Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 4 mars 2021, n° 18/07075

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 12e ch., 4 mars 2021, n° 18/07075
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 18/07075
Décision précédente : Tribunal de commerce de Versailles, 4 septembre 2018, N° 2015F00857
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58F

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 MARS 2021

N° RG 18/07075 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SWYD

AFFAIRE :

S.A. SNPE

C/

Société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALITY SE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Septembre 2018 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2015F00857

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Mélina PEDROLETTI, Me Christophe DEBRAY,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE MARS DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A. SNPE

[…]

[…]

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – N° du dossier 24164

Représentant : Me Michel-alexis VALENÇON et Me Arnaud ATTIAS de la SELEURL SELARL Alexis Valençon, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0555 -

APPELANTE

****************

Société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALITY SE

N° SIRET : 487 42 4 6 08

[…]

[…]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – N° du dossier 18457

Représentant : Me François HASCOET de l’ASSOCIATION HASCOET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0577 par Me GARAUDET

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 Décembre 2020, Madame Véronique MULLER, Conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Véronique MULLER, Conseiller,

Monsieur Bruno NUT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE

EXPOSE DU LITIGE

* Le contexte général du litige

A la suite de l’explosion de l’usine AZF de la société Grande Paroisse, le 21 septembre 2001, la Société

Nationale des Poudres et Explosifs (société SNPE), voisine de la société AZF, a pris avec l’Etat français, son

actionnaire majoritaire, la décision de ne pas reprendre son activité de production de phosgène sur son site

toulousain. La société SNPE s’est ainsi trouvée dans l’impossibilité d’approvisionner la société Bayer avec

laquelle elle avait conclu un contrat de fourniture exclusive de phosgène en 1999.

Selon protocole signé le 4 avril 2003, l’Etat a indemnisé la société SNPE et ses filiales, à hauteur de 300

millions d’euros pour les conséquences directes de l’arrêt de l’activité de chimie du phosgène.

Le 8 septembre 2003, la société Bayer a reçu une première indemnisation de ses assureurs, pour ses pertes

d’exploitation et frais résultant de l’arrêt de la production du phosgène, à hauteur de 37,5 millions d’euros.

En mars 2004, les sociétés SNPE et Bayer ont conclu un nouveau contrat destiné à encadrer la poursuite de

leurs relations commerciales pour la fourniture du phosgène produit sur un nouveau site à Pont de Claix

(Isère).

* le procès intenté aux sociétés Grande Paroisse et Total

En 2004, la société SNPE d’une part, les sociétés Bayer d’autre part, ont assigné les sociétés Grande Paroisse

et Total afin de solliciter réparation de leurs préjudices à la suite de l’explosion du 21 septembre 2001,

notamment du fait de l’impossibilité de reprendre l’activité de production de phosgène sur le site de Toulouse.

Par acte du 10 février 2005, la société Grande Paroisse a fait assigner la société SNPE en intervention forcée,

afin notamment qu’elle soit déclarée entièrement tenue des conséquences préjudiciables éventuelles découlant

de l’arrêt de son activité phosgène à l’égard des sociétés du groupe Bayer et des AGF. La société Grande

Paroisse sollicitait en outre sa mise hors de cause.

Le 13 septembre 2005, la société SNPE a souscrit, auprès de la société AGF, devenue Allianz Global

Corporate & Specialty (ci-après société Allianz) un contrat d’assurance de responsabilité civile avec effet au

1er janvier 2005.

Par jugement du 13 avril 2006, le tribunal de commerce de Toulouse, ayant joint les instances, a débouté les

sociétés SNPE et Bayer de leur action fondée sur l’interruption définitive de la production de phosgène à

compter du 1er juillet 2002. Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Toulouse dans un arrêt du 9

septembre 2008, au motif que la décision d’abandonner l’activité de chimie du phosgène s’analysait en un acte

délibéré et volontaire de la part de l’Etat et de la SNPE, ayant pour effet d’anéantir tout lien de causalité avec

l’explosion de l’usine AZF.

