CAA de PARIS, 5ème chambre, 27 juin 2019, 16PA03169, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 5e ch., 27 juin 2019, n° 16PA03169
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 16PA03169
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 11 juillet 2016, N° 1412064
Dispositif : Satisfaction totale
Identifiant Légifrance : CETATEXT000038722737

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A… B… ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités y afférents.

Par un jugement n° 1412064 en date du 12 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la réduction de ces impositions et pénalités à concurrence de la somme de 626 858 euros, a mis à la charge de l’État la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par un recours, enregistré le 27 octobre 2016, et un mémoire enregistré le 23 novembre 2017, le ministre de l’économie et des finances demande à la Cour :

1°) d’annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1412064 du 12 juillet 2016 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rétablir M. et Mme B… au rôle de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2008, à raison des droits et pénalités dont la décharge a été prononcée à tort par le tribunal.

Le ministre de l’économie et des finances soutient que :

— compte tenu de la nature des fonctions exercées par M. B… au sein du groupe Wendel et du caractère peu risqué de l’investissement réalisé, c’est à tort que le tribunal a considéré que le gain résultant de la cession, le 20 mai 2008, des titres CDO à la société Ofilux Finances était imposable selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières prévu par l’article 150-0 A du code général des impôts ;

— si la Cour venait à considérer que l’administration n’était pas fondée à recourir à la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, il demande le maintien des impositions sur le fondement de l’article L. 55 du même livre, dès lors que les conditions de fonctionnement du plan d’épargne en actions (PEA) n’ont pas été respectées ;

— c’est au cours de l’année 2008 que le revenu correspondant au gain réalisé lors de la cession, le 20 mai 2008, des titres de la société CDO est devenu disponible et donc imposable en application des dispositions de l’article 156 du code général des impôts ; l’année 2008 n’était pas atteinte par la prescription, laquelle a été interrompue par la notification régulière de la proposition de rectification ;

— les pénalités pour abus de droit infligées à M. B… sur le fondement de l’article 1729 du code général des impôts sont motivées et justifiées dès lors que les titres logés dans son PEA étaient en réalité partiellement porteurs d’un mécanisme d’intéressement de nature salariale et que le contribuable a ainsi pu bénéficier d’une exonération en procédant à une application littérale des textes relatifs au fonctionnement des PEA dans un sens contraire à l’intention de leur auteur.

Par des mémoires en défense enregistrés les 25 janvier 2017 et 29 mars 2019, M. et Mme B…, représentés par Me D…, demandent à la Cour de rejeter le recours du ministre de l’économie et des finances et de mettre à la charge de l’État une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. et Mme B… soutiennent que :

— les moyens soulevés par le ministre de l’économie et des finances ne sont pas fondés ;

— aucune imposition ne pouvait leur être assignée dès lors que l’année 2004 était prescrite ;

— le comité de l’abus de droit fiscal a considéré que le service n’était pas fondé à mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

— ils sont fondés à invoquer, sur le fondement des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les termes de la réponse ministérielle faite le 14 mai 2001 à M. C…, député, et de l’instruction du 22 mai 1995 ;

— la pénalité pour abus de droit qui leur a été infligée n’est pas suffisamment motivée et est irrégulière sur le plan de la procédure ; pour pouvoir infliger cette sanction, l’administration doit démontrer l’existence d’une situation d’abus de droit, ce que le ministre ne fait pas.

Les parties ont été informées, par application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt de la Cour était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’erreur commise dans la catégorie d’imposition par l’administration fiscale, qui aurait dû taxer l’ensemble du gain en litige dans la catégorie des traitements et salaires.

Par un mémoire, enregistré le 22 janvier 2019, présenté en réponse à la communication du moyen d’ordre public, le ministre de l’action et des comptes publics persiste dans ses écritures.

Le ministre demande, à titre subsidiaire, que la totalité du gain soit imposée dans la catégorie des traitements et salaires sur le fondement des articles 79 et 82 du code général des impôts, y compris pour sa fraction taxée initialement selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, cette substitution de base légale ne privant les contribuables d’aucune garantie de procédure.

