Cour d'appel de Reims, 4 octobre 2016, n° 15/01792

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Reims, 4 oct. 2016, n° 15/01792
Juridiction : Cour d'appel de Reims
Numéro(s) : 15/01792
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Troyes, 3 juillet 2014

Sur les parties

Texte intégral

ARRET N°

du 04 octobre 2016

R.G : 15/01792

X

c/

DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE
L’AUBE

NL

Formule exécutoire le :

à

:

Maître Pascal GUILLAUME

SELARL POTTIER

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 04 OCTOBRE 2016

APPELANT :

d’un jugement rendu le 04 juillet 2014 par le tribunal de grande instance de TROYES,

Monsieur Y X

XXX

XXX

COMPARANT, concluant par Maître Pascal GUILLAUME, avocat au barreau de REIMS et ayant pour conseil Me KRIEF avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE
L’AUBE

Pôle gestion Fiscale – 17 boulevard du 1er
RAM

BP 771

XXX

COMPARANT, concluant par Maître James GAUDEAUX, avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame SIMON-ROSSENTHAL, conseiller faisant fonction de président de chambre

Madame MAUSSIRE, conseiller

Madame LAUER, conseiller

GREFFIER :

Madame NICLOT, greffier, lors des débats et Monsieur MUFFAT-GENDET greffier lors du prononcé,

DEBATS :

A l’audience publique du 05 juillet 2016, où l’affaire a été mise en délibéré au 04 octobre 2016,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 04 octobre 2016 et signé par Madame MAUSSIRE, conseiller en l’absence du président régulièrement empêché et Monsieur MUFFAT-GENDET greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Par acte notarié du 28 décembre 2005, M. Y X et Mme Z A épouse X ont consenti à leurs cinq enfants, Samuel, Ariel, Claire, Benjamin et
Édouard X, pour une durée de cinq ans, l’usufruit des 152'940 parts sociales, soit les 5/6 des 183'350 parts de la SARL Carva Loc. La valeur de la part a été évaluée à 9,11 .

Le 22 février 2010, M. ou Mme Y X se sont vus proposer une rectification de leur impôt sur la fortune pour les années 2006, 2007, 2008 et 2009 au motif d’un abus de droit visant à éluder l’impôt de solidarité sur la fortune.

Le 19 juin 2013, l’administration fiscale a rejeté les conclusions de M. Y X.

Par acte d’huissier délivré le 22 juillet 2013, M. Y X a fait assigner la Direction départementale des finances publiques de l’Aube devant le tribunal de grande instance de Troyes à qui il a demandé sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

— de déclarer non fondée la décision de rejet du 19 juin 2013 de M. ou Mme le directeur départemental des finances publiques de l’autre,

— d’accorder le dégrèvement des impositions et pénalités contestées d’un montant de 86'414 mis en recouvrement au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune des années 2006, 2007, 2008 et 2009,

— de condamner la partie adverse aux dépens mentionnés à l’article R 207-1 du livre des procédures fiscales ainsi qu’à la somme de 5 000 sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, il a fait valoir, au visa de l’article L 64 du livre des procédures fiscales, que la donation consentie à ses enfants n’était pas constitutive d’un abus de droit fiscal en ce qu’elle n’était ni fictive ni frauduleuse dès lors qu’elle ne contrevenait pas aux objectifs poursuivis par les dispositions de l’article 885
G du code général des infos et que son but n’était pas exclusivement de nature fiscale.

L’administration fiscale de son côté a fait valoir que la donation avait permis de retirer de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune la valeur de la nue-propriété entraînant ainsi une non imposition dans la base taxable de l’impôt de solidarité sur la fortune de la valeur en pleine propriété desdites parts pendant la période

de dessaisissement. Elle a ajouté que cette donation était constitutive d’un abus de droit fiscal en raison d’un faisceau de présomptions précises et concordantes. Elle a relevé notamment que cette donation n’était pas productive de revenus et qu’elle présentait un but exclusivement fiscal.

