Cour d'appel de Poitiers, 2e chambre, 14 novembre 2023, n° 23/00611

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Poitiers, 2e ch., 14 nov. 2023, n° 23/00611
Juridiction : Cour d'appel de Poitiers
Numéro(s) : 23/00611
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Poitiers, 23 janvier 2023
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 24 novembre 2023
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Sur les parties

Texte intégral

ARRET N°468

CL/KP

N° RG 23/00611 – N° Portalis DBV5-V-B7H-GYDY

S.A. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA T OURAINE ET DU POITOU

C/

S.E.L.A.R.L. ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/00611 – N° Portalis DBV5-V-B7H-GYDY

Décision déférée à la Cour : jugement du 24 janvier 2023 rendu par le Tribunal de Commerce de POITIERS.

APPELANTE :

S.A. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU.

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat plaidant Me Nicolas DUFLOS de la SCP DUFLOS-CAMBOURG, avocat au barreau de POITIERS

INTIMEE :

S.E.L.A.R.L. ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES,

[Adresse 2]

[Localité 3]

Ayant pour avocat plaidant Me Paul MAILLARD de la SCP MONTAIGNE AVOCATS, avocat au barreau de DEUX-SEVRES.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 03 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

— Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président, et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

Le 14 février 2013, la société anonyme coopérative à capital variable Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou (la caisse) a consenti à la société civile immobilière Somafa deux prêts de financement d’acquisition d’un montant de 178.007,54€ et 60.706,01€.

Par jugement en date du 11 février 2020, le tribunal de commerce de Poitiers a:

— prononcé la liquidation judiciaire de la société Agrinergie ;

— fixé la date de cessation des paiements au 31 juillet 2019 ;

— a nommé la société d’exercice libéral à responsabilité limitée Actis mandataires judiciaires en qualité de mandataire liquidateur de la société Agrienergie.

Le 22 avril 2020, un commandement de payer a été délivré à la société Sofama par la caisse ; ce commandement a été publié au service de la publicité foncière de Poitiers le 11 mai 2020.

Le 2 juin 2020, la caisse a assigné la société Somafa afin d’obtenir la vente forcée de l’immeuble objet du prêt. La vente forcée a été ordonnée par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Poitiers le 24 novembre 2020.

Dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Agrinergie, la société d’exercice libéral à responsabilité limitée Actis mandataires judiciaires en qualité de mandataire liquidateur de la société Agrienergie, a constaté l’existence d’éléments justifiant l’extension de la procédure de liquidation de la société Agrinergie à la société Somafa.

Le 6 janvier 2021, la société Actis en qualité de mandataire liquidateur de la société Agrienergie, a assigné la société Somafa afin de voir ordonner l’extension, à cette dernière de la liquidation de la société Agrinergie.

Le 22 janvier 2021, l’ensemble immobilier de la société Somafa a été vendu à la société civile immobilière De la Barre, pour un prix de 240.000€.

Le 26 janvier 2021, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Poitiers a constaté la caducité du commandement de payer délivré par la caisse à la société Somafa.

En qualité de créancier inscrit en premier rang, la caisse a perçu une partie du prix de vente revenant à la société Somafa.

Par jugement du 9 février 2021, le tribunal de commerce de Poitiers a:

— constaté la confusion des patrimoines de la société Agrinergie et de la société Somafa ;

— étendu la procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Agrinergie à la société Somafa, avec même date de cessation des paiements et masses actives et passives communes ;

— fixé la date de cessation des paiements au 31 juillet 2019, date arrêtée pour la société Agrienergie suivant jugement du 11 février 2020.

Le 9 février 2022, la société Actis mandataires judiciaires, en qualité de mandataire liquidateur de la société Somafa et de la société Agrienergie (la société Actis ès qualités), a saisi le tribunal de commerce de Poitiers aux fins de voir prononcer l’annulation du paiement reçu par le Crédit agricole à la suite de la vente du dit immeuble.

Par jugement contradictoire en date du 24 janvier 2023, le tribunal de commerce de Poitiers a :

— déclaré la société Actis ès-qualités, recevable et bien fondée en toutes ses demandes;

— rejeté toutes demandes, fins et conclusions contraires;

— annulé le paiement reçu de la société Sofama par la caisse en suite de la vente de l’immeuble dépendant de la liquidation judiciaire reçu le 22 janvier 2021, par Monsieur [C] [S], notaire à [Localité 3];En conséquence, – condamné la caisse à restituer entre les mains de la société Actis ès qualités, la somme de 238.783,55€, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation;

— ordonné la capitalisation des intérêts ;

— dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit ;

— condamné la caisse à verser à la société Actis ès qualités, la somme de 3.000€ au titre des frais irrépétibles,

— dit que les dépens seraient employés en frais privilégiés de procédure collective.

