Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 14 octobre 2021, n° 20/01732

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 3e ch., 14 oct. 2021, n° 20/01732
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 20/01732
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Nanterre, 26 février 2020, N° 18/07692
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 50F

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 OCTOBRE 2021

N° RG 20/01732

N° Portalis DBV3-V-B7E-T2GO

AFFAIRE :

SAS BOUYGUES IMMOBILIER

C/

A X

….

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Février 2020 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE

N° Chambre : 7

N° RG : 18/07692

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS

Me Claire RICARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SAS BOUYGUES IMMOBILIER

[…]

[…]

[…]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2063578

Représentant : Me Emmanuelle MORVAN de l’AARPI FRECHE ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R211

APPELANTE

****************

1/ Monsieur A X

[…]

[…]

2/ Monsieur D Y-C

[…]

[…]

Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2201006

Représentant : Me Geoffrey DONAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0174

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 24 Juin 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Françoise BAZET, Conseiller et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 17 novembre 2014, la société Bouygues Immobilier a vendu en l’état futur d’achèvement à M. D Y C et M. A X un appartement situé au 7e étage et une place de stationnement en sous-sol du bâtiment B2 dans un ensemble immobilier dénommé 'Aktuel’ composé de cinq bâtiments (A1, A2, B1, B2 et […], sis à Vitry-sur-Seine (Val de Marne), rue du Moulin Vert pour un prix de 280 000 euros TTC.

Le délai de livraison de leur bien était fixé au plus tard au 3e trimestre de l’année 2015.

Selon contrat du 23 décembre 2014, la société Bouygues Immobilier s’est engagée à réserver à l’organisme de logement social société anonyme d’habitation à loyer modéré Sogemac Habitat l’intégralité des lots des bâtiments B1 et A1 soit 53 logements sur les 144 que compte l’ensemble immobilier.

La société Sogemac Habitat est devenue propriétaire de ces logements par acte authentique du 28 juillet 2015.

L’ensemble immobilier a été soumis au statut de la copropriété et un syndicat des copropriétaires a été constitué.

Par courrier du 25 septembre 2015, M. X et M. Y C se sont plaints auprès de la société Bouygues Immobilier d’un retard de livraison et de ne pas avoir été informés avant l’acquisition de leur bien qu’il était envisagé de réserver une partie des bâtiments de la copropriété à l’habitation sociale. Ils sollicitaient une indemnisation de leur préjudice à définir amiablement.

M. X et M. Y C ont finalement pris possession de leur appartement le 30 novembre 2015 avec réserves.

Le 18 mars 2016, ils ont adressé à la société Bouygues Immobilier un nouveau courrier la mettant en demeure de trouver une issue amiable à leur différend.

Par courrier du 11 mars 2016, la société Bouygues Immobilier a contesté être redevable envers les demandeurs d’une obligation d’information concernant la présence de logements sociaux dans la copropriété et invoqué des causes de suspension légitimes du délai de livraison.

En dépit de nouveaux échanges de correspondances, les parties n’ont pas trouvé d’accord.

M. X et M. Y C ont finalement, par l’intermédiaire de leur conseil, adressé à la société Bouygues Immobilier une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception la mettant en demeure de leur payer une somme de 6 100 euros au titre des pénalités de retard et de les indemniser pour le manquement à son obligation d’information.

Par acte délivré le 9 mai 2018, M. X et M. Y-C ont assigné la société Bouygues Immobilier devant le tribunal de grande instance de Nanterre en indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement du 27 février 2020, la juridiction a :

— débouté M. X et M. Y-C de leur demande de révocation de l’ordonnance de clôture du 16 décembre 2019 et, en conséquence,

— rejeté les conclusions de M. X et M. Y-C signifiées le 18 décembre 2019 ainsi que la pièce n°40 'relevé décembre 2015' figurant au bordereau leur étant annexé,

— dit la société Bouygues Immobilier irrecevable en son exception de nullité.

Et au fond :

— condamné la société Bouygues Immobilier à payer à M. X et M. Y-C les sommes de :

—  42 000 euros en indemnisation de la perte de chance d’acquérir leur bien à un prix moindre,

—  4 090,74 euros en indemnisation du retard de livraison,

—  3 000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles,

— condamné la société Bouygues Immobilier aux dépens de l’instance,

— ordonné l’exécution provisoire.

