Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 30 novembre 2021, n° 20/04689

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 30 nov. 2021, n° 20/04689
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 20/04689
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Versailles, 27 août 2020, N° 19/08367
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 86B

DU 30 NOVEMBRE 2021

N° RG 20/04689

N° Portalis DBV3-V-B7E-UCKH

AFFAIRE :

SYNDICAT FÉDÉRATION NATIONALE CONSTRUCTION BOIS FNCB CFDT,

Syndicat CGT SOCOTEC

C/

S.A.S. SOCOTEC GESTION et autres

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Août 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 19/08367

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

— la SCP BUQUET- ROUSSEL-DE CARFORT,

— la SCP COURTAIGNE AVOCATS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SYNDICAT FÉDÉRATION NATIONALE CONSTRUCTION BOIS FNCB CFDT

prise en la personne de son représentant statutaire

47/49 avenue Simon-Bolivar

[…]

SYNDICAT CGT SOCOTEC

prise en la personne de son représentant statutaire

[…]

Case 421

[…]

représentés par Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 – N° du dossier 15620

Me Céline COTZA de la SELARL LPS AVOCATS ASSOCIES, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : P0392

APPELANTES

****************

S.A.S. SOCOTEC GESTION

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 834 041 121

5 place des Frères-Montgolfier

[…]

S.A.S. SOCOTEC ENVIRONNEMENT

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 834 096 497

5 place des Frères-Montgolfier

[…]

S.A.S. SOCOTEC EQUIPEMENTS

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 834 096 695

5 place des Frères-Montgolfier

[…]

S.A.S. SOCOTEC CONSTRUCTION

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 834 157 513

5 place des Frères-Montgolfier

[…]

S.A.S. SOCOTEC FORMATION

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 834 096 745

5 place des Frères-Montgolfier

[…]

représentées par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – N° du dossier 021267

Me Guillaume BORDIER substituant Me Delphine LIAULT, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : T03

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 04 Octobre 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport et Madame Nathalie LAUER, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

*****************************

FAITS ET PROCÉDURE

La société Socotec France a été divisée le 12 juillet 2018 en cinq filiales, à savoir les sociétés Socotec Environnement, Socotec Equipements, Socotec Formation, Socotec Gestion et Socotec Construction (ci après, autrement dénommées, 'les sociétés Socotec'). La gestion des ressources humaines est cependant restée centralisée au niveau du groupe.

En vertu d’un 'usage d’entreprise’ mis en place par la société Socotec France, les cinq filiales ont appliqué initialement une sur-cotisation au régime de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO et un taux dérogatoire au droit commun de répartition de la charge de cette sur-cotisation de la manière suivante :

— part salariale : 26,81 % de la cotisation globale,

— part patronale : 73,19 % de la cotisation globale.

Au printemps 2018, l’URSSAF d’Ile-de-France a procédé, au fondement des articles L.243-7 et R.243-6, 2ème alinéa du I, du code de la sécurité sociale, à un contrôle de la société Socotec France à l’issue duquel les observations suivantes ont été portées à la connaissance de l’employeur le 11 juillet 2018 : 'Seules les entreprises qui cotisaient sur la base de taux contractuels ou d’une assiette de cotisation supérieure aux limites fixées à l’article 13 de l’accord national du 8 décembre 1961 et en application d’une obligation née antérieurement ay 2 janvier 1993 ont été autorisées à maintenir ces taux ou assiette, conformément à l’article 16 du même accord et dès lors à continuer de bénéficier de l’exonération.

Sur la période contrôlée, il est constaté que la retraite complémentaire ARRCO Tranche 1 est financée par une cotisation salariale de 2,63% et une cotisation patronale de 7,18%. Soit un taux global de 9,81% et une répartition part salariale/part patronale de 26,81% et 73,19%.

Tant le taux global que la répartition ne correspondent pas au droit commun. En effet, le régime de droit commun est le suivant :

Taux global de 7,75%

Part salariale de 3,10% (soit 40% du taux global)

Part patronale de 4,65% (soit 60% du taux global).

Les deux bulletins de paie de 1992 communiqués par le cotisant ne permettant pas de savoir si l’entreprise, antérieurement au 1er janvier 1993, cotisait déjà sur un taux et une répartition différente au titre des opérations supplémentaire de l’ARRCO. En conséquence, le différentiel entre le taux patronal cotisé (7,18%) et le taux patronal de droit commun (4,65%) ne se justifie pas et constitue un complément de rémunération à soumettre à cotisation et contributions.

Toutefois, aucune régularisation ne peut être opérée, la règle 'portée et effet du précédent contrôle’ s’appliquant en l’espèce.

Une décision administrative sera adressée ultérieurement afin de confirmer ce point à l’issue de la période contradictoire.'

La société Socotec France ayant été radiée le 28 septembre 2018, chacune des sociétés intimées a reçu une lettre de l’URSSAF du 25 octobre 2018 leur notifiant la décision administrative suivante : 'En conséquence [des constatations énoncées dans la lettre du 11 juillet précédent], je vous avise que si, lors d’un prochain contrôle, il est constaté que vous n’avez pas suivi ces recommandations, un redressement vous sera notifié sur les points non respectés auquel pourra s’ajouter une majoration de 10% pour absence de mise en conformité prévue par l’article L.243-7-6 du code de la sécurité sociale.'

En juin 2019, la société Socotec a convoqué les différents CSE (comité social et économique) des filiales afin de les informer qu’elle allait rétablir la répartition employeur/salarié des cotisations de retraite complémentaire ARRCO Tranche 1 conformément au droit commun. Les différents CSE ont rendu, le 13 juin 2019, des avis négatifs sur ce projet. Selon eux, cette décision, sous couvert de régularisation d’une situation 'illégale’ dénoncée par l’URSSAF, visait à permettre à la société Socotec de faire des économies sur sa masse salariale, soit 34 euros par salarié et par mois.

A l’issue de la procédure de consultation du CSE, les sociétés Socotec ont notifié individuellement à chaque salarié la modification des taux de répartition AGIRC ARRCO en leur indiquant que désormais leur taux de cotisation serait de 3,92% contre 3,10% jusqu’à présent. Ainsi, les sociétés défenderesses ont établi, à compter du 1er janvier 2020, un taux de répartition de 40 % pour les salariés et de 60 % pour l’employeur conforme au droit commun.

