Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 18 mai 2021, n° 20/00343

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Reims, 1re ch. sect.civ., 18 mai 2021, n° 20/00343
Juridiction : Cour d'appel de Reims
Numéro(s) : 20/00343
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, 12 décembre 2019
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRET N° 21/296

du 18 mai 2021

R.G : N° RG 20/00343 – N° Portalis DBVQ-V-B7E-E2BE

X

H

c/

A

F

FM

Formule exécutoire le :

à

 :

la SCP RAHOLA DELVAL CREUSAT LEFEVRE

la SELAFA FIDAL

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 18 MAI 2021

APPELANTS :

d’un jugement rendu le 13 décembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de CHARLEVILLE MEZIERES

Monsieur D X

[…]

[…]

Représenté par Me Stanislas CREUSAT de la SCP RAHOLA DELVAL CREUSAT LEFEVRE, avocat au barreau de REIMS

Madame Y-G H épouse X

[…]

[…]

Représentée par Me Stanislas CREUSAT de la SCP RAHOLA DELVAL CREUSAT LEFEVRE, avocat au barreau de REIMS

INTIMES :

Monsieur L Y A

[…]

[…]

Représenté par Me Nicolas CARNOYE de la SELAFA FIDAL, avocat au barreau de REIMS

Madame E F

[…]

[…]

Représentée par Me Nicolas CARNOYE de la SELAFA FIDAL, avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth JUNGBLUTH, président de chambre

Madame Véronique MAUSSIRE, conseiller

Madame Florence MATHIEU, conseiller

GREFFIER :

Madame Sophie DEHAYE, greffier placé et Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET greffier lors du prononcé

DEBATS :

A l’audience publique du 29 mars 2021, où l’affaire a été mise en délibéré au 18 mai 2021, prorogé au 18 mai 2021

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 18 mai 2021 et signé par Madame Elisabeth JUNGBLUTH, président de chambre, et Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur D X et son épouse, Madame Y-G H, sont propriétaires occupants d’un […].

Leurs voisins, Monsieur L-Y A et Madame E F sont propriétaires occupants d’un pavillon sis au […]

Les deux maisons sont accolées mais leur faîtage est décalé. Elles s’appuient sur le même mur K.

Au cours de l’année 1999, les consorts A-F ont entrepris de rehausser la charpente et la couverture

de leur pavillon. Ils ont obtenu une autorisation de travaux le 20 juillet 1999. Les travaux ont été exécutés dans le courant de l’année 2000.

Estimant que cet ouvrage empiète sur leur propriété, les époux D X, par acte huissier en date du 9 novembre 2010, ont fait assigner les consorts A-F devant le tribunal de Grande instance de Charleville-Mézières aux fins de démolition.

Par ordonnance de référé du 22 mars 2011 le président de ce même tribunal a ordonné une expertise judiciaire confiée à Monsieur J C qui a déposé son rapport le 25 avril 2016.

Par jugement avant-dire droit du 16 mars 2018, le tribunal de Grande instance de Charleville-Mézières a:

— dit que les travaux de réfection de leur toiture réalisés par les consorts A-F empiètent sur une partie du mur K appartenant en totalité aux époux D K sur une zone allant du point le plus bas de la zone en V qui existait entre les deux faîtages des maisons des parties, jusqu’à la souche de la cheminée présente sur le toit de la maison des époux D X,

— avant dire droit sur la demande de démolition de ces travaux, ordonné une nouvelle expertise judiciaire avec pour mission de dire s’il existe une solution technique autre que la démolition pour faire cesser l’empiètement.

L’expert judiciaire, Monsieur E B a déposé son rapport le 9 novembre 2018.

Par jugement rendu le 13 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a, avec le bénéfice de l’exécution provisoire':

— 'condamné Monsieur L-Y A et Madame E F à payer à Monsieur D X et Madame Y-G H épouse X la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts,

— débouté Monsieur D X et Madame Y-G H épouse X de leurs demandes de démolition ainsi qu’en paiement de dommages et intérêts ainsi qu’au titre de la résistance abusive

— déclaré Monsieur L-Y A et Madame E F irrecevables leurs demandes reconventionnelles,

— dit n’y avoir lieu application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné Monsieur L-Y A et Madame E F aux dépens comprenant les frais d’expertise.

