Cour d'appel de Versailles, 16e chambre, 11 mars 2021, n° 20/00750

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 16e ch., 11 mars 2021, n° 20/00750
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 20/00750
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Nanterre, JEX, 16 janvier 2020, N° 19/04594
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 00A

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MARS 2021

N° RG 20/00750 – N° Portalis DBV3-V-B7E-TXNQ

AFFAIRE :

K B Y

Monsieur D X

Madame F A

Madame H Y

Monsieur I Y

Monsieur J Y

C/

L Z P en sa qualité d’Huissier de Justice

S.A. 1001 VIES HABITAT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Janvier 2020 par le Juge de l’exécution de NANTERRE

N° RG : 19/04594

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 11.03.2021

à :

Me Léa GABOURY avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

Me Franck LAFON avocat au barreau de VERSAILLES

Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MARS DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame K B Y

née le […] à FORT-DE-FRANCE

de nationalité Française

Chez Madame H Y,

[…]

92290 CHATENAY-MALABRY

Monsieur D X

né le […] à FORT-DE-FRANCE

de nationalité Française

Chez Madame H Y

[…]

92290 CHATENAY-MALABRY

Madame F A

née le […] à FORT-DE-FRANCE

de nationalité Française

Chez Madame H Y

[…]

92290 CHATENAY-MALABRY

Madame H Y

née le […] à FORT-DE-FRANCE

de nationalité Française

[…]

92290 CHATENAY-MALABRY

Monsieur I Y

né le […] à FORT-DE-FRANCE

de nationalité Française

Chez Madame H Y

[…]

92290 CHATENAY-MALABRY

Monsieur J Y

né le […] à CHATENAY-MALABRY (92290)

de nationalité Française

Chez Madame H Y

[…]

92290 CHATENAY-MALABRY

Représentant : Me Léa GABOURY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 86

APPELANTS

****************

Maître L Z

P en sa qualité d’Huissier de Justice associés au sein de la SCP VENEZIA & ASSOCIES et domicilié en cette qualité au siège de celle-ci

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentant : Me Franck LAFON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 – N° du dossier 20200221

S.A D’HLM 1001 VIES HABITAT

N° Siret : 572 015 451 (R.C.S Nanterre)

[…]

[…]

Dont l’ancienne dénomination « Logement Français » a été modifiée suite à une délibération de l’assemblée générale des actionnaires statuant à titre extraordinaire en date du 28 juin 2018

Venant aux droits de la société Logement Francilien inscrite au RCS de NANTERRE sous le numéro 489 938 407 suite à l’assemblée générale statuant à titre extraordinaire qui s’est tenue le 28 juin 2018 ayant approuvé la fusion par voie d’absorption de Logement Francilien par Logement Français à effet du 1er juillet 2018, et représentée par Monsieur Philippe BRY, Président du Directoire, dont le mandat a été renouvelé par le conseil de surveillance de la Société en date du 28 Juin 2018

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Jeanine HALIMI de la SELARL JEANINE HALIMI, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 397 – Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 732 – N° du dossier 20200264

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 Janvier 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie NEROT, Président,

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon acte sous seing privé en date du 31 décembre 1981, la SA le Logement Français (aux droit de laquelle vient désormais la société 1001 Vies Habitat) a donné en location à M. D X et Mme K Y un appartement à usage d’habitation situé 3, allée des Mésanges à Châtenay-Malabry (92290).

Par ordonnance contradictoire du 29 mars 1991, le juge des référés du tribunal d’instance d’Antony a notamment constaté la résiliation du bail, condamné M. X et Mme Y à payer à titre provisionnel la somme de 9.541,11 francs au titre de l’arriéré locatif, accordé aux occupants un délai de grâce suspensif de poursuites de 19 mois, à condition qu’ils versent un acompte, mensuel de 500 francs en plus de l’indemnité d’occupation fixée au montant du loyer résultant du bail, avec clause de déchéance du terme.