Par un mémoire, enregistré le 28 janvier 2019, présenté en réponse à la communication du moyen d’ordre public, M. et Mme B… persistent dans leurs écritures.

Ils soutiennent, en outre, que :

— le moyen d’ordre public relevé huit jours avant l’audience du 31 janvier 2019, doit, pour respecter le principe du contradictoire, entraîner la réouverture de l’instruction pour une période d’au moins deux mois ;

— le gain en litige ne constitue pas un complément de salaire imposable dans la catégorie des traitements et salaires ;

— le moyen communiqué ne vise pas les textes applicables ;

— l’erreur de qualification juridique d’un revenu ne constitue pas un moyen d’ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

 – le code monétaire et financier ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus, au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Poupineau ;

 – et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Wendel Investissement a acquis le 30 septembre 2004 le groupe Editis, second groupe d’édition français, qu’elle a revendu le 30 mai 2008 au groupe espagnol Planeta. Parallèlement, elle a mis en place des instruments juridiques et financiers visant à associer à cette opération certains de ses cadres dirigeants, afin de leur permettre d’appréhender, au travers de prises de participations, une partie du gain réalisé lors de la revente d’Editis en 2008. M. B… a ainsi acquis, le 27 décembre 2004, 2 000 actions de préférence de la société CDO, pour un montant total de 40 000 euros, qu’il a inscrites sur son plan d’épargne en actions (PEA) puis cédées, le 20 mai 2008, à la société Ofilux Finances au prix de 1 284 078 euros. La plus-value réalisée à l’occasion de cette opération, d’un montant de 1 244 000 euros, correspondant à la cession de titres placés sur un PEA, a été exonérée d’impôt sur le revenu par application des dispositions du 5° bis de l’article 157 du code général des impôts.

2. A la suite d’un contrôle sur pièces du dossier fiscal de M. et Mme B…, le service a remis en cause cette exonération, en recourant à la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, au motif que le revenu dégagé par la cession, le 20 mai 2008, des actions de préférence de la société CDO présentait, à concurrence de 63,54 % de son montant, la nature d’un complément de salaire, imposable dans la catégorie des traitements et salaires et qu’en logeant ces titres dans son PEA afin de percevoir des salaires en franchise d’impôt, M. B… avait cherché à bénéficier d’une application littérale des textes relatifs au fonctionnement des PEA à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs dans le seul but de pouvoir bénéficier de l’exonération instituée par les dispositions du 5° bis de l’article 157 du code général des impôts. Le service a ensuite considéré qu’en raison du manquement aux règles régissant le fonctionnement des PEA ayant consisté pour M. B… à inscrire dans son propre plan des titres donnant lieu à la perception d’un gain de nature salariale, ce plan avait été clos à la date de ce manquement, conformément aux dispositions de l’article 1765 du code général des impôts. Il a enfin imposé le surplus du gain selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières prévu par l’article 150-0 A du code général des impôts. M. et Mme B… ont, en conséquence de ces rectifications, été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties des intérêts de retard et de la majoration de 40 % pour abus de droit prévue par les dispositions du b) de l’article 1729 du code général des impôts.

3. Saisi de ces impositions et pénalités par M. et Mme B…, le Tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre les contributions sociales à concurrence de la somme de 31 484 euros, puis, faisant partiellement droit à leur demande, a prononcé la décharge du supplément d’impôt sur le revenu et du surplus des cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles M. et Mme B… avaient été assujettis au titre de l’année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondants, au motif que le gain réalisé ne constituait pas un complément de salaire, imposable dans la catégorie des traitements et salaires, et qu’il était, dès lors, éligible au régime d’exonération prévu par les dispositions du 5° bis de l’article 157 du code général des impôts, et a mis à la charge de l’État la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l’économie et des finances relève appel de ce jugement en tant qu’il prononce la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu mise en recouvrement et demande à la Cour de rétablir M. et Mme B… au rôle de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2008, à raison des droits et pénalités dont la décharge a ainsi été prononcée par le tribunal.