C’est dans ces circonstances que, le 19 décembre 2019, les demandeurs ont fait assigner les sociétés défenderesses devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins, notamment, de voir juger illégales leurs décisions portant modification de la répartition du taux de cotisation AGIRC-ARRCO entre employeur et salarié.

Le tribunal judiciaire de Versailles, par un jugement contradictoire rendu le 28 août 2020, a :

— débouté la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT, la CGT Socotec, la FIECI CFE-CGC [syndicat national de l’encadrement des professionnels de la formation, du développement et des métiers émergents (Formation et développement CGC)], la Fédération BATI-MAT-TP CFTC de toutes leurs demandes ;

— condamné la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT, la CGT Socotec, la FIECI CFE-CGC [syndicat national de l’encadrement des professionnels de la formation, du développement et des métiers émergents (Formation et développement CGC)], la Fédération BATI-MAT-TP CFTC in solidum à payer aux sociétés Socotec Gestion, Socotec Environnement, Socotec Equipements, Socotec Construction et Socotec Formation chacune 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

— condamné la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT, la CGT Socotec, la FIECI CFE-CGC [syndicat national de l’encadrement des professionnels de la formation, du développement et des métiers émergents (Formation et développement CGC)], la Fédération BATI-MAT-TP CFTC in solidum aux dépens.

Le syndicat Fédération nationale construction bois FNCB CFDT et le syndicat CGT Socotec (ci-après, autrement nommés, 'les syndicats') ont interjeté appel de ce jugement le 29 septembre 2020 à l’encontre des sociétés Socotec Environnement, Socotec Equipements, Socotec Formation, Socotec Gestion et Socotec Construction.

Par d’uniques conclusions notifiées le 4 novembre 2020, la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT, la FIECI CFE-CGC [syndicat national de l’encadrement des professionnels de la formation, du développement et des métiers émergents (Formation et développement CGC)], la Fédération BATI-MAT-TP CFTC et le syndicat CGT SOCOTEC invitent cette cour à :

— infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Versailles en date du 28 août 2020 ;

Statuer de nouveau :

— dire et juger illégales les décisions des sociétés défenderesses portant modification de la répartition du taux de cotisation AGIRC-ARRCO entre employeur et salarié ;

— enjoindre aux sociétés défenderesses de continuer à appliquer le taux de cotisation AGIRC-ARRCO avec la répartition suivante :

' 26,81% pour le salarié,

' 73,19% pour l’employeur,

— condamner solidairement les sociétés défenderesses à verser à chaque demandeur la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner au paiement des intérêts légaux au jour de la saisine avec capitalisation des intérêts conformément à l’article 1154 du code de procédure civile ;

— condamner aux entiers dépens et frais d’exécution ;

— dire et juger qu’en cas d’exécution forcée de la décision à intervenir les sommes relevant du droit proportionnel prévu à l’article 10 du décret du 12 décembre 1996 seront remis à la charge du défendeur et s’ajouteront aux dépens.

Par d’uniques conclusions notifiées le 2 février 2021, les sociétés Socotec Gestion, Socotec Environnement, Socotec Equipements, Socotec Construction et Socotec Formation demandent à la cour de :

— les recevoir en leurs conclusions et les y déclarer bien-fondé ;

— dire et juger que leurs décisions portant modification de la répartition du taux de cotisation de retraite complémentaire entre employeur et salarié ne souffrent d’aucune illégalité et sont

parfaitement régulières ;

En conséquence :

— confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 28 août 2020 ;

— débouter la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT et le syndicat CGT Socotec de l’ensemble de leurs demandes ;

— condamner solidairement la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT et le syndicat CGT Socotec à verser à chacune d’entre elles la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 16 septembre 2021.

SUR CE, LA COUR,

A titre liminaire,

Invités à formuler des observations sur la recevabilité des demandes de la FIECI CFE-CGC [syndicat national de l’encadrement des professionnels de la formation, du développement et des métiers émergents (Formation et développement CGC)] et la Fédération BATI-MAT-TP CFTC qui n’ont pas interjeté appel du jugement déféré et n’ont pas plus été appelées à la présente instance par les sociétés intimées, la Fédération Nationale Construction Bois (FNCB) CFDT et la CGT Socotec, appelantes, admettent que les demandes de la FIECI CFE-CGC [syndicat national de l’encadrement des professionnels de la formation, du développement et des métiers émergents (Formation et développement CGC)] et de la Fédération BATI-MAT-TP CFTC sont irrecevables.

Sur les limites de l’appel et à titre liminaire,

La FIECI CFE-CGC [syndicat national de l’encadrement des professionnels de la formation, du développement et des métiers émergents (Formation et développement CGC)] et la Fédération BATI-MAT-TP CFTC n’ayant pas interjeté appel du jugement déféré, celui-ci est irrévocable les concernant.

Hormis cette limite, le jugement est querellé en toutes ses dispositions par la Fédération Nationale Construction Bois (FNCB) CFDT et la CGT Socotec ; les sociétés Socotec sollicitant quant à elles la confirmation du jugement en l’ensemble de ses dispositions.

Il importe de préciser, pour la bonne compréhension du litige, que les syndicats ne contestent pas la possibilité pour les sociétés Socotec de modifier la répartition des taux de cotisation AGIRC-ARRCO dès lors que ce taux est plus favorable que ce qui est prévu par la loi. Ils contestent cependant la régularité de la procédure qui a été engagée par les sociétés Socotec tendant à modifier la répartition employeur/salarié de ce taux de cotisation.

Selon eux, 'les décisions des sociétés Socotec portant modification des taux de cotisation AGIRC-ARRCO sont illicites’ parce que :

* elles entraînent une modification unilatérale du contrat de travail des salariés et auraient de ce fait nécessité l’accord des salariés (a),

* à la suite de la dénonciation de l’accord du 2 mai 2012 prévoyant cette répartition du taux de cotisation entre employeur et salarié, cet avantage est devenu un avantage individuel, acquis (b),

* le changement du taux de cotisation a été fait de manière déloyale dès lors que les sociétés Socotec ont dissimulé les réels motifs justifiant leur décision (c).

