CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 5 octobre 2021, 19BX00647, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 2e ch., 5 oct. 2021, n° 19BX00647
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 19BX00647
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044172519

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C… B… a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler la décision du 25 janvier 2018 par laquelle le chef de l’établissement Naval Group d’Angoulême-Ruelle n’a pas agréé sa demande d’accès au site de cet établissement.

Par un jugement n° 1800409 du 19 décembre 2018, le tribunal a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 février 2019 et des mémoires enregistrés les 6 janvier et 25 mars 2021, la société anonyme (SA) Naval Group, représentée par l’association d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle Darrois, Villey, Maillot, Brochier, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. B… ;

3°) de mettre à la charge de M. B… une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la ministre des armées n’était pas tenue de transmettre au juge les éléments confidentiels de l’enquête administrative, alors même que la commission consultative avait émis un avis favorable à leur déclassification ; en indiquant que le comportement personnel de l’intéressé révèle des vulnérabilités pour le secteur de la défense nationale, elle a communiqué au juge des éléments suffisamment précis et circonstanciés pour lui permettre d’apprécier le bien-fondé de la décision litigieuse ; la communication d’éléments plus précis aurait pu poser un problème de sécurité en permettant à une personne présentant une vulnérabilité de connaître le contenu de l’enquête effectuée à son sujet ; l’intéressé n’a d’ailleurs pas démontré que son comportement n’était pas de nature à justifier le refus d’accès qui lui était opposé ; c’est ainsi à tort que le tribunal, qui n’a pas tenu compte des exigences attachées au respect du secret de la défense nationale, a annulé la décision ;

 – en vertu des dispositions de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration, la décision n’avait pas à être motivée dès lors que la communication des motifs pourrait porter atteinte au secret de la défense nationale et à la sûreté de l’Etat ; le contenu de l’avis confidentiel rendu à la suite du contrôle élémentaire, après consultation d’un fichier classifié, ne pouvait davantage être divulgué car il est protégé en vertu de l’article 5 de l’instruction générale interministérielle (IGI) n° 1300 ; la décision est par ailleurs suffisamment motivée ;

 – les dispositions de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration relatives à la procédure contradictoire applicables aux décisions devant être motivées n’ont pas davantage été méconnues ;

 – le principe général des droits de la défense n’impose pas qu’un administré soit mis à même de présenter des observations préalables lorsqu’une décision est prise à la suite d’une demande de sa part ;

 – l’avis de la commission consultative ne lie pas le ministre en ce qui concerne la déclassification d’informations sensibles ;

 – les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et par suite celles de l’article 13, sont inapplicables au litige ;

 – elle s’associe aux observations de la ministre des armées et précise toutefois que si la procédure de contrôle élémentaire s’est déroulée normalement, son officier de sécurité n’a jamais eu connaissance des motifs de l’avis, l’article 24 de l’IGI n° 1300 invoqué par la ministre, relatif à l’habilitation, étant inapplicable au contrôle élémentaire régi par l’article 32.

Par des mémoires enregistrés le 31 décembre 2019, 4 mars 2020 et 8 janvier 2021, la ministre des armées soutient que :

 – elle a la qualité d’observateur et non de défendeur dans la présente instance ;

 – les premiers juges ont exercé à tort un contrôle de légalité sur sa décision

du 4 octobre 2018 de ne pas déclassifier les éléments de nature à établir la réalité des griefs ayant conduit au rejet de la demande de M. B…, alors que cette décision est sans incidence sur la légalité de la décision contestée du 25 janvier 2018 prise par la SA Naval Group, entreprise privée qui n’était pas liée par l’avis de sécurité rendu par le service enquêteur du ministère des armées ; l’officier de sécurité désigné par la SA Naval Group en vertu de l’article 15 de l’IGI n° 1300 dispose, en cas d’avis restrictif ou défavorable, de la fiche confidentielle comportant les motifs de l’avis dont il informe l’autorité décisionnaire, de sorte que la décision du 11 décembre 2017 a été prise en connaissance de cause ;

 – le tribunal a assimilé la non communication d’éléments classifiés à un défaut de preuve de leur exactitude matérielle, préférant accorder du crédit aux simples dénégations de l’intéressé qui fait valoir qu’aucun élément de son comportement n’est de nature à justifier la décision contestée ;

 – contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, elle a exposé, même succinctement, les raisons justifiant que les informations protégées à l’origine de la décision en litige soient écartées des débats, et a ainsi mis le juge à même d’exercer son contrôle ;

 – la SA Naval-Group doit pouvoir accorder une confiance totale aux personnes travaillant sur le site d’Angoulême-Ruelle, dédié à la fabrication et aux tests de systèmes complexes, de sorte que la décision ne peut être regardée comme entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

 – l’avis rendu par le service enquêteur reposant sur des informations couvertes par le secret de la défense nationale, la décision n’avait pas à être motivée.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 novembre 2020, M. B…, représenté par Me Occhipinti, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la SA Naval Group une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

 – l’absence de communication des raisons pour lesquelles un contrôle élémentaire aboutit à une décision négative constitue une violation du principe général des droits de la défense, lequel impose à l’autorité administrative de mettre l’intéressé à même de présenter des observations lorsqu’elle prend une décision en considération de sa personne ;

 – les décisions administratives doivent être motivées en vertu de l’art L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration ;

 – les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ont également été méconnus par l’absence de communication des motifs pour lesquels le contrôle élémentaire a conduit à une décision défavorable ;

 – c’est à bon droit que le tribunal a annulé la décision pour erreur manifeste d’appréciation ;

 – les moyens invoqués par la SA Naval Group ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code de la défense ;

 – le code de la sécurité intérieure ;

 – l’arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l’instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme A…,

 – les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

 – et les observations de Me Griffart, représentant la SA Naval Group.

