36, d’une part le caractère anormalement bruyant des troubles de voisinage et d’autre part l’insuffisance des précautions prises par les sociétés CSP [Adresse 6] 1 et Vinci, concernant 'la pose de chassis vitrés complémentaires', 'la limite au maximum de l’utilisation du perforateur et de privilégier la scie diamantée’ et 'le non respect des plannings des travaux bruyants’ ;

La société CPS [Adresse 6] 1 et la société Vinci immobilier développement hôtelier opposent

que les nuisances générées par le chantier ne revêtent aucun caractère anormal ;

Aux termes de l’article 544 du code civil : 'la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements’ ;

Aux termes de l’article R.1334-36 du code de la santé publique, devenu R.1336-10 depuis le 10 août 2017, 'Si le bruit mentionné à l’article R.1336-5 a pour origine un chantier de travaux publics ou privés, ou des travaux intéressant les bâtiments et leurs équipements soumis à une procédure de déclaration ou d’autorisation, l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée par l’une des circonstances suivantes :

1° Le non-respect des conditions fixées par les autorités compétentes en ce qui concerne soit la réalisation des travaux, soit l’utilisation ou l’exploitation de matériels ou d’équipements,

2° L’insuffisance de précautions appropriées pour limiter ce bruit,

3° Un comportement anormalement bruyant’ ;

Aux termes de l’article R.1336-5 du même code, 'Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité’ ;

En l’espèce, il convient au préalable de préciser que les 'troubles commerciaux anormaux’ allégués par M. et Mme [K] ne sont pas un trouble anormal de voisinage, en provenance du chantier voisin, au sens des articles 544 du code civil et R.1334-36 du code de la santé publique, mais constituent le préjudice subi par M. et Mme [K] en conséquence du trouble anormal de voisinage allégué ;

Les nuisances alléguées par M. et Mme [K] ayant pour origine un chantier de travaux privé, le trouble anormal de voisinage au sens de l’article 544 du code civil est à examiner au regard des deux conditions alternatives de l’article R.1334-36 du code de la santé publique, critiquées par M. et Mme [K], l’insuffisance de précautions appropriées pour limiter le bruit et le comportement anormalement bruyant, qui nécessitent d’étudier au préalable la nature des travaux engagés, leur situation géographique et la configuration particulière des lieux ;

sur la nature du chantier, sa situation géographique et la configuration des lieux

Les premiers juges ont exactement relevé que 'Le descriptif figurant au contrat de promotion immobilière signé le 24 novembre 2016 atteste de l’ampleur de la réalisation, dont la livraison était initialement prévue pour le 20 juin 2018.

Il est ainsi indiqué que le chantier concerne un immeuble d’une surface de plancher d’environ 4684 mètres carrés et qu’il a pour objet le 'changement de destination d’un bâtiment à usage de bureaux de R+5 étages sur l’aile [Adresse 6] et R+6 pour l’aile [Adresse 3] sur deux niveaux de sous-sol, sur rues et cour, en hôtel de tourisme de 70 chambres, avec démolitions partielles de plancher, modification des liaisons verticales, démolition d’une partie de la toiture côté [Adresse 3], pour modification de brisis, création de 2 balcons, remplacement des lucarnes côtés rue et cour, transformation d’une fenêtre en porte-fenêtre à rez-de-chaussée côté rue et aménagement paysager de la cour'.

Il est également fait état de la réalisation de travaux préliminaires, avant la mise à disposition de l’immeuble au promoteur, à savoir le désamiantage et le déplombage partiel de l’immeuble, le curage et déshabillage (enlèvement de toutes les installations techniques existantes, agencements existants, faux plafonds, faux plancher, cloisons légères non porteuses structurellement, revêtements durs sols et murs…), la consignation des réseaux et la réalisation d’une chambre témoin.

Il n’apparaît ainsi pas contestable que la réalisation de tels travaux est de nature à entraîner des nuisances en raison de leur ampleur et de leur durée.

