Cour de cassation, Chambre criminelle, 7 janvier 2020, 18-85.159, Inédit

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Chronologie de l’affaire

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Philippe Piot · Gazette du Palais · 19 mai 2020
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Sur la décision

Référence :
Cass. crim., 7 janv. 2020, n° 18-85.159
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 18-85.159
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Bordeaux, 3 juillet 2018
Textes appliqués :
Article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Dispositif : Cassation sans renvoi
Date de dernière mise à jour : 14 décembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000041481944
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2020:CR02481
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

N° M 18-85.159 F-D

N° 2481

EB2

7 JANVIER 2020

CASSATION SANS RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 7 JANVIER 2020

M. M… F… a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 4 juillet 2018, qui, pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, l’a condamné à 1 000 euros d’amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires en demande et en défense ont été produits.

Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, les observations de Me Le Prado, avocat de M. M… F…, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. W… N…, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, les avocats ont eu la parole en dernier, après débats en l’audience publique du 29 octobre 2019 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de la procédure que M. W… N…, président du conseil départemental de Dordogne, a déposé plainte et s’est constitué partie civile du chef précité, à la suite de la mise en ligne, sur le site internet du quotidien Sud Ouest, du commentaire d’un internaute sous un article intitulé « W… N… veut faire du Périgord une »terre d’excellence environnementale"« , commentaire répondant à un précédent message d’un autre internaute, et ainsi rédigé : »On ne peut être que d’accord avec vous. Vous êtes même en dessous de la réalité. Terminal zéro nous oblige même à financer avec notre argent sa famille, bon nombre de ses amis socialistes, etc., etc. Quand les électeurs vont-ils enfin comprendre et élire des gens de la société civile compétents et honnêtes ?" ; que le juge d’instruction a renvoyé devant le tribunal correctionnel M. K… B…, directeur de la publication du quotidien et de son site internet, en qualité d’auteur, et M. F…, qui avait été identifié comme l’auteur du commentaire incriminé, en qualité de complice ; que le tribunal correctionnel a renvoyé le premier des fins de la poursuite et, après rejet d’une exception de nullité de la citation et requalification, déclaré le second coupable en qualité d’auteur ; que le prévenu et, à titre incident, le ministère public, ont relevé appel de ce jugement ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation :

Vu l’article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que le moyen n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1 et 10 de la Convention des droits de l’homme ; 93-3 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 ; des articles 23 alinéa 1er, 30, 31 alinéa 1er et 42 de la loi n°86-652 du 29 juillet 1881, des articles 121-6 et 121-7 du code pénal ; des articles 509, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. M… F… coupable de diffamation publique envers un fonctionnaire, dépositaire de l’autorité publique ou un citoyen chargé d’un service public par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, a prononcé sur la peine et sur les intérêts civils ;

« 1°) alors que l’auteur d’une infraction commise par voie de presse ne peut être poursuivi qu’en qualité de complice lorsque le directeur de publication a été mis en cause, nonobstant la relaxe définitive de ce dernier prononcée en première instance ; qu’en retenant, pour déclarer M. F… auteur principal d’un délit de diffamation publique, que le directeur de publication du journal en ligne de diffusion de son message, bien que mis en cause en première instance, avait été définitivement relaxé par le tribunal, la cour d’appel a méconnu les dispositions susvisées ;

« 2°) alors, subsidiairement, que l’auteur de propos diffamatoires peut revendiquer en appel sa qualité de simple complice malgré la relaxe définitive du directeur de publication prononcée en première instance ; qu’en se fondant sur le caractère définitif de la relaxe prononcée par le tribunal en faveur du directeur de publication du site internet où le message de M. F… avait été mis en ligne, pour en déduire que celui-ci ne pouvait plus contester sa qualité d’auteur principal du délit de diffamation poursuivi, la cour d’appel a méconnu les dispositions susvisées" ;