A la suite de cet arrêt, les sociétés SNPE et Grande Paroisse se sont toutefois rapprochées, et ont conclu, le 19

décembre 2008, un protocole d’accord au titre duquel la société SNPE a perçu la somme de 242 millions

d’euros.

Par arrêt du 17 juin 2010, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la seule société Bayer contre

l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 9 septembre 2008.

* L’instance engagée par la société Bayer contre la société SNPE et la transaction

Le 26 décembre 2011, la société Bayer a engagé une action contre la SNPE afin d’être indemnisée de son

préjudice consécutif à l’arrêt définitif de la production de phosgène sur le site toulousain.

Le 5 juin 2012, la société SNPE a déclaré à la société Allianz le sinistre constitué des réclamations formées

par la société Bayer. La société Allianz a refusé d’accorder sa garantie.

Par acte du 14 avril 2015, les sociétés SNPE et Bayer ont conclu un accord transactionnel par lequel la société

SNPE devait régler une somme forfaitaire de 17 millions d’euros à la société Bayer, celle-ci renonçant à ses

réclamations d’un montant total de 104 millions d’euros.

La société Allianz maintenant sa position de refus de prise en charge, la société SNPE a introduit la présente

instance.

Par acte du 22 septembre 2015, la société SNPE a assigné la société Allianz devant le tribunal de commerce

de Versailles aux fins notamment de la voir condamner à lui verser une indemnité d’assurance globale de

17.220.226,63 euros, au titre d’une part de la somme transactionnelle de 17 millions d’euros versée à Bayer, et

d’autre part de la somme de 220.226,63 euros réglée au titre de ses frais de défense.

Par jugement du 5 septembre 2018, le tribunal de commerce de Versailles a : – Débouté la société SNPE de

ses demandes ;

— Condamné la société SNPE à payer à la société Allianz la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du

code de procédure civile ;

— Condamné la société SNPE aux dépens.

Par déclaration du 16 octobre 2018, la société SNPE a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 10 juillet 2019, la société SNPE demande à la cour de :

— Infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau :

Sur le refus de garantie invoqué par la société Allianz :

— Juger que la date de souscription du « contrat d’assurance de responsabilité civile » à effet du 1er janvier

2005 souscrit auprès de la société Allianz (aussi dénommé la « Police Agcs ») est nécessairement antérieure

au 26 janvier 2005 ;

— Juger, comme l’a dit le tribunal de commerce de Versailles le 5 septembre 2018, que l’assignation en

intervention forcée du 10 février 2005 délivrée par la société Grande Paroisse à la société SNPE n’est pas

constitutive d’une réclamation au sens de la Police Allianz ;

— Juger en conséquence, comme l’a dit le tribunal de commerce de Versailles le 5 septembre 2018, que le

sinistre, tel que défini à l’article L.124-1-1 du code des assurances et à la Police Agcs, n’était pas survenu à la

date de souscription de cette dernière ;

— Juger que la société Allianz ne démontre pas l’existence d’un passé connu au sens de l’article L.124-5 du

code des assurances, c’est-à-dire la connaissance du fait dommageable par la société SNPE au jour de la

souscription de la société Police Agcs (qui exige la démonstration de la connaissance du caractère

dommageable de la faute et du caractère inéluctable de la réclamation) ;

— en tout état de cause, juger que la société Allianz n’est pas recevable à se prévaloir de l’article L124-5 du

code des assurances pour refuser sa garantie à la société SNPE ;

— Juger que la décision d’arrêt des activités de chimie du phosgène n’est pas constitutive d’une faute dolosive

au sens de l’article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances ;

— Juger que la clause 7.3.1. de la police Agcs n’est pas applicable en l’espèce;

— Juger que la conclusion de la transaction du 19 décembre 2008 par la société SNPE avec la société Grande

Paroisse n’a pas empêché une subrogation en faveur de la société Allianz et ne permet donc pas à cette

dernière d’invoquer l’article L.121-12 alinéa 2 du code des assurances pour refuser sa garantie ;

— Juger que la transaction du 14 avril 2015 conclue entre la société SNPE et la société Bayer est opposable à

société Allianz de sorte que cette dernière n’est pas autorisée à invoquer l’article L.124-2 du code des

assurances pour refuser sa garantie.