Cependant, il ressort du descriptif des travaux qu’ils portaient sur une restructuration lourde d’un immeuble de 5 et 6 étages, situé en plein c’ur de [Localité 13], soit dans un tissu urbain particulièrement dense et régulièrement soumis à de nombreux chantiers de construction ou de rénovation.

Se rajoute de plus à cette situation géographique, le fait que ces travaux ont été réalisés dans une configuration locale particulière puisque le logement occupé par les époux [K] est accolé à l’immeuble rénové, dont il n’est pas désolidarisé, et que le chantier se trouve ainsi au pied des fenêtres de leur logement, lequel donne sur une cour intérieure, concernée par la reconstruction des planchers et des voiles porteurs, causant des transmissions solidiennes avec bruits qui résonnent, ainsi que par le ravalement de la façade (nettoyage au karcher et reprises avec mortier et piochage)' ;

sur les conclusions de l’expert judiciaire M. [W]

Dans son rapport du 20 juin 2019, l’expert judiciaire M. [W] précise, en page 37, concernant les troubles sonores allégués par M. et Mme [K] :

'Oui, ces nuisances sonores sont très importantes.

Oui l’incidence de l’intensité du bruit en regard de l’activité dans la salle de consultation et de chirurgie dentaire ne permet pas d’exercer ces activités professionnelles.

Oui le caractère d’apparition intermittent et imprévisible du bruit porte aussi atteinte à la tranquillité requise pour l’exercice des activités des époux [K].

Et pourtant, à la lumière des multiples communications de pièces qui ont circulé dans ce dossier, il ne peut pas être dit que le chantier n’a pas été organisé correctement ou qu’il n’a pas été conduit dans les règles de l’art.

Ces informations échangées ont révélé :

— la production de plannings spécifiques des travaux bruyants (pas toujours respectés), des méthodologies d’intervention ainsi que l’organisation de réunions de sensibilisation du personnel,

— une campagne de mesure des niveaux sonores émis par les engins utilisés sur le chantier,

— la pose de bâches ou barrières acoustiques installées en périphérie dans la cour.

Il a été évoqué par Me [X] la pose de châssis vitrés complémentaires. Au plus 20 dBA complémentaires auraient pu être gagnés. Et encore en fonction de la pose et des calfeutrements.

Remarquons aussi l’absence de dégradations intérieures (fissures, impact…) dans l’immeuble du [Adresse 3] pourtant sensible de par sa proximité immédiate.

Notons aussi les choix 'équilibrés’ entre les vibrations des engins (transmission solidienne) et les nuisances sonores (transmission aérienne) : plutôt l’utilisation d’une pince broyante ou d’une scie diamantée etc….

De ce qui précède, nous laissons au tribunal le soin d’apprécier les trois critères de l’article R1334-36 du code de la santé publique relatif aux bruits de voisinages de chantier que sont :

— le non respect des conditions fixées par les autorités,

— l’insuffisance de précautions appropriées pour limiter le bruit,

— le comportement anormalement bruyant’ ;

L’expert judiciaire, M. [W], conclut en page 39 :

'Pour ce qui nous concerne, nous confirmons :

— que les nuisances sonores ont été très importantes,

— que les activités de chirurgie dentaire et psychothérapeute, qui méritent un environnement 'apaisé’ ont obligatoirement été affectées,

— que le chantier a pris de multiples mesures pour 'atténuer’ les nuisances sonores.

Mais la localisation des différents antagonistes en c’ur de ville dans la configuration du bâti parisien en ceinturage d’une cour intérieure fortement remaniée ne permettait pas de s’affranchir d’importantes nuisances sonores.

