Cour administrative d'appel de Paris, 23 décembre 2020, n° 18PA02937

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 23 déc. 2020, n° 18PA02937
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 18PA02937
Décision précédente : Tribunal administratif de Melun, 7 juin 2018

Texte intégral


COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL
DE PARIS

N° 18PA02937
___________ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
_________________

AGENCE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA

MAITRISE DE L’ENERGIE (ADEME)

___________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

M. Lapouzade
Président
___________ La Cour administrative d’appel de Paris

M. Doré (1ère Chambre) Rapporteur
___________
Mme Guilloteau Rapporteur public ___________

Audience du 10 décembre 2020 Décision du 23 décembre 2020 ___________ 44-035 C
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
D’une part, la société Paprec Ile-de-France, venant aux droits de la société Métalarc, a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l’Etat à lui verser une indemnité de 1 235 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2015 avec capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison de la faute commise par le préfet du Val-de-Marne mettant à sa charge une partie des frais de dépollution d’un centre de traitement des déchets anciennement exploité par la société LGD Développement sur le territoire de la commune de Limeil-Brévanne.
D’autre part, la société Paprec Ile-de-France, venant aux droits de la société Métalarc, a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie à lui restituer la somme de 1 235 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2015 avec capitalisation des intérêts, indûment mise à sa charge en application d’un accord conclu avec cette agence.
Par ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, le jugement de cette seconde demande a été attribué au tribunal administratif de Melun en application des articles R. 342-1 et suivants du code de justice administrative.