Le 9 mars 2023, la caisse a relevé appel de ce jugement, en intimant la société Actis ès qualités.

Le 28 avril 2023, la caisse a demandé d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :

— rejeter toutes les demandes de la société Actis ès qualités ;

— subsidiairement, déclarer n’y avoir lieu à nullité du paiement litigieux;

— condamner la société Actis ès qualités à lui verser la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.

Le 3 mai 2023, la société Actis ès qualités a demandé de :

— rejeter toutes demandes de la caisse ;

— confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions;y ajoutant :

— condamner la caisse à lui verser à la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures des parties déposées aux dates susdites.

Le 5 septembre 2023, a été ordonnée la clôture de l’instruction de l’affaire.

MOTIVATION :

Selon l’article L. 631-1 alinéa premier du code de commerce,

Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements.

Selon l’article L. 640-1 du code de commerce,

Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l’article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

La procédure de liquidation judiciaire destinée à mettre fin à l’activité de l’entreprise doit réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens.

Selon l’article L. 632-2 alinéa 1er du code de commerce,

Les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.

Dans un premier temps, la banque soutient que si l’état de cessation des paiements a été fixé rétroactivement au 31 juillet 2019 par le jugement d’extension du 9 février 2021, il n’y avait pas, avant cette date, d’état de cessation des paiements judiciairement constaté.

Plus spécialement, elle soutient que l’extension de la liquidation judiciaire de la société Agrienergie à la société Sofama n’implique pas la préexistence de l’état de cessation des paiements.

En substance, la banque soutient que la preuve de l’état de cessation des paiements à la date de la vente de l’immeuble du 22 janvier 2021 ne serait pas rapportée.

Mais le jugement susdit du 9 février 2021, étendant la liquidation judiciaire de la société Agrienergie à la société Somafa, et fixant la date de cessation des paiements de cette dernière au 31 juillet 2019, date arrêtée pour la société Agrienergie suivant jugement du 11 février 2020, a fait l’objet d’une publication au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales le 25 février 2021 et n’a été contesté ni par la société Somafa ni par la caisse par voie de tierce-opposition.

Eu égard à l’autorité de la chose jugée s’attachant aux décisions susdites, la preuve de l’état de cessation des paiements de la société Somafa au 31 juillet 2019 est ainsi rapportée.

* * * * *

La banque soutient que les faits objectifs permettant de démontrer sa connaissance de l’état de cessation de paiements de la société Somafa n’ont pas été caractérisés, car les seules circonstances qu’elle soit la banque du débiteur et qu’elle ait engagé à son encontre une procédure de saisie immobilière sont à cet égard insuffisantes.

Plus spécialement, elle argue de ce que la seule proximité de l’opération critiquée avec celle de l’ouverture de la procédure ne permet pas de caractériser sa connaissance personnelle de l’état de cessation de paiement du débiteur.

Et encore, au regard de principe de non-ingérence, interdisant à l’établissement teneur de comptes de s’intéresser à la destination des fonds donnés par son client, elle soutient ne pas disposer d’éléments lui permettant de suspecter l’existence d’une confusion de patrimoines entre la société Agrienergie et la société Somafa.

Dans un premier temps, il sera observé qu’il n’est pas exigé par le texte susdit une quelconque connaissance par la caisse de la confusion des patrimoines des sociétés Agrienergie et Somafa, de telle sorte que l’invocation d’une telle méconnaissance, à la supposer établie, est radicalement inopérante.

Mais la caisse est l’établissement teneur de compte de la société Somafa, à laquelle elle avait consenti deux prêts immobiliers le 14 février 2013 pour 210 000 euros, garanti par une hypothèque conventionnelle de premier rang et le 14 février 2014 pour 70 000 euros, garanti par une hypothèque conventionnelle de deuxième rang.

Et elle lui avait délivré le 22 avril 2020 un commandement de payer valant saisie immobilière, publié au service de la publicité foncière le 11 mai 2020, puis l’avait assignée devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Poitiers statuant en matière immobilière le 26 juin 2020, tandis que la vente forcée de l’immeuble avait été ordonnée par jugement du 24 novembre 2020 pour une audience d’adjudication fixée au 26 janvier 2021, comme le révèlent les renseignements pris auprès du service de la publicité foncière.