Par un acte en date du 7 février 2020, les époux D X ont interjeté appel de ce jugement.

'

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées par la voie électronique le 30 avril 2020 , les époux D X 'concluent à l’infirmation du jugement déféré, et demandent’ à la cour'':

'-à titre principal d’ordonner la démolition par les consorts A-F des installations qu’ils ont mises en place sur le mur de la maison appartenant aux époux X, ainsi que la remise des lieux dans leur état antérieur, de dire que les travaux devront être réalisés dans les trois mois de la signification de l’arrêt à venir et passé ce délai, de dire que les consorts A-F seront redevables d’une astreinte de 100 € par jour de retard,

— à titre subsidiaire, condamner solidairement les consorts A-F à leur payer une somme de 4.370 euros au titre des travaux de mise aux normes des conduits de fumée et de la souche de cheminée rendus

nécessaires sur leur propriété.

En toute hypothèse, ils sollicitent :

— la condamnation solidaire des consorts A-F à leur payer:

une somme de 3.838,57 euros au titre des travaux de remise en état qu’ils ont dû effectuer sur leur toiture, statuer ce que de droit quant à l’opportunité d’une expertise judiciaire,

une somme de 2.000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de la résistance abusive et injustifiée qui leur a été opposée,

une somme de 4.000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.

Ils demandent également que soit constaté que le jugement entrepris est devenu définitif en ce qu’il a débouté les consorts A-F de leurs demandes reconventionnelles.

Ils expliquent que l’existence de l’empiètement est acquise aux termes du jugement du 16 mars 2018 et confirmée par le rapport de Monsieur B en date du 9 novembre 2018. Ils s’étonnent de ce que le jugement entrepris, ayant pourtant considéré que la surélévation réalisée par les consorts A-F empiétait sur le mur litigieux, a toutefois rejeté la demande de démolition.

Ils soutiennent qu’outre l’empiètement proprement dit, qui à lui seul justifie la démolition, ils ne peuvent plus jouir librement de leur propriété du fait de l’exhaussement voisin, ne pouvant plus effectuer de travaux sur leur souche de cheminée et ne pouvant plus utiliser leur conduit de fumées.

Ils font valoir que les travaux réalisés par les consorts A-F ont occasionné des dégâts sur leur propriété (les ouvriers ayant circulé sans précaution sur leur toit, le souillant de projection de ciment, cassant plusieurs tuiles et mettant hors service l’antenne de télévision). Ils ajoutent qu’au regard de leur situation financière modeste, ils n’ont pu faire effectuer les travaux de reprise que quatre ans plus tard pour un montant de 3.838,57 euros.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées par la voie électronique le 29 juillet 2020, les consorts A-F concluent à l’infirmation partielle du jugement déféré en ce qu’ils ont été condamnés au paiement de la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts, aux dépens comprenant les frais d’expertise et déboutés de leur demande en paiement à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.

Ils demandent à la cour de débouter les époux X de toutes leurs demandes formées à leur encontre et de condamner solidairement ces derniers à leur verser la somme de 4.000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles et subsidiairement de partager par moitié l’ensemble des dépens, comprenant les frais d’expertise.

Ils font valoir qu’en cas d’empiètement, la démolition n’est pas automatique et exposent que la cour de cassation tempère la rigueur de sa jurisprudence en matière d’empiètement, en introduisant un contrôle de proportionnalité.

Ils soutiennent qu’en vertu du procès-verbal de délimitation et de bornage établi en juillet 2010, la limite de propriété entre les deux fonds a été clairement fixée et qu’elle leur attribue la propriété du mur litigieux. Ils critiquent l’interprétation faite par l’expert judiciaire, qui selon eux a cru devoir fixer la limite au sol dans l’axe du mur, décalant ainsi la limite de propriété, les privant ainsi d’une partie de leur propriété et créant une mitoyenneté.