Par acte du 17 mars 2020, la société Bouygues Immobilier a interjeté appel de cette décision, et, aux termes de conclusions du 16 juin 2021, demande à la cour de :

Sur la demande indemnitaire liée à la présence de logements sociaux :

— constater que les consorts X/Y ont signé leur acte de Vefa antérieurement au contrat de réservation et à la Vefa consentis à la société Sogemac Habitat,

— juger que la présence de logements sociaux dans une résidence à usage d’habitation ne fait pas partie du périmètre de l’obligation d’information du vendeur en l’état futur d’achèvement,

— juger que la société Bouygues Immobilier n’a commis aucun manquement à ses obligations,

— juger que le préjudice de perte de chance allégué par les 'demandeurs’ n’est établi ni dans son principe, ni dans son quantum.

En conséquence :

— infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a retenu :

— un manquement de la société Bouygues Immobilier à son obligation précontractuelle,

— l’existence d’un préjudice et alloué aux consorts X/ Y une indemnité égale à 15 % du prix d’acquisition de leur bien, soit la somme de 42 000 euros.

Statuant à nouveau :

— débouter les consorts X/ Y de leur demande indemnitaire.

Sur la demande indemnitaire liée à un retard de livraison :

— donner acte à la société Bouygues Immobilier de ce qu’elle s’en rapporte à justice sur le principe de cette demande,

— juger que le préjudice allégué par les consorts X/Y n’est pas justifié dans son quantum.

En conséquence :

— infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a alloué aux consorts X/Y la somme de 4 090,74 euros.

Statuant à nouveau :

— débouter les consorts X/ Y de leur demande indemnitaire ou la ramener à de plus justes proportions.

En tout état de cause :

— infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

— débouter les consorts X/ Y de leurs demandes, fins et conclusions,

— condamner les consorts X/Y à verser à la société Bouygues Immobilier une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner les intimés aux entiers dépens de première instance et d’appel avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 14 juin 2021, M. X et M. Y-C demandent à la cour de :

— confirmer le jugement attaqué.

En conséquence :

— débouter la société Bouygues Immobilier de toutes ses demandes,

— condamner la société Bouygues Immobilier à payer à MM X et Y-C la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 juin 2021.

SUR QUOI

Sur le dol et l’obligation d’information

Le tribunal a rappelé qu’il n’était pas contesté que la société Bouygues Immobilier n’avait fourni aucune information aux consorts X-Y, avant qu’ils n’acquièrent leur appartement, sur la possible affectation d’une partie des lots de la copropriété à un habitat social.

Il a constaté que si, au 17 novembre 2014 date de conclusion de la vente au profit des demandeurs, aucun accord n’était encore intervenu entre la société Bouygues Immobilier et la société Sogemac Habitat, il était néanmoins certain que compte tenu de l’ampleur de cette acquisition, la société Bouygues Immobilier et la société Sogemac étaient déjà en relation depuis plusieurs mois lorsqu’elles ont signé le contrat de réservation le 23 décembre 2014.

Il a considéré que, sans trahir les pourparlers qu’elle avait engagés avec la société Sogemac, la société Bouygues Immobilier était donc parfaitement en mesure d’informer dès avant la vente MM. X et Y-C qu’une partie de la copropriété était susceptible d’être occupée par des logements sociaux et de mentionner cette possibilité dans la notice descriptive. Il a indiqué que la société Bouygues Immobilier ne pouvait nier qu’une telle information relative au mode d’occupation d’une copropriété était essentielle pour de futurs acquéreurs alors qu’elle avait elle-même pris l’initiative d’indiquer dans la notice descriptive que la résidence ne serait habitable que par l’accession en propriété et qu’elle a contractualisé cette information en joignant ladite notice au contrat de vente signé le 17 novembre 2014.

Le tribunal a noté qu’après signature du contrat de vente au profit de la société Sogemac Habitat en juillet 2015, le projet d’acte de vente établi à destination du futur acquéreur d’un lot dans ce même ensemble immobilier avait été modifié par le notaire qui y avait inséré la mention selon laquelle « l’acquéreur reconnaît avoir été informé préalablement aux présentes par le vendeur de ce qu’ont été vendus à un bailleur social : le bâtiment B1 pour du logement social ainsi que douze logement du bâtiment A pour du logement intermédiaire ».

