Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre (formation à 3), 17 février 2015, 13BX00287, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 3e ch. (formation à 3), 17 févr. 2015, n° 13BX00287
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 13BX00287
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Mayotte, 5 décembre 2012, N° 1100483
Identifiant Légifrance : CETATEXT000030255731

Sur les parties

Texte intégral

Vu la requête, enregistrée le 28 janvier 2013, présentée pour Mme A… B…, demeurant…, par la Scp Belot Cregut Hameroux ;

Mme B… demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1100483 du 6 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 11 octobre 2011 du préfet de Mayotte mettant fin à ses fonctions d’huissier à compter du 14 octobre 2011 et supprimant à la même date la charge dont elle est titulaire ;

2°) d’annuler l’arrêté contesté ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 12 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

— -----------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code pénal ;

Vu la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer ;

Vu la loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009 relative à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et à la départementalisation de Mayotte ;

Vu l’ordonnance n° 2012-579 du 26 avril 2012 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dans le département de Mayotte ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte ;

Vu la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

Vu le décret n° 75-770 du 14 août 1975 ;

Vu l’acte n° 29 du 31 décembre 1970 de la chambre des députés des Comores relatif aux huissiers et aux agents d’exécution ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 20 janvier 2015 :

— le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, premier conseiller ;

 – les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public ;

 – les observations de Scp Belot-Cregut-Hameroux, avocat de Mme B…;

Vu la note en délibéré en date du 27 janvier 2015 présentée par la Scp Belot-Cregut-Hameroux pour Mme B… ;

1. Considérant que Mme B… relève appel du jugement du 6 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet de Mayotte du 11 octobre 2011 mettant fin à ses fonctions d’huissier à compter du 14 octobre 2011 et supprimant sa charge à compter de cette même date ;

Sur la décision mettant fin aux fonctions de Mme B… :

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 76 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte : « II. – Lorsqu’une délibération de l’assemblée territoriale ou un acte de la chambre des députés des Comores, intervenus dans une matière ne relevant pas de la compétence de la collectivité départementale de Mayotte, renvoie, pour son exécution, à l’édiction, par le conseil de gouvernement, le président du conseil de gouvernement du territoire, ou les ministres du territoire de dispositions non réglementaires, celles-ci sont prises par le représentant de l’Etat. » ; que l’article 5 de l’acte n° 29 du 31 décembre 1970 de la chambre des députés des Comores relatif aux huissiers et aux agents d’exécution, sur le fondement duquel a été prise la décision mettant fin aux fonctions de Mme B…, disposait : « Les huissiers et les agents d’exécution sont nommés par le Président du conseil de gouvernement. / Il est mis fin d’office à leur fonction lorsqu’ils atteignent l’âge de 60 ans révolus » : qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que le préfet de Mayotte était compétent pour prendre la décision contestée, qui est une décision individuelle et non, comme le soutient la requérante, une décision réglementaire ; que, par suite, le moyen tiré de l’incompétence du préfet doit être écarté ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu’en visant l’article 5 de l’acte n° 29 du 31 décembre 1970 de la chambre des députés des Comores et en relevant que Mme B… atteindrait l’âge de soixante ans révolus le 14 octobre 2011, le préfet a suffisamment motivé sa décision ;

