CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 30 mai 2022, 20MA00458, Inédit au recueil Lebon

  • Biens faisant partie du domaine public artificiel·
  • Consistance et délimitation·
  • Domaine public artificiel·
  • Domaine public·
  • Halles·
  • Commune·
  • Cinéma·
  • Personne publique·
  • Propriété des personnes·
  • Tribunaux administratifs

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 7e ch. - formation à 3, 30 mai 2022, n° 20MA00458
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 20MA00458
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Marseille, 4 décembre 2019, N° 1807455
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 28 août 2023
Identifiant Légifrance : CETATEXT000045842796

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de La Ciotat a demandé au tribunal administratif de Marseille d’enjoindre à la Sarl Le Lumière de libérer sans délai les locaux qu’elle occupe Place Evariste Gras sur le territoire de la commune de La Ciotat dans l’immeuble dit « marché couvert », faute de quoi la commune pourra faire procéder à son expulsion aux frais et risques de l’intéressée, au besoin avec le concours de la force publique.

Par un jugement n° 1807455 du 5 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a ordonné, dans un délai de six mois suivant notification du jugement, l’expulsion de la Sarl Le Lumière des locaux qu’elle occupe au sein de la halle de la commune de La Ciotat située place Everiste Gras et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 février 2020 et 27 décembre 2021, sous le n° 20MA00458, la Sarl Le Lumière, représentée par Me Darbier, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du 5 décembre 2019 ;

2°) de renvoyer l’affaire devant le tribunal judiciaire de Marseille ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert aux fins de chiffrer le montant de l’indemnité à verser par le bailleur à son locataire en réparation de la valeur du fonds de commerce et des frais entraînés par se fermeture ;

4°) de mettre à la charge de la commune de La Ciotat la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— la juridiction administrative n’était pas compétente pour statuer sur la demande d’expulsion de la commune de La Ciotat dès lors qu’elle est relative à l’exécution d’un bail commercial ;

— l’appartenance du local au domaine public de la commune n’est pas établie et le contrat de bail commercial ne peut être requalifié en convention d’occupation du domaine public ;

— elle a conclu avec la commune un bail commercial qui s’est poursuivi tacitement à compter du 1er juillet 2012 et en exécution duquel elle a réglé les loyers dus ;

— la commune a commis des fautes en lui laissant croire qu’elle occupait le local dans les conditions prévues par la législation sur les baux commerciaux, en autorisant la cession d’un « fonds de commerce » par son précédent propriétaire et en lui laissant croire qu’elle avait droit soit au renouvellement de son bail, soit à une indemnité d’éviction ;

— elle a subi un préjudice lié à la perte de stabilité de son fonds de commerce.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2021, la commune de La Ciotat, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société Le Lumière la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code général de la propriété des personnes publiques,

— le code général des collectivités territoriales,

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. A,

— les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

— les observations de Me Darbier, représentant la Sarl Le Lumière et de Me Mokrane substituant Me Froger, représentant la commune de La Ciotat.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de La Ciotat a conclu le 1er juillet 2003 avec la Sarl Kursaal Cinéma une convention autorisant cette société à exploiter des salles de cinéma situées dans la partie sud-ouest de la halle municipale située Place Evariste Gras, dite « marché couvert », pour une durée de neuf années expirant le 30 juin 2012. Par acte sous seing privé du 23 novembre 2005, la Sarl Kursaal Cinéma a cédé à la Sarl Le Lumière son fonds de commerce de cinéma, incluant son droit au bail, avec l’agrément de la commune par délibération de son conseil municipal du 19 septembre 2005. La convention est venue à expiration sans être expressément renouvelée. La Sarl Le Lumière s’est maintenue dans les lieux et a poursuivi l’exploitation du cinéma. Par courrier du 8 janvier 2018, la commune de La Ciotat a demandé en vain à la Sarl Le Lumière de libérer les lieux dans un délai de six mois.

2. La commune de La Ciotat a demandé au tribunal administratif de Marseille d’enjoindre à la Sarl Le Lumière de libérer les locaux occupés sans titre, sans délai et sous astreinte et la Sarl Le Lumière a demandé au tribunal, à titre reconventionnel, de condamner la commune à lui verser une somme de 663 000 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises par celle-ci.