Les syndicats poursuivent donc l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions et sollicitent de la cour qu’elle enjoigne aux sociétés Socotec de continuer à appliquer le taux de cotisation AGIRC-ARRCO avec la répartition suivante 26,81% pour le salarié et 73,19% pour l’employeur. A l’appui de cette prétention, ils développent les trois moyens précédemment récapitulés.

Les sociétés Socotec sollicitent la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et rétorquent que ni le taux de la cotisation globale, ni la répartition de son financement ne constituent un élément du contrat de travail, sauf volonté expresse des parties de conférer à cet avantage une valeur contractuelle, volonté inexistante, selon les intimées, en l’espèce.

Selon elles, les avantages résultant des engagements pris collectivement par l’employeur, tels que ceux concernant le régime de retraite complémentaire, ne s’incorporent pas au contrat de travail et leur suppression résulte d’une dénonciation régulière (a).

Les intimées soutiennent, en outre, que contrairement à ce que prétendent les syndicats, le régime de retraite complémentaire, dont le taux de cotisations AGIRC-ARRCO et la répartition de son financement entre l’employeur et le salarié, ne constituaient pas initialement un avantage individuel acquis, mais un simple usage (b).

Enfin, selon les sociétés Socotec, s’agissant du grief relatif au manquement à leur obligation de loyauté et d’information, à titre liminaire, il ne pourra qu’être déclaré irrecevable dès lors que seules les instances représentatives du personnel sont recevables à contester la pertinence et la loyauté des informations transmises à celles-ci. A titre subsidiaire, elles contestent le bien-fondé d’une telle demande (c).

A cet égard, il sera rappelé que le grief développé par les syndicats relatif au manquement de l’employeur à son obligation d’information et de loyauté ne s’analyse pas en une prétention, mais en un moyen à l’appui d’une prétention (faire injonction aux sociétés défenderesses de continuer à appliquer le taux de cotisation AGIRC-ARRCO avec la répartition suivante 26,81% pour le salarié et 73,19% pour l’employeur) de sorte qu’il ne saurait être déclaré irrecevable. En outre, si la cour rejetait les deux premiers moyens des syndicats, et concluait donc que la modification litigieuse opérée par l’employeur n’était pas subordonnée à l’accord des salariés, l’examen du troisième moyen serait sans portée puisque les syndicats ne sollicitent pas des dommages et intérêts, mais l’annulation de cette modification, qui selon eux auraient dû être préalablement approuvée par les salariés. Le bien-fondé d’un tel moyen inopérant au regard de son objectif n’aura donc pas à être apprécié par cette cour si les deux premiers moyens des appelants étaient rejetés.

Sur le moyen relatif à la modification unilatérale du contrat de travail des salariés

—  Moyens et prétentions des parties

Les syndicats prétendent que c’est à tort que les sociétés Socotec se sont placées sous le régime juridique de la dénonciation d’un usage pour mettre fin à la modification du taux de répartition de la part salariale/employeur du taux de cotisation dérogatoire AGIRC ARRCO.

Ils estiment que cette modification fait peser sur le salarié une charge financière plus lourde qui s’impute sur sa rémunération globale de sorte que, pour y procéder, l’employeur devait nécessairement recueillir l’accord du salarié contraint de payer une cotisation salariale plus importante que les autres salariés du secteur privé. Invoquant, par analogie, les dispositions de l’article 11 de la loi Evin, ils soutiennent que les salariés ne peuvent être contraints contre leur gré de cotiser à un système de garantie collective de prévoyance leur imposant une charge financière nouvelle. Selon eux, les décisions unilatérales des sociétés Socotec portant dénonciation de cet usage sont illégales en ce qu’elles modifient le contrat de travail des salariés sans leur accord.

Se fondant sur différents arrêts de la Cour de cassation, ils soutiennent que toute modification du salaire suppose l’accord du salarié (Soc., 7 mars 2012, pourvoi n° 10-19.143 ; Soc., 4 mai 1983, pourvoi n° 81-40.308 ; Soc., 26 novembre 1996, pourvoi n° 93-44.811, Bull. 1996, V, n° 406 ; Soc., 3 mars 1993, pourvoi n° 89-41.504, 89-41.505, 89-41.506, 89-41.507). Ils en concluent qu’en faisant peser une charge financière plus importante sur le salarié, les sociétés Socotec ont modifié unilatéralement la rémunération du salarié.

Ils rétorquent à l’argument de leurs adversaires, selon lequel le régime de retraite complémentaire relèverait du statut collectif des salariés qui ne serait pas incorporé à leurs contrats de travail, que cette jurisprudence est inapplicable puisque les sociétés Socotec n’ont pas dénoncé l’usage consistant à appliquer un taux global de cotisation de retraite complémentaire plus favorable que le régime de droit commun, mais ont fait peser sur les salariés leur choix de modifier la répartition des taux de cotisation AGIRC-ARRCO. Ils soutiennent que cette sur cotisation ne fait pas partie du 'statut collectif’ mais impacte la rémunération des salariés.

Ils s’étonnent de la critique développée par les sociétés Socotec, selon laquelle ils n’auraient jamais

soutenu que l’accord des salariés aurait été requis à la suite de l’augmentation de la CGS, de la suppression de la cotisation chômage, de la mise en place du prélèvement à la source alors que ces mesures résultent de décisions législatives et que, en l’espèce, ce sont les sociétés Socotec qui ont volontairement fait le choix d’appliquer un taux global de cotisation retraite complémentaire plus élevé que ce que prévoit la loi. Ainsi, aucune obligation ne pesait sur elles de sorte qu’elles sont infondées à faire peser une charge financière supplémentaire sur les salariés, sans leur accord.

Les sociétés Socotec rétorquent que c’est à tort que les syndicats soutiennent que le taux des cotisations de retraite complémentaire a été modifié puisque ce taux, composé du taux obligatoire de 7,87% et d’une sur-cotisation volontaire, spécifique aux sociétés intimées, de 1,94%, soit un taux total de 9,81%, n’a fait l’objet d’aucune modification. Elles précisent que la seule modification effectivement opérée porte sur la répartition du financement des cotisations entre employeur et salarié. Elles prétendent donc qu’elles pouvaient revenir à une répartition de droit commun s’agissant du financement des cotisations de retraite complémentaire.

