Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 22 octobre 2020, n° 17/05621

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Rouen, ch. soc., 22 oct. 2020, n° 17/05621
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro(s) : 17/05621
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Louviers, 6 novembre 2017
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

N° RG 17/05621 – N° Portalis DBV2-V-B7B-HWDJ

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 22 OCTOBRE 2020

DÉCISION

DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 07 Novembre 2017

APPELANTE :

SAS FORUM +

[…]

[…]

représentée par Me Mathieu LECLERC, avocat au barreau du HAVRE substitué par Me Bertrand OLLIVIER, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

Madame C Z

[…]

[…]

représentée par Me David VERDIER de la SELARL VERDIER MOUCHABAC, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Johann PHILIP, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 786 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 16 Septembre 2020 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Monsieur TERRADE, Conseiller

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme COMMIN, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 16 Septembre 2020, où l’affaire a été mise en délibéré au 22 Octobre 2020

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 22 Octobre 2020, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme GUILBERT, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme C Z a été engagée le 15 décembre 2002 par la société Forum + en qualité de vendeuse, dans un premier temps en contrat à durée déterminée, puis en contrat à durée indéterminée le 1er octobre 2003.

Elle a été licenciée pour faute le 20 octobre 2016 dans les termes suivants :

'Nous vous avons convoqué le 21 septembre dernier à un entretien préalable en vue du licenciement que nous envisagions de prononcer à votre égard.

Cet entretien s’est déroulé le mercredi 5 octobre 2016 à 9h30 au sein de notre magasin Forum+.

Au cours de cet entretien, nous vous avons fait part des motifs pour lesquels votre licenciement était envisagé, à savoir :

Le vendredi 9 septembre 2016, vous vous êtes permis dans l’exercice de vos fonctions de tenir des propos inacceptables à l’égard de Mme E Y en la traitant de 'pauvre conne'.

M. X, absent ce jour-là, a été informé de cet incident le lendemain tant par vous que par Mme Y qui était à juste titre particulièrement choquée des propos tenus à son égard.

En agissant de la sorte, vous avez perdu toute crédibilité au sein du magasin alors même qu’il vous appartient de vous comporter de manière exemplaire notamment vis-à-vis des salariés placés sous votre autorité et avez créé une ambiance délétère avec Mme Y.

Au cours de l’entretien du 5 octobre dernier, vous avez reconnu les faits qui vous sont reprochés tout en tentant de les minimiser en nous indiquant que vous étiez excédée par Mme Y. Ce comportement est d’autant plus inadmissible que vous n’avez même pas pris la peine de vous excuser auprès de cette dernière.

Les éléments recueillis lors de l’entretien du 5 octobre dernier ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Nous considérons qu’une telle attitude est totalement inacceptable et aurait pu justifier un licenciement pour faute grave. Ces faits sont en effet totalement incompatibles avec vos fonctions d’adjointe au responsable de magasin et avec la poursuite de toute relation contractuelle.

Néanmoins, compte tenu de votre ancienneté, nous avons décidé de vous notifier par a présente votre licenciement pour faute pour ces faits.

Nous vous dispensons de l’exécution de votre préavis d’une durée de deux mois qui court à compter de la première présentation du présent courrier. Nous vous informons par ailleurs qu’une indemnité compensatrice de préavis égale au salaire que vous auriez reçu si vous aviez exécuté celui-ci vous sera versée. (…)'.

Mme Z a saisi le conseil de prud’hommes de Louviers le 12 avril 2017 en contestation du licenciement et paiement d’indemnités.

Par jugement du 7 novembre 2017, le conseil de prud’hommes a :

— dit le licenciement de Mme Z sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Forum + à lui payer la somme de 37 384,61 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens et frais d’exécution,

— dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente juridiction et en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la société défenderesse en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné à la société Forum + de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage dans la limite de six mois d’indemnité.

