Cour d'appel de Rennes, 5e chambre, 6 décembre 2023, n° 23/02428

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www.desmarais-avocats.fr · 10 janvier 2024

Dans une décision très surprenante du 6 décembre dernier, la Cour d'Appel de Rennes a considéré que les pièces, exemptes de données « nominatives », remises à un expert pour un avis technique ne constituent pas des « données médicales » (CA Rennes, 5ème Chambre, 6 décembre 2023, RG n° 23/02428). Evoquer des données nominatives paraît quelque peu anachronique, l'expression ayant disparu du droit français en 2004. La notion de donnée à caractère personnel est en effet nettement plus large, comme en témoigne la rigueur des autorités en matière d'anonymat (G29 – Avis 05/2014 sur les …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Rennes, 5e ch., 6 déc. 2023, n° 23/02428
Juridiction : Cour d'appel de Rennes
Numéro(s) : 23/02428
Importance : Inédit
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 18 décembre 2023
Lire la décision sur le site de la juridiction

Texte intégral

5ème Chambre

ARRÊT N°-379

N° RG 23/02428 – N° Portalis DBVL-V-B7H-TWE3

Mme [V] [T] épouse [L]

C/

M. [S] [W]

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 06 DECEMBRE 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Virginie PARENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 Octobre 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Décembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [V] [T] épouse [L]

née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Edouard BOURGIN de la SELEURL EDOUARD BOURGIN, Plaidant, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉ :

Monsieur [S] [W]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Thomas NICOLAS de l’ASSOCIATION LECLERE & Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Le 2 juillet 2017, Mme [V] [T] a été victime d’un accident de la circulation.

Mme [V] [T] a intenté une action civile contre la société d’assurance MMA en vue d’être indemnisée de son préjudice corporel.

Une expertise judiciaire a été ordonnée par le tribunal judiciaire de Grenoble.

L’expert judiciaire le docteur [D] a procédé à la mission d’expertise et a rendu son rapport le 29 juin 2020.

Le docteur [S] [W], chirurgien orthopédiste, expert près la cour d’appel de Rennes, a rédigé un avis technique le 23 décembre 2021, que la société MMA a versé à la procédure qui l’oppose à Mme [V] [T].

Par mail officiel en date du 25 août 2022, le conseil de Mme [V] [T] a interrogé le conseil de la société d’assurance MMA pour connaître l’identité de la personne qui avait communiqué des éléments médicaux au docteur [W] et obtenir la copie des éléments communiqués.

Une plainte ordinale a été déposée par Mme [V] [T] devant le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins contre le docteur [W].

Mme [V] [T] a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes.

Par ordonnance de référé en date du 13 avril 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes a :

— rejeté la demande ;

— condamné Mme [V] [L] aux dépens,

— vu l’article 700 du code de procédure civile, l’a condamné à payer à M. [S] [W] une somme 5 000 euros.

Le 19 avril 2023, Mme [V] [T] a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 29 août 2023, elle demande à la cour de :

— infirmer l’ordonnance de référé du 13 avril 2023 en toutes ses dispositions,

Par conséquent et statuant à nouveau :

— condamner sous astreinte le docteur [S] [W] à lui communiquer :

* les pièces médicales qu’il a eu en sa possession,

* la liste des pièces médicales qui lui ont été adressées,

* le courrier de demande d’avis médical qui lui a été communiqué,

* le courrier adressé par le docteur [W] aux fins de communication de son avis médical,

— fixer l’astreinte à hauteur de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir jusqu’à la communication des documents sollicités,

— condamner le docteur [S] [W] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant de la procédure de première instance devant le tribunal judiciaire de Nantes,

— condamner le docteur [S] [W] à lui payer à la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant de la présente procédure d’appel devant la cour d’appel de Rennes,

— rejeter la demande du docteur [S] [W] tendant à la voir condamner à régler une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

— condamner le docteur [S] [W] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Edouard Bourgin sur son affirmation de droit.

Par dernières conclusions notifiées le 8 septembre 2023, le docteur [S] [W] demande à la cour de :

— juger qu’il n’a jamais disposé et ne dispose d’aucune information nominative concernant Mme [V] [T] ni, a fortiori, sa santé,

— juger en tout état de cause que la demande de communication de pièces formée par Mme [V] [T] se heurte, à tout le moins, à des contestations sérieuses,

— juger en outre qu’il n’existe aucun trouble manifestement illicite ni moins encore de dommage imminent,

En conséquence :

— confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et :

— débouter Mme [V] [T] de sa demande de communication sur le

fondement de l’article L1111-7 du code de la santé publique,

— débouter Mme [V] [T] de sa demande de communication sur le fondement du Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD),

— débouter Mme [V] [T] de toutes ses demandes,

— condamner Mme [V] [T] à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens,

Y ajoutant :

— condamner Mme [V] [T] à lui verser une somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Bazille Tessier Preneux dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 11 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

— Sur la demande de communication de pièces

Mme [T] indique que suivant les articles L1111-7 et R 1111-1 du code de la santé publique, elle est en droit d’obtenir l’accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels de santé, dans les huit jours à compter de la réception de la demande.