Elles ajoutent qu’il n’existe aucune obligation légale ou jurisprudentielle qui impose aux sociétés de recueillir l’accord individuel des salariés préalablement à une modification de la répartition du financement des cotisations de retraite complémentaire ou du taux des cotisations de retraite complémentaires. Elles observent à cet égard que les syndicats ne citent aucun texte, ni aucune jurisprudence en ce sens.

Elles font valoir que cette absence d’obligation est parfaitement normale puisque ni le taux de la cotisation globale, ni la répartition de son financement ne constituent un élément du contrat de travail, sauf volonté expresse des parties de conférer à cet avantage une valeur contractuelle.

Elles précisent que ni l’Accord National Interprofessionnel de Retraite complémentaire du 8 décembre 1961, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018 (ANI de 1961), ni l’ANI du 17 novembre 2017 en vigueur à compter du 1er janvier 2019, ni la jurisprudence n’imposent de recueillir cet accord ou ne prévoient que cette modification emporte modification du contrat de travail des salariés concernés.

Elles en déduisent que la procédure de dénonciation d’un usage mise en oeuvre par elles était de ce fait adéquate et licite.

Elles relèvent que c’est de manière erronée que les syndicats prétendent que la rémunération contractuelle des salariés aurait été modifiée par la modification de la répartition dudit taux. Au demeurant, elles soulignent que, pas plus devant cette cour qu’en première instance, les demandeurs ne versent aux débats un contrat de travail démontrant que la rémunération contractuelle des salariés inclut les cotisations patronales de retraite complémentaire, ou encore que l’employeur se serait engagé sur un montant net de rémunération ; pour cause, selon elles, puisqu’il n’en est rien.

Se fondant sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation ( Soc., 10 février 1999, pourvoi n° 97-13.015, Bull. 1999, V, n° 63 ; Soc., 1 octobre 2003, pourvoi n° 02-30.337), les sociétés Socotec rappellent qu’en application du principe d’absence d’incorporation des avantages collectifs au contrat de travail, le régime complémentaire de retraite relève du statut collectif des salariés qui n’est pas incorporé à leurs contrats de travail.

Elles observent que les appelants ne remettent pas en cause cette position jurisprudentielle, mais prétendent, au prix d’une distinction artificielle, que la répartition du taux global de cotisation de retraite complémentaire peut s’imposer aux salariés, mais pas celle de la sur-cotisation, qui selon eux, ne ferait pas partie du statut collectif, mais impacterait la rémunération des salariés. Or, elles prétendent que, en réaffirmant à de nombreuses reprises que le régime complémentaire de retraite relève du statut collectif des salariés, la Cour de cassation vise tant le principe du régime, que ses modalités d’application et de surcroît ne fait pas de distinction entre le taux de cotisation et la

répartition de son financement.

Elles précisent qu’effectivement, la Cour de cassation a considéré que les avantages résultant des usages et des engagements unilatéraux s’incorporaient au contrat de travail (Soc., 20 février 1986, pourvoi n° 84-43.737, Bulletin 1986 V N° 25), mais que, depuis l’arrêt Deschamps (Soc., 25 février 1988, pourvoi n° 85-40.821, Bulletin 1988 V N° 139), la Cour de cassation a mis fin à cette position et considère désormais que 'La dénonciation par l’employeur, responsable de l’organisation, de la gestion et de la marche générale de l’entreprise, d’un usage ou d’un accord collectif ne répondant pas aux conditions de l’article L 132-19 du Code du travail, est opposable à l’ensemble des salariés concernés, qui ne peuvent prétendre à la poursuite du contrat de travail aux conditions antérieures, dès lors que cette décision a été précédée d’une information donnée, en plus des intéressés, aux institutions représentatives du personnel, dans un délai permettant d’éventuelles négociations.'

Il résulte de cette jurisprudence, selon les intimées, que les avantages résultant des engagements pris collectivement par l’employeur, tels que ceux concernant le régime de retraite complémentaire, ne s’incorporent pas au contrat de travail et leur suppression résulte d’une dénonciation régulière. Ainsi, à ce titre, selon elles, un salarié ne peut pas prétendre au maintien de la structure de sa rémunération lorsque celle-ci résulte de l’accord collectif applicable, d’un usage ou d’une décision unilatérale (Soc., 19 mars 2014, pourvoi n° 13-10.021, Bull. 2014, V, n° 82).

Elles ajoutent que le parallèle opéré par les appelants avec les régimes de prévoyance est inopérant, les salariés pouvant être, à certaines conditions, dispensés d’y adhérer alors que cette faculté n’est pas permise aux salariés au titre du régime complémentaire AGIRC ARRCO qui repose sur le principe de la solidarité entre tous les cotisants. La mise en place de ce régime de retraite complémentaire est dès lors obligatoire et l’affiliation des salariés à ce régime n’est pas subordonnée à leur accord préalable.

Elles rappellent que, sauf à ce que le contrat de travail prévoit un salaire net garanti, la modification des cotisations applicables aux salaires ne constitue pas une modification de la rémunération nécessitant l’accord préalable du salarié.

Elles insistent sur le fait que les appelants ne versent aux débats aucun contrat de travail dans lequel les sociétés Socotec se seraient engagées sur un salaire net et pour cause selon elles, le seul engagement contractuel des sociétés intimées en matière de rémunération portant sur un montant de salaire brut lequel n’a pas été modifié par la nouvelle répartition. Elles s’approprient les motifs du jugement déféré qui retient que ' les syndicats demandeurs ne versent pas aux débats de contrats de travail, ni de bulletins de paie permettant ainsi d’apprécier les éléments de la rémunération et la portée de la modification du taux de répartition sur la structure et le montant de la rémunération individuelle des salariés. L’application d’un régime complémentaire de retraite constitue un avantage collectif dont le salarié bénéficie lors de la liquidation de ses droits à la retraite et les syndicats demandeurs ne prouvent pas qu’il est, dans la commune intention des parties, incorporé dans le contrat de travail.'

Elles remarquent encore que les appelants ne prétendent pas que l’accord des salariés devait être requis préalablement aux différentes modifications qui ont pourtant eu une incidence directe sur le salaire net des salariés telles l’augmentation de la CSG au 1er janvier 2018, la suppression de la cotisation chômage de 0,95% au 1er octobre 2018, la mise en oeuvre du prélèvement à la source.

