Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 1, 24 septembre 2021, n° 19/03534

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Chronologie de l’affaire

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Blandine Gruau · Actualités du Droit · 28 septembre 2021
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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 24 sept. 2021, n° 19/03534
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 19/03534
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Toulouse, 19 juin 2019, N° F17/02070
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

24/09/2021

ARRÊT N° 2021/449

N° RG 19/03534 – N° Portalis DBVI-V-B7D-NDVT

NB/PG

Décision déférée du 20 Juin 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( F 17/02070)

SECTION COMMERCE CHAMBRE 2

Y X

C/

SAS DOUMEN

INFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4e Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN

***

APPELANT

Monsieur Y X

[…]

[…]

Représenté par Me Karim CHEBBANI de la SELARL CABINET CHEBBANI, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE

SAS DOUMEN

[…]

[…]

Représentée par Me Ingrid CANTALOUBE-FERRIEU, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

Représentée par Me Pascal BABY, avocat au barreau de TOULOUSE (plaidant)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Juin 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUMÉ, présidente

C. KHAZNADAR, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par S. BLUMÉ, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre

FAITS 'PROCÉDURE ' PRÉTENTIONS DES PARTIES:

M. Y X a été engagé à compter du 30 avril 2012 par la société de transport Doumen, qui exploite une activité de transport routier de marchandises en qualité de chauffeur SPL par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet régi par la convention collective nationale des transports routiers.

Le 31 mai 2015, le salarié a été victime d’un accident de trajet, pris en charge par la Cpam de la Haute-Garonne au titre de la législation professionnelle suivant décision notifiée au salarié le 1er septembre 2015.

Le 9 juillet 2015, il a été victime d’un accident du travail : alors qu’il utilisait la transpalette pour déchargement du camion, une roue du transpalette s’est défaite et a provoqué la chute du conducteur.

Au terme d’une deuxième visite de reprise qui a eu lieu le 23 novembre 2015, le médecin du travail a déclaré le salarié 'inapte au poste de chauffeur livreur. Ne doit pas porter de charges lourdes ou répétées. Ne doit pas effectuer d’efforts de poussée ou tirée des palettes. Apte à un poste de conduite pure.'

La société Doumen a consulté les délégués du personnel le 25 novembre 2015 sur les propositions de reclassement du salarié et a adressé à ce dernier, le 26 novembre 2015, une liste de postes de reclassement éventuel sur des postes de conducteur routier zone courte, conducteur routier zone longue et conducteur container sur les villes de Saint Loubès et de Boulazac.

Le médecin du travail, consulté sur les propositions soumises par l’employeur, a indiqué le 2 décembre 2015 que M. X pouvait occuper les postes de 'conducteur routier zone longue’ et 'conducteur container’ ; qu’il peut également bénéficier d’une formation. Selon l’employeur, M. X a refusé les postes proposés qui lui ont été représentés oralement lors de l’entretien préalable.

Par courrier du 26 novembre 2015, la société Doumen a convoqué M. X à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 décembre 2015.

Son licenciement a été notifié au salarié a été licencié par lettre recommandée du 17 décembre 2015 pour inaptitude définitive à son poste et impossibilité de reclassement.

***

Le 5 décembre 2017, M. Y X a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse, section commerce, pour contester son licenciement.

Par jugement du 20 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Toulouse a :

— dit que le licenciement du salarié reposait sur une cause réelle et sérieuse,

— dit que la société Doumen n’avait pas fait preuve de résistance abusive pour le versement des indemnités d’origine professionnelle,

— débouté le salarié de l’intégralité de ses demandes,

— dit n’y avoir lieu à indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné le salarié aux dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 25 juillet 2019, M. Y X a interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 25 juin 2019

***

Par ses dernières conclusions du 25 octobre 2019, auxquelles la cour se réfère expressément, M. Y X demande à la cour de :

— réformer le jugement entrepris,

— statuant à nouveau, dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la déloyauté manifeste de la procédure de recherche de reclassement,

— condamner la société Doumen à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

— dire que la société Doumen a fait preuve d’une résistance abusive s’agissant du versement des indemnités propres aux inaptitudes d’origine professionnelle,

— condamner la société Doumen à lui verser 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

— condamner la société Doumen à lui verser 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Doumen aux entiers dépens.