Il en sera ainsi pour tous les travaux qui seront engagés dans les années à venir’ ;

sur l’allégation de l’insuffisance de précautions appropriées pour limiter ce bruit

Concernant 'les chassis vitrés complémentaires', l’expert judiciaire M. [W] n’a pas reproché l’absence de pose de chassis vitrés complémentaires ; cette pose a été proposée par le conseil de M. et Mme [K] et l’expert a seulement répondu que 'Au plus 20 dBA complémentaires auraient pu être gagnés’ ;

Il y a lieu de considérer que l’expert estime que cette solution n’aurait pas été efficace pour faire baisser le bruit de manière significative et qu’elle ne s’imposait pas ;

Il n’existe donc pas d’insuffisance de précautions à cet égard ;

Concernant 'la limite au maximum de l’utilisation du perforateur et de privilégier la scie diamantée', il ressort de son rapport, que l’expert judiciaire M. [W] a demandé, le 28 février 2017 soit avant le démarrage du chantier, et a rappelé le 29 mai 2017 soit deux mois après le démarrage de ce chantier, 'de limiter au maximum l’utilisation du perforateur et de privilégier la scie diamantée pour notamment les amorces d’encastrements et les découpes’ ;

Il convient de considérer que l’expert a estimé que cette précaution était appropriée pour limiter le bruit et a constaté qu’elle a été respectée puisque dans sa conclusion, il note ' les choix 'équilibrés’ entre les vibrations des engins (transmission solidienne) et les nuisances sonores (transmission aérienne) : plutôt l’utilisation d’une pince broyante ou d’une scie diamantée etc …' ;

Il n’existe donc pas d’insuffisance de précautions sur ce point ;

Concernant les plannings des travaux bruyants, il ressort des nombreuses communications effectuées que le promoteur a transmis à l’expert judiciaire, M. [W], en mars 2017, le planning général prévisionnel de l’opération et celui des travaux bruyants ainsi que leur localisation pour le mois à venir ; par la suite, en début de chaque mois, il a effectué cette même transmission, tant à l’expert qu’aux voisins, afin de les informer de la localisation des travaux bruyants pour le mois en cours ;

Pour justifier qu’il 'ne peut pas être dit que le chantier n’a pas été organisé correctement ou qu’il n’a pas été conduit dans les règles de l’art', l’expert judiciaire, M. [W], relève notamment ' la production de plannings spécifiques des travaux bruyants (pas toujours respectés)' ;

Il en ressort que l’expert met en avant l’existence de plannings des travaux bruyants, conformément à l’organisation correcte du chantier ; il convient de considérer que le fait que la mention 'pas toujours respectés’ soit entre parenthèses signifie que le non respect de ces plannings est resté minime ; M. et Mme [K] ne produisent aucune pièce justifiant du nombre de fois où les plannings n’ont pas été respectés et ne démontrent pas que ce nombre serait de nature à contredire l’appréciation de l’expert sur l’existence de précautions appropriées pour limiter le bruit ;

Au surplus, l’expert judiciaire, M. [W], a relevé les autres nombreuses précautions prises par le promoteur pour limiter les nuisances :

— il a désigné un référent bruit et fait réaliser, en avril 2017, une étude acoustique pour caractériser les niveaux sonores émis par les engins de chantier,

— il a communiqué une méthodologie des travaux de démolition avec indication des moyens mis en place pour limiter au maximum les nuisances sonores et vibratoires et justifié des rappels effectués au moyen de réunions et de notes, à l’attention de l’entreprise intervenant sur le chantier, répercutées par cette dernière à ses employés, relatives à la maîtrise et à la réduction des nuisances vis-à-vis du voisinage,

— il a tenu une réunion informelle avec M. et Mme [K] le 27 septembre 2017 au cours de laquelle il a rappelé les mesures décidées depuis le début du chantier, à savoir :

— pose de bâches acoustiques devant les fenêtres du cabinet du Docteur [K] donnant directement sur la cour intérieure,

— interdiction faite aux intervenants sur le chantier de prendre leur pause dans la cour intérieure, en particulier avant 8 heures du matin,

— réalisation de mesures acoustiques des appareils mobilisés sur le chantier,

— diffusion régulière, à l’ensemble du voisinage, du planning des travaux bruyants

— établissement d’une communication directe avec le personnel d’immeuble (notamment gardiennes etc…),

— création d’un numéro de téléphone d’urgence et d’une boîte aux lettres pour faire connaître toute réclamation concernant les travaux,

— mise à disposition des riverains d’un cahier de doléances,

— installation de brumisateurs afin de limiter les émissions de poussières liées aux opérations de démolition ;