Elles objectent que, contrairement aux affirmations des syndicats selon lesquelles la Cour de cassation juge que 'toute modification du salaire suppose l’accord du salarié', il résulte des arrêts cités par les appelants que tel n’est pas le cas en réalité puisque la plupart des décisions citées visent la modification unilatérale par l’employeur d’éléments contractuels correspondant à des avantages financiers expressément prévus au contrat de travail ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En outre, selon elles, ces décisions sont contredites par des arrêts plus récents (arrêt Deschamps et du 19 mars

2014 précités).

Les sociétés Socotec sollicitent donc la confirmation du jugement qui déboute les syndicats de leur demande tendant à voir reconnaître une modification des contrats de travail des salariés du fait de la modification de la répartition des cotisations de retraite complémentaires.

' Appréciation de la cour

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, toute modification du salaire ne suppose pas nécessairement l’accord du salarié, mais seulement celles correspondant à des avantages financiers expressément prévus ou repris dans les contrats de travail concernés.

Comme le relèvent très justement les sociétés Socotec, les arrêts cités par les syndicats sont à cet égard inopérants.

Ainsi, dans son arrêt du 7 mars 2012, la Cour de cassation a considéré que constituait une modification du contrat de travail que le salarié était en droit de refuser le fait pour un employeur de lui retirer l’usage du véhicule de l’entreprise mis à sa disposition en remplacement de l’indemnisation pour l’usage de son véhicule personnel initialement prévue dans le contrat de travail (Soc., 7 mars 2012, pourvoi n° 10-19.143

).

Le deuxième arrêt cité (Soc., 4 mai 1983, pourvoi n° 81-40.308), n’a pas été produit par les appelants et les références énoncées apparaissent erronées dès lors qu’elles n’ont pas permis à la cour de le trouver par le canal de jurinet et de légifrance.

S’agissant du troisième arrêt cité (Soc., 26 novembre 1996, pourvoi n° 93-44.811, Bull. 1996, V, n° 406), la Cour de cassation a approuvé l’arrêt attaqué qui a décidé que, si du fait de la dénonciation de l’accord d’entreprise, l’employeur pouvait rémunérer les salariés au fixe, les salariés avaient droit, au titre des avantages individuels acquis, au maintien du niveau de leur rémunération au jour où l’accord collectif a cessé de s’appliquer. Dans cette espèce, il résultait des contrats de travail initiaux de ces salariés, membre du personnel de l’Hôtel Prince de Galles de Paris, qu’ils seraient rémunérés au pourboire et que l’employeur avait modifié cette disposition de leur contrat de travail.

La Cour de cassation, dans le quatrième arrêt invoqué par les syndicats (Soc., 3 mars 1993, pourvoi n° 89-41.504, 89-41.505, 89-41.506, 89-41.507

), a jugé que le montant de l’indemnité kilométrique versée

par l’employeur depuis l’embauche revêtait un caractère contractuel et que l’acceptation par les salariés de la modification de leur contrat de travail ne pouvait résulter de la seule poursuite par eux du contrat de travail, sans relever d’autres éléments dont aurait pu être déduite la volonté non équivoque des salariés d’accepter cette modification de leur contrat.

Il apparaît donc incontestablement des arrêts invoqués par les appelants que c’est seulement si un élément contractuel correspondant à un avantage expressément prévu dans les contrats de travail en cause est modifié par l’employeur que l’accord du salarié est requis.

Or, en l’espèce, pas plus devant cette cour que devant le premier juge, les syndicats ne produisent d’éléments de preuve de nature à démontrer que cet avantage était expressément prévu dans leur contrat de travail. Ils ne versent aucun bulletin de salaire permettant à la cour d’apprécier la portée de la modification litigieuse sur la structure ou le montant de la rémunération individuelle des salariés, en particulier si la modification a une incidence sur la rémunération nette ou brute de ces derniers. Il s’ensuit que l’affirmation des appelants, selon laquelle toute modification du salaire suppose nécessairement l’accord du salarié, n’apparaît pas fondée.

Comme le soutiennent exactement les sociétés Socotec, le régime complémentaire de retraite relève du statut collectif des salariés qui n’est pas incorporé à leurs contrats de travail et la distinction opérée par les appelants entre le principe du régime, ses modalités d’application, le taux global maintenu, la répartition de son financement entre la part de cotisation patronale et celle salariale apparaît effectivement non seulement artificielle, mais erronée en droit ( Soc., 25 février 1988, pourvoi n° 85-40.821, Bulletin 1988 V N° 139 ; Soc., 19 mars 2014, pourvoi n° 13-10.021, Bull. 2014, V, n° 82

). Du

reste, force est de constater qu’à l’appui de cette affirmation, les syndicats ne se prévalent d’aucun texte ni de jurisprudence.

Il découle de ce qui précède que c’est exactement que les premiers juges ont retenu que c’était à tort que les syndicats prétendaient que, du fait de la modification de la répartition des cotisations de retraite complémentaires, les contrats de travail des salariés avaient été modifiés.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le moyen selon lequel, à la suite de la dénonciation de l’accord du 2 mai 2012 prévoyant cette répartition du taux de cotisation entre employeur et salarié, cet avantage serait devenu un avantage individuel acquis

—  Moyens des parties

Les syndicats font valoir que l’employeur ne pouvait pas mettre fin à un avantage prévu par un accord collectif qui est ensuite devenu un avantage individuel acquis. Or, selon eux, la répartition employeur/salarié du taux de cotisation AGIRC / ARRCO constitue un avantage individuel acquis procurant au salarié, conformément à la définition de cette notion par la jurisprudence de la Cour de cassation (Soc., 5 novembre 2014, pourvoi n° 13-14.077, Bull. 2014, V, n° 258), une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non simplement éventuel et ce, peu important que d’autres membres de la collectivité en bénéficiaient également (Soc., 13 mars 2001, pourvoi n° 99-45651).

Ils soulignent que la prise en charge par l’employeur de la quote-part de cotisation de retraite complémentaire représente un avantage pour le salarié, autrement dit une rémunération supplémentaire au même titre qu’un avantage en nature et, compte tenu de l’absence de conclusion d’un accord de substitution à la suite de la dénonciation de 2012, cet avantage doit être qualifié d’avantage individuel acquis.