Après la délivrance d’un nouveau commandement visant la clause résolutoire du 13 juillet 1994, le juge des référés du tribunal d’instance d’Antony saisi par M X et Mme Y d’une

demande de suspension des effets de la clause résolutoire, a par ordonnance contradictoire du 19 septembre 1994, constaté qu’ils sont débiteurs de la somme de 12 613,78 francs au 25 juin 1994, autorisé les débiteurs à se libérer de leur dette par versements, de 600 francs par mois, suspendu les effets de la clause résolutoire, et rappelé que si M et Mme Y se libèrent selon les modalités fixées par la décision, la clause de résiliation sera réputée ne pas avoir joué.

Par acte d’huissier en date de 1995, la date et le mois n’étant pas lisibles, un commandement de quitter les lieux a été signifié à M. X et Mme Y à la demande de la SA le Logement Français.

Le 26 août 1999, la SA le Logement Français a fait délivrer à M. X et Mme Y un second commandement de quitter les lieux en exécution de l’ordonnance du 19 septembre 1994.

Par procès-verbal du 11 septembre 2018, la société anonyme d’HLM 1001 vies habitat, anciennement dénommée le « Logement Français », a fait procéder à l’expulsion de M. X et de Mme Y, ainsi que « d’un de leurs fils et l’une de leurs filles », du 3 allée des Mésanges à Châtenay-Malabry au visa de l’ordonnance du 29 mars 1991 et de l’ordonnance du 13 juillet 1994.

Par acte d’huissier du 2 mai 2019, M. X, Mme Y, Mme F A, Mme H Y, M. I Y et Mme J Y ont fait assigner la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître L Z, huissier de justice, devant le juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Nanterre, en réparation de leurs préjudices résultant de cette expulsion illicite.

Par jugement contradictoire rendu le 17 janvier 2020, le juge de l’exécution de Nanterre a :

• rappelé que les « dire et juger » ne constituent pas des prétentions auxquelles le juge doit répondre;

• débouté Maître Z de son exception d’incompétence du juge de l’exécution ;

• accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’ordonnance de référé rendue le 19 septembre 1994 ;

• dit que le procès-verbal d’expulsion en date du 11 septembre 2008 est entaché de nullité par l’effet de la prescription du titre exécutoire ;

• condamné solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z à payer les sommes suivantes en réparation de leur préjudice moral :

*2.000 euros à M. D X

*2.000 euros à Mme K Y

*500 euros à Mme F A

*500 euros à Mme H Y

• débouté M. I Y et J Y de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

• rejeté les demandes de dommages et intérêts pour préjudice matériel pour perte et transport des meubles ;

• débouté la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z de l’ensemble de leurs demandes ;

• condamné solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z aux dépens ;

• condamné solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z à verser aux consorts Y, X et A la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

• rappelé que l’exécution provisoire de la décision est de droit.

Le 5 février 2020, les consorts Y, X et A ont interjeté appel de la décision.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 28 septembre 2020, et auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les consorts Y, X et A, appelants, demandent à la cour de :

• recevoir leur appel et les déclarer bien-fondés ;

• infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z à payer les sommes suivantes en réparation de leur préjudice moral :

*2.000 euros à M. D X

*2.000 euros à Mme K Y

*500 euros à Mme F A

*500 euros à Mme H Y

• débouté M. I Y et J Y de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et rejeté les demandes de dommages et intérêts pour préjudice matériel pour perte et transport des meubles ;

Statuant à nouveau,

• condamner solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z au paiement de la somme de 5.000 euros à chacun des 4 occupants de l’appartement, soit Mme K Y, M. D X, Mme F A et Mme H Y, en réparation de leur préjudice moral ;

• condamner solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z à payer la somme de 500 euros à M. I Y et J Y, en réparation de leur préjudice moral ;

• condamner solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z à leur payer la somme de 336 euros, en réparation du préjudice matériel lié au transport des meubles ;

• condamner la SA d’HLM 1001 vies habitat à leur payer la somme de 15.841,10 euros en réparation du préjudice matériel lié à la perte totale de leurs meubles et frais de stockage des cartons contenant leurs documents et autres effets personnels ;