Considérant ce qui suit :

1. M. B…, employé d’une société prestataire de services qui intervenait depuis plusieurs années en qualité de technicien multitechnique sur le site d’Angoulême-Ruelle

de la société Naval Group, a sollicité en décembre 2017 le renouvellement de son autorisation d’accéder à ce site réglementé au titre de la protection du secret de la défense nationale. Par une décision du 25 janvier 2018, le chef d’établissement d’Angoulême-Ruelle a rejeté sa demande après la réalisation d’un contrôle élémentaire par les services du ministère des armées. Par un jugement avant dire droit du 30 mai 2018, le tribunal administratif de Poitiers, saisi par M. B… d’une demande d’annulation de cette décision, a invité la ministre des armées à lui communiquer dans un délai de trois mois, après avoir pris l’avis de la commission consultative de la défense et avoir le cas échéant déclassifié les informations en cause, toutes précisions sur les motifs ayant justifié le rejet de la demande d’accès, ou, à défaut, des éléments sur la nature des informations protégées et les raisons pour lesquelles elles sont classifiées, afin de lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sans porter directement ou indirectement atteinte au secret de la défense nationale. La société Naval Group relève appel du jugement du 19 décembre 2018 par lequel le tribunal a annulé la décision du 25 janvier 2018 comme devant être, en l’état du dossier, regardée comme entachée d’erreur manifeste d’appréciation dès lors qu’aucun élément de nature à établir la réalité des griefs ayant conduit au rejet de la demande de M. B… n’avait été apporté.

2. Aux termes de l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure : « I. – Les décisions administratives (…) d’autorisation (…), prévues par des dispositions législatives ou réglementaires, concernant (…), soit l’accès à des zones protégées en raison de l’activité qui s’y exerce, (…) peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées. / (…). » Aux termes de l’article 32 de l’instruction générale interministérielle n° 1 300 approuvée par arrêté du 30 novembre 2011 : « (…) le contrôle élémentaire est une enquête administrative simplifiée, sollicitée par l’autorité d’habilitation, destinée à s’assurer de l’intégrité d’une personne. Il garantit que le degré de confiance qu’il est possible d’accorder à cette personne (…) lui permet d’avoir accès à certaines zones protégées. Il est tout particulièrement applicable au cas du personnel d’entretien. / Les demandes de contrôle élémentaire sont instruites par le service enquêteur compétent, qui émet un avis adressé au demandeur. (…). »

3. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, lorsqu’il statue sur une demande d’annulation d’une décision portant refus d’autorisation d’accéder à une zone protégée au titre du secret de la défense nationale, de contrôler, s’il est saisi d’un moyen en ce sens, la légalité des motifs sur lesquels l’auteur de la décision s’est fondé. Il lui est loisible de prendre, dans l’exercice de ses pouvoirs généraux de direction de l’instruction, toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, sans porter atteinte au secret de la défense nationale. Il lui revient, au vu des pièces du dossier, de s’assurer que la décision contestée n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

4. Contrairement à ce que soutient la ministre des armées, aux écritures de laquelle la société Naval Group s’associe, les premiers juges n’ont pas exercé un contrôle de légalité sur la décision de la ministre de ne pas déclassifier les éléments de nature à établir la réalité des griefs ayant conduit au rejet de la demande de M. B…, et n’ont pas davantage « assimilé la non communication d’éléments classifiés à un défaut de preuve de leur exactitude matérielle », mais se sont bornés à faire application aux faits de l’espèce des principes exposés au point précédent.

5. Il ressort des pièces du dossier que le 20 septembre 2018, la commission du secret de la défense nationale a émis un avis favorable à la déclassification partielle des résultats du contrôle élémentaire concernant M. B…. La ministre de la défense, qui n’a pas souhaité suivre cet avis, a indiqué au tribunal que « le comportement personnel de l’intéressé révèle des vulnérabilités pour le secteur de la défense nationale ». Alors qu’un minimum de précision sur la nature de ce comportement et de ces « vulnérabilités » n’impliquait pas nécessairement de porter atteinte au secret de la défense nationale, aucun autre élément permettant au juge de former sa conviction n’a été apporté. Il n’a pas davantage été répondu à la question subsidiaire du jugement avant dire droit, relative à la nature des informations protégées et aux raisons pour lesquelles elles étaient classifiées. Par suite, la société Naval Group n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision du 25 janvier 2018 pour erreur manifeste d’appréciation en l’état du dossier.

6. La société Naval Group, qui est la partie perdante, n’est pas fondée à demander l’allocation d’une somme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à sa charge une somme de 1 500 euros au titre

des frais exposés par M. B… à l’occasion du présent litige.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de la société Naval Group est rejetée.

Article 2 : La société Naval Group versera à M. B… une somme de 1 500 euros au titre

de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Naval Group, à la ministre des armées

et à M. C… B….

Délibéré après l’audience du 31 août 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2021.


La rapporteure,

Anne A…

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N° 19BX00647

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