Cour Administrative d'Appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 19 février 2015, 14NC01474, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nancy, 1re ch. - formation à 3, 19 févr. 2015, n° 14NC01474
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro : 14NC01474
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Strasbourg, 25 juin 2014, N° 1401380
Identifiant Légifrance : CETATEXT000030262728

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D… a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler l’arrêté du 19 mars 2014 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1401380 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 juillet 2014, complétée par un mémoire du 12 décembre 2014, M. D…, représenté par Me A…, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1401380 du tribunal administratif de Strasbourg en date du 26 juin 2014 ;

2°) d’annuler l’arrêté du préfet du Haut-Rhin en date du 19 mars 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. D… soutient que :

— l’exécution des mesures litigieuses ne prive pas d’objet le présent litige ;

— le préfet a méconnu l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

— l’obligation de quitter le territoire français est stéréotypée et insuffisamment motivée ;

— son comportement ne constituait pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française au regard de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la décision lui refusant un délai de départ volontaire est insuffisamment motivée ;

— le refus de délai de départ volontaire n’est pas justifié ;

— l’obligation de quitter le territoire français a été exécutée dans des conditions contraires aux dispositions de l’article L. 512-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2014, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu’il n’y a plus lieu de statuer et que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

 – la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – la directive 2004/38/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

 – la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

 – le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 – la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Richard, premier conseiller,

 – les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

 – et les observations de M. C…, représentant le préfet du Haut-Rhin.

Considérant ce qui suit :

1. M. D…, ressortissant allemand, a été interpellé le 18 mars 2014 par les services de la gendarmerie nationale, alors qu’il avait pénétré dans l’enceinte de la centrale nucléaire de Fessenheim. Par un arrêté du 19 mars 2014 pris sur le fondement des dispositions de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le préfet du Haut-Rhin l’a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit. M. D… relève appel du jugement en date du 26 juin 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin de non lieu présentées par le préfet du Haut-Rhin :

2. La circonstance que M. D… a été éloigné le 19 mars 2014 à destination de son pays d’origine ne rend pas sans objet la requête dirigée contre l’arrêté attaqué. Il s’ensuit que les conclusions à fin de non-lieu à statuer présentées par le préfet du Haut-Rhin doivent être rejetées.

Sur la légalité de l’obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / – le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (…) ».

4. Lorsqu’il oblige un ressortissant communautaire à quitter le territoire français sur le fondement de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l’Union européenne, dont celui du droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu’il est énoncé notamment au 2 de l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce droit n’implique pas systématiquement l’obligation, pour l’administration, d’organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l’intéressé, ni même d’inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que celui-ci, informé de ce qu’une décision lui faisant grief est susceptible d’être prise à son encontre, soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Enfin, une atteinte au droit d’être entendu n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative en cause aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit de l’espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l’étranger a été privé de faire valoir.

5. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal d’interrogatoire que M. D…, interrogé durant sa garde à vue, a refusé de s’exprimer précisément sur sa situation personnelle comme sur les motifs et modalités de l’action collective à laquelle il avait participé. Il ne ressort pas de ce procès-verbal qu’il aurait été informé qu’une obligation de quitter le territoire français sans délai était susceptible d’être prise à son encontre à l’issue de sa garde à vue. Toutefois, il ne justifie, y compris devant le juge, d’aucun élément propre à sa situation qu’il aurait ainsi été privé de mettre en valeur et qui, s’il l’avait été, aurait été de nature à influer sur le sens de la décision prise par le préfet. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu, que M. D… tient notamment de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être écarté.

6. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. D…, l’arrêté litigieux, qui comporte le visa des textes dont il fait application, énonce les considérations de fait relatives à sa situation, notamment la circonstance qu’il a été interpellé alors qu’il avait pénétré dans l’enceinte de la centrale nucléaire de Fessenheim. Cette motivation n’est pas stéréotypée et démontre que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation du requérant conformément aux exigences de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le moyen tiré de l’insuffisante motivation de l’obligation de quitter le territoire français ne peut qu’être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L’autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (…) à quitter le territoire français lorsqu’elle constate : (…) 3° (…) que, pendant la période de trois mois à compter de son entrée en France, son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française (…) ».

8. Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 et notamment de ses articles 27 et 28. Il résulte à cet égard des termes mêmes de l’article L. 511-3-1 que le 3°, qui concerne des ressortissants d’un Etat membre qui ne sont pas entrés en France depuis plus de trois mois, ne vise pas les personnes bénéficiant de la protection particulière prévue à l’article 28 de la directive. Il appartient néanmoins à l’autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d’une infraction à la loi, d’examiner d’après l’ensemble des circonstances de l’affaire si la présence de l’intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

9. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de renseignement administratif dressé par la gendarmerie, que le 18 mars 2014, une cinquantaine de personnes, au nombre desquelles se trouvait M. D…, ont pénétré par effraction dans la zone protégée de la centrale nucléaire de Fessenheim après avoir usé de manoeuvres de diversion et refusé d’obtempérer aux injonctions des forces de l’ordre leur intimant de ne pas entrer dans ce site placé sous le statut de zone protégée. Par ailleurs, dans le cadre de cette opération au cours de laquelle des bousculades avec les gendarmes se sont produites, plusieurs personnes sont montées sur le toit des bâtiments « réacteur » et « combustibles » et trois d’entre elles s’y sont entravées avec des cordes, perturbant le fonctionnement normal de l’installation nucléaire dans laquelle toute opération de maintenance ou de sécurisation aurait été rendue plus difficile. Le rétablissement de l’ordre et de la sécurité du site et des personnels face à cette opération soudaine n’a pu intervenir, sans blessés graves à déplorer, qu’après la mise en oeuvre de moyens humains et matériels importants incluant notamment près de 350 militaires et deux hélicoptères. Enfin, M. D… qui a délibérément refusé de répondre à la plupart des questions posées n’a donné, lors de son audition réalisée dans le cadre de sa garde à vue le 18 mars 2014, aucun élément de nature à permettre au préfet du Haut-Rhin d’écarter tout risque de récidive ou de participation à une action analogue susceptible, comme en l’espèce, de porter gravement atteinte à l’ordre ou à la sécurité publics.

10. Dans ces conditions, c’est à bon droit que le préfet du Haut-Rhin a estimé, en se fondant sur de tels faits dont la matérialité n’est pas sérieusement contestée, que la présence en France de M. D… constituait, à la date à laquelle l’arrêté litigieux a été pris, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour les intérêts fondamentaux de la société française. M. D… n’est donc pas fondé à soutenir que l’arrêté du 19 mars 2014 l’obligeant à quitter le territoire français a été pris en méconnaissance des dispositions de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Sur la légalité de l’arrêté en tant qu’il n’a pas accordé de délai de départ volontaire :

11. Aux termes de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « (…) L’étranger dispose, pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d’un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. A titre exceptionnel, l’autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours ».

12. En premier lieu, la décision attaquée expose les considérations de droit et de fait qui la fondent. Le moyen tiré de ce qu’elle est insuffisamment motivée ne peut, dès lors, qu’être écarté.

13. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 9 qu’il était urgent de mettre en oeuvre l’obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre de M. D…. C’est à bon droit que le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire.

Sur les conditions d’exécution de l’arrêté :

14. M. D… soutient que sa reconduite à la frontière a été exécutée le jour même de l’arrêté litigieux sans attendre l’expiration du délai suspensif de 48 heures prévu par l’article L. 512-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette circonstance, postérieure à l’arrêté du 19 mars 2014, est toutefois sans incidence sur la légalité des décisions contestées portant obligation de quitter le territoire français et refus de lui accorder un délai de départ volontaire.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. D… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 19 mars 2014. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


D É C I D E :


Article 1er : La requête de M. D… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… D… et au ministre de l’intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

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14NC01474

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Cour Administrative d'Appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 19 février 2015, 14NC01474, Inédit au recueil Lebon