3. La Sarl Le Lumière relève appel du jugement du 5 décembre 2019 du tribunal administratif de Marseille en tant qu’il a ordonné, dans un délai de six mois suivant notification du jugement, son expulsion des locaux qu’elle occupe au sein de la halle de la commune de La Ciotat située place Everiste Gras et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

4. D’une part, lorsque le juge administratif est saisi d’une demande tendant à l’expulsion d’un occupant d’une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève toujours du domaine public à la date à laquelle il statue. Il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de cette incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu’à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l’autorité compétente n’a procédé à son déclassement.

5. D’autre part, avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée, indépendamment de la qualification donnée par les parties à une convention par laquelle une personne publique confère à une personne privée le droit d’occuper un bien dont elle est propriétaire, à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l’absence de toute disposition en ce sens, l’entrée en vigueur de ce code n’a pu, par elle-même, avoir pour effet d’entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1.

6. En outre, il appartient au juge administratif de se prononcer sur l’existence, l’étendue et les limites du domaine public, même en l’absence d’un acte administratif le délimitant, sauf à renvoyer à l’autorité judiciaire la solution d’une question préjudicielle de propriété, lorsque, à l’appui de la contestation, sont invoqués des titres privés dont l’examen soulève une question sérieuse.

7. Les locaux en cause ont fait l’objet d’une occupation par la Sarl Le Lumière à compter du 23 novembre 2005, avant l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques. Il incombe au juge, dans le cadre de son office, de déterminer si ce terrain faisait partie du domaine public de la commune avant le 1er juillet 2006, en vérifiant notamment s’il satisfaisait aux conditions alors applicables d’affectation au service public et d’aménagement spécial, et, d’autre part, si ce bien appartenait au domaine public, de vérifier si, à la date à laquelle il statuait, il n’avait fait l’objet depuis lors d’aucun déclassement, ainsi qu’en dispose l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui réitère en le codifiant l’état du droit antérieurement applicable.

8. Il résulte de l’instruction, et comme l’ont relevé les premiers juges, que la commune de La Ciotat a construit sur son territoire en 1891 une halle couverte, dotée d’une structure métallique, destinée à accueillir les marchands forains et maraîchers et que, dès son inauguration en 1892, ce bâtiment unique a accueilli dans son intégralité le marché de la commune. Il était ainsi affecté au service public communal, lequel permettait de garantir au public un certain nombre de prestations de vente de marchandises, les halles et marchés figurant depuis lors aux articles L. 2224-18 et suivants du code général des collectivités territoriales parmi les services publics industriels et commerciaux communaux. Il est en outre constant que la halle a été spécialement aménagée pour ledit service public, notamment au fil des années par l’installation de cabines intérieures pour entreposer le matériel et les marchandises des maraîchers et autres vendeurs. L’ensemble de la halle appartenait donc dès sa création au domaine public de la commune de La Ciotat alors même qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un acte de classement dans ce domaine. Compte tenu de ce que la superficie du marché excédait les besoins de la population, le conseil municipal a autorisé en 1913 l’exploitation d’une activité cinématographique par une société privée dans la partie sud-ouest de la halle, qui n’était plus occupée par des vendeurs et qui correspond à la partie du bâtiment occupée plus récemment par la Sarl Le Lumière.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette partie du bâtiment, de surcroît indivisible du reste de l’immeuble eu égard à la configuration des lieux, aurait alors fait l’objet d’un déclassement. Elle est alors demeurée dans son ensemble dans le domaine public communal. A la suite de la rénovation de la halle dans les années 1980, l’activité de marché couvert accueillie dans la partie nord-est de la halle a été remplacée par une bibliothèque gérée en régie directe par la commune. Ce changement d’affectation en faveur d’un service public culturel d’une partie de la halle, décidée par délibération du conseil municipal du 13 septembre 1985, n’a pas davantage fait sortir l’ensemble de l’immeuble du domaine public.

10. Ainsi, en l’absence de tout acte exprès de déclassement de tout ou partie de la halle, en 1913 ou ultérieurement, l’ensemble de l’immeuble fait partie du domaine public communal, nonobstant la circonstance que la commune a conclu avec la Sarl Kursaal Cinéma, laquelle a cédé en 2005 avec l’agrément de la commune le « fonds de commerce » du cinéma à la Sarl Le Lumière, plusieurs conventions en 1985, en 1994 et en 2003, pour l’exploitation du cinéma dans la partie sud-ouest de la halle, et ce par référence à la législation des baux commerciaux, et que la commune a expressément approuvé le 30 juin 2003 le renouvellement de cette convention sous la forme d’un « bail commercial » pour une durée de neuf ans arrivant à expiration le 30 juin 2012. La circonstance que la commune a continué de percevoir des loyers commerciaux de la Sarl Le Lumière après l’expiration de la convention de bail est également sans incidence sur l’appartenance des locaux occupés au domaine public.