Selon eux, le taux de cotisation AGIRC/ARRCO et sa répartition employeur/salarié étaient prévus par l’accord du 2 mai 2012 en page 6 en ce sens : 'la répartition la plus favorable, à savoir celle de Socotec SA (27% part salariale et 73% part patronale) sera appliquée'. Cet accord a été dénoncé en 2013 et, à la suite de cette dénonciation, la société Socotec a ouvert des négociations en vue d’un accord de substitution, jamais conclu. Conformément aux dispositions de l’article L.2261-13 du code du travail, dans sa rédaction applicable antérieurement à la loi du 10 août 2016, à l’expiration du délai d’un an à compter de l’expiration du préavis et faute d’accord de substitution, les salariés ont conservé les avantages individuels acquis en application de cet accord de sorte que la suppression de cet avantage emporte modification du contrat de travail ce qui suppose l’accord du salarié (Soc., 6 novembre 1991, pourvoi n° 87-44.507, Bulletin 1991 V N° 479 ; Soc., 2 mars 2016, pourvoi n° 14-16.414, 14-16.416, Bull. 2016, V, n° 42).

Ils critiquent le tribunal qui a retenu que le taux de répartition du montant de la sur-cotisation au régime de retraite complémentaire ne constituait pas un avantage individuel acquis faute de procurer au salarié une rémunération ou un droit alors que cette prise en charge par l’employeur de cette quote-part de cotisation de retraite complémentaire constituait un avantage pour le salarié. Ils soulignent que les sociétés Socotec l’admettent elles-mêmes puisqu’elles font référence à la jurisprudence de la Cour de cassation du 21 octobre 2010 (2e Civ., 21 octobre 2010, pourvoi n° 09-17.042, Bull. 2010, II, n° 174) et du 21 septembre 2017 (2e Civ., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-19.380, Bull. 2017, II, n° 174). Les arrêts cités par leurs adversaires posent le principe selon

lequel 'la prise en charge de la cotisation salariale au régime de retraite complémentaire constitue un avantage en espèces, qui fait partie intégrante de la rémunération brute des salariés'.

Ils en déduisent que si la mise en place d’un régime complémentaire de retraite relève du statut collectif, la fraction de cotisation salariale assurée par l’employeur constitue un avantage salarial dont les salariés bénéficient à titre individuel et que, compte tenu de l’absence de conclusion d’un accord de substitution à la suite de la dénonciation de l’accord de 2012, cet avantage en espèce s’analyse désormais comme un avantage individuel acquis. Or, ils relèvent que les avantages individuels acquis s’incorporent au contrat de travail et que la suppression de cet avantage modifiant le contrat de travail suppose l’accord du salarié (Soc., 6 novembre 1991, pourvoi n° 87-44.507, Bulletin 1991 V N° 479 ; Soc., 2 mars 2016, pourvoi n° 14-16.414 Bull. 2016, V, n° 42).

Les sociétés Socotec prétendent que, contrairement à ce que soutiennent les syndicats, le régime de retraite complémentaire, qui comprend nécessairement le taux de cotisations AGIRC-ARRCO et la répartition de son financement entre l’employeur et le salarié, ne constituait pas initialement un avantage individuel acquis en l’absence d’accord de substitution conclu à la suite de la dénonciation en 2013 de l’accord du 2 mai 2012, intitulé 'Accord d’adaptation relatif à l’harmonisation des statuts collectifs de la société Socotec SA et de la société Socotec Industries dans le cadre de la fusion des deux sociétés le 1er mai 2012'.

Elles rappellent la chronologie des faits, parfaitement résumée par le tribunal selon elles, et soulignent que le Comité d’entreprise de la société Socotec France a été informé et consulté sur la dénonciation de l’accord du 2 mai 2012 aux termes de 5 réunions, des 23 mai 2013, 20 juin 2013, 18 juillet 2013, 26 septembre 2013 et 24 octobre 2013. (Pièce n°12 : Extrait du PV du 24 octobre 2013). Le comité ayant refusé de rendre un avis, la société Socotec France a dès lors considéré qu’il était réputé avoir rendu un avis négatif et aucune contestation n’a été élevée contre cette analyse. Elle a ensuite dénoncé auprès des organisations syndicales l’accord d’entreprise du 2 mai 2012 par lettre recommandée du 26 septembre 2013 (Pièce n°25), procédé aux formalités de notification auprès de la DIRECCTE et du Conseil de prud’hommes par lettre recommandée du 26 septembre 2013 (Pièces 26 et 27) et, à partir de janvier 2014, des négociations ont été ouvertes en vue de parvenir à la signature d’un accord de substitution (Pièce n°28) qui n’ont pas abouti, aucun accord de substitution n’ayant été conclu (Pièce n°29).

Selon elles, comme le relève exactement le jugement, il revenait au tribunal de dire 'si ce taux de répartition a été maintenu en tant qu’avantage individuel acquis ou en tant qu’usage'. Or, elles prétendent que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le régime complémentaire de retraite constitue un avantage collectif et non pas un avantage individuel (Soc., 10 février 1999, pourvoi n° 97-13.015, Bull. 1999, V, n° 63 ; Soc., 1 octobre 2003, pourvoi n° 02-30.337). En outre, elles soulignent, comme le confirme la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’en l’absence de négociation de substitution, la convention dénoncée ou mise en cause cesse de s’appliquer après l’expiration du délai prévu à l’article L.2261-14 du code du travail (Soc., 23 juin 1999, pourvoi n° 97-43.162, 97-43.163, Bull. 1999, V, n° 297), sans que le salarié puisse à bon droit se prévaloir que la cessation d’application de cet accord constitue une modification substantielle de son contrat de travail que l’employeur ne saurait lui imposer sans son consentement (Soc., 17 mars 1993, pourvoi n° 91-45.184).

Elles ajoutent que la doctrine distingue deux catégories d’avantages collectifs, les avantages collectifs par nature et ceux par finalité. Les premiers peuvent bénéficier à certains salariés sans bénéficier à d’autres salariés ; les seconds représentent l’ensemble des dispositions qui ont pour objet la représentation du personnel, le droit syndical, ou encore la négociation collective (E. Dockès, 'L’avantage individuel acquis’ : Dr. soc. 1993 p. 828).