Par jugement du 4 juillet 2014, le tribunal de grande instance de Troyes a rejeté les demandes de M. Y
X, déclaré bien fondée la décision de l’administration de la direction départementale des finances publiques de l’Aube du 19 juin 2013 et condamné M. Y X aux entiers dépens. Il a débouté M. Y X de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et rappelé que la décision était exécutoire de plein droit.

Pour statuer ainsi, il a retenu que le fait que l’usufruit soit sur une courte durée et ne produise pas de revenus aux donataires, lesquels ne collaboraient pas à l’activité de l’entreprise, montrait que la donation était fictive et se trouvait donc marquée par l’abus de droit fiscal. Il en a déduit que la donation d’usufruit temporaire litigieuse présentait donc un caractère fictif en ajoutant que le fait qu’une donation en pleine propriété ait été faite en décembre 2010 était indifférent dès lors que cette donation intervenait après la notification du redressement et que les donateurs étaient alors âgés de 65 et 67 ans. Il en a conclu que la donation était bien constitutive d’un abus de droit fiscal visant à éluder l’impôt de solidarité sur la fortune en faisant échapper la valeur des parts à l’assiette fiscale des donateurs par l’effet de l’article 885 G du code général des impôts.

M. Y X a interjeté appel.

Par conclusions du 13 octobre 2015, il sollicite l’infirmation du jugement déféré et prie la cour de:

— déclarer non fondée la décision de rejet du 19 juin 2013 rendue par M. ou Mme le directeur départemental des finances publiques de l’Aube,

— accorder le dégrèvement des impositions et pénalités contestées d’un montant total de 86'414 mis en recouvrement au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune des années 2006, 2007, 2008 et 2009,

— ordonner l’exécution provisoire,

— condamner la direction départementale des finances publiques de l’Aube au remboursement des frais irrépétibles conformément à l’article 700 du code de procédure civile évalués à 5 000 ,

— condamner la direction départementale des finances publiques de l’Aube aux entiers dépens de première instance et d’appel, mentionnés à l’article R 207-1 du livre des procédures fiscales en faisant application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, il reprend ses moyens de première instance et fait essentiellement valoir que, faute pour l’administration fiscale de rapporter la preuve du caractère fictif de la donation temporaire d’usufruit ou d’une fraude à la loi, par la réunion des deux critères que sont le but exclusivement fiscal et la recherche d’une application littérale des textes contraire aux objectifs poursuivis par leurs auteurs, la donation temporaire d’usufruit effectuée par M. Y
X ne peut être remise en cause sur le terrain de l’abus de droit visé à l’article L 64 du livre des procédures fiscales.

Par conclusions du 24 novembre 2015, la direction départementale des finances publiques de l’Aube sollicite la confirmation du jugement déféré et prie la cour de condamner M. Y X aux entiers dépens en faisant application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile et de le débouter de toutes autres demandes.

Elle fait essentiellement valoir qu’il existe des présomptions précises et concordantes de ce que cette donation, sous une apparente régularité, présentait un caractère fictif puisque les gratifier n’ont bénéficié d’aucun revenu sur la période de transmission et qu’il était indéniable que tel serait le cas sur toute la période de transmission au vu de la situation de la société. Elle ajoute que les nu-propriétaires ne pouvaient méconnaître l’absence de

toute perspective de bénéfice de la société sur la période de sorte que la donation était contraire à l’esprit de l’article 885 G du code général des impôts puisqu’elle n’avait que pour but d’éluder l’impôt de solidarité sur la fortune en faisant échapper la valeur des parts à l’assiette fiscale des donateurs par l’effet de ces dispositions.

SUR CE,

Par acte notarié du 28 décembre 2005, M. Y X et son épouse ont fait donation à leurs cinq enfants, pour une durée de cinq ans, de l’usufruit de 152 940 parts sociales, soit 5/6 des 183'350 parts de la SARL
Carva Loc.

L’instruction fiscale 7S-4-03 du 6 novembre 2003 rappelle que :

« Les particuliers effectuent de plus en plus fréquemment des transmissions (donations ou cessions) temporaires d’usufruit à des personnes morales.

