CAA de PARIS, 7ème chambre, 9 novembre 2022, 21PA00312, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 7e ch., 9 nov. 2022, n° 21PA00312
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 21PA00312
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 18 novembre 2020, N° 1809832/52
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 12 novembre 2022
Identifiant Légifrance : CETATEXT000046549774

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B D a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l’Etat à lui verser la somme globale de 40 000 euros en raison des faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime entre le mois de février 2016 et le mois de juillet 2017.

Par un jugement n° 1809832/5-2 du 19 novembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 janvier 2021, le 29 mars 2021, les 11 et 20 avril 2021 et le 3 mai 2022, Mme D, représentée par Me Le Prado, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1809832/5-2 du 19 novembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 40 000 euros en raison des faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime entre le mois de février 2016 et le mois de juillet 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— elle a subi une situation de harcèlement moral lorsqu’elle était en poste au sein du bureau règlementation-études juridiques, d’une part, sur la période allant de février à juin 2016 et, d’autre part, à compter du mois de septembre 2016, situation ayant en outre conduit à sa mutation en juillet 2017 ;

—  elle a subi un préjudice moral né des importantes souffrances qu’elle a subies en raison des propos et comportements vexatoires humiliants et dénigrants dont elle a été victime et qui ont créé une altération de sa santé mentale en compromettant gravement son avenir professionnel, préjudice qui doit être évalué à la somme de 40 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête de Mme D.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme D ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de la défense ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme A,

— les conclusions de Mme Breillon, rapporteure publique,

— et les observations de Me Gilbert, avocat de Mme D.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D, officier sous contrat et commandant de l’armée de terre, a été affectée à compter du 15 juillet 2015 à la direction centrale interarmées des réseaux d’infrastructure et des système d’information en qualité de chef de cellule de contrôle des armées puis à la suite de la fusion de ce service avec un autre au sein puis à la tête du bureau règlementation-études juridiques (BREJ) à compter du mois de février 2016. Par courrier du 15 août 2017, elle a saisi la ministre des armées d’une demande de réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime. En l’absence de réponse, elle a saisi la commission de recours des militaires le 7 décembre 2017. Puis Mme D a saisi le Tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat à l’indemniser des préjudices subis en lien avec la situation de harcèlement moral alléguée. Par un jugement du 19 novembre 2020, dont Mme D interjette appel, le tribunal a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 9 du code de justice administrative : « Les jugements sont motivés ». Les premiers juges, qui n’étaient pas tenu de répondre à l’ensemble des arguments de la requérante, ont suffisamment motivé leur jugement et répondu à l’ensemble des moyens soulevés devant eux. Ainsi, le jugement n’est pas entaché d’irrégularité

3. En second lieu, aux termes de l’article R. 611-1 du code de justice administrative : « () La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s’ils contiennent des éléments nouveaux. ». L’absence de communication à une partie, en temps utile pour y répondre, d’un mémoire ou de pièces jointes à un mémoire, sur lesquels le tribunal administratif a fondé son jugement, entache la procédure suivie d’irrégularité.

4. Mme D soutient que le mémoire en défense de la ministre des armées lui a été communiqué par le tribunal administratif de Paris sans qu’elle dispose de la possibilité d’y répondre en temps utile. Toutefois il ressort des pièces du dossier de première instance que ce mémoire en défense a été enregistré au greffe du tribunal le 28 août 2020 et a été communiqué à trois reprises au conseil de la requérante, une première fois le 31 août 2020, une deuxième fois le 29 septembre 2020 et une troisième fois le 15 octobre 2020. Chacune de ces communications a fait l’objet d’un accusé de réception, respectivement les 1er septembre 2020, 30 septembre 2020 et 15 octobre 2020. En parallèle, après avoir été initialement close au 11 octobre 2020 par une ordonnance du 31 août 2020, l’instruction a été rouverte par une ordonnance du 26 octobre 2020 puis, en application des dispositions de l’article R. 613-2 du code de justice administrative, est intervenue le 1er novembre 2020 à minuit, soit trois jours francs avant la date de l’audience fixée au 5 novembre 2020 par un avis d’audience du 9 octobre 2020 notifié au conseil de la requérante. L’intéressée a donc disposé d’un délai suffisant pour présenter une éventuelle réplique. En conséquence, Mme D n’est, par suite, pas fondée à soutenir que le tribunal administratif n’aurait respecté ni le principe du contradictoire ni les dispositions précitées au point 3.