Il fait valoir, pour l’essentiel, que l’employeur, qui a engagé la procédure de licenciement moins de trois jours après l’inaptitude définitive, a mené de manière déloyale et rapide ses recherches de reclassement ; que dans la correspondance adressée au salarié le 26 novembre 2015 dans laquelle la

société faisait état de postes disponibles, elle ne lui demandait pas de se positionner sur l’un de ces postes, aucune précision n’étant apportée sur les horaires de travail, la rémunération ou les contraintes afférentes à ces postes ; que ce n’est qu’à la lecture de la lettre de licenciement qu’il a appris que ces postes, qu’il conteste avoir refusés, étaient compatibles avec son état de santé ; que la production par la société employeur de son registre d’entrée et de sortie de personnel en novembre et décembre 2015, n’est pas exploitable et ne permet pas de déterminer si un poste était disponible au sein de l’entreprise ; que la société Doumen, qui fait partie d’un groupe, lequel dispose de 6 agences en France et de trois filiales, n’a effectué aucune recherche de reclassement au sein du groupe ; que sa conduite s’est avérée déloyale, la société ayant attendu prés de huit mois pour verser au salarié les indemnités auxquelles il avait droit du fait de son inaptitude d’origine professionnelle, ce qui a causé à M. X un préjudice spécifique.

***

Par ses dernières conclusions du 23 janvier 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, la SAS Doumen demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, de débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient qu’elle a poursuivi ses recherches de reclassement après l’engagement de la procédure de licenciement ; que les deux postes de conducteur routier zone longue et de conducteur container que le médecin du travail a déclarés adaptés aux capacités de M. X lui ont été proposés oralement lors de l’entretien préalable et refusés par le salarié ; que la société a néanmoins attendu dix jours pour notifier au salarié la décision de licenciement, afin de lui permettre de continuer à réfléchir à sa double proposition ; qu’aucun autre poste n’était disponible dans l’entreprise, ni au sein du groupe ; que le versement des indemnités de rupture n’est pas tardif, l’employeur ayant attendu que la Cpam de la Haute-Garonne se positionne sur l’existence d’un lien entre l’inaptitude prononcée par le médecin du travail et l’accident de trajet travail du 31 mai 2015 ; que la décision de la commission de recours amiable, dont elle ignorait la saisine par le salarié, ne lui a été communiquée que plus de sept mois après le licenciement.

***

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 28 mai 2021.

***

MOTIFS DE LA DECISION :

- Sur les recherches de reclassement:

Selon l’article L.1226-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable au licenciement, 'lorsque, à l’issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi adapté à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation destinée à lui proposer un poste adapté.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptation ou transformation de postes ou aménagement du temps de travail.'

Selon l’article L. 1226-12 du même code, 'lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement.'

L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions.

Il appartient à l’employeur, qui peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte, de justifier qu’il n’a pu, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail, le reclasser dans un emploi approprié à ses capacités au terme d’une recherche sérieuse. Il s’agit là d’une véritable obligation de recherche de reclassement pour l’employeur, qui est tenu de prendre en considération les propositions du médecin du travail, au besoin en les sollicitant, et qui doit apporter la preuve qu’il s’est trouvé réellement dans l’impossibilité de reclasser le salarié dans un poste adapté à ses capacités et qu’il a mis en oeuvre tous les moyens pertinents pour tenter de remplir son obligation, faute de quoi le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Sur le périmètre de l’obligation de reclassement, il convient de rappeler que les possibilités de reclassement doivent être recherchées non seulement dans l’entreprise stricto sensu, mais aussi dans le cadre du groupe auquel appartient l’employeur, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation autorisent la permutation de tout ou partie du personnel.

Il résulte en l’espèce des éléments de la procédure que :

— le médecin du travail a émis le 23 novembre 2015, un avis d’inaptitude précisant que si le salarié est inapte au poste de chauffeur livreur et ne doit pas porter de charges lourdes et répétées, et ne doit pas effectuer d’efforts de poussée ou tirée des palettes, il est apte à un poste de conduite pure.