Sur le motif de décharge retenu par les premiers juges :

4. Aux termes de l’article 79 du code général des impôts : « Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l’impôt sur le revenu. ». Aux termes de l’article 82 de ce code : « Pour la détermination des bases d’imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits. (…) ». Aux termes du 1 du I de l’article 150-0 A du même code, dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition en litige : « Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux (…) de valeurs mobilières (…) sont soumis à l’impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, (…) 25 000 euros pour l’imposition des revenus de l’année 2008 (…) ».

5. Ainsi qu’il a été dit au point 1, la société Wendel Investissement, qui a acquis le 30 septembre 2004 le groupe Editis et l’a revendu le 30 mai 2008 au groupe Planeta, a élaboré et mis en place des instruments juridiques et financiers pour associer à cette opération certains de ses cadres dirigeants et leur permettre d’appréhender une partie du gain réalisé lors de cette revente. A cet effet, les cadres que la société Wendel Investissement a souhaité faire bénéficier de l’opération ont été regroupés au sein de la société CDO, créée par la société Ofilux Finances le 1er décembre 2004, et dont ils ont pu acquérir un nombre total de 50 000 actions de préférence au prix unitaire de 20 euros. Chaque action de préférence pouvait être convertie, à la date du changement de contrôle de la société Editis Holding ou, à défaut, lors de l’entrée de cette société en cotation sur un marché réglementé, et au plus tard, à la date du 15 décembre 2010, en un nombre prédéfini d’actions ordinaires selon une parité d’échange dépendant d’un multiple de valorisation fixé par les statuts de la société CDO. Par ailleurs, la société CDO a elle-même acheté, le 31 décembre 2004, 125 000 actions de la société Odyssée 3, dont la société Ofilux Finances était jusqu’alors la seule associée. Enfin, la société Odyssée 3 a acquis en 2007 des bons de souscription d’actions (BSA) dits Topco, émis par la société Odyssée Holding, société mère des sociétés opérationnelles du groupe Editis. L’exercice de ces BSA « Topco » devait permettre à la société Odyssée 3, si l’opération d’achat et de revente du groupe Editis présentait pour le groupe Wendel un taux de rentabilité interne (TRI) supérieur à 15 %, de détenir jusqu’à 49,94 % du capital de la société Odyssée Holding lors de sa cession. Le 20 mai 2008, les 50 000 actions de préférence de la société CDO cédées aux cadres de la société Wendel Investissement ont été revendues à la société Ofilux Finances au prix unitaire de 642 euros. Ce prix a été déterminé compte tenu de la possibilité, d’une part, pour les propriétaires de ces actions, de convertir chacune d’entre elles en 14 actions ordinaires, conformément aux statuts de la société CDO, et d’autre part, pour la société Odyssée 3, d’exercer concomitamment la totalité des BSA « Topco » et d’acquérir, par voie de conséquence, près de la moitié du capital de la société mère des sociétés opérationnelles du groupe Editis.

6. Le service a constaté que l’ensemble de ces instruments, et en particulier les modalités de conversion en actions ordinaires des 50 000 actions de préférence de la société CDO, permettaient au propriétaire de ces actions, d’une part, de voir sa participation directe au capital de la société CDO passer de 25 à 82,35 % et, d’autre part, de voir sa participation indirecte au capital de la société Odyssée 3 passer de 7,15 à 19,61 %. La détermination du prix de cession de ces 50 000 actions par anticipation a permis aux cadres managers du groupe Wendel de réaliser un gain d’un montant total de 30,8 millions d’euros le 20 mai 2008, alors qu’ils n’avaient investi dans la société CDO qu’une somme totale d’un million d’euros. Il a, par ailleurs, considéré que le gain ainsi réalisé par les intéressés procédait, pour partie, de la mise en place d’un mécanisme d’intéressement destiné à les gratifier pour leur implication dans la réalisation de l’opération de cession du groupe Editis et qu’il constituait, à concurrence de 63,54 % de son montant, pourcentage correspondant à l’augmentation de leur participation théorique indirecte dans le capital de la société Odyssée 3, un complément de salaire, imposable dans la catégorie des traitements et salaires.