• en cas d’effectivité d’une demande de paiement d’arriérés de loyers effectuée par la SA d’HLM 1001 vies habitat, ordonner la compensation entre leur créance de 15.841,10 euros qu’ils détiennent à son encontre et la créance locative de 15.841,10 euros revendiquée par la SA d’HLM 1001 vies habitat ;

• confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

Y ajoutant,

• condamner solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

• condamner solidairement la SA d’HLM 1001 vies habitat et Maître Z aux entiers dépens d’appel, dont distraction au profit de Maître Léa Gaboury, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs demandes, les consorts Y, X et A font valoir :

— que l’ordonnance rendue le 19 septembre 1994 ne pouvait plus être exécutée depuis le 17 juin 2018

par application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, et qu’il n’est justifié d’aucun acte d’exécution forcée, interruptif de prescription, entre les mois de juin 2008 et juin 2018 ; que par conséquent, le procès-verbal d’expulsion est entaché de nullité, faute de titre exécutoire valable ;

— que leur préjudice moral est parfaitement caractérisé dans la mesure où ils ont exécuté les deux ordonnances contradictoires des 29 mars 1991 et 19 septembre 1994 en réglant les arriérés de loyers ; que le solde de leur compte locataire a été reconnu nul ou créditeur par le bailleur à plusieurs reprises ; que l’huissier de justice a engagé sa responsabilité en procédant à leur expulsion sans vérifier que le titre exécutoire était toujours valable au jour de ladite expulsion; qu’ils ont été traumatisés par cette expulsion illégale et abusive à laquelle ils ne s’attendaient pas; qu’ils ont ressenti une honte à l’égard des occupants de la résidence dans laquelle ils résidaient depuis 37 ans et ont du être hébergés en urgence chez un autre membre de la famille dont l’appartement ne permet pas de recevoir dignement quatre personnes supplémentaires ; que Mme K Y était âgée de 80 ans au moment de l’expulsion ; que s’agissant de leur préjudice matériel, ils ont dû se rendre à plusieurs reprises au garde-meubles pour récupérer quelques uns de leurs biens accumulés pendant 37 ans et louer une camionnette ; que n’ayant pas de solution de repli, ils ont été contraints d’abandonner une grande partie de leur mobilier et n’ont pu prendre que des cartons d’affaires et documents ; qu’ils vont devoir racheter les biens qu’ils ont été contraints d’abandonner quand ils trouveront un appartement ; que par conséquent, ils sollicitent la condamnation de l’ex bailleur à leur verser la somme de 15.841 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel, qui se compensera avec la dette de loyers alléguée par la SA d’HLM 1001 vies habitat, outre le remboursement des frais de transport des meubles pour 336 euros.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 27 novembre 2020, et auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA d’HLM 1001 vies habitat, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

• infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

• dire et juger que les commandements d’avoir à quitter les lieux et le procès-verbal d’expulsion du 11 septembre 2018 sont parfaitement valables ;

• maintenir les effets produits par ces actes ;

• dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité ;

• dire et juger que les demandeurs ne justifient pas d’un quelconque préjudice ;

• débouter les consorts Y, X et A de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à son encontre ;

En tout état de cause,

• condamner les consorts Y, X et A in solidum à lui régler la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

• condamner les consorts Y, X et A aux entiers dépens de première instance et d’appel en vertu de l’article 699 du code de procédure civile dont distraction au profit de la SELARL Minault ' Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau, avocat aux offres de droit.