Ainsi M.et Mme [K] ne démontrent pas une insuffisance de précautions appropriées pour limiter le bruit du chantier, au sens de l’article R.1334-36 devenu R.1336-10 du code de la santé publique ;

sur l’allégation du comportement anormalement bruyant

Concernant les 'troubles de vibration', l’expert judiciaire, M. [W], ne relève pas de troubles de vibration anormaux au préjudice de M. et Mme [K] et note seulement ' les choix 'équilibrés’ entre les vibrations des engins (transmission solidienne) et les nuisances sonores (transmission aérienne) …' ; le procès-verbal de constat du 11 septembre 2017, dans lequel l’huissier indique avoir ressenti, ponctuellement le 11 septembre 2017, des vibrations au sol lorsque le marteau piqueur était en action, est insuffisant à justifier de troubles de vibration constituant un trouble anormal de voisinage ;

Concernant les 'troubles de poussière', l’expert judiciaire, M. [W], évoque en page 33 le fait qu’aucun constat spécifique de la poussière n’a été effectué, et s’il considère qu’il ne fait aucun doute que de la poussière a 'créé des désagréments’ dans les parties communes, il ne l’évoque pas concernant le préjudice de M. et Mme [K] ;

Il n’est donc pas justifié de troubles de vibration ni de troubles de poussières qui constitueraient des troubles anormaux de voisinage, au sens des articles 544 du code civil et R.1336-10 du code de la santé publique, au préjudice de M. et Mme [K] ;

Concernant les nuisances sonores, des mesures acoustiques ont été prises par un huissier les 11 et 13 septembre 2017 selon ses procès-verbaux de constats et par M. [T], expert acousticien, désigné comme sapiteur par M. [W], les 6 et 30 mars 2018 et les 10 et 19 avril 2018 :

— le 11 septembre 2017, de 10h14 à 10h50, dans la salle de chirurgie du cabinet de M. [K], des mesures variant de 74,6 à 83,2 décibels, de bruits de marteau piqueur, de chocs et de bruits de masse continus, alors que la moyenne des niveaux sonores s’élève à 60 décibels fenêtres fermées et sans aucun bruit de travaux,

— le 13 septembre 2017, de 10h20 à 10h30 et de 10h51 à 11h02, dans la salle de consultation du cabinet de Mme [K], des mesures variant de 61,6 à 92,9 décibels, de bruits de travaux, et entre 75 et 80,8 décibels au moment des bruits de marteau piqueur, et de 61 décibels sans bruit de travaux,

— le 13 septembre 2017, de 10h30 à 10h51, dans la salle de chirurgie du cabinet de M. [K], des mesures variant de 74,2 à 87,7 décibels, lorsque le marteau piqueur redémarre,

— le 6 mars 2018, entre 14h et 15h30, dans la salle de consultation du cabinet de Mme [K], le niveau de bruit de chantier dépassant 80 dBA, alors que le bruit résiduel hors bruit de chantier est de 37 dBA,

— le 30 mars 2018,entre 13h30 et 15h30, dans la salle de consultation de Mme [K], le niveau de bruit de chantier dépassant 60 dBA, alors que le bruit résiduel hors bruits de chantier est de 37 dBA,

— le 10 avril 2018, dans la salle de consultation du cabinet de M. [K], pas de bruit significatif émergent,

— le 19 avril 2018, dans la salle de chirurgie du cabinet de M. [K], les bruits étaient dominés par les opérations d’entretien des salles ;

M. et Mme [K] produisent plusieurs attestations dont deux sont précises quant aux dates :

— Mme [Y] [C] certifie que le 17 octobre 2017, la séance a dû se terminer dans la salle d’attente car les bruits de travaux dans la salle de consultation empêchaient les discussions, et que les 14 et 28 novembre 2017 les bruits de travaux ont été très gênants (pièce 16),

— Mme [E] [D] atteste qu’à deux reprises entre septembre et novembre 2017, les séances se sont poursuivies dans la salle d’attente, compte tenu des bruits de travaux rendant impossible les conversations (pièce 16) ;