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Par un jugement nos 1508809, 1600202 du 8 juin 2018 le tribunal administratif de Melun a joint les deux demandes, a admis l’intervention de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) dans le dossier n° 1508809, a condamné l’ADEME à verser à la société Paprec Ile-de-France une somme de 1 235 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 ainsi qu’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes de la société Paprec Ile-de-France.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 31 août 2018 et des mémoires enregistrés les 5 octobre 2018, 23 décembre 2019 et 23 mars 2020, l’ADEME, représentée par Me Levy, demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Melun en date du 8 juin 2018 ;
2°) de condamner la société Paprec Ile-de-France à lui reverser la somme de 1 271 521,49 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 août 2018 ;
3°) d’enjoindre à la société Paprec Ile-de-France de verser cette somme dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la société Paprec Ile-de-France une somme de 8 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le juge administratif n’est pas compétent pour apprécier la légalité du contrat conclu entre la société Métalarc et l’ADEME qui est un contrat de droit privé ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, dès lors qu’il ne répond pas aux moyens tirés du principe de loyauté contractuelle et de ce que la participation au financement de l’élimination des déchets par la société Métalarc était une obligation légale ;
- la requête de première instance de la société Métalarc était irrecevable compte tenu de la dissolution de ladite société intervenue le 30 décembre 2015 ;
- elle était également irrecevable en application du principe de l’exception de recours parallèle, la société Paprec n’ayant pas contesté, dans un délai raisonnable, le titre de recette du 6 juin 2012 ;
- le jugement est fondé sur un moyen d’ordre public qui n’a pas été communiqué aux parties ;
- la société Métalarc a spontanément manifesté son intention de participer aux coûts de dépollution du site ;
- le préfet du Val-de-Marne n’était pas partie à l’accord conclu entre l’ADEME et la société Métalarc ;
- il n’a pris aucun engagement et n’a pas renoncé à faire usage de ses pouvoirs de police ;
- le tribunal n’a pas tenu compte du principe de loyauté contractuelle et des conséquences d’une éventuelle nullité du contrat ;
- les conditions de la répétition de l’indu n’étaient pas remplies ;
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- la somme était due par la société Métalarc compte tenu de son obligation de reprendre les déchets qu’elle avait abandonnés ;
- la participation financière de la société Métalarc au coût d’enlèvement des déchets ne reposait pas sur une cause illicite, la société étant détenteur des déchets qu’elle a apportés sur le site ;
- la société Métalarc a apporté des déchets sur le site après le 23 novembre 2010 ;
- la responsabilité de l’Etat était engagée.
Par un mémoire, enregistré le 25 septembre 2019, le ministre de la transition écologique conclut à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Melun en date du 8 juin 2018, en tant qu’il se prononce sur la demande enregistrée sous le n° 1600202 et au rejet des conclusions de cette demande.
Elle soutient que :
- l’ADEME n’a fait appel du jugement qu’en tant qu’il statuait sur la demande enregistrée sous le n° 1600202 et le rejet des conclusions de première instance dirigées contre l’Etat, relevant de la demande enregistrée sous le n° 1508809, est devenu définitif ;
- compte tenu de l’urgence, la mise en sécurité et la dépollution du site ont été confiées à l’ADEME ;
- le préfet pouvait ensuite, en application des dispositions de l’article L. 541-2 et du 2° du I de l’article L. 541-3 du code de l’environnement, imposer aux responsables identifiés le prise en charge financière de ces opérations ;
- le préfet n’a pas pris d’engagement contractuel mais a fait application de ses pouvoirs de police ;
- en application de l’article L. 541-2, la société Métalarc était responsable de la gestion des déchets jusqu’à leur élimination ;
- la société a reconnu avoir déposé des déchets sur le site entre mai 2010 et avril 2011, soit postérieurement à la suspension de l’activité de la société LGD développement ;
- l’absence de mise en demeure préalable sur le fondement du I de l’article L. 541-3 du code de l’environnement est sans incidence sur la légalité de la décision de mettre les frais de gestion des déchets à la charge de la société Métalarc.
Par des mémoires enregistrés les 29 novembre 2019 et 30 janvier 2020, la société Paprec Ile-de-France, venant aux droits de la société Métalarc, représentée par Me Braud, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête d’appel de l’ADEME ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner l’ADEME et l’Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2015 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat et de l’ADEME une somme de 7 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par l’ADEME et la ministre de la transition écologique ne sont pas fondés.