Or, selon elles, un régime de retraite est par définition un avantage collectif par finalité puisqu’il repose sur une couverture mutualisée du risque vieillesse et sur le principe de la solidarité. Elles soutiennent que la distinction opérée par les syndicats, en page 14 de leurs conclusions, entre le principe, la répartition du financement, et le taux des cotisations de retraite complémentaire est artificielle et erronée. A cet égard, elles observent que le fait que la part des cotisations au régime de retraite complémentaire AGIRC – ARRCO supportée par l’employeur excédant les limites fixées par l’accord national interprofessionnel soit qualifié par la Cour de cassation ' d’avantage en espèce' devant être intégré à la rémunération brute du salarié (2e Civ., 21 octobre 2010, pourvoi n° 09-17.042, Bull. 2010, II, n° 174 ; 2e Civ., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-19.380, Bull. 2017, II, n° 174) ne signifie pas qu’il revêt pour autant la nature ' d’avantage individuel acquis', mais simplement qu’il est soumis à cotisations de sécurité sociale. Il s’agit, selon elles, ainsi de deux notions clairement distinctes.

Indiquant que, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, énoncée pertinemment par le jugement, le régime de retraite complémentaire dans son intégralité, en ce compris le taux et/ou la répartition du financement des cotisations, peut parfaitement être modifié ou supprimé sans qu’il ne subsiste de ce régime un quelconque avantage individuel acquis (Soc., 1 octobre 2003, pourvoi n° 02-30.337).

Les sociétés Socotec invitent en conséquence la cour à confirmer le jugement et à débouter les appelants de leur demande tendant à voir reconnaître le taux de cotisations AGIRC-ARRCO et la répartition de son financement employeur/salarié comme un avantage individuel acquis dont la modification imposerait l’accord des salariés concernés.

' Appréciation de la cour

Comme l’a très exactement indiqué le premier juge, et ainsi que le sollicitent les parties, la question qu’il convient de trancher est celle de savoir si la répartition du taux de cotisation au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO au sein du groupe Socotec a été maintenue en tant qu’avantage individuel acquis ou en tant qu’usage.

De cette réponse dépend le régime de la modification litigieuse à savoir une modification subordonnée à l’accord des salariés, si cet avantage est qualifié d’avantage individuel acquis, ou bien le respect des formalités de consultation du CSE et d’information de ce comité et de chaque salarié si cet avantage est qualifié de simple usage d’entreprise. A cet égard, les appelants ne contestent pas que les formalités relatives à la consultation et à l’information requise pour la modification d’un usage d’entreprise aient été respectées.

Comme le font très justement valoir les syndicats, constitue un avantage individuel acquis, un avantage qui, au jour de la dénonciation de la convention ou de l’accord collectif, procurait au salarié une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non simplement éventuel et ce, peu important que d’autres membres de la collectivité en bénéficiaient également (Soc., 5 novembre 2014, pourvoi n° 13-14.077, Bull. 2014, V, n° 258 ; Soc., 13 mars 2001, pourvoi n° 99-45651

).

En revanche, doit être qualifié d’usage d’entreprise, un avantage librement accordé, de manière répétée par un employeur à ses salariés, sans que le code du travail, une convention ou un accord collectif ne l’impose.

Comme le soutiennent exactement les sociétés Socotec, le régime complémentaire de retraite constitue un avantage collectif et non pas un avantage individuel puisqu’il repose sur une couverture mutualisée du risque vieillesse et sur le principe de la solidarité qui, en principe, n’est pas incorporé au contrat de travail, sauf disposition contractuelle convenue entre les parties, ce qui en l’espèce n’est pas démontré.

En l’absence de négociation de substitution, la convention dénoncée ou mise en cause cesse de

s’appliquer après l’expiration du délai prévu à l’article L.2261-14 du code du travail, sans que le salarié puisse à bon droit se prévaloir du fait que la cessation d’application de cet accord constitue une modification substantielle de son contrat de travail supposant son consentement.

En outre, les arrêts cités par les appelants aux termes desquels la Cour de cassation a jugé que la part des cotisations au régime de retraite complémentaire AGIRC – ARRCO supportée par l’employeur excédant les limites fixées par l’accord national interprofessionnel devait être qualifiée d’avantage en espèces à intégrer à la rémunération brute du salarié ne signifie pas qu’il revêt pour autant la nature 'd’avantage individuel acquis', mais simplement qu’il est soumis à cotisations de sécurité sociale, ce qui est bien différent.

La cour observe du reste que les arrêts cités par les appelants n’ont pas la portée qu’ils leur prêtent.

Ainsi, la problématique soumise à la Cour de cassation, s’agissant du premier arrêt cité par les appelants (2e Civ., 21 octobre 2010, pourvoi n° 09-17.042, Bull. 2010, II, n° 174) consistait à déterminer si le membre de phrase 'gains et rémunérations tels que définis à l’article L. 242-

1 versés au salarié au cours du mois civil ' employé par l’article D. 241-7 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2007-1380 du 24 septembre 2007, excluait la part de la cotisation salariale versée directement par l’employeur à l’organisme de retraite complémentaire pour le compte du salarié et induisait ainsi un mode de calcul spécifique de la rémunération mensuelle brute du salarié destinée à être prise en compte dans la formule de calcul du coefficient mensuel de réduction des charges sociales dit 'allégement Fillon'.

A ces questions, la Cour de cassation a répondu qu’il résultait des dispositions des articles L. 241-13 III du code de la sécurité sociale, L. 242-1 et D. 241-7 du même code, d’une part, qu’à l’exception des heures supplémentaires ou complémentaires, les sommes versées par l’employeur au salarié en rémunération de son travail, soit directement, soit à un tiers pour son compte, entraient dans la détermination de la rémunération mensuelle brute. D’autre part, elle a jugé que la prise en charge de la cotisation salariale au régime de retraite complémentaire constituait un avantage en espèces, qui faisait partie intégrante de la rémunération brute des salariés, peu important qu’elle procédait d’un accord d’entreprise dès lors qu’elle n’était pas imposée à l’employeur par une disposition législative ou réglementaire ou par un accord interprofessionnel prévu par l’article L. 921-4 du code de la sécurité sociale.

S’agissant du second arrêt cité (2e Civ., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-19.380, Bull. 2017, II, n° 174), la Cour de cassation était invitée à préciser les modalités d’exonération de la part patronale au titre des cotisations et contributions sociales auxquelles la société était soumise alimentant le régime complémentaire de retraite ARRCO.