Il a jugé que cette modification apportée à l’acte démontrait l’importance que pouvait revêtir une telle information pour une personne souhaitant acquérir un appartement dans un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété, et qu’il était ainsi démontré que la société Bouygues Immobilier était tenue sur ce point d’une obligation d’information précontractuelle à l’égard des acquéreurs. Estimant que la société Bouygues Immobilier n’y avait pas satisfait, il a considéré qu’elle avait commis une faute, mais a écarté toute réticence dolosive.

Les premiers juges ont considéré qu’il était certain que la présence de logements sociaux dans un ensemble immobilier entraînait une perte d’attractivité des appartements en accession privée se trouvant dans cette même copropriété et que la réticence des acquéreurs potentiels de tels biens se traduirait nécessairement sur le marché immobilier par une perte de valeur de ceux-ci.

Il a jugé que privés de l’information selon laquelle une partie de la copropriété était susceptible d’être affectée à l’habitat social, les consorts X-Y avaient perdu la chance de contracter à des conditions plus avantageuses et qu’ainsi leur préjudice était établi.

La société Bouygues Immobilier conteste avoir manqué à ses obligations.

Les intimés développent le même argumentaire que devant les premiers juges s’agissant du dol qu’aurait commis la société Bouygues en leur dissimulant sciemment la présence de logements sociaux au sein de la copropriété ou, subsidiairement, en manquant à son devoir d’information et de

conseil précontractuel.

Ils indiquent que, contrairement à ce que soutient l’appelante, la présence de logements sociaux a une incidence directe sur le confort et l’entretien de l’immeuble, rappelant qu’en effet, par courrier recommandé du 26 janvier 2017, ils avaient déjà alerté la société Bouygues Immobilier sur l’incidence directe et rapide de logements sociaux dans la résidence:

— 'apparition de cafards,

— désordre visuel depuis leurs balcons ou terrasses sont constatées ;

— odeurs insupportables et désordres dans les locaux de poubelles du A1 et du B1 ;

— appliques cassées dans les entrées ;

— gasoil répandu dans les places de parkings des logements sociaux’ .

Ils considèrent que lorsque la société Bouygues Immobilier prétend, pour les seuls besoins de la cause, que la présence de logement sociaux n’a pas d’incidence sur le confort et l’entretien de la résidence, celle-ci perd tout crédit. Ils écrivent ainsi : 'Est-il besoin de rappeler que beaucoup de communes de France ont refusé de construire des logements sociaux, malgré les quotas légaux, parce que les habitants et riverains se plaignent des nuisances et des nombreuses incivilités commises par les locataires sociaux ' Nier le fait que les locataires sociaux sont source de beaucoup d’incivilités et de nuisances est nier la réalité.'

Ils signalent que leur vue est gâchée par le désordre qui règne sur les balcons du bâtiment B propriété de la Sogemac et posent cette question : 'les dirigeants de la société Bouygues Immobilier aimeraient-ils vivre dans le même environnement ' Certainement pas !'

Ils ajoutent que le règlement de copropriété n’est pas respecté par les occupants des logements sociaux et que la Sogemac ne se soucie pas de le faire respecter, se contentant d’encaisser les loyers.

***

Le 26 janvier 2014, MM. X et Y-C d’une part et la société Bouygues Immobilier d’autre part ont signé un contrat de réservation pour un appartement sis dans un ensemble immobilier en construction à Vitry sur Seine, la résidence Aktuel.

Le contrat de réservation signé par les intimés stipulait en son article I.2 que « la consistance et les caractéristiques techniques de l’immeuble à édifier résultent d’une notice descriptive qui restera annexée au présent contrat après avoir été signée par les parties ».

Cette notice descriptive indiquait à titre liminaire avoir pour objet « de définir les conditions techniques et les prestations suivant lesquelles sera réalisée la résidence en accession à la propriété ».

Le tribunal a considéré que cette notion d’accession à la propriété signifiait que l’ensemble immobilier était réservé à un habitat 'privé excluant a priori tout autre mode d’occupation tel que le logement social'.

La cour ne partage pas cette analyse.

