Cour d'appel de Pau, 13 octobre 2016, n° 14/02024

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Pau, 13 oct. 2016, n° 14/02024
Juridiction : Cour d'appel de Pau
Numéro(s) : 14/02024
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Tarbes, 17 avril 2014, N° F12/00255

Texte intégral

DT/CD

Numéro 16/03823

COUR D’APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 13/10/2016

Dossier : 14/02024

Nature affaire :

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Affaire :

X Y

C/

SAS SEB DÉVELOPPEMENT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R

Ê

T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 13 Octobre 2016, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure
Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 27 Juin 2016, devant :

Madame THEATE, Président

Madame COQUERELLE, Conseiller

Madame PEYROT, Conseiller

assistées de Madame Z,
Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur X Y

XXX

XXX

XXX

Comparant, assisté de Maître LARROZE, avocat au barreau de TARBES

INTIMÉE :

SAS SEB DÉVELOPPEMENT

prise en la personne de son Président en exercice, domicilié XXX

XXX

XXX

XXX

Représentée par Maître A de la SCP A ET
ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON

sur appel de la décision

en date du 18 AVRIL 2014

rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE
TARBES

RG numéro : F 12/00255

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES
PARTIES

Monsieur X Y a été engagé le 15 juillet 1971 par la SAS SEB Développement en qualité de dessinateur sur le site de Lourdes. Sa carrière a évolué et le 1er janvier 2000, il a été nommé directeur technique en Colombie. Il a conclu le 11 janvier 2000 :

* avec la SAS SEB Développement : un contrat d’expatriation d’une durée de trois ans et au-delà, renouvelable d’année en année par tacite reconduction prévoyant : que Monsieur X
Y serait rattaché à la direction du groupe SEB Colombia, un salaire annuel brut de référence, une prime de détachement et une prime d’objectifs expatrié ;

* avec le représentant légal du groupe SEB Colombia : un contrat de travail local signé le 11 janvier 2000.

Pendant sa période d’expatriation, Monsieur X Y a assuré le développement, la production, la qualité et la distribution des produits électroménagers fabriqués sur le site de CAJIRA, destinés aux marchés sud-américains, sous la responsabilité de Monsieur ETCHEVERRI président du groupe SEB Colombia.

Au début de l’année 2011, le groupe SEB a absorbé une société locale IMUSA dont le président, Monsieur B, a remplacé Monsieur ETCHEVERRI à la tête du groupe SEB Colombia en avril 2011.

Par lettre du 28 avril 2011, Monsieur X Y a été informé par la direction de la SAS
SEB Développement que sa mission en Colombie prendrait fin le 30 juin 2011 et qu’à compter du 1er juillet 2011, il serait réintégré à la SAS
SEB Développement en tant que chargé de mission auprès de la direction industrielle à
Ecully.

Le 20 mai 2011, une réunion s’est tenue, à Ecully, en présence du DRH de la SAS SEB
Développement.

Le 7 juin 2011, Monsieur X
Y a été convoqué à un entretien préalable pour le 20 juin suivant. Cet entretien a finalement eu lieu le 7 juillet 2011.

Le licenciement pour faute grave de Monsieur X Y lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juillet 2011.

Le 17 août 2012, il a saisi le conseil de prud’hommes de
Tarbes, section encadrement, d’une demande dirigée à l’encontre de la SAS SEB Développement pour obtenir le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité de préavis et les congés payés sur préavis, une indemnité conventionnelle de licenciement et le paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral ainsi qu’une indemnité de procédure.

La tentative de conciliation ayant échoué, l’affaire et les parties ont été renvoyées devant la formation collégiale qui, par jugement rendu en formation paritaire le 18 avril 2014, a dit que le licenciement était régulier et fondé sur une faute grave. Il a en conséquence débouté Monsieur X
Y de l’ensemble de ses prétentions, condamné le demandeur aux dépens de l’instance et au paiement d’une somme de 500 en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mai 2014, reçue le 27 mai 2014, le conseil de Monsieur X Y a interjeté appel de ce jugement qui avait été notifié à ce dernier le 19 avril 2014.