Au soutien de ses demandes, la SA d’HLM 1001 vies habitat fait valoir :

— qu’en application des termes de l’ordonnance du 19 septembre 1994, la clause résolutoire a P effet de plein droit dès le 15 février 1995, faute de paiement par les locataires à la date d’échéance fixée par le juge ; que l’itérative réquisition de la force publique du 28 août 2017 et le concours de la force publique accordé le 8 février 2018 ont interrompu le délai de prescription ;

— que la demande tendant à l’octroi de dommages et intérêts en réparation des préjudices allégués est

mal fondée au motif que la procédure d’expulsion diligentée est valide ; que Mme K Y, M. D X, Mme F A et Mme H Y ne produisent aucune pièce au soutien de leurs prétentions ; qu’au jour de l’expulsion, seules trois personnes vivaient dans l’appartement et non quatre, de sorte qu’il n’est pas démontré que Mme H Y vivait effectivement dans ledit appartement ; que M. I Y et Mme J Y se sont desistés de la procédure devant le juge de l’exécution au motif qu’ils avaient récupéré leurs biens immobiliers et Mme J Y a signé une attestation de sortie de garde-meubles le 9 octobre 2018, de sorte que leur demande d’indemnisation est mal fondée.

Dans ses conclusions notifiées le 27 novembre 2020, et auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Maître Z, intimé et appelant incident, demande à la cour de :

À titre principal,

• juger irrecevables les conclusions des consorts Y, X et A, faute de justifier de leur adresse actuelle ;

• juger les consorts Y, X et A mal fondés en leur appel ;

• recevoir son appel incident ;

• infirmer le jugement entrepris notamment en ce qu’il a accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription, déclaré nul le procès-verbal d’expulsion en date du 11 septembre 2018, reçu les consorts Y, X en leurs demandes d’indemnisation et en ce qu’il l’a débouté de ses demandes ;

• juger que leur reconnaissance de dette a interrompu le délai de prescription ;

• rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’ordonnance de référé prononcée le 19 septembre 2014 ;

• juger régulier le procès-verbal d’expulsion en date du 11 septembre 2018 ;

• déclarer irrecevables les demandes d’indemnisation des consorts Y, X et A ;

À titre subsidiaire,

• débouter les consorts Y, X et A de leurs demandes d’indemnisation ;

• confirmer pour le surplus le jugement entrepris ;

• condamner les consorts Y, X et A à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

• condamner les consorts Y, X et A aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Maître Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, Maître Z fait valoir :

— que l’ordonnance rendue le 19 septembre 1994 constitue un titre exécutoire valable ;

— qu’un nouveau délai de prescription de dix ans a commencé à courir non pas à compter du commandement de quitter les lieux du 26 août 1999 mais à compter du 18 juin 2008, date de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, de sorte que le délai de prescription courait jusqu’au 18 juin 2018, mais qu’en tout état de cause, il a été interrompu par les commandements de quitter les lieux délivrés les 11 juillet 1995 et 26 août 1999, puis par l’itérative de réquisition de la force publique en date du 28 août 2017 ou l’octroi de la force publique par la préfecture le 2 février 2018 qui en tant qu’actes faisant partie intégrante de l’acte d’exécution forcée, constituent des actes interruptifs de prescription ; que les règlements successifs effectués par les deux locataires constituent une reconnaissance du principe de la dette, interrompant aussi le délai de prescription; que par conséquent, le procès-verbal d’expulsion du 11 septembre 2018 est valide;

— que les conclusions des appelants sont irrecevables au visa des articles 960 et 961, alinéa 1er du code de procédure civile, faute de justifier de leur adresse actuelle ou réelle, de sorte que la demande en réparation de leur préjudice moral est mal fondée ; qu’en outre, l’existence d’un préjudice moral n’est pas démontrée ;

— que le procès-verbal d’expulsion précise que seules trois personnes vivaient dans l’appartement et non quatre ; que la demande d’indemnisation formée par M F A et Mme H Y au titre de leur préjudice moral est irrecevable et à titre subsidiaire, mal fondée au motif qu’ils ne sont pas titulaires du bail et ne justifient pas d’une habitation continue dans les lieux ; qu’enfin, s’agissant du préjudice matériel allégué, les consorts Y et X ne versent aux débats aucun document justifiant qu’ils vont s’installer dans un nouvel appartement et devoir acquérir de nouveaux biens pour une somme de 15.841,10 euros.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 12 janvier 2021. L’audience de plaidoirie a été fixée au 20 janvier 2021 et le prononcé de l’arrêt au 11 mars 2021 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les « dire et juger » ne sont pas des prétentions, mais des rappels des moyens invoqués à l’appui des demandes, ne conférant pas -hormis les cas prévus par la loi- de droit à la partie qui les requiert, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ces points.