Avec le premier juge, il sera observé que la vente litigieuse, en date du 22 janvier 2021, a pris place très peu de temps avant l’audience d’adjudication.

Selon les mentions de cet acte de vente du 22 janvier 2021, rappelé dans la réponse de la banque aux contestations de ses déclarations de créances exposées ci-après, le commandement de payer susdit portait sur une créance d’un total de 231 391,83 euros.

De surcroît, les contestations y afférentes en date du 18 août 2021 font apparaître que la banque avait déclaré ses créances au passif de la société Somafa au titre de ces deux prêts respectivement à hauteur de 178 077,54 euros et 60 706,01 euros.

Ces éléments font ressortir que bien avant le 22 avril 2020, la caisse avait prononcé la déchéance du terme des deux emprunts susdits, par suite des défauts de paiement réitérés par la débitrice, malgré mise en demeure, et que celle-ci, dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, n’a pas plus été en mesure d’honorer ses engagements, à un point tel que la créancière a sollicité et obtenu la vente judiciaire de l’ensemble immobilier, alors que cet actif était immobilisé et que sa position d’établissement teneur de compte lui permettait d’apprécier l’état de la disponibilité de ses actifs mobiliers.

Il se déduira du tout que dès avant le 22 janvier 2021, date de l’acte litigieux, la caisse avait ainsi acquis la connaissance personnelle de ce que la société Somafa n’était plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, et que sa débitrice se trouvait dès lors en état cessation des paiements.

* * * * *

Il résulte de l’article L. 643-8 du code de commerce que le montant de l’actif distribuable est réparti notamment d’abord sur les frais de justice nés régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement la procédure restant à payer à l’échéance et ensuite seulement sur les créances garanties par des sûretés immobilières classées entre elles dans l’ordre prévu au code civil.

Au regard du caractère facultatif du prononcé de la nullité édictée par ce texte, la caisse demande encore d’écarter la nullité de l’acte litigieux.

Elle argue de la vanité consistant à reconstituer l’actif du débiteur, en liquidation judiciaire, qui n’aurait plus d’intérêt à voir ce bien réintégré dans son actif, alors qu’elle-même étant un créancier privilégié, au titre des hypothèques conventionnelles inscrites sur l’immeuble, aurait en tout état de cause vocation à percevoir le prix de vente de l’immeuble.

Mais alors qu’il résulte de la chronologie susdite que la vente du 22 janvier 2021 a été réalisée sous la contrainte d’une saisie immobilière, fixée au 25 janvier 2021, ces circonstances induisent l’éventualité que cette vente n’ait pas été réalisée au meilleur prix.

Ainsi, l’annulation sollicitée est de nature à écarter un éventuel appauvrissement du débiteur, et tout en ayant pour objet de désintéresser au mieux la collectivité des créanciers.

Au surplus, si l’annulation était écartée, la caisse serait susceptible de toucher le produit de la vente en conformité avec le rang de ses hypothèques, réduisant ainsi à son seul avantage l’actif distribuable, sur lequel seraient notamment imputés les frais de justice et dépens de la liquidation judiciaire, venant ainsi faire échec au principe d’égalité des créanciers.

Il y aura donc lieu d’annuler le paiement reçu de la société Somafa par la caisse ensuite de la vente de l’immeuble dépendant de la liquidation judiciaire reçu le 22 janvier 2021, par Monsieur [C] [S], notaire à [Localité 3], de condamner la caisse à restituer entre les mains de la société Actis ès qualités, la somme de 238.783,55€, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation, d’ordonner la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil, et le jugement sera confirmé de ces chefs.

* * * * *

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a mis les dépens de première instance en frais privilégiés de procédure collective, a débouté la caisse de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance et l’a condamnée à payer au même titre au mandataire judiciaire la somme de 3000 euros.

La caisse sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel, et sera condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société Actis ès qualités la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Déboute la société anonyme coopérative à capital variable Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel ;

Condamne la société anonyme coopérative à capital variable Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou à payer à la société d’exercice libéral à responsabilité limitée Actis mandataires judiciaires, en qualité de mandataire liquidateur de la société Agrienergie et en qualité de mandataire liquidateur de la société civile immobilière Somafa, la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;

Condamne la société anonyme coopérative à capital variable Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou aux entiers dépens d’appel ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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