De telles opérations leur procurent généralement une économie d’impôt de solidarité sur la fortune et d’impôt sur le revenu.

Le caractère abusif ou non d’une transmission temporaire d’usufruit peut, dès lors, être recherché selon les modalités prévues par l’article L 64 du livre des procédures fiscales.

Toutefois, une opération de transmission temporaire d’usufruit n’est, en tout état de cause, pas susceptible de donner lieu à la mise en 'uvre de la procédure de répression des abus de droit lorsqu’elle satisfait cumulativement aux conditions exposées dans la présente instruction »

Ainsi, toujours selon cette instruction :

« N’est pas susceptible de donner lieu à la mise en 'uvre de la procédure de répression des abus de droit une opération de transmission temporaire d’usufruit qui satisfait cumulativement aux conditions suivantes :

prendre la forme d’une donation par acte notarié';

être réalisée au profit d’un organisme appartenant à l’une des catégories suivantes':

' fondations ou associations reconnues d’utilité publique';

' associations cultuelles ou de bienfaisance autorisées à recevoir des dons et legs ou établissements publics des cultes reconnus d’Alsace-Moselle;

' établissements d’enseignement supérieur ou artistique à but non lucratif agréés.

Il s’agit d’organismes d’intérêt général habilités à recevoir des donations. Il est rappelé que l’intérêt général se caractérise par l’exercice d’une activité non lucrative, le caractère désintéressé de la gestion et l’absence de fonctionnement au profit d’un cercle restreint de personnes.

être effectuée pour une durée au moins égale à trois ans';

Lorsqu’au delà d’une première période de trois ans ou plus, la donation temporaire est prorogée, cette prorogation peut concerner une période plus courte.

porter sur des actifs contribuant à la réalisation de l’objet de l’organisme bénéficiaire';

Il peut s’agir':

' d’une contribution financière';

Préalablement à la transmission temporaire, l’organisme bénéficiaire doit alors avoir été mis en mesure de s’assurer que le rendement prévisionnel est substantiel.

' ou d’une contribution matérielle (exemple': mise à disposition de locaux d’habitation au profit d’une association d’aide au logement).

préserver les droits de l’usufruitier.

Les biens concernés ne doivent pas faire l’objet d’une réserve générale d’administration.»

L’administration fiscale ne conteste pas que cette instruction s’applique à la donation consentie par M. Y
X son épouse à leurs cinq enfants.

Effectuée par les époux X au profit de leurs cinq enfants, par acte notarié et pour une durée de cinq ans sur des parts de la SARL Carva loc et alors que les critères apparaissaient donc remplis, l’administration fiscale a toutefois fait application des dispositions de l’article
L 64 du livre des procédures fiscales et notifié à M. Y X une proposition de rectification des bases de calcul et du montant de l’impôt de solidarité sur la fortune de M. Y X au titre des années 2006, 2007, 2008 et 2009 (pièce n° 2 de l’administration).

Suite à la réponse du contribuable du 12 avril 2010, elle a maintenu sa position le 8 juin 2010 (pièce n° 4).

Le 29 juin 2010, par la voix de son conseil, le contribuable a sollicité la saisine du comité de l’abus de droit fiscal, dans les conditions prévues à l’article L 64 du livre des procédures fiscales.

Le 26 juin 2012, ce comité a conclu à l’existence d’un abus de droit (pièce n° 6).

Le rappel des droits en principal et en pénalités a été mis en recouvrement le 22 octobre 2012 (pièces n° 7 et 8).

Le 16 janvier 2013, M. Y
X a effectué une réclamation contentieuse auprès du service (pièce n° 9) qui a été rejetée le 19 juin 2013.

Le tribunal de grande instance de Troyes a alors été saisi par M. Y X par acte d’huissier du 22 juillet 2013 et par le jugement dont appel, celui-ci a rejeté les prétentions de M. Y X visant notamment au dégrèvement des droits rappelés et des pénalités.