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Par un courrier du 3 décembre 2020, les parties ont été informées, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d’office un moyen d’ordre public.
Par des mémoires enregistrés les 9 et 10 décembre 2020, en réponse au courrier de la Cour du 3 décembre 2020, la société Paprec Ile-de-France indique maintenir l’ensemble de ses conclusions, par les mêmes moyens et fait valoir en outre qu’aucune décision administrative expresse n’a été prise par le préfet.
Par un mémoire enregistré le 9 décembre 2020, en réponse au courrier de la Cour du 3 décembre 2020, l’ADEME indique maintenir l’ensemble de ses conclusions, par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets ;
- le code de l’environnement ;
- le code civil ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
- le code de justice administrative,
- l’ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du même jour portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, notamment son article 5.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. Doré,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me Lévy pour l’ADEME et de Me Braud pour la société Paprec Ile-de-France.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 16 novembre 2005, le préfet du Val-de-Marne a autorisé la société LGD Développement à exploiter, sur le territoire de la commune de Limeil-Brévannes, un centre de tri et de transit de déchets issus de chantiers de constructions ou de démolitions. A la suite de deux inspections intervenues les 21 juillet et 14 septembre 2009, l’administration a constaté que la société LGD Développement ne respectait pas les prescriptions relatives à l’exploitation du site et l’a mise en demeure de se mettre en conformité par arrêtés
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des 9 octobre 2009 et 6 juillet 2010. En l’absence de respect de ces deux arrêtés, le préfet du Val-de-Marne a suspendu l’activité de la société LGD Développement par arrêté du 15 novembre 2010 avant de lui enjoindre, par arrêté du 16 février 2011, de consigner la somme de neuf millions d’euros correspondant au coût estimé des travaux nécessaires pour l’évacuation et l’élimination des déchets présents sur le site. A la suite de la liquidation judiciaire de la société LGD Développement le 28 avril 2011, le préfet du Val-de-Marne a, en urgence, demandé à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), par arrêtés des 25 mai et 3 août 2011, d’intervenir pour sécuriser le site et évacuer les déchets aux frais des personnes physiques ou morales responsables.
2. Après avoir sollicité et obtenu de la société Métalarc, identifiée comme cliente de la société LGD Développement, les données relatives au flux de déchets en provenance de son exploitation qui avaient été confiés au centre de tri de Limeil-Brévannes, le préfet du Val-de- Marne a, par courrier du 23 janvier 2012, indiqué à la société Métalarc que les informations ainsi recueillies lui permettaient de considérer qu’elle était, au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, responsable d’une fraction du volume des déchets abandonnés équivalente à 30 851 m3 et qu’à défaut d’accepter de financer l’élimination de cette quantité de déchets, des sanctions seraient prises à son encontre sur le fondement de l’article L. 541-3 dudit code. Par courrier du 28 mars 2012 adressé au préfet du Val-de-Marne, la société Métalarc a manifesté son accord quant à sa participation à la dépollution du site. Par courrier du 18 avril 2012, le préfet du Val-de-Marne a invité la société Métalarc à se rapprocher de l’ADEME afin de déterminer, dans le cadre d’un accord amiable, sa participation financière au coût des travaux d’élimination des déchets abandonnés sur le site anciennement exploité par la société LGD Développement. En réponse à un courrier du 9 mai 2012, le président de l’ADEME a, par courrier du 15 juin 2012 adressé à la société Métalarc, constaté la volonté de celle-ci de « contribuer financièrement à l’élimination (…) des déchets du site LGD de Limeil-Brévannes à hauteur de 1 235 000 euros HT » et lui a adressé un titre de recette correspondant. La société Métalarc a procédé au paiement sollicité le 15 janvier 2013.
3. Par des courriers du 1er juillet 2015, la société Métalarc a, d’une part, demandé au préfet du Val-de-Marne de lui verser une somme de 1 235 000 euros en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait des fautes qu’il aurait commises en la désignant responsable d’une partie des déchets abandonnés sur le site de Limeil-Brévannes et a, d’autre part, demandé au président de l’ADEME de lui restituer la somme de 1 235 000 euros qu’elle lui avait versée au motif de l’illégalité de l’accord amiable conclu avec cette agence relatif à sa participation aux coûts de dépollution du site de Limeil-Brévannes. La société Métalarc a alors saisi le juge administratif d’une demande, enregistrée sous le n° 1508809, tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité de 1 235 000 euros et d’une demande, enregistrée sous le n° 1600202, tendant à la condamnation de l’ADEME à lui restituer la somme de 1 235 000 euros indûment mise à sa charge. Elle a également demandé au tribunal de joindre les deux instances et de prononcer une condamnation solidaire de l’ADEME et de l’Etat. Après avoir joint ces deux demandes, le tribunal a, par un jugement du 8 juin 2018, rejeté la demande enregistrée sous le n° 1508809, condamné l’ADEME à verser à la société Paprec Ile-de-France une somme de 1 235 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 ainsi qu’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande enregistrée sous le n° 1600202. L’ADEME fait appel de ce jugement.