Ils indiquent que d’autres indices matériels permettent au juge du fond d’apprécier la non-mitoyenneté du mur :

— leur cave se situe sous la maison des époux X,

— les poutres de leur ancienne toiture traversent le mur.

Ils insistent sur le fait que l’expert judiciaire a conclu au fait que la démolition était une solution extrême et présentait des inconvénients non négligeables pour les deux parties (création d’un point bas d’angle, souvent source d’infiltrations, affectant les deux immeubles et intervention excessivement chère eu égard à l’infime partie du mur que cela concerne).

Ils ajoutent que les époux X ne justifient pas des préjudices qu’ils allèguent.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2021.

'

MOTIFS DE LA DECISION

*Sur la demande de démolition

A titre liminaire, il convient de rappeler que par jugement mixte du 16 mars 2018 le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a tranché à la fois la question de la propriété du mur critiqué et de l’empiètement dans la première partie de son dispositif susvisé.

En vertu de l’article 480 du code de procédure civile, un jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal revêt l’autorité de la chose jugée.

Aussi, la cour comme le tribunal souligne que la surélévation réalisée par les consorts A-F empiète sur le mur litigieux, mitoyen jusqu’à l’héberge, et est la propriété exclusive des époux D X au-dessus de l’héberge.

Il résulte des articles 540 et 545 du code civil, que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements et que nul nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Lorsque l’atteinte aux droits de propriété, tel l’empiètement, est avérée, le propriétaire peut demander la démolition d’un ouvrage construit sur son sol indépendamment de l’importance de l’empiètement, cet ouvrage fût-il destiné à servir l’intérêt commun du constructeur et du demandeur.

La Cour de cassation reconnaît la possibilité pour l’auteur de l’empiètement d’invoquer les dispositions de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour s’opposer à la démolition demandée. Il appartient dès lors au juge d’opérer un contrôle de proportionnalité entre les intérêts en présence ce qui lui ouvre la possibilité de conclure, le cas échéant, que la démolition n’est pas justifiée.

C’est ainsi que si, seule la démolition de l’ouvrage entier peut permettre de mettre fin à l’empiètement, c’est cette mesure qui doit être ordonnée. Aussi, il convient d’apprécier l’utilité et l’usage que cette démolition procurera au fond empiété. Il s’agit également de vérifier que l’application de la règle de droit ne conduit pas à porter une atteinte disproportionnée à un droit fondamental.

Au cas présent, la surélévation réalisée par les consorts A-F en parpaings de 0,20 mètres d’épaisseur se situe sur la moitié du mur mitoyen du côté de chez les époux X. C’est ainsi que le premier expert Monsieur C, dans son rapport rédigé le 25 avril 2016 écrit «'la surélévation réalisée par les consorts A-F ne porte aucun préjudice structurel à la maison des époux X. Seule l’utilisation du mur mitoyen ancien pour appui de l’exhaussement sans accord préalable du copropriétaire peut éventuellement être considérée comme un préjudice'». Il ajoute'«'qu’il n’existe pas de trouble de jouissance pour les époux X car l’espace en cause se trouve au-dessus de leur grenier, est en pente, de sorte qu’il n’est pas utilisable'». Il précise que « 'la valeur de rachat de la mitoyenneté de la zone empiétée a été évaluée à 450 euros et le coût de la démolition a été estimé à la somme de 10.404 euros ttc'».

Par jugement mixte du 16 mars 2018, le tribunal a ordonné une expertise afin de «'dire s’il existe une solution technique autre que la démolition pour faire cesser l’empiètement précité'».

Aux termes de son rapport rédigé le 9 novembre 2019, Monsieur B, l’expert judiciaire conclut :

«'Il ressort clairement de nos observations, tant intérieures qu’extérieures, que la nouvelle couverture A-F s’appuie pour partie sur l’arase du mur appartenant aux époux X (').