Sur le fondement de l’article 15 du Règlement général de protection des données (ci-après dénommé RGPD), Mme [T] indique qu’elle est en droit de demander la communication de ses données définies comme personnelles par l’article 4, 1° du RGPD. Elle ajoute que selon l’article 14 du RGPD, lorsque les données n’ont pas été collectées auprès de la personne concernée, une obligation d’information de la part du responsable de traitement est prévue, non respectée en l’espèce. Elle constate en outre qu’aucun contrat ou acte juridique n’a été formalisé pour encadrer le rapport de sous traitance entre l’assurance et le médecin consultant.

En refusant de délivrer de telles informations, Mme [T] considère que M. [W] enfreint l’article R 625-11 du code pénal et porte atteinte à ses droits fondamentaux, notamment au droit à un procès équitable, ainsi qu’au devoir de secret professionnel.

M. [W] avance, quant à lui, que les pièces qui lui ont été transmises ne sont pas des données médicales au sens de l’article L 1111-7 du code de la santé publique car elles ne consistent pas en des documents nominatifs permettant d’identifier immédiatement le patient qu’ils concernent. L’anonymisation de ces pièces empêcherait de les caractériser comme des données personnelles au sens du RGPD, et ainsi la caractérisation d’une quelconque violation subséquente.

Il ajoute qu’il n’a pas conservé les pièces examinées pour donner un avis technique.

Enfin, il relève qu’aucune atteinte ne serait portée aux droits de la défense de Mme [T], qui a pu critiquer les pièces présentées.

En vertu de l’article 835 du code de procédure civile':

Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite.

L’article L 1111-7 du code de la santé publique confère au patient l’accès direct à son dossier médical. L’article R 1112-3 du même code précise que le dossier médical comporte l’identification du patient.

L’article 15 du RGPD prévoit un droit d’accès pour les personnes concernées par le traitement de ces données personnelles.

L’article 14 du même règlement précise la liste d’informations devant être fournies à une personne concernée lorsque ces données personnelles n’ont pas été collectées directement auprès d’elle.

L’article R 625-11 du code pénal sanctionne le fait de refuser de délivrer à la demande de l’intéressé une copie des données à caractère personnel le concernant.

Aux termes de l’article 4, 1° du RGPD, les données à caractère personnel sont toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable.

M. [W] indique dans son avis en date du 23 novembre 2021 avoir reçu le rapport d’expertise anonymisé réalisé par M. [D], et les annexes anonymisées.

Les affirmations de Mme [T] tendant à considérer qu’une telle anonymisation n’est matériellement pas possible, qui ne reposent sur aucune démonstration sérieuse, sont écartées.

Les données présentes dans cet avis technique, telles que l’année de naissance de la victime, le jour de l’accident ou encore les préjudices subis par elle ne permettent pas, contrairement à ce que soutient l’appelante, de l’identifier.

Le procès-verbal de la réunion plénière du 6 avril 2023 du Conseil départemental de [Localité 4] de l’Ordre des médecins a, en ce sens, constaté l’absence de violation du secret professionnel, et indiqué qu’il ne s’associerait pas à la plainte transmise à la chambre disciplinaire de première instance des Pays de la Loire.

Les pièces anonymisées reçues par M. [W] ne constituent par conséquent ni un dossier médical, au sens des dispositions du code de la santé publique ni des données personnelles au sens de l’article 4, 1° du RGPD, ce qui caractérise une contestation sérieuse aux demandes formulées.

M. [W] invoque en outre qu’il n’est plus en possession des pièces transmises. Mme [T] n’est pas la patiente du docteur [W] ; ce dernier n’a pas eu mission de réaliser une expertise judiciaire relative à un dossier médical, mais simplement de donner un avis critique sur des pièces anonymisées. L’obligation pesant, dans ces circonstances, sur le docteur [W], de conservation de telles pièces consultées se heurte donc à une contestation sérieuse.

Mme [T] n’invoque ni ne caractérise en tout état de cause le moindre péril imminent.

Aucun trouble manifestement illicite résultant du non-respect des textes invoqués (articles L1111-7 du code de la santé publique et 15 du RGPD), ne peut être retenu, au regard de la transmission de données anonymisées à M. [W]. Mme [T] ne démontre, dans les circonstances ainsi rappelées, ni l’existence d’une quelconque atteinte à ses droits, ni une violation du secret professionnel.

En conséquence, la cour approuve le premier juge en ce qu’il déboute Mme [T] de ses demandes. L’ordonnance est confirmée.

— Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il convient de condamner Mme [T] à verser à M. [W] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel, dont distraction au profit de la Selarl Bazille Tessier Preneux dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Les dispositions de l’ordonnance critiquée sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :

Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [V] [T] à payer à M. [S] [W] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel';

Déboute Mme [V] [T] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile';

Condamne Mme [V] [T] aux dépens d’appel, dont distraction au profit de la Selarl Bazille Tessier Preneux dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

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Cour d'appel de Rennes, 5e chambre, 6 décembre 2023, n° 23/02428