Attendu que, pour confirmer le jugement sur la requalification, l’arrêt, après avoir rappelé que l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle dispose que le directeur de la publication sera poursuivi comme auteur principal lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public et, qu’à défaut, l’auteur des propos sera poursuivi comme auteur principal, énonce que le directeur de la publication a été relaxé, de sorte que le tribunal a pu condamner en qualité d’auteur principal de l’infraction de diffamation M. F…, initialement poursuivi comme complice en qualité d’auteur dudit message ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, et dès lors que, d’une part, la juridiction correctionnelle a le pouvoir d’apprécier le mode de participation du prévenu aux faits spécifiés et qualifiés dans l’acte de poursuite, les restrictions que la loi sur la presse impose aux pouvoirs de cette juridiction étant relatives uniquement à la qualification du fait incriminé, d’autre part, l’auteur du propos poursuivi, non pas comme complice de droit commun au sens de l’alinéa 4 de l’article 93-3 précité et des articles 121-6 et 121-7 du code pénal, mais en qualité de complice au sens de l’alinéa 3 du premier de ces articles, aux côtés du directeur de la publication poursuivi en qualité d’auteur principal, est, en cas de relaxe de ce dernier, susceptible d’être condamné en qualité d’auteur principal de l’infraction, la cour d’appel a fait une exacte application des textes susvisés ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1 et 10 de la Convention des droits de l’homme ; 93-3 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 ; des articles 23 alinéa 1er, 30, 31 alinéa 1er et 42 de la loi n°86-652 du 29 juillet 1881, des articles 121-6 et 121-7 du code pénal ; des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. M… F… coupable de diffamation publique envers un fonctionnaire, dépositaire de l’autorité publique ou un citoyen chargé d’un service public par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, a prononcé sur la peine et sur les intérêts civils ;

« alors que l’exception de bonne foi est admise lorsque les propos diffamatoires, tenus dans un contexte politique, portent sur un sujet d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ; qu’en l’espèce, les propos poursuivis, tenus dans un contexte électoral, discutent la compétence et l’honnêteté d’un élu en raison de l’utilisation qu’il fait des fonds publics en employant de nombreux membres de sa famille et de son parti politique, et incitent les électeurs à voter pour des candidats issus de la société civile ; que la cour d’appel a constaté que la preuve était rapportée que cet élu cumulait plusieurs mandats et fonctions publics et qu’il employait ou soutenait les candidatures de personnes proches sur le plan familial et sur le plan politique ; qu’en écartant la bonne foi du prévenu, après avoir constaté que ces propos reposaient sur une base factuelle suffisante, et dès lors qu’ils s’inscrivaient dans le cadre d’un débat politique d’intérêt général, peu important l’absence de prudence dans l’expression et l’existence d’une animosité personnelle, et nonobstant le caractère bref et peu démonstratif des propos et l’utilisation d’un pseudonyme par leur auteur, la cour d’appel a méconnu les dispositions susvisées" ;

Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Attendu que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes ; qu’en matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’exprimait dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, d’apprécier ces critères d’autant moins strictement qu’ils constatent, en application de ce même texte, tel qu’interprété par la Cour européenne, que les propos s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général et reposaient sur une base factuelle suffisante ;

Attendu que, pour confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré le prévenu coupable de diffamation envers un citoyen chargé d’un mandat public, l’arrêt énonce que, pour prouver sa bonne foi, le prévenu produit des documents qui attestent du fait que M. N… cumule plusieurs mandats et fonctions publics et qu’il emploie, ou soutient les candidatures de personnes de sa famille ou qui lui sont politiquement proches, mais qui n’apportent pas la preuve des faits dénoncés dans le message incriminé ; que les juges ajoutent qu’il n’est pas démontré que celui-ci, bref et dépourvu de caractère informatif, poursuive un but légitime, ni qu’il soit exempt de toute animosité personnelle, alors que son auteur, qui a été un adversaire malheureux de la partie civile dans une élection locale antérieure, l’a publié sous un pseudonyme exclusif du débat politique ; qu’ils retiennent enfin l’absence de prudence dans l’expression d’un message affirmatif et dépourvu de toute nuance ; qu’ils en déduisent que le bénéfice de la bonne foi ne peut être reconnu au prévenu ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt que le message incriminé, qui s’inscrivait dans le débat d’intérêt général sur l’usage, par les élus, des fonds publics et sur la transparence de la vie politique et poursuivait en conséquence un but légitime, reposait sur une base factuelle suffisante, de sorte que la bonne foi ne pouvait être refusée au prévenu aux motifs du recours par celui-ci à l’anonymat, pourtant fréquent sur le réseau internet, d’une animosité personnelle qui lui était prêtée de ce seul fait, et du ton affirmatif du propos, et alors que ledit propos n’excédait pas les limites admissibles de la liberté d’expression, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et des principes ci-dessus énoncés ;

D’où il suit que la cassation est encourue ; que, n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Bordeaux, en date du 4 juillet 2018 ;

DIT n’y avoir lieu à RENVOI ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Bordeaux et sa mention en marge où à la suite de l’arrêt annulé ;

RAPPELLE que du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire en ce qui concerne M. F… ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept janvier deux mille vingt.

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