Sur les limites de garanties invoquées par la société Allianz :

— Juger que la société Allianz ne peut se prévaloir des limites de responsabilité contractuelles incluses dans les

deux contrats entre la société SNPE et la société Bayer du 16 mars 1999 et qu’en tout état de cause, ces limites

de responsabilité sont inopérantes dans le cadre du présent litige ;

— Juger que la sous-limite de garantie prévue à l’article 10.1 de la police Allianz n’est pas applicable en

l’espèce.

En conséquence :

— Juger que le sinistre subi par la société SNPE relatif aux réclamations formulées par la société Bayer à son

encontre est garanti par le « contrat d’assurance de responsabilité civile » à effet du 1er janvier 2005 souscrit

auprès de la société Allianz ;

— Débouter la société Allianz de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;

— Condamner la société Allianz à verser à la société SNPE une indemnité d’assurance d’un montant de

17.220.226,63 €, au titre, d’une part, de la somme transactionnelle de 17.000.000 € versée à la société Bayer

et, d’autre part, de la somme de 220.226,63 € HT réglée par la SNPE au titre de ses frais de défense ;

— Condamner la société Allianz à verser à la société SNPE une somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du

code de procédure civile ;

— Condamner Allianz aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par Me Pedroletti, Avocat,

conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 21 février 2020, la société Allianz demande à la cour de :

A titre principal :

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que l’arrêt de la production de phosgène constitue une

décision volontaire de la société SNPE ;

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la connaissance du fait dommageable par la société

SNPE au moment de la souscription du contrat d’assurance, le 13 septembre 2005, la prive du bénéfice d’une

quelconque garantie et qu’ainsi le refus opposé par Allianz de mise en 'uvre de sa garantie fondé sur le défaut

d’aléa tiré d’un passé connu, est justifié tant pour la prise en charge du montant de la transaction intervenue

entre SNPE et Bayer que pour celle des frais de défense engagés par la société SNPE ;

En conséquence,

— Débouter la société SNPE de l’intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que l’arrêt de la production de phosgène constitue une

décision volontaire de la société SNPE ;

— Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que le risque n’était pas réalisé au moment de la

souscription,

et statuant à nouveau ;

— Dire et juger que la garantie de la société Allianz au titre du contrat d’assurance de responsabilité civile à

effet du 1er janvier 2005 ne trouve pas à s’appliquer à un quelconque sinistre issu de la décision volontaire de

la SNPE d’arrêter définitivement son activité de production de phosgène sur le site de Toulouse dès lors que le

risque était déjà réalisé au moment de la souscription du contrat ;

— Dire et juger que la garantie de la société Allianz au titre du contrat précité ne trouve pas à s’appliquer à un

quelconque sinistre issu de la décision volontaire de la société SNPE d’arrêter définitivement son activité de

production de phosgène sur le site de Toulouse dès lors que cette décision est constitutive d’une faute dolosive

au sens de l’article L113-1 du code des assurances qui prive la société SNPE du bénéficie d’une quelconque

garantie ;

— Dire et juger que la garantie de la société Allianz au titre du contrat précité ne trouve pas à s’appliquer à un

quelconque sinistre issu de la décision volontaire de la société SNPE d’arrêter définitivement son activité de

production de phosgène sur le site de Toulouse dès lors que les dommages immatériels non consécutifs

résultant de l’inexécution par la société de ses obligations à l’égard de la société Bayer et de ses filiales, en

l’occurrence la fourniture exclusive de phosgène sont exclus en vertu de l’article 7.3.1 de la police ;

— Dire et juger que dans la mesure où la réclamation des sociétés du groupe Bayer ne portait pas sur un

dommage garanti, les frais de défense exposés par la société Snpe n’ont pas à être pris en charge par la société