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Sur la compétence du juge administratif :
4. D’une part, aux termes de l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement : « Au sens du présent chapitre, on entend par : Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire (…) Gestion des déchets : la collecte, le transport, la valorisation et l’élimination des déchets et, plus largement, toute activité participant de l’organisation de la prise en charge des déchets depuis leur production jusqu’à leur traitement final, y compris les activités de négoce ou de courtage et la supervision de l’ensemble de ces opérations ; Producteur de déchets : toute personne dont l’activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) ; Détenteur de déchets : producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets (…) ».
5. D’autre part, qu’aux termes de l’article L. 541-3 du code de l’environnement, dans sa rédaction alors applicable : « I. – Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l’autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu’il encourt et, après l’avoir informé de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai d’un mois, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix, peut le mettre en demeure d’effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. / Au terme de cette procédure, si la personne concernée n’a pas obtempéré à cette injonction dans le délai imparti par la mise en demeure, l’autorité titulaire du pouvoir de police compétente peut, par une décision motivée qui indique les voies et délais de recours : / 1° L’obliger à consigner entre les mains d’un comptable public une somme correspondant au montant des mesures prescrites, laquelle est restituée au fur et à mesure de l’exécution de ces mesures. (…) / 2° Faire procéder d’office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l’exécution des mesures prescrites. Les sommes consignées en application du 1° peuvent être utilisées pour régler les dépenses ainsi engagées ; / (…) L’exécution des travaux ordonnés d’office peut être confiée par le ministre chargé de l’environnement à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ou à un autre établissement public compétent. Les sommes consignées leur sont alors reversées à leur demande. (…) II. – En cas d’urgence, l’autorité titulaire du pouvoir de police compétente fixe les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l’environnement. (…) / V. – Si le producteur ou le détenteur des déchets ne peut être identifié ou s’il est insolvable, l’Etat peut, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, confier la gestion des déchets et la remise en état du site pollué par ces déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ou à un autre établissement public compétent. » Aux termes de l’article L. 541-2 du même code : « Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. / Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. / Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ».
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6. Il résulte de l’instruction que, dans le cadre de la procédure contradictoire prévue pour la mise en œuvre des pouvoirs de police qu’il détient en vertu des dispositions précitées du code de l’environnement, le préfet du Val-de-Marne a, par un courrier du 23 janvier 2012, demandé à la société Métalarc de prendre financièrement en charge l’évacuation des déchets présents sur le site de la société LGD à hauteur des volumes dont elle était regardée comme responsable, soit 30 851 m3. Après des échanges avec la société, qui a notamment chiffré le montant de cette évacuation à 1 235 000 euros dans un courrier du 6 avril 2012, le préfet du Val-de-Marne a, dans un courrier du 18 avril 2012, indiqué à la société Métalarc que « l’article R. 541-2 du code de l’environnement impose le bon traitement des déchets par les producteurs et détenteurs. En conséquence, la justification du bon traitement d’un volume de déchets égal aux déchets que vous avez déposés sur LGD exclurait la société Métalarc des sanctions prévues à l’article R. 541-3 du code de l’environnement ».
7. Le préfet du Val-de-Marne s’est, par les courriers des 23 janvier et 18 avril 2012, borné à rappeler à la société Métalarc ce qu’il considérait être ses obligations résultant des articles L. 541-2 et L. 541-3 du code de l’environnement et à relever que si elle respectait ces obligations, elle ne serait pas sanctionnée. Il n’a ainsi entendu ni renoncer à faire usage de ses pouvoirs de police, ni prendre part à un contrat avec la société Métalarc et l’ADEME.