M. Y X lui reproche d’avoir statué ainsi au motif que la donation litigieuse ne présente aucun caractère fictif et qu’aucun n’abus de droit au sens de l’article L 64 du livre des procédures fiscales n’a été commis.

L’article L64 du livre des procédures fiscales dispose que afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

Il convient de vérifier si les conditions de mise en 'uvre de cet article étaient remplies:

Le caractère fictif de la donation consentie le 28 décembre 2005

M. Y X fait valoir que la donation au profit de ses cinq enfants était bien réelle et que seuls sont fictifs les actes emprunts d’une volonté de fraude ou de dissimulation.

La cour rappelle que le propre de toute libéralité est de gratifier son bénéficiaire. L’intention libérale doit donc être prouvée par les avantages retirés par le bénéficiaire de la donation.

Selon l’instruction fiscale ci-dessus rappelée, pour échapper à la mise en 'uvre du dispositif de l’article L 64 du livre des procédures fiscales, la donation doit être productive de revenus et plus précisément, il doit avoir été vérifié avant la transmission que le rendement prévisionnel des actifs transmis est substantiel.

Or, tel n’était pas le cas des parts de la SARL Carva
Loc transmises à l’instant t ou la donation a été consentie et même durant toute la période de l’usufruit transmis.

Dans son avis du 26 juin 2012, le comité de l’abus de droit observe que la société Carva Loc a été constamment déficitaire entre 2003 et 2008 et que les acquisitions immobilières réalisées immédiatement après la donation litigieuse ont aggravé cette situation.

M. Y X indique dans ses propres écritures que le bilan clos le 31 décembre 2005 présente des pertes de 616'636 mais il ajoute que l’administration oublie de préciser que le capital social était de 2'797'897 et que les capitaux propres étaient positifs pour 2'264'723 . Il en déduit que la société pouvait procéder sans la moindre difficulté à une réduction du capital destinée à apurer les pertes et ainsi présenter une situation comptable lui permettant le cas échéant de distribuer des dividendes.

Force est néanmoins de constater qu’aucune décision en ce sens n’a été prise. Ainsi, en l’état du bilan arrêté au 31 décembre 2005, la SARL Carva loc n’était pas en mesure de distribuer le moindre dividende.

M. Y X indique également que la politique d’investissement et de prises de participation menée à partir de 2006 visait précisément à créer des bénéfices susceptibles d’être distribués.
Néanmoins, la cour rappelle que le but de tout investissement est de créer des bénéfices puisque tel est le but de toute société.
Cependant, aucun dividende n’est distribuable tant que subsiste au bilan un report à nouveau débiteur.

L’appelant observe que le chiffre d’affaires a évolué positivement de 2005 à 2010 mais s’il présente les situations du résultat comptable de 2005 à 2010, faute de production des bilans correspondants, non seulement il ne justifie pas que la société était en état de distribuer mais encore il l’admet puisqu’il indique que la politique d’investissement initiée en 2006 n’a pas produit les résultats escomptés.

Or, en tant que gérant avisé, M. B X ne pouvait ignorer que les résultats de sa politique allaient nécessairement être soumis aux aléas de la conjoncture économique.

La cour relève que le montant total des investissements réalisés en 2006 en moins de six mois et listés en page 13 des écritures de M. Y
X est de 1'110'700 , soit près de la moitié des capitaux propres de la société.

Ainsi, si M. Y X observe que les investissements ayant été financés sur fonds propres, les loyers encaissés en contrepartie n’ont absolument pas servi à rembourser des emprunts mais ont alimenté la trésorerie qui est toujours restée largement positive, le comité de l’abus de droit relève que les acquisitions immobilières réalisées immédiatement après la donation litigieuse ont aggravé cette situation.

La cour note en effet qu’en 2008 le résultat d’exploitation était déficitaire de 115'303,02, en 2009 de 126'568,82 et en 2010 de 130'287,09 de sorte que le résultat d’exploitation n’a cessé de s’aggraver sur toute la durée de la donation temporaire d’usufruit.