Par conclusions enregistrées les 22 avril 2016 et 23 juin 2016, Monsieur X Ydemande à la cour de déclarer son appel recevable et de rejeter l’exception d’irrecevabilité d’appel soulevée par la partie adverse. Sur le fond, il demande à la cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Tarbes, statuant à nouveau de :

* dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

* de condamner en conséquence la SAS SEB
Développement à lui payer les sommes suivantes :

—  73.860 à titre d’indemnité compensatrice de préavis calculée sur la base de son salaire brut (8.793 ) et de sa prime d’expatriation (3.517 ) x 6 ;

—  7.386 au titre des congés payés sur préavis ;

—  221.580 d’indemnité de licenciement (article 25 de la
Convention Collective Nationale des
Ingénieurs et des Cadres de la Métallurgie) ;

—  210.000 à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

—  80.000 pour préjudice moral distinct ;

—  2.500 sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement, si le licenciement était jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse, de condamner la

SAS SEB Développement au paiement des indemnités légales.

Sur la recevabilité de l’appel

Monsieur X Y fait valoir qu’il justifie de ce que son appel a été déposé à la poste le 16 mai 2014 alors que le jugement en cause lui avait été notifié le 19 avril 2014 dont il déduit que le délai d’un mois a été respecté.

Sur le licenciement

Monsieur X Y soutient tout d’abord, qu’en application du contrat d’expatriation qu’il avait conclu le 11 janvier 2000 avec la SAS SEB Développement, il dépendait, jusqu’au terme de sa mission en Colombie – soit en l’occurrence jusqu’au 30 juin 2011- de la direction générale du Groupe
SEB Colombia qui avait seule qualité pour mettre en oeuvre et gérer une procédure de licenciement à son égard. Or, la procédure a été initiée par la remise en mains propres, le 7 juin 2011, de la lettre de convocation à un entretien préalable initialement fixé au 20 juin 2011, établie par le directeur des ressources humaines basé à Ecully et intégralement menée par le Groupe SEB
Développement.

Il invoque l’article 4.1 du document expatriation hors Union
Européenne qui fait partie de son contrat de travail et selon lequel 'le lien contractuel de travail avec la société d’origine est suspendu pour la période d’expatriation et reprend effet automatiquement en cas de retour dans la société d’origine'.

Or, il n’est jamais retourné dans la société d’origine puisqu’il n’a pu rejoindre le poste de chargé de mission auprès de la direction industrielle qu’il devait occuper à compter du 1er juillet 2011.

Il soutient que le conseil de prud’hommes s’est à tort référé aux dispositions de l’article L. 1231-5 du code du travail qui trouvent à s’appliquer lorsque la filiale auprès de laquelle a été détaché le salarié, le licencie, la société mère qui le rapatrie pouvant à son tour le licencier, alors que les faits de l’espèce sont différents puisque le Groupe SEB Colombia ne l’a pas licencié.

En second lieu, Monsieur X
Y invoque la prescription des deux seuls faits fautifs visés dans la lettre de licenciement à savoir :

* 1er motif : l’obtention, en décembre 2007, d’un prêt personnel de 386.174.166 pesos (150.000 ) auprès du groupe, pour l’achat d’un appartement, assortie :

— d’une demande adressée par mail au directeur financier, d’établir plusieurs chèques à son ordre ainsi qu’un ordre de virement au profit du vendeur,

— de l’engagement de rembourser sous trois semaines, non tenu puisque régularisé en avril 2008 par prélèvement sur son bonus ;

* 2e motif : découverte au sein de la société d’un système de prêts/emprunts entre salariés, géré par le chef d’atelier qui dépendait directement de Monsieur X Y, alors que cette pratique était interdite par le règlement intérieur agréé le 2 octobre 2006, ce qui avait été rappelé, par mail du 26 août 2010 du directeur général du groupe SEB
Colombie, à Monsieur X Y pour qu’il mette fin immédiatement à cette pratique et qu’il aurait délibérément ignoré.