8. Si la société Métalarc a, par des courriers des 28 mars et 6 avril 2012, revendiqué le « caractère proactif et volontaire » de sa proposition de participer au chantier de retrait des déchets présents sur le site de la société LGD Développement, il résulte de l’instruction que cette proposition est intervenue dans le cadre de la procédure contradictoire préalable à l’édiction de sanctions sur le fondement de l’article L. 541-3 du code de l’environnement, sanctions d’ailleurs prononcées à l’encontre d’autres transporteurs et collecteurs de déchets clients de la société LGD Développement.
9. Par ailleurs, l’ADEME, qui s’est bornée à encaisser la somme en cause, a été chargée en urgence de l’exécution d’office des travaux de sécurisation et d’évacuation des déchets par les arrêtés préfectoraux des 25 mai et 3 août 2011. Le traitement des déchets en cause n’a ainsi pas été fait, même pour partie, en vertu d’un contrat conclu avec la société Métalarc.
10. Il en résulte que le versement réalisé par la société Métalarc au profit de l’ADEME en réponse aux « injonctions » du préfet et sous la menace de sanctions, doit être regardé comme trouvant son fondement dans l’exercice, par le préfet du Val-de-Marne, de ses pouvoirs de police et non dans un contrat, ni l’Etat, ni l’ADEME n’ayant souscrit d’engagement ou fait de concessions en contrepartie de ce versement.
11. Les litiges opposant la société Paprec Ile-de-France, venant aux droits de la société Métalarc, à l’Etat et à l’ADEME trouvent ainsi leur origine dans l’exercice, par le préfet du Val-de-Marne, de ses pouvoirs de police administrative en matière environnementale. Ils ressortissent dès lors à la compétence du juge administratif.
Sur la recevabilité des conclusions des demandes de première instance dirigées contre l’ADEME :
12. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce
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que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable.
13. S’agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance.
14. La règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs. Il appartient, dès lors, au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance.
15. Il résulte de l’instruction que la société Métalarc, aux droits de laquelle vient la société Paprec Ile-de-France, a, par courrier en date du 24 octobre 2012, accepté de payer la somme de 1 235 000 euros correspondant à la « facture » émise le 12 juin 2012 par l’ADEME. Elle a ainsi eu connaissance de ce titre de recette, au plus tard, à la date de ce courrier et n’a exercé aucun recours juridictionnel à son encontre. Ainsi, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 7 ci-dessus que cette décision, qui a un objet exclusivement pécuniaire, était devenue définitive. Par suite, les conclusions de la société Paprec Ile-de-France présentées le 2 novembre 2015 devant le tribunal administratif et tendant à la restitution de la somme de 1 235 000 euros, qui sont fondées sur la contestation des sommes mises à sa charge, n’étaient pas recevables.
16. Par ailleurs, aux termes de l’article 1376 du code civil : « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu » et aux termes du 1er alinéa de l’article 1377 : « lorsqu’une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, a acquitté une dette, elle a le droit de répétition contre le créancier ». Toutefois lorsqu’une décision qui a un objet exclusivement pécuniaire n’a pas été contestée dans les délais prescrits et devient ainsi définitive, elle ne peut être remise en question sur le seul fondement de la répétition de l’indu.
17. C’est par suite à tort que, faisant droit à une demande irrecevable, le tribunal administratif de Melun a condamné l’ADEME à verser à la société Paprec Ile-de-France une somme de 1 235 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu’il a statué sur les conclusions de la demande de première instance dirigées contre l’ADEME et ces conclusions doivent être rejetées comme irrecevables.
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Sur les conclusions d’appel provoqué de la société Paprec Ile-de-France :
18. La circonstance que le tribunal a joint les demandes présentées par la société Paprec Ile-de-France pour y statuer par un seul jugement n’a pas, en vertu du principe de neutralité de la jonction des requêtes, eu pour effet de conférer à l’ADEME la qualité de partie dans l’instance introduite contre l’Etat et enregistrée sous le n° 1508809. Il ressort toutefois des pièces des dossiers de première instance que, par des mémoires enregistrés le 31 octobre 2017, la société Paprec Ile-de-France a sollicité la jonction des deux instances et la condamnation solidaire de l’ADEME et de l’Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros. Dès lors, si, ainsi que le soutient le ministre en défense, l’ADEME n’a fait appel que dans le cadre de l’instance enregistrée sous le n° 1600202 à laquelle elle était partie, le tribunal doit être regardé comme ayant, dans le cadre de cette même instance, rejeté les conclusions de la demande de la société Paprec Ile-de-France tendant à la condamnation solidaire de l’Etat. Il s’ensuit, alors que l’appel interjeté par l’ADEME est susceptible de porter atteinte à la situation de la société Paprec Ile-de-France, que celle-ci est recevable à présenter devant la Cour des conclusions d’appel provoqué tendant, pour le cas où il serait fait droit aux conclusions de l’ADEME, à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros.