Dans l’absolu, la seule solution à même de faire cesser cet empiètement consiste en la démolition de la partie concernée pour la remplacer par un bardage à l’aplomb à l’extérieur du mur X. Toutefois cette solution «'extrême'» présente au moins deux inconvénients:

-d’une part, elle va créer, de fait un point bas d’angle, toujours difficile à traiter et souvent source d’infiltrations (affectant les deux immeubles). Cet ouvrage devra être confié un véritable zingueur de métier,

-d’autre part, cette intervention délicate va coûter excessivement chère. En effet, elle nécessitera:

*la mise en place d’un échafaudage sur le toit X, avec les risques de casse,

*l’évacuation des gravats manuellement,

*la création et mise en place d’une demi ferme de charpente dans le grenier A-F, en remplacement du poinçon et du ramasse panne actuellement fixés dans le mur X. Cette demi-ferme ne pourra être fixée que dans les parties du mur appartenant à l’immeuble A-F.

Cette modification peut être sommairement estimée à la somme de 9.000/10.000 euros ttc.

Pour notre part, nous pensons que le bon sens serait que les parties puissent trouver un accord amiable, sous forme «'de rachat partiel de mitoyenneté'». À notre sens, la situation actuelle est techniquement la plus fiable, la solution «'démolition+ bardage'» présentant «'un accident de couverture'» pouvant être à l’origine d’infiltrations préjudiciables aux deux immeubles'».

Au vu de ces éléments, la cour estime que la deuxième expertise judiciaire confirme le fait que la demande de démolition des époux X constitue une atteinte disproportionnée au propre droit des consorts A-F au respect de leur bien ainsi que de leur domicile, protégé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En effet, il est techniquement démontré que la démolition de la structure critiquée aura pour effet de fragiliser les immeubles de part et d’autre, et que par ailleurs le rachat possible de la mitoyenneté permettrait de donner une issue au litige qui préserve les intérêts des deux parties.

Dans ces conditions, par une appréciation souveraine, la cour décide que c’est de manière pertinente que le tribunal a débouté les époux X de leur demande de démolition et a condamné les consorts A-F à payer aux époux X la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré de ce chef.

*Sur les demandes indemnitaires des époux X

Les époux X réclament le remboursement des travaux qu’ils ont dû réaliser sur leur toiture en raison des dégâts occasionnés sur leur propriété par les consorts A-F ainsi que la réparation de leur préjudice moral subi du fait de la résistance abusive et injustifiée opposée par les intimés.

Sur le fondement de la responsabilité délictuelle, il appartient aux époux X de justifier que les travaux qu’ils ont réalisés ont été rendus nécessaires par la surélévation opérée par les consorts A-F. Or, force est de constater que les factures datées des 27 juillet et 30 décembre 2004 produites par les époux X sont insuffisantes pour justifier d’un lien de causalité entre les travaux dont il est demandé le remboursement et une faute commise par les consorts A, aucun élément probant ne venant corroborer les affirmations des époux X sur l’origine desdits travaux.

S’agissant de la résistance abusive, il incombe aux époux X de caractériser l’existence d’une faute dans l’attitude des consorts A-F. En l’espèce, il ne résulte pas des éléments de la cause que le comportement des consorts A-F, par leur défense à l’action en justice, ait dégénéré en abus.

Dans ces conditions , il convient de débouter les époux X en leurs demandes indemnitaires et de confirmer le jugement déféré de ce chef.

* Sur les autres’ demandes

'

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, les consorts A-F succombant, ils seront tenus in solidum aux dépens d’appel.

'Les circonstances de l’espèce commandent de débouter les parties de’ 'leurs demandes respectives en paiement à titre d’indemnité pour frais’ irrépétibles.

'

PAR CES MOTIFS,

'

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

'

Confirme le jugement rendu le 13 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d’indemnité pour frais’ irrépétibles.

'

Condamne in solidum les consorts A-F aux dépens d’appel et autorise la Scp Rahola-Creusat-Lefevre, 'avocats, à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente

'

'

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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