Sur l’irrecevabilité tirée de l’absence prétendue d’adresse des appelants

Me Z fonde ce moyen sur les articles 960 et 961 du code de procédure civile en vertu desquels les conclusions des parties ne mentionnant pas notamment concernant les personnes physiques leur domicile, sont irrecevables, cette fin de non-recevoir pourant être régularisée jusqu’à la clôture de la procédure.

Les consorts Y ont saisi le juge de l’exécution en déclarant demeurer ensemble chez Mme M N avenue de la Division Leclerc à Chatenay-Malabry, chez qui ils ont trouvé refuge après l’expulsion du 11 septembre 2018. Aucun des courriers de notification leur ayant été envoyé à cette adresse n’est revenu avec une mention les y déclarant inconnus. Ils ont déclaré cette adresse dans leur acte d’appel, et réitéré cette mention dans leurs conclusions devant la cour.

Une partie de leur argumentation est fondée sur le fait qu’ils sont hébergés chez des proches dans des conditions ne permettant pas de les accueillir dignement, que n’ayant pas actuellement de logement propre pour y entreposer leurs meubles, ils ont été contraints d’abandonner ceux qui garnissaient leur ancien logement, et devront racheter de quoi garnir un nouveau logement une fois qu’ils en auront intégré un. A défaut de tout élément de fait susceptible de faire douter de la réalité de leur domicile provisoirement établi à cette adresse, la fin de non-recevoir soulevée par Me Z sera rejetée.

Sur la validité de l’expulsion au regard du titre exécutoire

L’acte d’expulsion du 11 septembre 2018 mentionne que la mesure a été diligentée en vertu de l’ordonnance du 29 mars 1991, et de celle du 19 septembre 1994 précédemment signifiées. La cour note ainsi que l’avait relevé le premier juge qu’aucune des parties n’est en mesure de produire les actes de signification.

Quoi qu’il en soit, l’ordonnance du 19 septembre 1994 ayant été rendue après la délivrance d’un

commandement visant la clause résolutoire incluse au bail, le bailleur avait nécessairement renoncé à s’en prévaloir en exécution de l’ordonnance précédente du 19 mars 1991. C’est donc irrégulièrement que cette décision est invoquée dans l’acte comme titre exécutoire. D’ailleurs, ni le commandement de quitter les lieux de 1995 ni celui de 1999 ne se référaient à cette ordonnance de 1991.

En ce qui concerne l’ordonnance du 19 septembre 1994, elle a autorisé M X et Mme Y à se libérer de leur dette de de 12 613,78 francs par versements de 600 francs en plus du loyer courant, soit sur un délai de 22 mois à compter de la signification de l’ordonnance.

Dans ses écritures, la société 1001 Vies Habitat soutient que la signification aurait eu lieu le 21 octobre 1994 et que les sommes seraient devenues exigibles le 15 novembre 1994, et que les versements irréguliers des locataires permettaient au bailleur de se prévaloir des effets de la clause résolutoire au 15 février 1995.

L’examen de l’historique du compte locatif de M X et Mme Y permet de constater qu’ils ont commencé à régler l’arriéré à compter d’octobre 1994, donc avec un mois d’avance. Au 10 février 1995 ils avaient versé leur 4e échéance de 600 francs, et leur dette avait diminué de 3000 €, la clause résolutoire n’était donc pas acquise au 15 février 1995 comme le prétendent les intimés.