7. Il résulte de l’instruction que le groupe Wendel a souhaité gratifier ses cadres dirigeants pour leur contribution et leurs efforts à la réussite de l’opération d’achat et de revente du groupe Editis par la mise en place à leur seul bénéfice d’un mécanisme d’intéressement particulier, distinct de celui proposé sous forme de stock-options aux autres managers du groupe, et devant leur permettre de percevoir une partie du prix de cession du groupe Editis en 2008 en les regroupant au sein de la société CDO, conçue comme un véritable véhicule d’intéressement. A cet égard, conformément aux statuts de la société CDO, la souscription d’actions de préférence de cette société, et, par suite, le bénéfice du mécanisme ci-dessus décrit, étaient subordonnés à la qualité de salarié du groupe Wendel, les cadres intéressés ayant pris l’engagement, lors de l’acquisition de ces actions de préférence, dont le nombre était lié à l’importance de leurs fonctions ou à leur position au sein du groupe, de les revendre à la société Ofilux Finances à leur valeur nominale en cas de cessation de leurs fonctions. Dans ces conditions, le gain réalisé par M. B…, qui exerçait les fonctions de managing director de la société Wendel investissement et était membre du comité d’investissement et de la direction générale du groupe Wendel, doit être regardé comme trouvant son origine dans les fonctions salariées qu’il exerçait au sein de ce groupe.

8. Le tribunal a considéré cependant que le gain en litige ne présentait pas le caractère d’un complément de salaire, dès lors qu’il avait nécessité un investissement préalable important et que cet investissement avait été aléatoire et risqué. Mais, ainsi qu’il a été dit au point 5, il résulte de l’instruction que les cadres dirigeants ont bénéficié de conditions très favorables lors de la souscription au capital de la société CDO puisqu’ils ont acquis les actions de préférence de cette société au même prix unitaire de 20 euros que les actions ordinaires, alors que ces dernières n’ouvraient pas droit à une possibilité de conversion. L’acquisition des BSA « Topco », pour un montant total de 16,5 millions d’euros, n’a été financée que de façon très marginale par les cadres dirigeants, les fonds résultant de leur entrée au capital de la société CDO ne s’élevant qu’à un million d’euros. Par ailleurs, l’exercice de ces BSA, qui a permis, lors du débouclage de l’opération, d’augmenter la participation de la société Odyssée 3 dans le capital de la société Odyssée Holding et donc la valeur des titres de la société CDO détenus par les cadres dirigeants de Wendel, a été réalisé grâce à un emprunt obligataire émis par la société Odyssée 3 et souscrit par le groupe Wendel, c’est-à-dire sans que les cadres associés de la société CDO n’aient à effectuer un investissement supplémentaire et à supporter le risque lié à cet investissement.

9. Par ailleurs, il résulte des stipulations des statuts de la société CDO, qu’en l’absence, à la date du 15 décembre 2010, de cession du groupe Editis ou d’entrée de la société Odyssée Holding en cotation sur un marché réglementé, les actions de préférence des cadres du groupe Wendel auraient été, à cette même date, automatiquement converties en actions ordinaires selon un taux de conversion de une pour vingt. Ce taux de conversion, le plus favorable des taux prévus par les statuts de la société CDO, leur aurait permis, en dépit de l’échec de l’opération d’achat et de revente à court terme du groupe Editis, de détenir 87 % du capital de la société CDO, nettement valorisée par la détention indirecte des BSA « Topco ». Enfin, dans l’hypothèse peu probable d’une cession du groupe Editis dans des conditions défavorables avant le 15 décembre 2010, qui les aurait amenés à devoir supporter une parité d’échange peu avantageuse, les cadres du groupe Wendel auraient néanmoins été assurés de récupérer au minimum leur investissement d’origine, correspondant au prix d’acquisition des actions de préférence de la société CDO, dès lors que ces actions auraient été mécaniquement valorisées par la détention par la société CDO d’une partie du capital de la société Odyssée 3 et par l’exercice par cette société des BSA « Topco ». A cet égard, le ministre relève également, à juste titre, que le groupe Editis devait continuer à se développer entre 2004 et 2008 en procédant à l’acquisition de sept importantes maisons d’édition, le secteur de l’édition étant alors caractérisé par des perspectives plutôt favorables. Le ministre ajoute enfin que les statuts de la société CDO ne s’opposaient pas, en tout état de cause, à ce que, dans l’hypothèse d’une conversion défavorable des actions de préférence en actions ordinaires donnant lieu à une diminution du nombre d’actions et entrainant une réduction du capital de la société CDO, ses associés, soit le groupe Wendel, via la société Ofilux Finances, et ses propres cadres managers, décidassent le remboursement des apports effectués par ceux-ci, prime d’émission incluse. Ainsi, l’ensemble des garanties caractérisant le mécanisme élaboré par le groupe Wendel pour ses cadres dirigeants ont permis à ces derniers de réaliser, sur une courte période, des gains substantiels avec des apports limités sans supporter aucun risque d’investisseur, leur investissement initial étant en effet sécurisé en toutes hypothèses.