Pour l’appelant, l’employeur avait nécessairement connaissance de ces faits à la date à laquelle ils ont eu lieu c’est-à-dire plus de deux mois avant l’engagement de la procédure de licenciement. Les autres motifs retenus par le conseil de prud’hommes n’étaient pas visés dans la lettre de licenciement et ne pouvaient en conséquence le fonder.

Subsidiairement, Monsieur X
Y conteste le caractère fautif des faits reprochés en

faisant valoir que :

— le prêt qui lui a été accordé a été obtenu au vu et su de son supérieur Monsieur ETCHEVERRI qui l’a expressément autorisé pour permettre le transfert des fonds depuis la France. Il ajoute qu’il a été remboursé dans le mois et qu’aucune anomalie n’a été relevée lorsqu’un audit a été fait en mars 2009 ;

— la décision de mettre fin aux pratiques de prêts/emprunts usuraires détectées en juillet 2010 au sein de la société, mais que n’évoquait pas le règlement intérieur a été traitée par
Mesdames C et
D, responsables des Ressources
Humaines du Groupe SEB Colombia placées sous l’autorité directe de Monsieur ETCHEVERRI, alors qu’il était lui-même en congés en France lorsque les faits ont été révélés et qu’à son retour en
Colombie, il a mis en oeuvre des mesures adéquates.

Monsieur X Y soutient qu’il a été victime des changements de direction survenus au sein du Groupe SEB Colombia après absorption de la société IMUSA. Une fois la décision prise de le rapatrier il a, dans un premier temps, été envisagé de le reclasser sur un poste de chargé de mission auprès de la direction industrielle, puis de mettre fin à son contrat de travail selon des conditions qu’il avait acceptées. Ces discussions faisaient précisément l’objet de l’entretien du 20 juin 2011 et ce n’est qu’ultérieurement, qu’il a soudain été question d’un audit ayant révélé les fautes graves énoncées dans la lettre de licenciement.

Outre l’important préjudice financier subi, Monsieur X Y souligne le préjudice moral très important qu’il a ressenti au vu des conditions de la rupture et alors même que les résultats de son activité étaient irréprochables.

******

Par conclusions enregistrées le 21 juin 2016 au greffe, la SAS SEB Développement demande à la cour de déclarer l’appel de Monsieur X Y irrecevable, de confirmer le jugement dont appel, de débouter l’appelant de l’ensemble de ses prétentions, de le condamner aux dépens de l’instance ainsi qu’au versement d’une indemnité de procédure de 2.500 .

Sur la recevabilité de l’appel, la SAS SEB
Développement relève que la déclaration d’appel de Monsieur X Y n’a été enregistrée au greffe de la cour que le 27 mai 2014 alors que le jugement avait été notifié à l’appelant le 19 avril 2014, qu’il appartient donc à Monsieur X
Y de justifier de la date d’expédition de la lettre recommandée avec accusé de réception par laquelle il a formé appel.

Sur le licenciement ensuite, la SAS SEB Développement expose qu’une société mère a qualité pour procéder au licenciement d’un salarié qui bien que détaché dans une filiale, reste dans une relation de subordination vis-à-vis de la société mère, ce qui était le cas de Monsieur X
Y puisque selon les termes du contrat d’expatriation, la SAS SEB
Développement restait la société de supervision et continuait de gérer la carrière de ce salarié. Elle ajoute qu’au sein d’un groupe, le directeur du personnel d’une société mère, engagé pour exercer ses fonctions tant au sein de cette société que de ses filiales, a qualité pour recevoir mandat de procéder à l’entretien préalable et au licenciement d’un salarié employé par une filiale. Elle fait enfin valoir que le contrat de travail de Monsieur X Y avec le Groupe SEB Colombia ayant pris fin le 30 juin 2011, et l’entretien préalable n’ayant eu lieu que le 7 juillet 2011, la SAS SEB Développement avait toute qualité pour licencier Monsieur X Y.