Si, au bout du compte le résultat total de l’exercice est positif de 5 506,38 , ce résultat tient compte d’un résultat financier positif de 135'793,47 . L’état du résultat d’exploitation confirme que les charges

d’exploitation consécutives à la politique d’investissement menée ont aggravé la situation de la société alors que dans le même temps comme l’indiquent lui-même l’appelant dans ses écritures en produisant un article de journal en ce sens, les loyers encaissés ont stagné.

Si les chiffres observés à la clôture du bilan de 2010 permettent de penser qu’à compter de cette date la situation de l’entreprise était en voie d’amélioration, tel n’a cependant pas été le cas pendant tout le temps de la donation temporaire d’usufruit.

M. Y X conclut qu’au moment de la donation, rien ne laissait supposer que cette société n’allait pas distribuer de dividendes. Ce raisonnement n’est toutefois fondé que sur des hypothèses qui ne se sont pas vérifiées.

La cour conclut pour sa part qu’au moment où la donation a été effectuée, toute distribution de dividendes était inenvisageable. La seule mesure de nature à mettre la société en état de distribuer, à savoir la restructuration du capital social afin d’apurer les dettes cumulées n’a pas été prise, M. X choisissant au contraire de se lancer dans une politique d’investissement massive aux résultats, par nature aléatoire, et qui n’ont jamais été obtenus sur toute la durée de la donation temporaire d’usufruit.

Si M. Y X fait valoir que selon le comité de l’abus de droit, l’absence de fruits n’établit pas à elle seule la fictivité du démembrement, selon la cour et étant rappelé qu’une donation suppose une intention libérale, cette fictivité résulte de l’inexistence de toute gratification au profit des donataires de sorte que, comme l’a exactement retenu le tribunal, le premier critère de mise en 'uvre de la procédure d’abus de droit est rempli.

Le but exclusivement fiscal et l’application littérale des textes

Par motifs adoptés du tribunal, c’est à juste titre que celui-ci a retenu que le but d’associer les enfants à la gestion de l’entreprise n’avait pas été poursuivi compte tenu de la situation personnelle respective des donataires, l’administration observant également de son côté à juste titre, soit que les enfants n’étaient pas tous présents aux assemblées générales, soit ne signaient pas les procès-verbaux de ces assemblées. Il convient également d’observer qu’il n’est pas contesté que la politique d’investissement menée à compter de 2006 l’a été exclusivement par le gérant de la société, M. X.

C’est également par motifs adoptés du tribunal que la cour estime que, contrairement à ce qu’il soutient, la donation temporaire ne présentait aucun avantage patrimonial pour le donateur. Il sera également observé que le fait qu’une donation en pleine propriété ait été faite en 2010, d’une part met à néant le premier avantage de la donation temporaire mis en avant, et d’autre part, comme l’a relevé le premier juge avec pertinence, est indifférent, cette donation étant intervenue après la notification du redressement et alors que les donateurs étaient alors âgés de 65 ans et 67 ans.

La cour ajoute, qu’à un âge où tout un chacun peut prétendre à se retirer des affaires et vouloir consentir une donation dans un but successoral, ne peut servir à justifier a posteriori une donation consentie à titre temporaire cinq ans auparavant.

En l’absence de tout autre but démontré, la donation réalisée le 28 décembre 2005 est donc empreinte d’un but exclusivement fiscal puisque l’article 885G du code général des impôts dispose que les biens ou droits grevés d’un usufruit, d’un droit d’habitation ou d’un droit d’usage accordé à titre personnel sont compris dans le patrimoine de l’usufruitier ou du titulaire du droit pour leur valeur en pleine propriété.

Cette disposition a donc permis à M. X d’extraire la valeur en pleine propriété des parts cédées de l’assiette de son propre impôt de solidarité sur la fortune.

l’application littérale des textes

Vérifier si M. Y X a entendu faire une application littérale des dispositions de l’article 885G du code général des impôts ci-dessus rappelées à l’encontre des objectifs poursuivis par ce texte suppose de s’interroger sur ces objectifs.