— dès le surlendemain, le 25 novembre 2015, l’employeur a consulté les délégués du personnel sur les propositions de reclassement pouvant être faites au salarié (4 propositions), sans avoir consulté préalablement le médecin du travail qui a été interrogé par courrier du même jour ;

— le 26 novembre 2015, l’employeur a indiqué au salarié la liste des postes disponibles qu’il soumettait à l’avis du médecin du travail ;

— le même jour, il a engagé la procédure de licenciement, tout en poursuivant des recherches de reclassement auprès d’autres sociétés du groupe et de membres de la profession (pièces 12 à 20 de l’employeur).

— le 2 décembre 2015, le médecin du travail a émis un avis favorable aux postes de conducteur routier zone longue et de conducteur container, en précisant que le salarié pouvait bénéficier d’une formation.

Les dispositions de l’article L. 1226-12 du code du travail n’exigent pas que les propositions de reclassement effectuées par l’employeur revêtent la forme d’un écrit ; elles ne prohibent pas la formulation de telles propositions lors de l’entretien préalable.

En l’absence toutefois de compte rendu d’entretien préalable, la preuve n’est pas rapportée que des propositions précises concernant ces deux postes aient été faites au salarié, ni qu’il les ait refusées.

Force est en outre de constater que l’employeur a réuni les délégués du personnel pour recueillir leur avis avant même de soumettre au médecin du travail la liste des postes susceptibles d’être proposés au salarié, et donc sans réponse du médecin du travail sur la compatibilité de ces postes avec les aptitudes du salarié ; ce faisant, il a agi dans la précipitation et n’a pas procédé à une consultation utile et loyale des délégués du personnel.

La preuve de cette précipitation est en outre rapportée par le fait que la société Doumen a interrogé Pôle Emploi dès le 26 novembre 2015, en lui indiquant qu’elle était dans l’impossibilité de reclasser actuellement M. X, mais que voulant aider le salarié dans sa future recherche d’emploi, elle souhaitait avoir communication des offres d’emploi en sa possession correspondant aux aptitudes du salarié.

Il convient de déduire de l’ensemble des observations qui précèdent que si la société Doumen a procédé à des recherches de reclassement, celles ci n’ont pas été loyales, de sorte que le licenciement de M. Y X doit, par infirmation du jugement déféré, être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Sur les conséquences du défaut de reclassement :

Le défaut de reclassement en matière d’inaptitude d’origine professionnelle ouvre droit, aux termes de l’article L. 1226-15 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2017, à une indemnité qui ne peut être inférieure à 12 mois de salaire. Elle se cumule avec l’indemnité compensatrice et, le cas échéant, l’indemnité spéciale de licenciement prévues à l’article L. 1226-14.

M. Y X sollicite l’allocation d’une somme de 20 000 euros, à laquelle il convient de faire droit.

- Sur le versement tardif de l’indemnité spéciale:

Le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude le 23 novembre 2015, précisant que celui-ci est susceptible d’être en lien avec l’accident du 31 mai 2015, lequel a été pris en charge par la Cpam de la Haute-Garonne au titre de la législation professionnelle. La société Doumen, qui a consulté les délégués du personnel sur les perspectives de reclassement du salarié, avait connaissance du caractère professionnel de l’inaptitude. Dés lors, le retard pris par la société employeur pour verser au salarié le doublement de l’indemnité spéciale prévue à l’article L. 1226-14 du code du travail a causé à M. X un préjudice qu’il convient de réparer par la condamnation de l’employeur à lui payer une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.

- Sur les demandes annexes :

La société Doumen, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

M. Y X est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l’occasion de la procédure. La société sera condamnée à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Toulouse le 20 juin 2019.

Et, statuant de nouveau :

Dit que la société Doumen n’a pas procédé à une recherche loyale de reclassement, ce qui a pour effet de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Doumen à payer à M. Y X les sommes suivantes:

—  20 000 euros à titre d’indemnité pour absence de recherche loyale de reclassement ;

—  1 000 euros en raison du règlement tardif par la société de l’indemnité spéciale de l’article L. 1226-14 du code du travail.

Y ajoutant :

Condamne la société Doumen aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Condamne la société Doumen à payer à M. Y X une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La déboute de sa demande formée à ce même titre.

Le présent arrêt a été signé par S. BLUMÉ, présidente, et par C. DELVER, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

C. DELVER S. BLUMÉ.

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