Dès le mois de mars 1995 les débiteurs se sont mis à verser des sommes plus importantes que prévues par l’ordonnance en plus du loyer courant, de telle sorte qu’ils ont totalement apuré leur arriéré locatif comprenant la somme visée par l’ordonnance de 12 613,78 francs, au 12 juillet 1995, soit avec un an d’avance sur les délais octroyés par le juge. Un bailleur ne peut prétendre à un non-respect strict de l’échéancier pour se prévaloir des effets de la clause résolutoire alors que les divergences sont opérées en sa faveur.

Il en résulte qu’au 12 juillet 1995 et conformément au dispositif de l’ordonnance du 19 septembre 1994, la clause de résiliation est réputée ne pas avoir joué. Le bail avait donc repris son plein et entier effet entre les parties, et cette ordonnance ne pouvait plus être invoquée pour fonder la délivrance du commandement illisible de 1995, et encore moins celui du 26 août 1999, qui était abusif, puisqu’en admettant qu’un nouvel arriéré locatif soit apparu à cette date, le bailleur ne pouvait faire l’économie de délivrer un nouveau commandement de payer avant de se prévaloir à nouveau de la clause résolutoire et de requérir pour ce faire un nouveau titre d 'expulsion.

L’expulsion pratiquée le 11 septembre 2018, sans aucun titre exécutoire, l’ordonnance du 19 septembre 1994 ayant perdu son effet avant même d’être prescrite, est donc radicalement nulle.

C’est à ce motif que la nullité de l’expulsion prononcée par le juge de l’exécution doit être prononcée, le moyen tiré de la prescription étant surabondant, et peu important qu’une réquisition de la force publique puisse être une cause d’interruption de la prescription d’un titre privé d’effets juridiques car exécuté.

Sur l’indemnisation des préjudices subis

Au-delà d’une expulsion pratiquée sans titre exécutoire, il doit être retenu qu’ici le dernier titre exécutoire ayant existé remontait à 24 ans, sans aucun acte récent destiné à alerter les locataires sur les intentions du bailleur relativement à la libération des lieux, en dehors de ses demandes récurrentes sur l’irrégularité de règlement les loyers et l’accroissement de la dette locative, dont le montant n’a pas été constaté et sanctionné judiciairement.

Il doit être rappelé que lorsque l’expulsion est légalement encourue, elle est entourée de précautions et de diligences devant prévenir la perte du logement et favoriser le relogement des personnes.

Cependant, l’article 62 dernier alinéa de la loi du 9 juillet 1991 dans sa version applicable lorsque le commandement du 26 août 1999 a été délivré (puisqu’il s’agit du dernier acte précurseur de l’expulsion menée le 11 septembre 2018), prévoyait que « dès le commandement d’avoir à libérer les locaux à peine de suspension du délai avant l’expiration duquel l’expulsion ne peut avoir lieu, l’huissier de justice chargé de l’exécution de la mesure d’expulsion doit en informer le représentant de l’Etat dans le département en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l’occupant dans le cadre du plan départemental visé à l’alinéa précédent » : et l’article 17 de la même loi dans sa version applicable, que « l’huissier de justice chargé de l’exécution peut requérir le concours de la force publique ».

Il n’est pas justifié de l’information donnée au représentant de l’Etat, ni « dès le commandement », ni avant la demande de concours de la force publique, auquel cas, il aurait été tenu compte de l’âge de Mme K Y (80 ans). Les occupants de l’appartement repris illégalement par la société 1001 Vie Habitat avec brutalité et sans préavis ont donc été privés de tout cadre protecteur.

Le juge de l’exécution a compétence pour réparer les conséquences dommageables des acte d’exécution forcée, et l’huissier instrumentaire, apportant son concours à une mesure irrégulière dont il devait au contraire garantir la légalité peut être poursuivi en réparation des préjudices subis, et tenu solidairement avec le poursuivant à en réparer les conséquences dommageables.