S’agissant de la prescription, la SAS SEB Développement expose qu’elle n’a été informée du prêt personnel contracté par Monsieur X Y que le 26 mai 2011, c’est-à-dire à réception du rapport d’audit, et non au moment où ce prêt a été demandé et accordé en totale méconnaissance du contrat qui la liait à ce salarié. Elle soutient que celui-ci ne peut valablement invoquer les

autorisations données par le directeur général et le directeur financier du groupe SEB Colombia, puisque Monsieur X Y avait précisément été envoyé en Colombie pour appliquer et faire appliquer la politique du groupe, non pour la contourner.

Il en est de même des pratiques de prêts/emprunts entre salariés dont Monsieur X
Y était informé depuis 2010 et qui n’ont été révélées à la SAS SEB Développement qu’à la fin du mois de mai 2011.

L’intimée relève que, Monsieur ETCHEVERRI avait expressément demandé à Monsieur X
Y, par lettre du 26 août 2010, de faire cesser immédiatement ces agissements. Or, Monsieur X Y n’a entrepris aucune action en ce sens notamment pas auprès de son subordonné Monsieur E qui était au coeur de ces pratiques illicites. Elles ont ainsi perduré jusqu’à l’arrivée de Monsieur B en avril 2011.

Ces fautes reprochées à l’appelant sont manifestement graves en ce qu’elles caractérisent un manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail, une négligence professionnelle grave et un refus d’exécuter les directives de la hiérarchie.

Subsidiairement, la SAS SEB Développement conteste les montants mis en compte en faisant notamment valoir que Monsieur X
Y ne peut intégrer sa prime d’expatriation dans le salaire de référence puisqu’elle n’était plus due depuis le 30 juin 2011.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l’appel

Aux termes des alinéas 1 et 2 de l’article R. 1461-1 du code du travail :

'Le délai d’appel est d’un mois.

L’appel est formé par une déclaration que la partie ou tout au moins son mandataire fait ou adresse par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour'.

En l’occurrence, Me F LARROZE a, pour le compte de son client, interjeté appel du jugement du conseil des prud’hommes de Tarbes du 18 avril 2014, par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 16 mai 2014, reçue le 27 mai 2014 au greffe de la cour. Or, ce jugement avait été notifié à Monsieur X Y le 19 avril 2014, soit moins d’un mois avant que la déclaration d’appel n’ait été adressée à la cour.

Il y a donc lieu de déclarer l’appel recevable de ce chef.

Sur la nullité du licenciement de Monsieur X Y pour défaut de qualité du Groupe
SEB Développement

Si les dispositions de l’article L. 1231-5 du code du travail ne sont pas directement rattachables aux faits de l’espèce en ce que la société d’accueil, le
Groupe SEB Colombia n’a pas procédé au licenciement de Monsieur X Y préalablement à son rapatriement à Ecully, elles n’ont pas pour effet d’interdire à la société mère de prononcer une telle sanction dès lors qu’un lien de subordination est maintenu avec le salarié et que la société mère fonde le licenciement sur des motifs propres, réels et sérieux.

En l’occurrence et bien que le contrat d’expatriation du 1er janvier 2000 – dont chaque partie produit un exemplaire – ne soit pas signé, il n’est pas discuté que cette convention régissait les relations des parties. Il en découle que pendant la période d’expatriation de Monsieur X
Y en

Colombie, le contrat conclu avec la société d’origine (SAS SEB) était 'remplacé’ par :

* le contrat d’expatriation qui désigne expressément la SAS SEB Développement comme 'société de supervision', fixe les conditions particulières de l’expatriation du salarié et notamment le montant et les modalités de calcul et de revalorisation de son salaire, les primes et avantages du collaborateur expatrié, la durée de ses congés et son affiliation à un régime de sécurité sociale fixé en
France ;

* la 'procédure d’expatriation hors union européenne’ applicable à l’ensemble du personnel du groupe SEB qui détermine 'le cadre général de l’expatriation pour ce qui ne serait pas précisé dans le contrat d’expatriation’ ;

* un éventuel contrat local rédigé par la société d’accueil qui, en l’espèce, précisait les conditions d’emploi locales et plaçait le salarié sous la direction hiérarchique de GSC (Groupe SEB Colombia), dite société d’accueil, laquelle déterminait les activités et responsabilités confiées à Monsieur X Y et fixait ses objectifs.