A cette question, la Haute juridiction a répondu, se fondant sur les dispositions de l’article L. 242-1, alinéa 5, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005, applicable aux cotisations litigieuses, et de l’article 15 de l’accord national interprofessionnel du 8 décembre 1961 modifié instituant le régime ARRCO, d’une part, que la part employeur telle que résultant, notamment, de l’accord national interprofessionnel régissant le régime n’était exclue de l’assiette des cotisations, au titre des contributions de l’employeur au financement des régimes de retraite complémentaire qu’elles mentionnaient, et, d’autre part, que les cotisations afférentes à ce dernier étaient réparties, à compter du 1er janvier 1999, à raison de 60 % à la charge de l’employeur et de 40 % à la charge du salarié, sauf pour les entreprises créées avant le 1er janvier 1999 et souhaitant conserver la répartition applicable au 31 décembre 1998. Ensuite, relevant que l’arrêt attaqué avait constaté que la contribution de la cotisante, qui s’établissait à 40 % pour les salariés-cadres et à 71,33 % pour les salariés non cadres, excédait, s’agissant de cette dernière catégorie de personnel, les limites fixées par l’article 15 de l’accord national interprofessionnel du 8 décembre 1961 modifié régissant le régime ARRCO et que la cotisante qui finançait au 31 décembre

1998 les cotisations alimentant ce régime de retraite complémentaire à hauteur de 66,57 %, ainsi que l’établissaient les mentions des bulletins de paie, avait élevé cette contribution à 71,33 % durant la période soumise à vérification ; dès lors, faute d’avoir maintenu l’ancienne clé de répartition, la cotisante ne pouvait revendiquer ni le bénéfice du régime dérogatoire prévu par l’article 15 de l’accord national interprofessionnel, ni l’application de la clé de répartition appliquée au 31 décembre 1998 qu’elle n’avait pas souhaité conserver. Selon la Cour de cassation, l’arrêt attaqué en avait exactement déduit que la part des cotisations au régime ARRCO supportée par l’employeur excédant les limites fixées par l’accord national interprofessionnel du 8 décembre 1961, devait être réintégrée dans l’assiette des cotisations et contributions sociales de la société.

Là encore, cet arrêt n’est pas pertinent au titre de la problématique soumise à cette cour, si ce n’est pour constater que, en cas de sur-cotisation au régime de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO et d’existence d’un taux dérogatoire au droit commun de répartition de la charge de cette sur-cotisation, l’employeur est susceptible de voir le montant des cotisations et des contributions sociales de la société augmenter, cette sur-cotisation devant être réintégrée dans l’assiette de celles-ci.

En outre, c’est pertinemment que les intimées soutiennent, qu’un régime de retraite complémentaire n’est pas un élément du contrat de travail des salariés, sauf volonté commune des parties, en l’espèce non démontrée. De même, l’accord collectif d’entreprises dénoncé en 2013 qui comprenait l’avantage litigieux, dont il n’est pas démontré la volonté commune d’intégrer l’avantage ainsi octroyé précédemment aux salariés à leur contrat de travail, s’analyse en un élément du statut collectif et non de la rémunération individuelle des salariés.

L’accord ayant été dénoncé, sans aucune contestation élevée par le CSE, et aucun accord de substitution n’ayant été conclu, il cessait de s’appliquer après l’expiration du délai prévu à l’article L.2261-14 du code du travail sans que le salarié puisse se prévaloir que la cessation d’application de cet accord constituait une modification substantielle de son contrat de travail que l’employeur ne saurait lui imposer sans son consentement.

C’est bien le régime de retraite complémentaire dans son intégralité, en ce compris le taux et/ou la répartition du financement des cotisations, qui peut être modifié ou supprimé, sans qu’il ne subsiste de ce régime un quelconque avantage individuel acquis (Soc., 1 octobre 2003, pourvoi n° 02-30.337). En d’autres termes, l’avantage ainsi octroyé par les sociétés Socotec et qui, après la dénonciation de l’accord de 2012 par l’employeur, a subsisté jusqu’en janvier 2020, doit être qualifié d’usage d’entreprise.

Le jugement qui a débouté les syndicats de leur demande tendant à voir reconnaître le taux de cotisations AGIRC-ARRCO et la répartition de son financement employeur/salarié comme un avantage individuel acquis dont la modification imposerait l’accord des salariés concernés ne pourra qu’être confirmé.

Enfin, il importe de rappeler en premier lieu que les appelants ne contestent pas que les formalités relatives à la consultation et à l’information requises pour la modification d’un usage d’entreprise ont été respectées. En second lieu, il n’y a pas lieu d’examiner le troisième moyen qui apparaît inopérant au regard des prétentions des appelants. En effet, dès lors qu’il a été retenu que la modification litigieuse opérée par l’employeur n’était pas subordonnée à l’accord des salariés, l’examen du troisième moyen est sans portée puisque les syndicats sollicitent l’annulation de cette modification, qui selon eux aurait dû être préalablement approuvée par les salariés ce qui, comme indiqué précédemment, est erroné.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

La Fédération nationale construction bois FNCB CFDT et la CGT Socotec, supporteront in solidum les dépens d’appel. Il n’apparaît pas équitable d’accueillir leurs demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît en revanche équitable en cause d’appel de condamner in solidum la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT et la CGT Socotec, à verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à chacune des intimées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Dans les limites de l’appel,

DÉCLARE la FIECI CFE-CGC [syndicat national de l’encadrement des professionnels de la formation, du développement et des métiers émergents (Formation et développement CGC)] et la Fédération BATI-MAT-TP CFTC irrecevables en leurs demandes ;

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT et la CGT Socotec aux dépens d’appel ;

CONDAMNE in solidum la Fédération nationale construction bois FNCB CFDT et la CGT Socotec à verser sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à :

* la société Socotec Gestion la somme de 1 000 euros,

* la société Socotec Environnement la somme de 1 000 euros,

* la société Socotec Equipements la somme de 1 000 euros,

* la société Socotec Construction la somme de 1 000 euros,

* la société Socotec Formation la somme de 1 000 euros ;

REJETTE toutes autres demandes.

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

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Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 30 novembre 2021, n° 20/04689