Allianz ;

En conséquence,

— Débouter la société SNPE de l’intégralité de ses demandes ;

A titre plus subsidiaire,

— Juger qu’en l’absence de production de la transaction du 14 avril 2015 sur laquelle elle se fonde, la société

SNPE ne justifie pas de l’indemnité d’assurance demandée auprès de la société Allianz ;

En conséquence,

— Débouter la société SNPE de l’intégralité de ses demandes ;

A titre infiniment plus subsidiaire :

— Dire et juger qu’à supposer la garantie applicable, les contrats du 16 mars 1999 limitant la responsabilité de

la société SNPE à l’égard de Bayer à 20 millions de francs, soit 3.859.311 € au titre des dommages

immatériels, elle devra être plafonnée à hauteur de cette somme ;

— Dire et juger qu’à supposer la garantie applicable, l’article 10.1 du contrat d’assurance limite l’engagement

maximum de l’assureur à 10.000.000 € au titre des dommages immatériels non consécutifs ;

En tout état de cause :

— Condamner la société SNPE à verser à la société Allianz la somme de 50.000 € sur le fondement de l’article

700 du code de procédure civile ;

— Condamner cette société aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Me Christophe Debray,

avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 5 mars 2020.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux

écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la recevabilité de la société Allianz à invoquer un refus de garantie

La société SNPE soutient que la société Allianz avait parfaitement connaissance, au moment de la

souscription du contrat, du fait dommageable – à savoir l’arrêt de la production du phosgène et le préjudice en

résultant pour la société Bayer – de sorte qu’elle n’est pas fondée à invoquer un refus de garantie du fait de ce

'passé connu'. Elle fait un parallèle avec l’omission de l’assuré de déclarer un risque au moment de la

souscription du contrat, et la sanction qui en résulte, à laquelle l’assuré échappe toutefois lorsque l’assureur

avait connaissance du risque omis. Elle soutient qu’il en est de même s’agissant du passé connu, lorsque

l’assureur connaissait ce passé et a toutefois accepté la souscription du contrat.

Ainsi que le fait observer la société Allianz, la société SNPE ne démontre pas les circonstances qui auraient

permis à cet assureur de connaître, avant la souscription du contrat, le préjudice invoqué par la société Bayer

du fait de l’arrêt de la production de phosgène, étant rappelé que cette connaissance est contestée par la société

SNPE elle-même.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit que la société Allianz était recevable à invoquer un refus de

garantie du fait de l’existence du passé connu.

2 – sur le refus de garantie de la société Allianz

Il résulte de l’article L. 124-5 alinéa 4 du code des assurances que la garantie déclenchée par la réclamation

couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est

antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à

l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa

date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments

constitutifs des sinistres. (….). L’assureur ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des

sinistres s’il établit que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la

garantie.

Cette disposition du code des assurances est rappelée, dans des termes identiques, à l’article 8.1 du contrat

d’assurance.

En l’espèce, la société Allianz refuse de garantir le sinistre, au motif que la société SNPE avait connaissance

du fait dommageable – à savoir l’arrêt de la production de phosgène sur le site toulousain entraînant un

préjudice pour la société Bayer – dès l’introduction de la procédure contre la société Grande Paroisse en juillet

2004, et au plus tard le 10 février 2005, date à laquelle cette société a assigné la société SNPE en intervention

forcée, soit antérieurement à la souscription de la garantie en septembre 2005. Elle fait notamment valoir que

cette assignation en intervention forcée vise directement le fait dommageable, constitué de la faute de la

société SNPE à l’égard de la société Bayer (arrêt volontaire de la production de phosgène), entraînant le

préjudice de cette dernière.

La société SNPE soutient d’une part que la garantie doit être considérée comme ayant été souscrite au plus

tard le 26 janvier 2005 et non pas le 13 septembre 2005, d’autre part qu’elle n’avait pas connaissance d’un fait

dommageable en février 2005, dès lors que la réclamation de la société Bayer était alors incertaine, voire

même inconcevable.

