Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre (formation à 3), 24 mai 2022, n° 20BX00574

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 4e ch. (formation à 3), 24 mai 2022, n° 20BX00574
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 20BX00574
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Pau, 18 décembre 2019, N° 1702410
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 31 mai 2022

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B E a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014.

Par un jugement n° 1702410 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 février 2020 et deux mémoires enregistrés le 24 novembre 2020 et le 26 novembre 2021, M. E, représenté par Me Couhault, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 19 décembre 2019 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— la procédure d’imposition est irrégulière en raison de l’absence d’une mise en demeure préalable à la taxation d’office de ses gains de poker ;

— il ne peut être qualifié de joueur de poker professionnel dès lorsqu’il exerce une autre activité professionnelle. Il exerce l’activité de joueur de poker comme un simple loisir en amateur et les mises, les gains nets et sa pratique du poker en ligne ou durant les tournois physiques, ne permettent pas de lui conférer un caractère professionnel.

Par mémoires en défense enregistrés le 23 septembre 2020, le 19 novembre 2021 et le 6 décembre 2021, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 29 novembre 2021, la clôture de l’instruction a été fixée en dernier lieu au 3 janvier 2022 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. D C,

— et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E et Mme A ont fait l’objet d’un examen de leur situation fiscale personnelle au titre des revenus afférents aux années 2012, 2013 et 2014. Lors de cet examen, l’administration fiscale a estimé que l’activité de joueur de poker à laquelle M. E se livrait revêtait un caractère professionnel eu égard à l’importance tant en nombre qu’en volume des mises constatées sur la période vérifiée. En conséquence, l’administration a procédé à une vérification de comptabilité de cette activité et à l’issue de la procédure, des suppléments d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ont été mis à la charge de M. E et Mme A au titre des années 2013 et 2014 pour un montant total en droits et pénalités de 845 861 euros. Après réclamation et un recours ministériel effectué par M. E, l’administration fiscale, par décision du 5 octobre 2017, a, d’une part, dégrevé de manière gracieuse la majoration de 80 % qui avait été infligée à M. E pour activité occulte et, d’autre part, admis le dégrèvement des prélèvements sociaux. M. E relève appel du jugement du 19 décembre 2019, par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande en décharge des impositions restant en litige, pour un montant total de 353 936 euros.

Sur les conclusions à fin de décharge :

En ce qui concerne le principe de l’imposition :

2. Aux termes des dispositions de l’article 92 du code général des impôts : « 1. Sont considérés comme provenant de l’exercice d’une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n’ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. / () ».

3. Si la pratique, même habituelle, de jeux de hasard ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits, au sens des dispositions précitées de l’article 92 du code général des impôts, en raison de l’aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur, il en va différemment de la pratique habituelle d’un jeu d’argent opposant un joueur à des adversaires lorsqu’elle permet à ce dernier de maîtriser de façon significative l’aléa inhérent à ce jeu, par les qualités et le savoir-faire qu’il développe, et lui procure des revenus significatifs. Les gains qui en résultent sont alors imposables, en application de l’article 92, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, alors même que le contribuable exercerait aussi, par ailleurs, une activité professionnelle. Si le jeu de poker fait intervenir des distributions aléatoires de cartes, un joueur peut parvenir, grâce à l’expérience, la compétence et l’habileté, à atténuer notablement le caractère aléatoire du résultat et à accroître de façon sensible sa probabilité de percevoir des gains importants et réguliers. Par suite, dès lors qu’une personne se livre à une pratique habituelle de ce jeu dans l’intention d’en tirer des bénéfices, lesdits bénéfices doivent être regardés comme tirés d’une occupation lucrative ou d’une source de profits au sens des dispositions précitées de l’article 92 du code général des impôts, et imposables en application de cet article.