10. Il résulte de tout ce qui précède qu’en l’absence de risque et alors que le gain en litige se rattache exclusivement aux fonctions exercées par M. B… au sein de la société Wendel Investissement, c’est à bon droit que le service a imposé dans la catégorie des traitements et salaires la partie du gain en litige. Le ministre est, dès lors, fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal a prononcé la décharge des impositions mises en recouvrement après avoir estimé que le gain réalisé ne constituait pas un complément de salaire, imposable dans la catégorie des traitements et salaires, et qu’il était, dès lors, éligible au régime d’exonération prévu par les dispositions du 5° bis de l’article 157 du code général des impôts.

11. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme B… tant devant elle que devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. et Mme B… :

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions en litige :

S’agissant de l’existence d’un abus de droit :

12. Aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales : « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité. Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ». Aux termes de l’article 157 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : « N’entrent pas en compte pour la détermination du revenu net global : / (…) 5° bis Les produits et plus-values que procurent les placements effectués dans le cadre du plan d’épargne en actions défini à l’article 163 quinquies D (…) ».

13. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales que l’administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d’une application littérale de textes ou de décisions, telles qu’une interprétation formelle de la loi fiscale opposable sur le fondement de l’article L. 80 A du même livre, à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

14. Le comité de l’abus de droit fiscal a, par un avis en date du 13 juin 2013, considéré que l’administration n’était pas fondée à mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. Celle-ci ne s’étant pas conformée à l’avis du comité, il lui appartient, en vertu des dispositions précitées de cet article, d’établir l’existence de l’abus de droit dont elle se prévaut.

15. Comme il a été dit au point 10, le gain réalisé par M. B… à l’occasion de la vente le 20 mai 2008 des actions de préférence de la société CDO constitue, au moins à concurrence de 63,54 % de son montant, un complément de salaire imposable dans la catégorie des traitements et salaires, par application des dispositions de l’article 79 du code général des impôts. Toutefois, ces titres dont la cession a ainsi permis la réalisation d’un gain de nature salariale ne pouvaient, en application des dispositions du code monétaire et financier, et notamment de celles de l’article L. 221-31, être souscrits dans le cadre d’un PEA. L’administration doit ainsi être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe qu’en inscrivant et en cédant dans le cadre de son PEA des titres donnant lieu à la perception de compléments de salaires, M. B… a entendu percevoir le produit de cession des actions de préférence de la société CDO en franchise d’imposition, par une application littérale des textes relatifs au fonctionnement des PEA à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, qui n’ont pas voulu faire bénéficier les gains de nature salariale de l’exonération des plus-values sur cession de titres prévue pour les PEA au 5° bis de l’article 157 du code général des impôts, et qu’ainsi, l’opération en litige, consistant pour M. B… à loger ces titres dans son PEA, était constitutive d’un abus de droit. Les circonstances que le comité de l’abus de droit ait, le 13 juin 2013, émis un avis défavorable à la mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, et que la commission des infractions fiscales ait, le 20 juin 2013, rendu un avis défavorable à l’engagement de poursuites correctionnelles à l’encontre de deux autres cadres dirigeants du groupe Wendel, ne sont pas de nature à remettre en cause l’appréciation de l’administration, qui n’est pas liée par ces avis, sur le caractère frauduleux des actes réalisés par M. B…. Par suite, M. et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que l’administration ne pouvait, sur le fondement de la procédure de répression des abus de droit, remettre en cause le bénéfice pour M. B… de cette exonération.

16. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l’administration établit que M. B… a utilisé son PEA dans un but exclusivement fiscal contraire à l’intention du législateur et qu’il a ainsi commis un abus de droit justifiant la mise en oeuvre de la procédure prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. Par suite, c’est à bon droit que le service a considéré que le PEA de M. B… avait été clos dès l’inscription des titres litigieux et qu’il a imposé, à concurrence de 63,54 % de son montant, le gain issu de leur cession dans la catégorie des traitements et salaires.

S’agissant de la catégorie d’imposition :

17. Il résulte de ce qui a été dit au point 10, qu’en l’absence de risque d’investisseur assumé par M. B… et alors que le gain en litige se rattache aux fonctions exercées par l’intéressé au sein du groupe Wendel, la totalité de ce gain doit être regardée comme un complément de salaire imposable dans la catégorie des traitements et salaires. Par suite, c’est à tort que l’administration n’a taxé ce gain qu’à concurrence de 63,54 % de son montant dans cette catégorie d’imposition.

18. Toutefois, l’administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier une imposition par un nouveau fondement juridique, à la condition qu’une telle substitution de base légale ne prive le contribuable d’aucune des garanties de procédure prévues par la loi.

19. En réponse à la communication par la Cour du moyen d’ordre public tiré de l’erreur commise par le service dans la catégorie d’imposition de la fraction du gain initialement imposée selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières prévu par l’article 150-0 A du code général des impôts, le ministre de l’action et des comptes publics a demandé à la Cour, si celle-ci devait juger nul ou négligeable le risque pris par les dirigeants du groupe Wendel, de considérer que le gain réalisé grâce au mécanisme d’intéressement mis en place à leur profit relevait, dans son ensemble, de la catégorie des traitements et salaires et d’imposer la totalité de ce gain dans cette catégorie sur le fondement des articles 79 et 82 du code général des impôts. Il y a lieu d’accueillir cette demande, qui ne prive les contribuables d’aucune des garanties de procédure attachées au nouveau fondement légal et sur laquelle ils ont été mis en mesure de présenter utilement leurs observations.

S’agissant de l’année d’imposition :

20. En vertu de l’article 156 du code général des impôts, un revenu est imposable à l’impôt sur le revenu au titre de l’année au cours de laquelle le foyer fiscal en a eu la disposition.

21. M. et Mme B… soutiennent que l’imposition du complément de salaire aurait dû être établie au titre de l’année 2004, laquelle est prescrite, dès lors que le gain taxable correspond à la minoration du prix d’acquisition des titres de la société CDO.

22. Il résulte, toutefois, de l’instruction que l’administration a entendu imposer uniquement le gain réalisé par M. B… lors de la cession, le 20 mai 2008, des actions de préférence de la société CDO à la société Ofilux Finances et non, ainsi que le soutiennent les intimés, l’avantage allégué résultant d’une supposée minoration du prix d’acquisition de ces titres en 2004. Ce gain ayant été mis à la disposition de M. B… au cours de l’année 2008, c’est à bon droit que le service l’a imposé au titre de cette année dans la catégorie des traitements et salaires. Par suite, le moyen tiré de ce que l’administration aurait commis une erreur dans la détermination de l’année d’imposition qui serait couverte par la prescription doit être écarté.

23. A cet égard, les intimés ne sont pas fondés à invoquer, sur le fondement des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les termes de la réponse ministérielle faite le 14 mai 2001 à M. C…, député, et de l’instruction du 22 mai 1995, qui ne comportent pas d’interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt.

En ce qui concerne les pénalités :

S’agissant de la procédure d’établissement des pénalités :

24. En premier lieu, aux termes de l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales : « Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l’expiration d’un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l’administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu’elle se propose d’appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l’intéressé de présenter dans ce délai ses observations ».