****

Pour rechercher, comme cela est soutenu par la société Allianz, si l’assuré avait connaissance du fait

dommageable (ou passé connu) à la date de la souscription de la garantie, il convient de déterminer d’une part

la date de la souscription de la garantie, d’autre part la date à laquelle la société SNPE a eu connaissance du

fait dommageable.

* sur la date de souscription de la garantie

Il est constant que la société SNPE a signé le contrat d’assurance Allianz le 13 septembre 2005, avec effet

rétroactif au 1er janvier 2005.

La société SNPE fait toutefois valoir que le contrat d’assurances est un contrat consensuel qui est parfait dès la

rencontre des volontés sur les éléments essentiels du contrat, affirmant, sur le fondement de divers documents,

que cette rencontre est antérieure au 26 janvier 2005.

La société Allianz soutient au contraire que les éléments produits ne permettent pas de justifier d’une

rencontre de volontés antérieure au 26 janvier 2005. Elle fait notamment observer que les documents produits

par la société SNPE n’émanent que du courtier, contestant pour le surplus les conclusions que cette société en

tire.

*****

La rencontre de volontés permettant de justifier de la souscription d’un contrat d’assurance suppose, d’une part

l’émission d’une demande d’assurance par l’assuré, d’autre part une réponse positive de l’assureur, émise soit

par ce dernier, soit par un préposé ou mandataire disposant d’un tel pouvoir.

Le 5 octobre 2004, la société SNPE a écrit à la société SIACI en ces termes: 'nous vous confirmons, par la

présente, notre volonté de vous mandater comme courtier du groupe SNPE pour les polices d’assurance dont

les ordres de remplacement sont joints à la présente, ce à effet du 1° janvier 2005.(…). Nous avons souhaité

vous mandater au plus tôt afin de vous donner le temps nécessaire à l’accomplissement des placements sur les

bases des conditions rappelées plus haut.' (conditions tarifaires modifiées le 22 septembre 2004).

La cour observe en premier lieu que la société SIACI est ici désignée comme 'courtier du groupe SNPE',

aucun élément du dossier ne permettant de démontrer qu’elle disposait également d’un mandat de la société

Allianz, lui permettant notamment d’agir en son nom. La mission confiée à la société SIACI est de procéder

au remplacement des anciennes polices d’assurance.

A compter d’octobre 2014, les sociétés SNPE et SIACI ont échangé plusieurs courriels, dont ceux des 23

décembre 2004 et 26 janvier 2005 supposés témoigner de la rencontre des volontés entre les sociétés SNPE et

Allianz.

Dans le courriel du 23 décembre 2004, la société SIACI informe la société SNPE en ces termes: 'nous avons

enfin finalisé avec les assureurs vos conditions de renouvellement de votre programme'.

Force est toutefois de constater, comme le fait observer la société Allianz, que ce courriel a pour objet la seule

'assurance aéronautique et spatiale', de sorte qu’il ne s’applique pas aux autres assurances, et notamment

l’assurance responsabilité civile professionnelle litigieuse.

Le courriel du 26 janvier 2005, ayant pour objet : 'primes RC 2005" est ainsi rédigé : 'nous vous prions de

trouver ci-joint un fichier contenant le décompte de prime sur les polices RC et RC atteintes à l’environnement

2005. C’est ce décompte qui est transmis aux AGF pour l’émission des quittances. Les chiffres d’affaires que

vous nous avez fournis dernièrement (Suède, Corée) ont modifié les enveloppes de primes réparties entre les

différentes entités, et ainsi à prime totale égale (1.500.000 euros TTC), nous avons pu alléger

significativement l’allocation de Regulus, et celle d’Isochem NA dans une moindre mesure, afin de tenir

compte de vos remarques lors de notre dernière réunion. Nous faisons le nécessaire pour que ces primes vous

soient facturées très prochainement.'.(soulignements ajoutés)

Contrairement à ce que soutient la société SNPE, le seul fait que la prime évoquée, à hauteur de 1,5 millions

d’euros, soit identique à celle qui figurera ensuite dans le contrat d’assurance signé en septembre 2015, ne

permet pas de caractériser, à la date du 26 janvier 2015, une acceptation de la société Allianz quant à la

souscription d’un contrat.