Sur le harcèlement moral :

5. Aux termes de l’article L. 4123-10-2 du code de la défense : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un militaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés. / Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".

6. D’une part, il appartient à un militaire qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

7. D’autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu’elle n’excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l’intérêt du service, en raison d’une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n’est pas constitutive de harcèlement moral.

8. En premier lieu, Mme D soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral à la suite de son affectation au sein du BREJ entre le mois de février 2016 et le mois de juin 2016.

9. Il résulte de l’instruction que Mme D a été affectée en qualité de chef de la cellule de contrôle des marchés rattachée à la sous-direction des achats finances au 15 juillet 2015. Dans un contexte de restructuration, dont la requérante ne saurait utilement critiquer la pertinence dans le cadre du présent recours, ce bureau a fusionné avec la section d’assistance juridique (SAJ) rattachée à la sous-direction stratégie pour devenir un bureau unique, le BREJ. Le commandant de la SAJ a été choisi comme chef du BREJ pour la période de transition avant sa mutation à la fin du mois de juin 2016, date à laquelle Mme D est devenue chef du BREJ. Pendant cette période transitoire, la requérante a été placée sous l’autorité de son collègue du même grade et a été placée sur un poste de conseiller juridique confirmé.

10. D’une part, Mme D critique le choix de nommer le commandant, ancien chef du SAJ en qualité de chef du BREJ pendant la période transitoire, en raison notamment de son ancienneté légèrement inférieure dans le grade de commandant. Toutefois, et alors qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport de l’inspection du travail dans les armées du 2 mars 2017 que la requérante avait peu d’expérience en matière de management, il ne résulte pas de l’instruction que ce choix aurait été motivé par des circonstances autres que l’intérêt du service. En outre, il est établi par le courrier électronique du 29 juin 2015 produit par la requérante que cette dernière avait, avant même d’être affectée au sein de la cellule des marchés publics, connaissance des possibilités d’évolution de son poste vers un poste de chef de bureau juridique à la suite de la fusion de la cellule marché de SDAF et de la section d’assistance juridique (SAJ) de la SDS et qu’elle avait connaissance du départ du commandant de ce bureau à terme. Il n’est toutefois aucunement établi que l’administration s’était engagée à ce que la requérante prenne le poste de chef de bureau avant le départ de son collègue et dès la fusion des deux bureaux. Ainsi la simple circonstance qu’un autre militaire a été préféré à la requérante pour assurer la transition après la fusion des deux services, avant son départ en juin 2016 et la prise de fonction de Mme D comme chef du BREJ, ne suffit pas à caractériser l’existence d’une situation de harcèlement moral.

11. D’autre part, il résulte de l’instruction que pendant cette période transitoire la requérante a conservé son grade et a été affectée sur des fonctions de conseiller juridique confirmé. Il n’est nullement établi qu’au cours de cette affectation temporaire, il lui a été dévolu des tâches ne correspondant pas à son grade. En outre la simple circonstance que Mme D a perdu temporairement ses fonctions d’encadrement le temps de la réorganisation consécutive à la fusion des deux services, et quand bien même il a été choisi de ne pas créer de poste d’adjoint au chef de bureau, ne suffit pas à établir l’existence d’une situation de harcèlement moral.