Le contrat d’expatriation prévu pour une durée de trois ans était stipulé renouvelable à l’issue de cette période, par périodes annuelles elles-mêmes reconductibles. Le 16 décembre 2010, Monsieur X Y avait signé un avenant reconduisant son contrat jusqu’au 31 décembre 2011.

Il doit cependant être relevé qu’à tout moment, le groupe SEB Développement se réservait la possibilité de 'réduire’ la durée du contrat d’expatriation 'en fonction de ses besoins’ (article -2 de la 'procédure d’expatriation hors union européenne') et en fin de contrat, de proposer au collaborateur expatrié ou bien un contrat dans une nouvelle société d’accueil ou bien son 'reclassement’ dans un poste de niveau comparable à celui qu’il occupait avant son départ à l’étranger dans la société d’origine.

Il ressort enfin des pièces produites (audits, courriels) qu’indépendamment des rapports individuels réglementés par les contrats précités, le
Groupe SEB Développement conservait un contrôle permanent sur le fonctionnement et les orientations de ses filiales.

Il apparaît dès lors que pour être en partie 'délégué’ à la direction de la société d’accueil, le groupe
SEB Développement conservait pendant la durée du contrat d’expatriation, un pouvoir de direction et de contrôle sur ce salarié, l’autorisant notamment à procéder à son licenciement en cas de manquement grave aux obligations contractées à son égard.

C’est donc à bon droit que le conseil de prud’hommes a jugé que le Groupe SEB était habilité à procéder au licenciement de Monsieur X Y.

Sur les motifs du licenciement

Selon les dispositions de l’article L. 1231-5 alinéa 2 du code du travail, la société mère reste soumise aux règles du droit français pour procéder au licenciement du salarié expatrié et ce tant en ce qui concerne les règles de fond que de forme.

Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave dont la preuve incombe à l’employeur se définit comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Pour qualifier la faute grave il incombe donc au juge de relever le ou les faits constituant pour le

salarié licencié une violation des obligations découlant de son contrat de travail ou des relations de travail susceptible d’être retenue, puis d’apprécier si ce fait était de nature à exiger le départ immédiat du salarié.

La lettre de licenciement sert de cadre strict au contrôle du juge qui forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave de Monsieur X Y est ainsi rédigée :

'… Par lettre du 10 avril 2011, nous avons été alertés par le nouveau Directeur général de
Groupe
SEB Colombie nommé le 1er avril 2011, votre supérieur hiérarchique sur des dysfonctionnements concernant le domaine industriel dont vous étiez responsable.

Au regard des éléments communiqués, nous avons décidé par courrier daté du 28 avril 2011 de vous rapatrier en France à compter du 1er juillet 2011 comme chargé de mission au sein de la Direction
Industrielle du Groupe poste basé à Ecully (69).

Dans le cadre d’un audit interne réalisé en
Colombie par trois représentants de la Direction
Générale du Groupe les 24, 25 et 26 mai 2011 et dont les résultats ont ensuite été corroborés, sont apparus les faits suivants :

— En décembre 2007, vous avez sollicité un prêt personnel à taux nul de la part de l’entreprise pour un montant de 386.174.166 Pesos Colombiens (150.000 ) pour l’achat de votre appartement à
BOGOTA, ce qui est totalement contraire aux règles de l’entreprise.