L’expert judiciaire, M. [W], précise que 'ces mesures (prises par M. [T]) donnent des niveaux de bruits pouvant atteindre ponctuellement des pics de 70 à 80 dBA voire un peu plus’ et 'font état de nuisances sonores très importantes', en cohérence avec l’appréciation de M. [T] selon laquelle la valeur maximale d’émergence admissible d’un bruit de +8 dBA (article R.1134-33) est très largement dépassée de +20 dBA ;

Toutefois c’est en connaissance de cause de ces mesures que M. [W] conclut par deux phrases soulignées 'Mais la localisation des différents antagonistes en c’ur de ville dans la configuration du bâti parisien en ceinturage d’une cour intérieure fortement remaniée ne permettait pas de s’affranchir d’importantes nuisances sonores. Il en sera ainsi pour tous les travaux qui seront engagés dans les années à venir', sans relever l’existence de troubles sonores 'anormaux', au sens des articles 544 du code civil et R.1334-36 devenu R.1336-10 du code de la santé publique ;

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que si à certains moments, l’intensité des bruits du chantier, notamment lors de l’utilisation ponctuelle d’un marteau piqueur, pouvait atteindre des pics de 70 à 80 dBA, et empêcher M. et Mme [K] d’exercer normalement leur activité professionnelle, il y a lieu néanmoins de relever que ces moments sont restés ponctuels, limités, à certains jours, sur des plages horaires en cours de journée allant de 1/4 d’heure à 2 heures ;

Ainsi il convient de considérer que, grâce aux mesures de précautions appropriées prises pour limiter les bruits du chantier, notamment à l’égard de M. et Mme [K], seules quatre mesures acoustiques pratiquées, par l’huissier les 11 et 13 septembre 2017 et par M. [T] les 6 et 30 mars 2018, dans le cabinet de consultation de Mme [K] et le cabinet de chirurgie dentaire de M. [K], ont révélé des moments pendant lesquels l’intensité des bruits de chantier, notamment lors de l’utilisation ponctuelle d’un marteau piqueur, donnant des niveaux de bruits pouvant atteindre ponctuellement des pics de 70 à 80 dBA voire un peu plus, ont empêché M. et Mme [K] d’exercer normalement leur activité professionnelle, sur des plages horaires en cours de journée allant de 1/4 d’heure à 2 heures, et que ces quatre mesures sur une période de 20 mois, prévisibles selon les plannings de travaux bruyants diffusés par avance, ne sont pas suffisantes à caractériser une trouble anormal de voisinage dans le cadre de la réalisation d’un chantier de construction au coeur de [Localité 13], dans un 'site urbanisé à très forte densité’ selon les termes de M. [W], immédiatement voisin des deux cabinets ;

Ainsi il convient de considérer que M. et Mme [K] ne démontrent pas un comportement anormalement bruyant, au sens des articles 544 du code civil et R.1334-36 devenu R.1336-10 du code de la santé publique ;

Par conséquent, le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté M. et Mme [K] de l’intégralité de leurs demandes ;

Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l’application qui y a été équitablement faite de l’article 700 du code de procédure civile ;

M. et Mme [K], partie perdante, doivent être condamnés aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société Bassamo 1 la somme supplémentaire de 2.500 € et à la société VIDH la somme supplémentaire de 4.000 €, par application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l’article 700 du code de procédure civile formulée par M. et Mme [K] ;

Sur la demande relative à l’exécution provisoire

L’arrêt n’étant pas susceptible d’une voie ordinaire de recours est exécutoire de droit ; la demande tenant à rappeler que l’exécution provisoire est de droit est donc sans objet et doit être rejetée ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

Condamne M. [A] [K] et Mme [R] [B] épouse [K] aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la SCI CPS [Adresse 6] 1 la somme supplémentaire de 2.500 € et à la SAS Vinci immobilier développement hôtelier la somme supplémentaire de 4.000 €, par application de l’article 700 du même code en cause d’appel ;

Rejette toute autre demande.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT

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Cour d'appel de Paris, Pôle 4 chambre 2, 14 juin 2023, n° 21/22202