En réalité, et ainsi que le fait observer la société Allianz, ce courriel ne fait qu’annoncer la transmission du

décompte de prime à l’assureur pour l’émission des quittances et la facturation prochaine. A aucun moment, il

n’est fait état d’une acceptation de l’assureur quant à la demande de garantie formée par la société SNPE. Ce

courriel est donc insuffisant pour caractériser une rencontre des volontés justifiant de la souscription du

contrat avant le 26 janvier 2005.

Il convient donc de dire que la garantie a été souscrite le 13 septembre 2005, et de rechercher si la société

SNPE avait ou non connaissance du fait dommageable avant cette date.

* sur la date à laquelle la société SNPE a eu connaissance du fait dommageable

La société Allianz soutient que la société SNPE a eu connaissance du fait dommageable :

— dès le 1er juillet 2002, date d’arrêt de la production de phosgène sur le site de Toulouse, qui allait causer un

préjudice à la société Bayer,

— dès juillet 2004, date à laquelle la société Bayer a assigné la société Grande Paroisse devant le tribunal de

commerce de Toulouse en réparation de son préjudice du fait de l’interruption de la fabrication de phosgène,

— à tout le moins le 10 février 2005, date à laquelle la société Grande Paroisse a assigné la société SNPE en

intervention forcée devant le tribunal de commerce de Toulouse.

La société SNPE soutient que la caractérisation du passé connu implique la démonstration, certes du fait que

l’assuré connaissait, à la date de souscription du contrat, le caractère dommageable de sa faute, mais

également du caractère inéluctable d’une réclamation à son encontre. Elle ajoute qu’il résulte de la convention

inter-assureurs de gestion des sinistres, à savoir convention FFSA, que l’assureur ne peut se prévaloir de

l’exclusion du passé connu que : 's’il apporte la preuve que l’assuré avait connaissance, avant la prise d’effet du

contrat, de faits de nature à supprimer le caractère aléatoire d’une réclamation de la victime'. Elle indique enfin

qu’une réclamation de la société Bayer était bien aléatoire et même inconcevable au jour de la souscription de

la police, rappelant que cette réclamation n’est intervenue qu’en décembre 2011, après que la Cour de

cassation ait rejeté le pourvoi formé par la société Bayer contre la société SNPE, cette décision marquant un

point de rupture de la stratégie de la société Bayer qui avait jusqu’alors considéré que l’explosion de l’usine de

la société Grande Paroisse était le seul fait générateur de ses préjudices. Elle fait ainsi observer que, jusqu’à

l’arrêt de la Cour de cassation du 17 juin 2010, la société Bayer n’a jamais eu l’intention de former une

quelconque réclamation à son égard.

****

La cour observe en premier lieu que la convention FFSA est applicable : 'à tout sinistre en cours de règlement

donnant lieu à un litige entre assureurs successifs de responsabilité civile générale portant sur l’application de

la garantie dans le temps.' Force est ici de constater que le présent litige n’oppose pas deux assureurs

successifs de responsabilité, mais un assuré et son assureur, de sorte que la convention alléguée n’est pas

applicable.

Dans son assignation en intervention forcée délivrée à la société SNPE le 10 février 2005, la société Grande

Paroisse demandait au tribunal de :

— ' voire dire et juger que le préjudice allégué par les sociétés du groupe Bayer et les AGF a pour origine

exclusive la décision unilatérale de la SNPE d’arrêter son activité phosgène, elle-même à l’origine de la

rupture des contrats d’approvisionnement liant la société SNPE aux sociétés du groupe Bayer,

— voire en conséquence déclarer la SNPE entièrement tenue des conséquences préjudiciables éventuelles

découlant de l’arrêt de son activité phosgène à l’égard des sociétés du groupe Bayer et des AGF,

— voire ordonner la mise hors de cause de la société Grande Paroisse (…).'