4. Considérant, en troisième lieu, que si le Département de Mayotte relève, depuis le 31 mars 2011, en application de l’article L.O. 3511-1 du code général des collectivités territoriales, du régime de l’identité législative prévu à l’article 73 de la Constitution, l’instauration d’un tel régime n’a pas pour effet de rendre applicable au Département de Mayotte l’ensemble du droit applicable en métropole en lieu et place de la législation spéciale en vigueur dans cette collectivité mais permet seulement l’applicabilité de plein droit, au Département de Mayotte, des lois et règlements édictés à compter de cette date, sous réserve des adaptations éventuelles tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de cette collectivité ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, le régime de l’identité législative n’a pas eu pour effet de rendre applicable à Mayotte le décret n°75-770 du 14 août 1975 relatif aux conditions d’accès à la profession d’huissier de justice ainsi qu’aux modalités des créations, transferts et suppressions d’offices d’huissier de justice ; que l’article L.O. 6113-1 du code général des collectivités territoriales, entré en vigueur le 1er janvier 2008, qui a prévu pour Mayotte un régime d’identité législative sous réserve de certaines exceptions, n’a pas davantage eu un tel effet ; qu’à la date à laquelle est intervenue la décision litigieuse, aucune disposition législative ou réglementaire n’avait abrogé, explicitement ou implicitement, l’acte n° 29 de la chambre des députés des Comores relatif aux huissiers et aux agents d’exécution qui était donc encore en vigueur à Mayotte ; qu’aucune règle ni aucun principe n’impose qu’il en soit autrement pour les dispositions nationales plus favorables aux droits des individus ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cet acte avait cessé de produire ces effets le 11 octobre 2011 ne peut qu’être écarté ;

5. Considérant, en quatrième lieu, qu’à supposer que Mme B… ait entendu se prévaloir, pour contester la décision litigieuse, des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ce moyen n’est pas assorti des précisions permettant à la cour d’en apprécier le bien-fondé ;

6. Considérant, en cinquième lieu, que les dispositions du préambule de la Constitution de 1946, aux termes desquelles « Chacun à le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi », ne s’imposent à l’administration, en l’absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français ; que, par suite, Mme B… ne saurait, en tout état de cause, pour critiquer la légalité de la décision mettant fin d’office à ses fonctions, invoquer ce principe indépendamment desdites dispositions ;

7. Considérant, en sixième lieu, qu’en vertu de l’acte n° 29 du 31 décembre 1970, les huissiers sont des officiers ministériels qui signifient les actes et les exploits, exécutent les décisions de justice, et sont chargés du service des audiences du tribunal supérieur d’appel, du tribunal de première instance, des sections détachées et de la cour criminelle ; que leurs droits et émoluments sont tarifés par arrêté ; que les charges d’huissiers sont attribuées aux candidats par décision de l’autorité publique sans qu’ils aient à acquérir un office et sans qu’ils aient, dès lors, le droit de présenter un successeur ; que, dans ces conditions, la profession d’huissier telle qu’elle était définie et organisée à Mayotte sous l’empire de ces dispositions n’entrait pas dans le champ de la liberté d’entreprendre découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que, en ce qu’il prévoit qu’il est mis d’office aux fonctions des huissiers lorsqu’ils atteignent l’âge de 60 ans révolus, l’article 5 de l’acte n° 29 du 31 décembre 1970 méconnaît la liberté d’entreprendre ne peut être accueilli ;

8. Considérant, en septième lieu, que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ;

9. Considérant que Mme B… soutient que la fixation, par l’article 5 de l’acte n°29 du 31 décembre 1970, d’une limite d’âge dans l’exercice de la profession d’huissier à Mayotte méconnaîtrait le principe d’égalité entre les huissiers relevant du régime défini par cet acte ; que, toutefois, eu égard à l’intérêt général qui s’attache à la recherche d’une meilleure distribution des emplois entre les générations, la fixation à 60 ans révolus de l’âge limite d’exercice des fonctions d’huissier à Mayotte, compte tenu en outre de ce que cet exercice n’est pas subordonné à l’acquisition d’un office, ne peut être regardée comme constituant une différence de traitement portant atteinte au principe d’égalité ;

10. Considérant que Mme B… soutient également que la fixation à 60 ans de l’âge limite pour exercer les fonctions d’huissiers à Mayotte crée au détriment de ces derniers une rupture de l’égalité par rapport aux huissiers de justice relevant du régime de droit commun ; que toutefois, les huissiers relevant du régime défini par l’acte n° 29 du 31 décembre 1970 sont recrutés par examen, sans aucune condition de diplôme, n’ont pas à acquérir un office, ne sont pas titulaires d’un droit de présentation, ne sont pas organisés en chambres et sont ainsi dans une situation différente de celle des huissiers relevant du régime de droit commun ; que, dans ces conditions, le traitement différent qui leur est réservé du fait de la fixation à 60 ans de l’âge limite d’exercice de leurs fonctions, qui est en rapport direct avec cette situation, et qui n’est pas manifestement disproportionné aux objectifs qui le fondent, ne porte pas atteinte au principe d’égalité ;