La société Forum + a interjeté appel de cette décision le 1er décembre 2017.

Par conclusions remises le 4 mars 2019, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Forum + demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de dire le licenciement de Mme Z parfaitement justifié, de rejeter l’appel incident et les demandes de Mme Z tendant à faire juger que son licenciement est nul et tendant à la voir condamnée à lui verser une somme de 54 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, et à titre subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, débouter Mme Z de l’ensemble de ses demandes et, y ajoutant, la condamner à lui régler la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 6 mai 2019, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, Mme Z demande à la cour de :

— à titre principal, infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant à ce que son licenciement soit jugé nul car fondé sur son état de santé, et en conséquence dire son licenciement nul et condamner la société Forum + à lui verser la somme de 54 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

— à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, sauf à porter le montant des dommages et intérêts à la somme de 54 000 euros,

— à titre infiniment subsidiaire, confirmer en tous points le jugement,

— en tout état de cause, condamner la société Forum + à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, et dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente juridiction et en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la société défenderesse en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

A l’appui du licenciement, la société Forum + produit l’attestation de Mme Y, laquelle explique avoir entendu Mme Z parler sur elle le 9 septembre 2016, en avoir été fâchée et être donc sortie cinq minutes du magasin pour se calmer. Elle indique qu’à son retour en surface de vente, Mme Z lui ayant demandé ce qu’elle avait, elle lui a répondu en avoir marre que l’on parle sur elle et qu’à la question de savoir 'qui parlait sur elle', elle lui a répondu 'elle’ [Mme Z] ; que c’est alors que Mme Z s’est permise de l’insulter de 'pauvre conne’ à deux reprises, l’une devant elle et l’autre en s’éloignant. Elle précise en avoir parlé à son responsable, en pleurs, et lui avoir demandé s’il était possible d’en référer à la hiérarchie car elle trouvait ce comportement déplacé pour une adjointe de magasin. Elle indique s’être, après cela, permis de l’ignorer.

Si Mme Z ne conteste pas les propos tenus à l’égard de Mme Y, elle indique néanmoins que ceux-ci sont intervenus après que cette dernière ait haussé le ton et lui ait dit vulgairement qu’on 'parlait sur sa gueule'. Elle précise en outre avoir dès le lendemain tenté de s’entretenir avec Mme Y pour retirer ses propos et éviter ainsi tout climat pesant, ce que cette dernière a refusé, l’ignorant même et refusant de lui dire bonjour.

Pour autant, Mme Z ne produit aucune pièce accréditant le contexte décrit et l’employeur verse au contraire aux débats l’attestation de M. X, responsable magasin, lequel indique que Mme Y lui a demandé un entretien suite aux faits du 9 septembre car, déçue et vexée, elle souhaitait que ça n’en reste pas là et que le manager de la société soit prévenu, ce qu’il a fait. Il précise que Mme Z est également venue le voir pour lui expliquer aussi les faits mais que pour elle ce n’était rien et qu’elle ne souhaitait pas s’excuser auprès de Mme Y.

Ainsi, les faits reprochés à Mme Z au terme de la lettre de licenciement sont établis mais il convient d’apprécier si la sanction disciplinaire choisie, à savoir un licenciement pour faute, était proportionné.

A cet égard, si la qualité de responsable adjointe de Mme Z impliquait une exemplarité de sa part, notamment à l’égard de ses subordonnés, il doit néanmoins être relevé qu’il n’est pas fait état de la moindre difficulté quant à son attitude à l’égard de ses collègues ou, plus largement, dans le cadre de son travail, durant quatorze ans.

Elle produit d’ailleurs de très nombreuses attestations sur l’honneur de clients, mais aussi de quelques collègues, décrivant son professionnalisme, sa disponibilité, son dynamisme, sa gentillesse, son bon état d’esprit et son caractère agréable.