Le préjudice moral de M X et Mme Y, ainsi que des deux enfants occupants de leur chef (selon les mentions du procès-verbal d’expulsion), F A et H Y privés de leur logement dans ces conditions, est indéniable. Me Z a indiqué dans son procès-verbal qu’à son arrivée 4 personnes occupaient l’appartement. Aucune des pièces des intimés ne vient étayer l’affirmation selon laquelle l’un de ces deux enfants, qui n’est d’ailleurs pas nommé, ne vivait pas sur place. Ils sont donc tous quatre également recevables à demander l’indemnisation de leur préjudice moral. En réparation il leur sera alloué 4000 € chacun à titre de dommages et intérêts.

I et J Y, qui ne résidaient pas sur place et ne sont donc pas victimes de la mesure d’expulsion dommageable donnant compétence au juge de l’exécution et à la cour statuant avec les mêmes pouvoirs, ne sont pas recevables à présenter devant cette juridiction une demande de réparation au titre de leur préjudice moral ou matériel. Le jugement sera infirmé en ce qu’il les a déboutés de cette demande.

En ce qui concerne le préjudice matériel, à défaut pour F A et H Y de rapporter la preuve de la perte de biens mobiliers leur appartenant dans le déménagement indû de leurs affaires, seuls M X et Mme K B Y sont recevables en leur qualité de locataires des lieux, et donc présumés propriétaires des biens d’y trouvant, à déménager ou déclarés abandonnés, à solliciter l’indemnisation de leur préjudice de ce chef.

Ils justifient des frais engagés pour se déplacer à trois reprises au garde-meuble, même si compte tenu de leur âge ils se sont fait représenter dans cette démarche, soit 336 € et de la charge mensuelle du lieu de stockage dans lequel ils ont fait entreposer une partie de leurs affaires, soit, au vu des factures produites, d’octobre 2018 à août 2020, une somme de 7946,20 €. En revanche, ils ne justifient pas de l’évaluation des biens qu’ils déclarent avoir été contraints d’abandonner, invoqués à l’appui d’une fixation « forfaitaire » de leur préjudice, regroupant la perte d’une partie de leurs biens, ou une valeur de remplacement et le coût de stockage du surplus, à une somme de 15 841,10 € correspondant opportunément au montant de leur dette locative en vue d’une compensation.

Seul le préjudice actuel et certain pouvant être indemnisé, il sera fait droit à leur demande au titre du dommage matériel à hauteur de la somme de (336 + 7 946,20 = ) 8 282,20 €.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Le intimés supporteront les dépens d’appel et l’équité commande d’allouer à D X,

K B Y, F A, et H Y la somme de 2000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétible de la procédure d’appel. I et J Y qui ont échoué en leur appel seront déboutés de leur demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Statuant publiquement par décision contradictoire rendue en dernier ressort,

REJETTE la fin de non recevoir opposée aux conclusions des appelants ;

Confirme la décision entreprise en ce qu’elle a dit que le procès-verbal d’expulsion du 11 septembre 2018 est entaché de nullité, débouté la SA 1001 Vie Habitat et Me L Z de l’ensemble de leurs demandes, et les a condamnés au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Constate que l’ordonnance de référé du 19 septembre 1994 ne constitue pas un titre exécutoire susceptible de fonder l’expulsion ;

INFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions comprises dans l’effet dévolutif de l’appel ;

Statuant à nouveau,

Déclare I et J Y irrecevables en leurs demandes de dommages et intérêts ;

Condamne in solidum la SA 1001 Vie Habitat et Me L Z à payer à D X, K B Y, F A, et H Y chacun la somme de 4000 € au titre de leur préjudice moral ;

Déboute F A, et H Y de leurs demandes au titre du préjudice matériel ;

Condamne in solidum la SA 1001 Vie Habitat et Me L Z à payer à D X, K B Y la somme de 8282,20 € au titre de leur préjudice matériel ;

Condamne in solidum la SA 1001 Vie Habitat et Me L Z à payer à D X, K B Y, F A, et H Y la somme totale de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne in solidum la SA 1001 Vie Habitat et Me L Z aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions posées par l’article 699 alinéa 2 du code de procédure civile.

— prononcé et par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Sylvie NEROT, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

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Cour d'appel de Versailles, 16e chambre, 11 mars 2021, n° 20/00750