11. Considérant, en huitième lieu, que Mme B…, qui était un huissier régi par l’acte n° 29 du 31 décembre 1970 de la chambre des députés des Comores, n’est pas fondée à soutenir qu’elle remplissait les conditions de diplômes et de stage pour devenir huissier de justice relevant du régime de droit commun et qu’il y a lieu dès lors de lui appliquer les textes régissant ces derniers ;

12. Considérant, en neuvième lieu, que la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail n’est, en l’absence d’une disposition expresse, pas applicable à la catégorie des pays et territoire d’outre-mer au sens du droit de l’Union européenne à laquelle appartient Mayotte ; qu’en tout état de cause, ayant été complètement transposée, elle ne peut être invoquée directement ;

13. Considérant, en dixième lieu, que la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ne mentionne pas son application à Mayotte ; qu’ainsi qu’il a été dit au point 4, le passage au régime de l’identité législative n’a pas eu pour effet de rendre les textes de droit commun alors en vigueur en métropole applicables de plein droit à Mayotte ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 2° de l’article 2 de la loi du 27 mai 2008, qui interdit toute discrimination directe ou indirecte fondée sur l’âge en matière d’accès à l’emploi, doit être écarté ;

14. Considérant, en onzième lieu, qu’une réglementation prévoyant un âge limite d’exercice d’une profession sans dérogation n’est pas, par elle-même, contraire au principe de non-discrimination du droit de l’Union ; qu’elle ne méconnaît pas davantage les articles 225-1 et suivants du code pénal ;

15. Considérant, en douzième et dernier lieu, que la requérante n’est pas fondée à revendiquer l’application des dispositions de l’ordonnance n° 2012-579 du 26 avril 2012 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dans le département de Mayotte, qui sont de toute façon postérieures à la décision attaquée ;

Sur la décision de suppression de la charge d’huissier dont était titulaire Mme B… :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

16. Considérant qu’aux termes de l’article 76 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte : «   » I. – Lorsqu’une délibération de l’assemblée territoriale ou un acte de la chambre des députés des Comores, intervenus dans une matière ne relevant pas de la compétence de la collectivité départementale de Mayotte, renvoie, pour son exécution, à l’édiction de dispositions réglementaires, celles-ci sont prises, par analogie avec le régime en vigueur dans les départements pour la matière en cause, par décret en Conseil d’Etat, par décret ou par arrêté ministériel. » ; qu’aux termes de 7 de l’acte n° 29 du 31 décembre 1970 de la chambre des députés des Comores relatif aux huissiers et aux agents d’exécution : « Le président du conseil du gouvernement (…) institue les charges d’huissier et en fixe le siège et le ressort » ;

17. Considérant que la décision de supprimer la charge d’huissier de Mme B… a été prise sur le fondement de l’article 7 précité de l’acte n° 26 du 31 décembre 1970 ; qu’une telle décision, relative à l’organisation du service public de la justice à Mayotte, présente un caractère réglementaire ; qu’elle est ainsi au nombre des décisions qui, entrant dans le champ des dispositions précitées du I de l’article 76 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001, ne peuvent pas être prises par le préfet de Mayotte ; que, par suite, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte doit être accueilli ;

18. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme B… est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté du préfet de Mayotte du 11 octobre 2011 en tant qu’il supprime sa charge d’huissier à compter du 14 octobre 2011 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par Mme B… ;


DÉCIDE :


Article 1er : L’arrêté du préfet de Mayotte du 11 octobre 2011 est annulé en tant qu’il supprime la charge d’huissier de Mme B… à compter du 14 octobre 2011.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B… est rejeté.

Article 3 : Le jugement du 6 décembre 2012 du tribunal administratif de Mayotte est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

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N° 13BX00287

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