4. Il résulte de l’instruction que M. E a, en 2013 et 2014, participé à des tournois de poker en ligne sur différents sites spécialisés et qu’il a ainsi effectué 136 mises en 2013 et 165 mises en 2014 représentant respectivement en volume 82 786 euros et 114 743 euros. Il résulte également de l’instruction que M. E a aussi participé, pendant cette période à des tournois physiques, 6 en 2013, à Berlin, Deauville, Nice, Las Vegas, Monaco et Prague, et 4 en 2014, à Las Vegas, Prague, San Remo, ainsi qu’à Deauville tournoi qu’il a remporté en 2013. Le montant des gains de M. E s’est élevé en 2013 à 833 961 euros avec un bénéfice net de 638 968 euros et à 181 841 euros en 2014 avec un bénéfice net de 23 976 euros. Ainsi, le montant et le caractère régulier de ces gains laissent présumer une maîtrise significative de l’aléa inhérent au poker. Dans ces conditions, le requérant doit être regardé comme ayant exercé, au cours des deux années en cause, une activité lucrative de joueur de poker lui procurant des profits réguliers imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en application de l’article 92 précité du code général des impôts.

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

5. Aux termes de l’article 97 du code général des impôts : « Les contribuables soumis obligatoirement ou sur option au régime de la déclaration contrôlée sont tenus de souscrire chaque année, dans des conditions et délais prévus aux articles 172 et 175, une déclaration dont le contenu est fixé par décret ». Selon l’article L. 73 du livre des procédures fiscales : « Peuvent être évalués d’office : / () 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l’article 97 du code général des impôts n’a pas été déposée dans le délai légal () Les dispositions de l’article L. 68 sont applicables dans les cas d’évaluation d’office prévus aux 1° et 2° ». L’article L. 68 du même livre, dans sa rédaction applicable à la procédure d’imposition en litige, prévoit que : « La procédure de taxation d’office prévue aux 2° et 5° de l’article L. 66 n’est applicable que si le contribuable n’a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d’une mise en demeure. / Toutefois, il n’y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : () 3° Si le contribuable s’est livré à une activité occulte, au sens du troisième alinéa de l’article L. 169 () ». Dans le cas où un contribuable n’a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s’il n’est pas en mesure d’établir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives.

6. Il résulte de l’instruction que l’administration fiscale a évalué d’office les revenus de M. E issus de son activité de joueur de poker exercée au cours des années 2013 et 2014 et imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, sans l’avoir préalablement mis en demeure de souscrire les déclarations de revenu catégoriel relatives aux bénéfices non commerciaux résultant de cette activité. Toutefois, si M. E ne s’est pas fait connaître d’un centre de formalités des entreprises et n’a pas déposé la déclaration prévue à l’article 97 du code général des impôts au titre de ces années, il doit être regardé comme établissant, que ce défaut de déclaration constitue une erreur de sa part, dès lors que ce n’est que postérieurement aux années d’imposition en litige que la jurisprudence tant administrative que judiciaire, et l’administration fiscale ont expressément estimé sans que ne subsiste d’ambiguïté, que de tels gains étaient, dans certaines conditions, imposables à l’impôt sur le revenu. L’administration elle-même, a d’ailleurs procédé à la remise gracieuse de la majoration de 80 % prévue à l’article 1728 du code général des impôts appliquée aux cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au motif que M. E avait pu, par erreur, estimer que ses gains ne constituaient pas des revenus imposables. Il s’ensuit que l’activité de joueur de poker exercée au titre des années en litige par M. E ne pouvant être regardée comme une activité occulte, le bénéfice qu’il en a retiré ne pouvait être évalué d’office sans que l’administration ne lui adresse, au préalable, une mise en demeure de s’acquitter de ses obligations déclaratives sous trente jours. Or, cette formalité, qui constitue une garantie, n’a pas été accomplie par l’administration. Par suite, M. E est fondé à soutenir que la procédure d’évaluation d’office est entachée d’irrégularité et à obtenir, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu qui lui ont été assignées à raison de ces bénéfices non commerciaux au titre des années 2013 et 2014.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. E au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 19 décembre 2019 est annulé.

Article 2 : M. E est déchargé, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014.

Article 3 : L’Etat versera à M. E une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B E et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l’audience du 19 avril 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Nicolas Normand, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022.

Le rapporteur,

Dominique C

La présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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