12. Par ailleurs, il ne résulte aucunement de l’instruction que le commandant chef du BREJ a eu des propos outrageants ou agressifs à l’égard de Mme D. Si des difficultés relationnelles sont très vite apparues entre Mme D et ce dernier, la hiérarchie de la requérante en a été avisée et il a été mis fin à ses difficultés à la suite du départ de l’autre commandant et de la prise de fonctions de Mme D en qualité de chef de bureau. Enfin si dans ce contexte, le chef du BREJ a travaillé avec un autre commandant, sans qu’il ne ressorte des pièces du dossier que ce dernier ait été nommé en qualité d’adjoint, cette circonstance ne suffit pas à établir l’existence d’une situation de harcèlement moral. Enfin, il résulte de l’instruction, et notamment du plan reproduit dans le rapport de mars 2017, que la requérante, qui ne saurait reprocher à son chef de bureau de condamner une porte en accès direct avec son bureau alors qu’il existe un accès par le couloir, ne s’est pas retrouvée mise à l’écart vis-à-vis des autres collaborateurs du BREJ.

13. Ainsi l’organisation du BRED entre le mois de février et le mois de juin 2016 a présenté un caractère transitoire pour une période de cinq mois résultant de la fusion de deux services avec chacun à leur tête un commandant. Si pendant cette phase transitoire l’administration a choisi l’autre chef de bureau avant de nommer la requérante en juillet 2016, après avoir perdu pendant une période limitée ses fonctions d’encadrement mais conservant des fonctions correspondant à son grade, cette situation, qui a entraîné des difficultés relationnelles entre les deux commandants auxquelles l’administration a mis fin, présentait un caractère transitoire et temporaire et était justifiée par la nécessité de réaffecter un des chefs de bureau. En conséquence, cette situation était justifiée par des considérations étrangères à tout harcèlement moral.

14. En deuxième lieu, Mme D soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral entre le mois de septembre 2016 et le mois de juillet 2017. Si Mme D soutient que la façon dont son administration a géré la période transitoire consécutive à la fusion des deux services a eu pour conséquence de la décrédibiliser vis-à-vis des collaborateurs de son département, il ne résulte pas de l’instruction que cette organisation ait été mise en place dans le but de nuire à l’intéressée ou de dégrader ses conditions de travail. Au contraire, il ressort du rapport de l’inspection du travail des armées que Mme D a dès la période transitoire rencontré d’importantes difficultés relationnelles avec son chef de bureau. Ces difficultés ont perduré après ses prises de fonction en qualité de chef de bureau. A ce titre, il lui a été reproché un management autoritaire et un contrôle excessif sur le travail rendu et sur les emplois du temps. Ainsi, il résulte de l’instruction que le comportement de la requérante est à l’origine de la dégradation des conditions de travail au sein du bureau, dégradation qui a été à l’origine de la saisie le 15 décembre 2016 par le directeur de la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de l’inspection du travail des armées. Enfin, si la requérante soutient que l’adjointe au chef de bureau nommée à compter du 1er septembre a eu des propos outrageants et a déplacé son bureau et ses affaires sans son autorisation, elle ne n’apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ses allégations.

15. En troisième lieu, la mutation de la requérante à compter du 1er juillet 2017 qui est motivée par l’intérêt du service n’est pas de nature à révéler l’existence d’une situation de harcèlement moral.

16. Ainsi, au vu d’une part des éléments de fait avancés par Mme D et susceptibles selon elle de faire présumer l’existence d’un harcèlement moral et d’autre part de l’argumentation de l’administration et de l’ensemble des pièces du dossier, la requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont écarté l’existence d’un tel harcèlement et rejeté ses conclusions indemnitaires.

17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête ne peut dès lors qu’être rejetée y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B D et au ministre des armées.

Délibéré après l’audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

— M. Jardin, président de chambre,

— Mme Hamon, présidente assesseure,

— Mme Jurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2022.

La rapporteure,

E. ALe président,

C. JARDIN

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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