Vous avez de plus demandé par mail au directeur financier de l’époque de faire trois chèques respectivement à l’ordre de vous-même (57.000.000 Cops) daté du 18 décembre 2007, et du propriétaire du logement dont vous étiez l’acquéreur (6.174.166 et 217.842.145 Cops) datés du 22 janvier 2008, ainsi que de faire effectuer un virement par
Bancolombia SA (105.157.855 Cops) également à l’ordre du propriétaire et daté du 18 décembre 2007.

Vous avez par ailleurs signé vous-même le document attaché à ces chèques attestant de leur émission par la Trésorerie de la société, ce qui est pour le moins inadmissible et contraire aux règles en vigueur.

Vous avez enfin pris l’engagement de rembourser sous trois semaines, engagement qui n’a pas été tenu puisque le dernier remboursement a été effectué par prélèvement d’une partie de votre bonus versé en avril 2008 au titre de 2007.

— Un système de prêts/emprunts aux salariés a été organisé au sein de la société géré sous la forme d’un fonds commun par le chef d’atelier vous rapportant directement. De telles pratiques, qui sont contraires à l’éthique et qui ont causé de grands préjudices à certains salariés, sont strictement interdites et cette interdiction est formellement rappelée dans le règlement intérieur de groupe SEB
Colombie signé le 2 octobre 2006 par la Direction générale et les délégués syndicaux.

Le 12 avril 2006, votre collaborateur direct en charge de l’atelier avait lui-même animé une réunion du personnel ayant pour objet de présenter le projet de règlement intérieur et signé un document à cet effet. Directeur industriel depuis 1999, vous nous avez déclaré ignorer ces pratiques dont l’audit de mai dernier atteste qu’elles étaient connues de tout le monde et dénoncées par certains membres du personnel et des délégués syndicaux.

Quoiqu’il en soit par un mail daté du 26 août 2010, découvert lors de l’audit de mai 2011, sur recommandation de la responsable des ressources humaines, le directeur général de Groupe SEB

Colombie vous avait donné l’ordre formel de faire immédiatement cesser ces pratiques de sollicitation de sommes d’argent de la part du personnel. Vous n’avez pas exécuté cette instruction, vous avez laissé se poursuivre cette pratique, vous avez maintenu votre collaborateur à son poste et vous avez prétexté vouloir organiser une enquête. Il aura fallu attendre début avril 2011 l’arrivée du nouveau directeur général pour régler le problème.

Au cours de l’entretien préalable, vous avez refusé de reconnaître ne serait-ce qu’un grave dysfonctionnement dans les pratiques que nous vous reprochons. A aucun moment vous ne nous avez signalé l’existence d’un prêt fait à vous-même par l’entreprise sous la forme de 3 chèques et un virement bancaire.

Ces faits constatés, leur dissimulation aux yeux du siège du Groupe, d’autant plus condamnable que, en tant qu’expatrié du Groupe comme directeur industriel pour la Colombie, vous en étiez le représentant porteur de ses valeurs et garant de l’éthique, sont constitutifs d’une faute grave.

En conséquence, nous sommes amenés à vous notifier par la présente notre décision de procéder à votre licenciement pour faute grave.

Le licenciement prend donc effet à la date d’envoi du présent courrier et votre solde de tout compte sera arrêté à cette même date, sans indemnité de préavis ni de licenciement'.

Deux motifs sont ainsi invoqués au soutien de sa décision de licencier Monsieur X
Y pour faute grave :

— un prêt-relais personnel sollicité en 2007 pour financer l’achat d’un appartement en méconnaissance des règles de la société ;

— sa défaillance face à des pratiques condamnables de prêts entre salariés.

S’agissant de la prescription, l’article L. 1332-4 du code du travail dispose que 'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à des poursuites pénales'.

Lorsqu’un fait fautif a eu lieu plus de deux mois avant le déclenchement des poursuites disciplinaires il appartient à l’employeur de rapporter lui-même la preuve qu’il n’a eu connaissance de ceux-ci que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de la procédure disciplinaire.