19. Il ne résulte ni des dispositions précitées de l’article L. 541-3 du code de l’environnement ni de celles de l’article L. 541-1-1 du même code que seul le détenteur actuel des déchets pourrait être mis en demeure, sur le fondement de l’article L. 541-3 de ce code, d’en assurer une gestion conforme aux règles environnementales et d’assurer la responsabilité financière de cette gestion en cas de défaillance. Ces dispositions, au contraire, permettent de poursuivre un détenteur antérieur si celui-ci a méconnu les prescriptions du code de l’environnement en abandonnant, gérant ou déposant des déchets contrairement à ces prescriptions.
20. La société Métalarc, ayant pour activité la collecte et le transport de déchets de chantiers, a déposé des déchets au centre de tri et de transit exploité par la société LGD Développement. Comme il a été dit au point 1, l’activité de celle-ci avait été autorisée par un arrêté du préfet du Val-de-Marne du 16 novembre 2005 avant d’être suspendue, à la suite de plusieurs mises en demeure restées infructueuses, par arrêté du préfet du Val-de-Marne du 15 novembre 2010.
21. Si l’ADEME et l’Etat font valoir que la société Métalarc a continué à déposer des déchets après la publication de cette décision de suspension en se prévalant du courrier du préfet en date du 23 janvier 2012 mentionnant que l’entreprise Métalarc « a contribué à l’apport de ces déchets aujourd’hui abandonnés sur le site à hauteur de 30 851 m3, entre mai
2010 et avril 2011 », il ressort des termes mêmes de ce courrier qu’il n’est fondé que sur les propres déclarations de l’entreprise résultant de ses courriers en date des 5 août et 20 octobre
2011. Or, il résulte de ces courriers et de l’ensemble des échanges intervenus entre le préfet du Val de Marne et la société Métalarc que cette quantité correspond aux déchets confiés à la société LGD Développement entre le 1er janvier 2009 et le 23 novembre 2010. Dès lors, il ne résulte pas de l’instruction que la société Métalarc aurait continué à déposer des déchets après la publication de la décision de suspension.
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22. Ainsi, et dès lors que la société Métalarc a, sans qu’aucune négligence puisse être relevée à son encontre, transporté et déposé les déchets dans un centre de tri autorisé par l’administration sans les abandonner irrégulièrement, le préfet du Val-de-Marne ne pouvait légalement exiger de sa part le versement de la somme de 1 235 000 euros sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 541-3 du code de l’environnement.
23. Dans ces conditions, la société Paprec Ile-de-France est fondée à soutenir que le préfet du Val-de-Marne a, par son comportement, commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat et à demander la réparation de son préjudice s’établissant à la somme de 1 235 000 euros.
24. Il résulte de tout ce qui précède que la société Paprec Ile-de-France est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre l’Etat. Par suite et sans qu’il soit besoin de statuer sur sa régularité, le jugement attaqué doit être annulé et l’Etat condamné à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2015, date de sa réclamation préalable, et de la capitalisation des intérêts.
Sur les frais liés à l’instance :
25. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Paprec Ile-de-France, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l’ADEME demande au titre des frais qu’elle a exposés. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Paprec Ile-de-France au titre des frais exposés pour sa défense en appel, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement nos 1508809, 1600202 du tribunal administratif de Melun du 8 juin 2018 est annulé.
Article 2 : Les conclusions des demandes présentées par la société Paprec Ile-de-France devant le tribunal administratif et tendant à la condamnation de l’ADEME à lui verser la somme de 1 235 000 euros sont rejetées.
Article 3 : L’Etat est condamné à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros, assortie des intérêts à compter du 1er juillet 2015. Les intérêts échus à la date du 1er juillet 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
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Article 4 : L’Etat versera à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de l’ADEME présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, à la société Paprec Ile-de-France et au ministre de la transition écologique. Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l’audience du 10 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 décembre 2020.
Le président,
J. X
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Cour administrative d'appel de Paris, 23 décembre 2020, n° 18PA02937