M. Y X dans ses écritures invoque la décision du conseil constitutionnel n° 98-65 du 29 décembre 1998.

Dans cette décision, le conseil constitutionnel affirme qu’aux termes de l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la contribution commune doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. Il ajoute que l’impôt de solidarité sur la fortune a pour objet de frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèces ou en nature procurés par ces biens puisque, en raison de son taux et de son caractère annuel, l’impôt de solidarité sur la fortune est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables.

M. Y X en déduit à juste titre que l’impôt de solidarité sur la fortune doit être acquitté par celui qui perçoit les revenus. C’est la raison pour laquelle l’article 885G du code général des impôts prévoit que les biens ou droits grevés d’un usufruit, d’un droit d’habitation ou d’un droit d’usage accordé à titre personnel sont compris dans le patrimoine de l’usufruitier ou du titulaire du droit pour leur valeur en pleine propriété.

Le but de cette disposition est donc de frapper les revenus là où ils se trouvent. Dans une donation d’usufruit, c’est l’usufruitier qui perçoit les fruits, il est donc logique qu’il en subisse les conséquences fiscales.

Or, comme démontré ci-dessus, la donation consentie n’étant productive d’aucun fruit, c’est bien par une application littérale du texte que la donation a été consentie puisque ne peuvent être frappés par l’impôt des revenus, et plus précisément des fruits, inexistants.

M. Y X soutient qu’il n’y aurait application littérale du texte que si le nu-propriétaire, grâce au bénéfice de cette disposition, n’était pas redevable de l’impôt de solidarité sur la fortune tout en continuant à percevoir les revenus.

La cour estime toutefois que si tel avait été le résultat de l’opération, cette circonstance ne serait pas constitutive d’un abus de droit mais bien d’une fraude fiscale caractérisée.

M. X considère également que l’administration a introduit des critères subjectifs qui n’ont pas leur place en la matière puisque, si l’on suit son raisonnement, il aurait suffi que la SARL Carva Loc distribue des dividendes pour que l’abus de droit ne soit pas caractérisé.

Toutefois, la cour observe que si la société avait pu distribuer des dividendes, non seulement les donataires auraient été gratifies, comme le suppose toute libéralité, mais encore les dispositions de l’article 885G du code général des impôts auraient été susceptibles de sortir leur plein effet puisque ces revenus auraient été frappés en la personne de l’usufruitier si tant est qu’il remplisse lui-même toutes les conditions d’assujettissement à l’impôt de solidarité sur la fortune.

Enfin, M. Y X fait valoir que la fictivité et l’application littérale du texte sont deux critères distincts de l’abus de droit qui répondent à des préoccupations juridiques différentes de sorte qu’ils ne peuvent être caractérisée par la même cause.

Selon la cour, le simple fait que la donation consentie le 28 décembre 2005 n’ait été productive d’aucun revenu engendre deux types de conséquences.

D’une part, la donation est fictive puisque le donataire n’en retire aucune gratification.

D’autre part, l’impôt ne pouvait frapper des revenus inexistants de sorte que les dispositions de l’article 885G du code général des impôts ont bien été appliquées de manière littérale sans que les objectifs poursuivis par le

législateur ne puissent être atteints.

Il s’agit donc bien de deux causes juridiques distinctes bien que provenant d’un fait unique.

Par conséquent, le seul but poursuivi par la donation consentie le 28 décembre 2005 étant d’extraire la valeur en pleine propriété des parts cédée de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune de M. Y X, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de sa demande visant au dégrèvement des droits rappelés et des pénalités en résultant.

Le jugement sera confirmé sur l’article 700 du code de procédure civile ainsi que sur les dépens.

Succombant en son appel, M. Y
X en supportera les dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile. Il sera donc débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Troyes le 4 juillet 2014,

Et, y ajoutant,

Déboute M. Y X de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. Y X aux dépens d’appel qui seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier Le conseiller

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