Ainsi que l’observe à raison l’appelante, ce raisonnement revient à considérer que les organismes HLM ne peuvent pas accéder à la propriété ; or, qu’il soit public ou privé, un organisme HLM peut à l’évidence se porter acquéreur d’un ou plusieurs biens au sein d’un programme vendu en VEFA par un promoteur.

L’appelante précise à raison que le secteur dit 'social’ est à opposer au secteur dit 'libre', et la notion de privé est à opposer à celle de public.

Or, la notice descriptive ne précise pas si la résidence est en accession libre et/ou en accession sociale à la propriété.

En conséquence, la simple précision dans la notice descriptive de la mention 'en accession à la propriété’ :

— n’engageait pas la société Bouygues Immobilier sur la destination libre ou sociale des logements vendus en VEFA ;

— n’interdisait pas à la société Bouygues Immobilier de vendre des logements de la résidence à un organisme d’HLM, qu’il soit public ou privé.

— n’obligeait pas la société Bouygues Immobilier à vendre à des propriétaires personnes privées exclusivement.

Il sera ajouté que quand bien même les appartements ne seraient acquis que par des personnes privées, rien ne leur interdirait ensuite de louer le bien, en sorte qu’aucune garantie n’avait été donnée aux intimés de ce qu’ils ne seraient entourés que d’occupants propriétaires.

Ainsi il ne peut être considéré que la société Bouygues Immobilier ait donné une information tronquée aux acquéreurs dans le cadre des documents contractuels.

Selon les intimés, la société Bouygues a violé les termes de sa plaquette publicitaire qui faisait état d’un environnement pavillonnaire et d’un havre de paix, et dont le message était donc clair et explicite : 'achetez ici et vous vivrez dans un environnement de propriétaires !'. Ils considèrent qu’en aucun cas le message publicitaire ne reposait sur la mixité sociale de la résidence ou de l’environnement.

Toutefois, aucun des termes de la plaquette commerciale ne laisse entendre que la résidence ne compterait aucun locataire, et il est pour le moins infondé de suggérer que la présence de locataires serait incompatible avec un environnement paisible, sachant que s’agissant d’immeuble destiné à l’habitation, le vendeur ne saurait garantir les modalités d’occupation des lots dans un ensemble organisé en copropriété soumis aux dispositions de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 qui reconnaît à chaque copropriétaire le droit de disposer des parties privatives et des parties communes sous réserve de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.

Il n’y a donc pas de tentative de dissimulation, ni de manquement à l’obligation d’information pré-contractuelle dans la publicité faite autour de ce programme immobilier.

Les intimés soutiennent que la stratégie de la société Bouygues a été de mettre d’abord sur le marché uniquement les 2/3 des logements, puis de rentrer en négociation avec le bailleur social pour le tiers

restant, ce qui lui a permis de vendre au prix fort les 2/3 de son programme pour, par la suite, céder le 1/3 restant (jamais mis en vente auprès des personnes physiques) à un bailleur social.

Il s’agit là d’allégations, étant observé que les intimés ont réservé leur bien le 26 janvier 2014, qu’ils ont signé l’acte de vente le 17 novembre 2014, et que ce n’est que le 23 décembre 2014 que la société Sogemac a signé un contrat de réservation portant sur 53 logements: 12 logements intermédiaires et 41 logements sociaux. De plus ce contrat de réservation était soumis à plusieurs conditions suspensives eu égard à la complexité du financement de l’achat, conditionné par l’obtention de diverses subventions publiques. Le délai de réalisation des conditions était d’ailleurs fixé au 30 septembre 2015,en sorte que la réservation du 23 décembre 2014 restait empreinte d’un certain aléa pendant de nombreux mois. La vente par la Sogemac est finalement intervenue le 28 juillet 2015.

Il apparaît ainsi qu’il n’y avait aucune certitude de ce que, sur un total de 144 logements, il y aurait 12 logements intermédiaires (bâtiment A1) et 41 logements sociaux (bâtiment B1), lorsque les intimés ont réservé et acquis leur bien, en sorte qu’aucune manoeuvre ou réticence dolosive de la part du constructeur n’est démontrée.