En l’espèce, les motifs allégués dans la lettre de licenciement sont l’un comme l’autre très antérieurs aux deux mois visés par l’article précité.

S’agissant du prêt consenti au début de l’année 2008, il ressort des pièces produites que d’une part, cette opération avait été effectuée en toute transparence puisque non seulement le directeur financier et le contrôleur financier, Madame G H en étaient informés mais également le directeur général du Groupe SEB Colombia qui y avait donné son accord exprès (Voir attestation de Monsieur I du 22 avril 2013). De plus, cette opération était enregistrée dans les comptes de la société.

Or, Monsieur I, comme le directeur financier du Groupe SEB Colombia Monsieur J K soulignent, dans leurs attestations respectives, qu’un audit financier a été réalisé en 2009 par le groupe SEB et qu’aucune anomalie n’a été relevée à cette occasion.

Au vu de ces circonstances, il ne suffit pas à la SAS
SEB Développement d’affirmer qu’aucun audit n’a eu lieu en 2009, sans étayer ses allégations par le moindre commencement de preuve, pour faire

admettre qu’elle n’a eu connaissance des faits litigieux qu’à la faveur de l’audit réalisé les 24, 25 et 26 mai 2011. La preuve qu’il lui incombe d’établir n’étant pas rapportée, il y a lieu de dire que le grief lié au prêt personnel consenti à Monsieur X Y en 2008 par le Groupe SEB Colombia est prescrit et d’infirmer le jugement dont appel de ce chef.

S’agissant en revanche des prêts illicites entre salariés, il est démontré que ces pratiques, manifestement récurrentes, n’ont été mises à jour au sein du groupe SEB Colombia qu’au cours du mois de juillet/août 2010, date à laquelle le directeur général, Monsieur I, en a été informé et a immédiatement demandé à son directeur du secteur industriel de réagir sans délai.

Cependant, ce n’est que par la lettre de dénonciation du 10 avril 2011 rédigée par le nouveau directeur du Groupe SEB Colombia, Monsieur L B et par la responsable des ressources humaines, Madame M
C, que le Groupe SEB
Développement a été informé de la défaillance de Monsieur X
Y. Trois contrôleurs ont alors été aussitôt dépêchés en
Colombie pour procéder à un audit dont ils ont communiqué les résultats à leur direction le 26 mai 2011. Ce n’est qu’au vu de ce document comportant des faits vérifiés et avérés que le Groupe SEB a pu mettre en oeuvre la procédure de licenciement initiée par l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable du 7 juin 2011, soit dans le délai légal de deux mois.

Il a ainsi été établi que depuis plusieurs années, un système de prêts entre salariés (et singulièrement par des subalternes au profit de supérieurs hiérarchiques) s’était mis en place dans l’entreprise.
Sur dénonciation de plusieurs salariés, Monsieur E, chef de chantier placé sous les ordres directs de Monsieur X Y, avait reconnu, devant la directrice des ressources humaines, avoir eu recours à plusieurs reprises à de tels prêts et s’être ainsi largement endetté. Monsieur I, directeur général du Groupe SEB Colombia, avait par courriel du 26 août 2010, demandé à Monsieur X
Y, alors en congé en France d’intervenir sans délai ('Nous t’attendons mais j’espère que tu es d’accord sur le fait que les agissements des employés sont inacceptables, répétitifs et que je te demande une solution immédiate'). Or, non seulement Monsieur X Y n’a pris aucune mesure à l’encontre de ce chef de chantier, Monsieur E, directement placé sous ses ordres, mais il a tenté de minimiser les faits et a pesé de toute son influence auprès du directeur général pour qu’aucune sanction ne soit prise.

Ainsi, alors même qu’à la suite des aveux circonstanciés de Monsieur E, la directrice des ressources humaines mettait en place une procédure de licenciement avec les avocats du groupe, ce dont Monsieur X Y avait également été informé le 26 août 2010, celui-ci répondait à Monsieur I :

'Quelles que soient les recommandations des avocats demain je te demande et je te remercie de bien vouloir attendre mon retour avant d’annoncer une quelconque sanction'.