Jusqu’à cette assignation en intervention forcée en février 2005, la société SNPE pouvait penser, de même que

la société Bayer, que l’arrêt de la production de phosgène sur le site de Toulouse – constituant le fait à l’origine

du dommage – serait imputé à la seule société Grande Paroisse du fait de l’explosion de l’usine AZF, de sorte

qu’elle n’avait pas connaissance que le caractère dommageable de ce fait pourrait lui être imputé.

Il apparaît toutefois que, par cette assignation, la société SNPE était clairement informée que sa responsabilité

était mise en cause pour le préjudice subi par les sociétés du groupe Bayer du fait de l’arrêt de la production de

phosgène, la société Grande Paroisse sollicitant purement et simplement sa mise hors de cause. Par le biais de

cette assignation, la société SNPE a ainsi eu connaissance que le fait dommageable – à savoir l’arrêt de la

production de phosgène générant un préjudice pour la société Bayer – pouvait lui être imputé.

Le fait que la société Bayer ait, dans un premier temps, axé son action contre la seule société Grande Paroisse,

et qu’elle n’ait pas voulu agir contre la société SNPE, même à titre subsidiaire est indifférent, l’essentiel étant

de constater que la société SNPE avait bien connaissance, à compter du 10 février 2005 au moins, du caractère

dommageable pour la société Bayer de l’arrêt de la production de phosgène (ce qu’elle savait à tout le moins

depuis l’introduction de la procédure de la société Bayer à l’encontre de la société Grande Paroisse en juillet

2004, visant à la réparation de son préjudice de ce fait) et du fait que sa responsabilité pouvait être engagée à

ce titre, ce dont elle a pris connaissance par cette assignation en intervention forcée délivrée en février 2005,

soit antérieurement à la souscription du contrat d’assurance en septembre 2005.

Il ressort des décisions mêmes produites par la société SNPE (Cass.2e civ. 30 juin 2011) que, si un incident

grave (réanimation cardiaque au cours d’une opération) est insuffisant à caractériser, pour le médecin assuré,

la connaissance d’un fait dommageable en ce qu’il peut encore imputer cet incident à des éléments extérieurs,

il apparaît que la demande d’expertise formulée par la victime ou ses ayant-droits, caractérise l’existence d’un

fait dommageable dès lors que l’assuré prend ainsi connaissance que le dommage pourrait lui être imputé, peu

important que la réclamation soit encore incertaine à ce stade.

Contrairement à ce que soutient la société SNPE, il n’est donc pas nécessaire, pour caractériser le passé connu,

que, outre la connaissance par l’assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable. Il

suffit que l’assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d’un fait dommageable, ou d’un fait

susceptible d’engager sa responsabilité, peu important que la réclamation de la victime soit encore incertaine à

ce stade.

C’est ainsi à bon droit que le premier juge a dit que la société SNPE avait connaissance du fait dommageable

antérieurement à la souscription de la garantie (13 septembre 2005), de sorte que la société Allianz était

fondée à refuser sa garantie, les demandes indemnitaires formées par la société SNPE devant ainsi être

rejetées, tant au titre de l’indemnisation de la société Bayer, qu’au titre des frais de défense, ces derniers ne

pouvant être pris en charge par l’assureur qu’au titre d’un dommage lui-même garanti, ainsi que cela ressort de

l’article 9.1.2.1 du contrat. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société SNPE qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés en cause d’appel.

Il est équitable d’allouer à la société Allianz une indemnité de procédure de 8.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 5 septembre 2018,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société SNPE à payer à la société Allianz Global Corporate & Specialty la somme de 8.000

euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SNPE aux dépens de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés directement par

les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure

civile.

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été

préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure

civile.

signé par Monsieur François THOMAS, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de

la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code des assurances
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Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 4 mars 2021, n° 18/07075