Le fait que la société Bouygues ait fait informer un réservataire, M. Le, le 4 novembre 2015 par l’étude de notaires, de ce qu’un paragraphe serait ajouté à son acte d’achat mentionnant qu’il avait été informé de la vente à un bailleur social du bâtiment B1 pour le logement social ainsi que de 12 logements du bâtiment A1 pour du logement intermédiaire, ne prouve pas que l’appelante avait conscience de la pertinence de cette information. Il s’agissait en effet, sachant qu’elle avait vendu des lots à la Sogemac le 28 juillet 2015, d’une mesure de précaution qu’elle a prise eu égard aux protestations déjà formulées par les consorts X-Y par courrier du 25 septembre 2015 et dans le souci d’éviter un autre litige.

La société Bouygues Immobilier conteste que la présence de logements sociaux affecte les conditions de jouissance de la résidence ou ait une incidence sur le prix d’acquisition des autres logements ou sur la valeur vénale des appartements.

Comme l’a fort justement observé le tribunal sur ce point :

M. X et M. Y-C ne démontrent pas que la présence de logements sociaux serait à l’origine de nuisances, d’incivilités et de dégradations particulières des locaux. Les plaintes adressées par divers copropriétaires au conseil syndical quant à la mauvaise tenue du local poubelles, l’organisation d’un barbecue sur la terrasse d’un appartement, la présence d’un réfrigérateur sur une terrasse, l’existence d’une fuite de gasoil provenant d’une voiture stationnée sur le parking de la résidence qui sont des désagréments relativement fréquents voire pour certains normaux dans un immeuble collectif, ne permettent pas d’en justifier. De même, ils n’apportent pas la preuve que la présence d’un bailleur social au sein d’une copropriété porterait spécifiquement atteinte au bon fonctionnement de celle-ci. Certes, celui-ci détient le plus grand nombre de voix au sein de l’assemblée générale (3.563/10 000), ce nombre de voix étant proportionnel à la quote-part des parties communes dont il est copropriétaire au sein de l’ensemble immobilier. Néanmoins, cette circonstance n’est pas propre au bailleur social mais est susceptible de concerner tout propriétaire détenteur d’un nombre de logements importants au sein d’une copropriété. Les consorts X-Y-C ne démontrent pas que le bailleur social profiterait de cette situation pour prendre des décisions qui lui sont systématiquement favorables, ce au détriment des autres copropriétaires. Les désaccords entre les copropriétaires pouvant survenir lors des assemblées générales participent en effet du fonctionnement habituel d’une copropriété où les décisions se prennent à la majorité ou à l’unanimité des voix.

A ce titre, l’installation de lecteurs de badges magnétiques Vigik dans l’ascenseur du bâtiment B1 votée notamment par la société Sogemac Habitat et à laquelle se sont opposés les intimés ne démontre pas d’un dysfonctionnement de la copropriété imputable à la présence du bailleur social.

A hauteur d’appel, les intimés ne produisent aucun élément nouveau utile susceptible d’accréditer leurs dires selon lesquels ils vivraient dans un environnement dégradé du seul fait de la présence de logements sociaux.

Il convient au surplus de rappeler que les intimés occupent un bâtiment dans lequel ne se trouve aucun logement social.

S’agissant de la perte de valeur vénale qu’ils disent subir compte tenu de la présence de logements sociaux, elle n’est pas étayée par le moindre élément probant.

Les photographies des bureaux de vente de trois autres programmes immobiliers situés à proximité de la résidence Aktuel, proposant des logements en accession libre à la propriété et des logements en accession sociale à la propriété, sur lesquels on aperçoit des panneaux d’affichage annonçant les prix de vente des biens ne prouvent rien, puisqu’il n’est pas démontré que ces programmes :

— aient offert des prestations équivalentes à celles du programme Aktuel,

— aient proposé des biens équivalents en tous points à celui des intimés, à un prix plus attractif

— aient proposé des prix inférieurs au prix du marché, du seul fait de la présence de logements sociaux.

Il apparaît ainsi que les intimés ne prouvent pas l’existence du préjudice qu’ils invoquent.

Le jugement sera donc infirmé, les demandes des consorts X-Y devant être rejetées, le manquement reproché à la société Bouygues n’étant pas établi, pas plus que le préjudice qui en serait résulté.

Sur le retard de livraison

L’appelante indique que sur le principe, elle maintient que des intempéries ont entraîné un report de la date de livraison, mais s’en remet sur ce point à l’appréciation de la cour. Elle considère que la somme allouée aux intimés en réparation de ce retard est excessive eu égard aux justificatifs produits.