Aussi, au vu de ces éléments et du caractère particulièrement isolé des propos tenus à l’égard de Mme Y, et alors que l’employeur avait à sa disposition d’autres sanctions disciplinaires, en ce compris une éventuelle mise à pied, le licenciement apparaît disproportionné, quand bien même Mme Z a refusé de s’excuser auprès de Mme Y.

Le caractère disproportionné du licenciement étant retenu, il doit être examiné la question de la nullité du licenciement, Mme Z soutenant que la société Forum +, ayant appris qu’elle était atteinte d’une maladie génétique risquant d’entraîner de nombreux arrêts de travail, a pris prétexte de cette altercation pour la licencier, sachant qu’il l’avait remplacée dès le mois de septembre, avant même qu’elle ne soit licenciée, comme en témoigne le site Linkedin de Mme A.

La société Forum + conteste toute discrimination liée à son état de santé, expliquant n’avoir jamais

appris de M. X qu’elle serait atteinte d’une maladie génétique. A cet égard, elle relève que Mme Z n’a fait l’objet que d’un seul arrêt maladie de courte durée du 25 janvier au 7 février 2016 et qu’en aucun cas, elle n’avait été remplacée avant son licenciement, Mme A n’ayant été engagée qu’en novembre 2016.

Il ressort de l’article L.1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son état de santé.

En application des articles L. 1132-1, L.1132-4 et L. 2141-5 du code du travail, lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

A l’appui de ses prétentions, Mme Z produit l’attestation sur l’honneur de deux salariés relatant que M. X a organisé une réunion le 30 janvier 2016, alors que Mme Z était en arrêt de travail, pour les informer qu’elle avait une maladie génétique et qu’elle serait amenée à être en arrêt de travail de plus en plus souvent. Elles précisent qu’il leur a alors indiqué que Mme B deviendrait 'troisième personne'.

Néanmoins, outre qu’il n’est produit aucun élément relatif à l’état de santé de Mme Z à l’exception de l’arrêt maladie du 25 janvier au 7 février 2016, la société Forum + produit l’avis d’aptitude sans réserve émis par le médecin du travail le 26 juillet 2016.

En outre, il ressort tant du contrat de travail de Mme A que de la déclaration préalable à l’embauche et du registre unique du personnel que celle-ci n’a été engagée que le 6 décembre 2016, avec des démarches débutées fin novembre, et non en septembre 2016 comme le soutient Mme Z sur la seule foi d’une page Linkedin.

Aussi, et alors qu’il a été retenu que les faits reprochés à Mme Z dans la lettre de licenciement étaient non seulement établis mais qu’ils justifiaient en outre une sanction disciplinaire, la seule connaissance d’une possible maladie de Mme Z au mois de janvier ne permet pas de retenir un lien entre cette maladie et le licenciement intervenu neuf mois plus tard après un seul arrêt maladie de courte durée et un avis d’aptitude sans réserve délivré trois mois avant, étant précisé que toutes les démarches relatives au recrutement de Mme A sont postérieures au licenciement de Mme Z.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement n’était pas nul, mais sans cause réelle et sérieuse.

Conformément à l’article L. 1235-3 du code du travail, au regard de l’ancienneté de Mme Z et alors qu’elle justifie de la perception d’allocations chômage avant d’avoir bénéficié d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel en juin 2017, qui a pris fin en septembre 2017, conduisant à l’alternance de périodes de chômage et de contrats à durée déterminée à temps partiel, il convient de lui allouer la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, infirmant le jugement sur le montant alloué.

Sur le remboursement des indemnités Pôle emploi

Conformément à l’article L 1235-4 du code du travail, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné à la société Forum + de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme Z du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Forum + aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme Z la somme de 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement sur le montant des dommages et intérêts alloués ;

Condamne la SAS Forum + à payer à Mme C Z la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Le confirme pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne la SAS Forum + à payer à Mme C Z la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SAS Forum + de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Forum + aux entiers dépens.

La greffière La présidente

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