Quant à l’enquête qu’a effectivement réalisée Monsieur X
Y à son retour, elle n’a visé, sous couvert de pratiques culturelles prétendument fondées sur la solidarité, qu’à exonérer son chef de chantier de toute responsabilité en éludant les abus et pressions manifestes exercées sur les salariés soumis à ses sollicitations, en niant la détérioration du climat social qui en découlait et en faisant fi du règlement intérieur les interdisant.

Il ressort en effet clairement du règlement intérieur approuvé le 2 octobre 2006, en son article 63-8 que l’interdiction 'de demander des prêts à ses subalternes’ figure expressément dans les obligations qui 's’imposent aux responsables, responsables adjoints, directeurs, chefs de service…', cette interdiction étant parfaitement connue de Monsieur E, qui l’avait admis lors de son audition le 26 août 2010. Dès lors, l’argumentation tirée du fait que le règlement intérieur n’était pas affiché dans les locaux de l’entreprise est sans emport.

La seule proposition émise en novembre 2010 par Monsieur X Y consistant à

promouvoir une meilleure information, l’accompagnement des salariés confrontés à des difficultés financières et à actualiser et afficher le règlement intérieur, confirme, à la suite des circonstances sus-énoncées, l’affirmation de Madame M C dans sa lettre du 11 avril 2011, selon laquelle Monsieur X Y s’est opposé au licenciement de Monsieur E, mesure qui n’a pu être prise qu’après le départ du directeur du service industrie.

Ce comportement qui tend à couvrir des pratiques illicites, préjudiciables aux salariés qui en sont victimes et contraires aux intérêts de l’entreprise au sein de laquelle elles se propagent est d’autant plus grave qu’il est le fait d’un supérieur hiérarchique mis à disposition par la société mère, dont l’attitude doit avoir valeur d’exemple dès lors qu’il occupe une place prépondérante au sein de la société. Or, il ressort du rapport d’audit du 26 mai 2011, que Monsieur X Y exerçait, de fait, le pouvoir de décision au sein du groupe SEB Colombia, en raison de 'l’abandon par Monsieur I de ses responsabilités à partir de 2008 '.

De tels agissements compromettent inéluctablement l’image du groupe que représentait Monsieur X Y en Colombie, et ce tant à l’égard du personnel de l’entreprise que vis-à-vis des tiers qui immanquablement finissent par en être informés.
A ce titre, ils justifient la qualification de 'faute grave’ retenue par le Groupe SEB Développement et la mesure de licenciement sans indemnité ni préavis prononcé.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes qui a validé ce licenciement, débouté Monsieur X
Y de l’ensemble de ses prétentions et condamné le demandeur aux dépens de l’instance ainsi qu’au paiement d’une indemnité de procédure.

Sur les dépens et l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Il appartient à Monsieur X Y qui succombe de supporter la charge des dépens de l’instance d’appel et de verser à la partie adverse une indemnité de procédure de 1.000 .

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe et en dernier ressort :

DÉCLARE l’appel de Monsieur X Y recevable ;

INFIRME le jugement dont appel en ce qu’il a dit que les faits relatifs au prêt personnel accordé en 2008 par le Groupe SEB Colombia à Monsieur X Y n’étaient pas prescrits ;

ET STATUANT À NOUVEAU DE CE CHEF :

DIT que les faits relatifs au prêt personnel accordé en 2008 par le Groupe SEB Colombia à Monsieur X Y étaient prescrits et ne pouvaient motiver le licenciement prononcé à l’encontre de ce dernier le 13 juillet 2011 ;

CONFIRME pour le surplus le jugement du conseil de prud’hommes de Tarbes du 18 avril 2014 ;

CONDAMNE Monsieur X
Y à payer à la SAS SEB
Développement une somme de 1.000 (mille euros) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’appel.

Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame Z, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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Cour d'appel de Pau, 13 octobre 2016, n° 14/02024