L’acte authentique de vente du 17 novembre 2014 prévoyait une livraison des appartements au plus tard au 3e trimestre 2015 sauf survenance d’un cas de force majeure ou de suspension du délai de livraison tel que les intempéries et phénomènes climatiques retenus par le maître d’oeuvre et justifiés par les relevés de la station météorologique la plus proche du chantier. Il précisait que pour l’appréciation de ce type d’événements, « les parties, d’un commun accord, déclarent s’en rapporter dès à présent à un certificat établi par le maître d’oeuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité, auquel seront jointes, le cas échéant les justifications convenues ci-dessus ».

Les intimés ont pris possession de leur appartement le 30 novembre 2015 soit avec deux mois de retard.

Pour justifier du report de livraison, la société Bouygues Immobilier produit aux débats deux déclarations d’intempéries de la société IL Ingénierie, pilote du chantier titulaire d’une mission OPC (ordonnancement, pilotage et coordination) aux termes desquelles celle-ci retient, relevés météorologiques à l’appui, 46 jours d’intempéries du mois de septembre 2013 au mois de septembre 2014.

Le tribunal a jugé que ces jours d’intempéries survenus antérieurement à la signature de l’acte de vente ne pouvaient justifier du retard de livraison et qu’il appartenait à la société Bouygues Immobilier d’en tirer toutes conséquences sur le délai d’achèvement du bien lors de la conclusion de la vente.

C’est à raison que les premiers juges ont considéré que le retard de livraison était établi et non justifié.

Les consorts X-Y ont été informés par courrier du 1er septembre 2015 que la livraison interviendrait au cours du mois de décembre 2015, sans plus de précision. Ils ont donc légitimement donné, le 14 septembre 2015, leur préavis pour quitter leur appartement au 31 décembre 2015.

Il n’est pas sérieusement discutable que les intimés sont bien fondés à obtenir le paiement des trois mois de loyer d’octobre à décembre inclus, étant observé que la production des trois quittances suffit à prouver qu’ils ont bien payé ces loyers.

C’est donc à raison que les premiers juges ont retenu de ce chef une somme de 1796,58 euros (3 x 598,86 euros).

Par ailleurs, les consorts X-Y réclament une indemnisation d’un montant de 2 294,16 euros au titre du préjudice de jouissance subi, n’ayant pu bénéficier durant cette même période (octobre à décembre 2015) de leur appartement d’une surface très supérieure (65 m²) à celle de leur ancien logement (21m²).

Ils s’appuient pour ce faire sur une valeur locative mensuelle justifiée par deux estimations d’agences immobilières à hauteur de 1 130 euros en moyenne pour en déduire une valeur au m² de 17, 38 euros et par conséquent une perte de jouissance de 2 294, 16 euros soit ((65 m2-21 m²) x 17, 38) x 3 mois.

Le tribunal a jugé que ce préjudice était établi tant dans son principe que dans son quantum.

S’il est exact que les appelants ont dû rester trois mois de plus dans un logement très petit (21m²) avant de pouvoir emménager dans un appartement bien plus spacieux de 65 m², ce préjudice ne saurait être évalué sur la base du prix du loyer et du nombre de m².

Une somme de 500 euros apparaît suffisante pour indemniser le désagrément subi.

Le jugement sera infirmé de ce chef, seule la somme de 2 296,58 euros devant leur être allouée au titre du préjudice résultant du retard de livraison.

Succombant à titre principal, les consorts X-Y seront condamnés aux dépens de première instance et d’appel. Le jugement sera infirmé de ce chef et en ce qu’il a condamné la société Bouygues Immobilier à leur verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour des considérations d’équité, la demande de la société Bouygues Immobilier au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, dans les limites de l’appel ;

Infirme le jugement.

Statuant à nouveau :

Rejette la demande de MM. Z et Y-C fondée sur un dol ou sur un manquement de la société Bouygues Immobilier au devoir d’information et de conseil.

Condamne la société Bouygues Immobilier à payer à MM Z et Y-C la somme de 2 296,58 euros à titre d’indemnisation du chef du retard dans la livraison du bien.

Rejette toutes les autres demandes de MM. Z et Y-C.

Rejette la demande formée par la société Bouygues Immobilier au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne MM. Z et Y-C aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

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