25. Il résulte de ces dispositions que l’administration a l’obligation, au moins trente jours avant la mise en recouvrement des pénalités visées par le second alinéa de l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales, d’adresser au contribuable un document comportant la motivation des pénalités qu’elle envisage de lui infliger et indiquant qu’il dispose d’un délai de trente jours pour présenter ses observations. Elle est tenue de renouveler cette formalité si, pour quelque motif que ce soit, elle modifie, avant leur mise en recouvrement, la base légale, la qualification ou les motifs des pénalités qu’elle se propose d’appliquer au contribuable.

26. La proposition de rectification du 12 décembre 2011 adressée aux époux B… vise, dans un paragraphe relatif aux pénalités, le b) de l’article 1729 du code général des impôts, indique le taux et le montant des pénalités envisagées et mentionne les considérations de droit et de fait susceptibles de les fonder. Elle énonce ainsi que M. B…, eu égard à ses fonctions au sein du groupe Wendel ne pouvait ignorer que le gain réalisé lors de la cession le 20 mai 2008 des titres de la société CDO constituait, à concurrence de 63,54 % de son montant, un complément de salaire imposable dans la catégorie des traitements et salaires, et que l’inscription de ces titres au sein de son PEA avait été effectuée dans le seul but de percevoir ce gain de nature salariale en franchise d’impôt par une application littérale des textes relatifs au fonctionnement des PEA à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs. Par ailleurs, le service a également rappelé le délai de 30 jours dont disposaient M. et Mme B… pour présenter leurs observations. Dans ces conditions, l’administration a respecté les prescriptions de l’article L. 80 D précité du livre des procédures fiscales.

27. En second lieu, le moyen tiré de ce que les pénalités en litige « sont irrégulières sur le plan de la procédure » n’est pas assorti des précisions suffisantes permettant au juge d’en apprécier le bien-fondé.

S’agissant du bien-fondé des pénalités :

28. Aux termes de l’article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’Etat entraînent l’application d’une majoration de : (…) b. 80 % en cas d’abus de droit au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu’il n’est pas établi que le contribuable a eu l’initiative principale du ou des actes constitutifs de l’abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire (…) ".

29. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que M. B… a inscrit dans son PEA les actions de préférence qu’il détenait de la société CDO, dont la cession le 20 mai 2008 lui a permis de réaliser un gain de nature salariale à concurrence de 63,54 % de son montant, dans le seul but de pouvoir bénéficier de l’exonération d’impôt instituée par les dispositions du 5° bis de l’article 157 du code général des impôts par une application littérale des textes relatifs au fonctionnement des PEA à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur. Dans ces conditions, c’est à bon droit que le service a considéré que M. B…, en élaborant ce montage, s’était volontairement livré à une opération constitutive d’un abus de droit, qu’il a procédé à l’imposition entre ses mains du gain qu’il a réalisé lors de la cession des titres de la société CDO et qu’il a majoré les droits correspondants d’une pénalité pour abus de droit au taux de 40 %.

30. Il résulte de tout qui précède que le ministre de l’économie et des finances est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme B… ont été assujettis au titre de l’année 2008 ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondants.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

31. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».

32. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. et Mme B… demandent au titre des frais qu’ils ont exposés.


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1412064 du Tribunal administratif de Paris en date du 12 juillet 2016 est annulé en tant qu’il a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme B… ont été assujettis au titre de l’année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondants.

Article 2 : La cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu, ainsi que les intérêts de retard et les pénalités correspondants auxquels M. et Mme B… ont été assujettis au titre de l’année 2008 et dont la décharge a été prononcée par le Tribunal administratif de Paris sont remis à leur charge.

Article 3 : Les conclusions de M. et Mme B… présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’action et des comptes publics et à M. et Mme A… B….


Délibéré après l’audience du 29 mai 2019, à laquelle siégeaient :


- M. Formery, président de chambre,

- Mme Poupineau, président assesseur,

- M. Doré, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 27 juin 2019


Le rapporteur,

V. POUPINEAULe président,

S.-L. FORMERY

Le greffier,

C. RENÉ-MINELa République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 16PA03169

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CAA de PARIS, 5ème chambre, 27 juin 2019, 16PA03169, Inédit au recueil Lebon