11. Il suit de là, ainsi que l’a relevé le tribunal administratif de Marseille, que le juge administratif est, contrairement à ce que soutient la Sarl Le Lumière, compétent pour connaître des conclusions de la commune de La Ciotat tendant à l’expulsion de ladite société. En l’absence de toute contestation quant à l’appartenance des locaux litigieux à la commune de La Ciotat, il n’y a pas lieu, ainsi que le demande la Sarl Le Lumière, de sursoir à statuer dans l’attente du jugement du tribunal de grande instance de Marseille saisi par la Sarl Le Lumière aux fins de reconnaissance de l’existence d’un bail commercial, ou de poser une question préjudicielle au juge judiciaire.

Sur le bien-fondé du jugement :

12. Aux termes de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous. ». En vertu des dispositions de l’article L. 1 du même code : « Le présent code s’applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l’Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu’aux établissements publics. ». Il résulte tant de ces dispositions que des principes généraux de la domanialité publique que l’autorité propriétaire ou gestionnaire du domaine public est recevable à demander au juge administratif l’expulsion de l’occupant irrégulier du domaine public.

13. Ainsi qu’il a été dit au point 9, le contrat conclu le 1er juillet 2003 comportait occupation du domaine public communal. Par suite, la Sarl Le Lumière n’est pas fondée à se prévaloir de la législation sur les baux commerciaux pour soutenir qu’elle avait droit, à l’expiration du contrat, au maintien dans les lieux et ce contrat, venu à expiration le 30 juin 2012, ne comportait en outre aucune clause de tacite reconduction.

14. Il résulte de ce qui précède que la Sarl Le Lumière ne disposait plus d’aucun droit à occuper les locaux en litige et que son maintien dans les lieux de manière irrégulière faisait obstacle à la mise en œuvre par la commune de La Ciotat de son projet d’intérêt public de rendre à la halle couverte son activité marchande initiale pour permettre l’installation de commerces de restauration installés sur des stands disposés à la manière d’un marché. Le détournement de pouvoir n’est de surcroît aucunement établi.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la Sarl Le Lumière n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a ordonné, à la demande de la commune de La Ciotat, son expulsion du domaine public et lui a accordé un délai de six mois pour quitter les locaux occupés au sein de la halle municipale située Place Everiste Gras sur le territoire de la commune.

Sur les conclusions reconventionnelles indemnitaires de la Sarl Le Lumière :

16. La Sarl Le Lumière a présenté en cours d’instance devant le tribunal administratif de Marseille des conclusions reconventionnelles qui ont été rejetées comme irrecevables par le tribunal administratif de Marseille au motif qu’elles revêtaient un caractère distinct du litige soulevé à titre principal par la commune de La Ciotat et en l’absence de réclamation préalable. Cette irrecevabilité n’est pas contestée en appel par la Sarl Le Lumière. Par suite les moyens invoqués en appel tirés de ce que la commune aurait commis des fautes en lui laissant croire qu’elle occupait le local dans les conditions prévues par la législation sur les baux commerciaux, en autorisant la cession d’un « fonds de commerce » par son précédent propriétaire et en lui laissant croire qu’elle avait droit soit au renouvellement de son bail, soit à une indemnité d’éviction et qu’elle-même a subi un préjudice lié à la perte de stabilité de son fonds de commerce ne peuvent qu’être écartés comme inopérants et ces conclusions ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de La Ciotat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la Sarl Le Lumière demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en application des dispositions susmentionnées de mettre à la charge de la Sarl Le Lumière la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de La Ciotat et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la Sarl Le Lumière est rejetée.

Article 2 : La Sarl Le Lumière versera à la commune de La Ciotat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La Ciotat et à la Sarl Le Lumière.

Délibéré après l’audience du 13 mai 2022, où siégeaient :

— M. Pocheron, président de chambre,

— M. Prieto, premier conseiller,

— Mme Marchessaux, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mai 2022.bb

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 30 mai 2022, 20MA00458, Inédit au recueil Lebon