Cour de discipline budgétaire et financière, Groupe hospitalier Sud Réunion (GHSR), 9 décembre 2011

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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Les faits examinés par la CDBF sont intervenus lors de la mise en place de la réforme de la tarification à l’activité, dite « T2A ». La Cour a constaté que la dégradation de la situation financière du groupe hospitalier a essentiellement résulté de l’augmentation des charges de personnel et du recrutement d’agents au-delà des crédits budgétaires. Or, lesdites créations d’emplois ont été décidées sans aucune réflexion préalable, en méconnaissance des règles et principes élémentaires de gestion. Ainsi, le directeur des ressources humaines a-t-il cessé de produire, à compter de février 2006, les documents et tableaux de bord qui auraient permis de constater les anomalies de gestion et d’y mettre un terme. La Cour a qualifié ici une infraction aux règles d’exécution des dépenses de l’établissement (article L. 313-4 du code des juridictions financières), largement fondée sur le défaut général de surveillance et sur la méconnaissance des obligations de bonne gestion qui s’imposent aux gestionnaires. Le directeur délégué ainsi que le directeur des ressources humaines ont été condamnés à l’amende. En revanche le directeur de l’établissement, qui assumait concomitamment la gestion des deux groupes hospitaliers du département (un à Saint-Denis, l’autre, ici en cause, à Saint-Pierre)a bénéficié de circonstances absolutoires justifiant sa relaxe.Sur le défaut de vigilance, ou de surveillance, du chef de service, cf. CDBF, 9 décembre 1986, DDE d’Ajaccio, Journal officiel, 11 juillet 1987, p. 7809 et CDBF, 11 juillet 2007, SILT, Recueil 2007, p. 93 et AJDA, 2007, p. 2431.

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Sur la décision

Référence :
CDBF, 9 déc. 2011, n° 180-656
Numéro(s) : 180-656
Publication : Arrêts, jugements et communications des juridictions financières, 2011. - DILA, 2012, p. 164.Gestion et finances publiques, n° 5, mai 2013, p. 78-81.
Date d’introduction : 9 décembre 2011
Date(s) de séances : 9 décembre 2011
Textes appliqués :
Infractions : L. 313-4 du code des juridictions financières.
Identifiant Cour des comptes : JF00120028

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

— - – -

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE,
Siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l’arrêt suivant :

Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1er du livre III, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le code de la santé publique dans sa version issue de l’ordonnance n° 2005-406 du 2 mai 2005 et du décret n° 2005-1474 du 30 novembre 2005 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée, relative aux droits et obligations des fonctionnaires, notamment son article 28 ;

Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, ensemble les textes pris pour son application ;

Vu la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique, notamment ses articles 12 et 17 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique et l’ensemble des instructions budgétaires et comptables applicables aux établissements publics de santé, en particulier l’instruction M 21, dans ses versions successives en vigueur au moment des faits ;

Vu le décret n° 2004-118 du 6 février 2004 relatif au recrutement sans concours dans certains corps de fonctionnaires de catégorie C de la fonction publique hospitalière ;

Vu l’arrêté du 22 décembre 2005 fixant la liste des chapitres de crédits à caractère limitatif inscrits à l’état des prévisions de recettes et de dépenses des établissements publics de santé ;

Vu l’arrêté du 22 décembre 2005 fixant le tableau prévisionnel des effectifs rémunérés (TPER) des établissements publics de santé et des établissements de santé privés ;

Vu la communication en date du 26 juin 2008, enregistrée le 1er juillet 2008 au ministère public, par laquelle la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, se fondant sur le rapport de l’inspection générale des affaires sociales n° 2008-035P, a déféré au Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, des faits laissant présumer l’existence d’irrégularités dans la gestion administrative, financière et comptable du Groupe hospitalier Sud Réunion (GHSR) ;

Vu le réquisitoire du 1er octobre 2009 par lequel le Procureur général a saisi la Cour desdites irrégularités présumées, conformément à l’article L. 314-1 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du 28 octobre 2009 par laquelle le Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière, a nommé en qualité de rapporteur M. Patrice-Luc Adment, premier conseiller de chambre régionale des comptes ;

Vu les lettres du 14 janvier 2010 par lesquelles le Procureur général a informé M. Emmanuel Bouvier-Muller, directeur par intérim du GHSR du 6 mars 2006 au 14 mai 2007, M. Alex Lysandre, directeur délégué du GHSR du 28 mars 2006 au 14 mai 2007 puis directeur par intérim du 14 mai 2007 au 2 février 2008 et M. Gérard Lassays, directeur des ressources humaines du GHSR du 6 août 2001 au 1er août 2007, de l’ouverture d’une instruction dans les conditions prévues à l’article L. 314-4 du code des juridictions financières, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 13 octobre 2010 transmettant au Procureur général le dossier de l’affaire, après dépôt du rapport d’instruction ;

Vu la lettre du Procureur général du 25 mai 2011 informant le président de la Cour de discipline budgétaire et financière de sa décision de poursuivre l’instance, en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres du 27 mai 2011 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant le dossier au ministre du travail, de l’emploi et de la santé, au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, pour avis, en application de l’article L. 314-5 du même code, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du 7 juillet 2011 par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a transmis au Procureur général le dossier de l’affaire, conformément à l’article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du Procureur général du 29 juillet 2011, renvoyant MM. Bouvier-Muller, Lysandre et Lassays devant la Cour de discipline budgétaire et financière, conformément à l’article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres recommandées adressées le 25 août 2011 par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. Bouvier-Muller, Lysandre et Lassays, les avisant qu’ils pouvaient prendre connaissance du dossier de l’affaire et produire un mémoire en défense dans les conditions prévues à l’article L. 314-8 du code des juridictions financières, et les citant à comparaître le 28 octobre 2011 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du 18 octobre 2011 par laquelle le Président a, conformément aux dispositions de l’article L. 314-10 du code des juridictions financières, autorisé M. Lysandre à ne pas comparaître à l’audience ;

Vu le mémoire produit par M. Lassays le 12 octobre 2011, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu la pièce produite par M. Lassays au cours de l’audience publique, relative aux effectifs de la direction des ressources humaines de l’établissement ;

Vu le mémoire produit par M. Lysandre le 14 octobre 2011, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu le mémoire produit par Me Barthélémy pour M. Bouvier-Muller, le 20 octobre 2011, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu les autres pièces du dossier, notamment les procès-verbaux d’audition et le rapport d’instruction ;

Entendu le rapporteur résumant son rapport écrit, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le représentant du ministère public, résumant la décision de renvoi, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le Procureur général en ses conclusions, en application de l’article L. 314-12 du code des juridictions financières ;

Entendu en sa plaidoirie Me Barthélémy pour M. Bouvier-Muller, ce dernier ainsi que M. Lassays ayant été invités à présenter leurs explications et observations, la défense ayant eu la parole en dernier ;

Sur la compétence de la Cour

Considérant que, selon les dispositions du b) du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière « tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des collectivités territoriales » ;

Considérant qu’aux termes des articles L. 6141-1 et suivants du code de la santé publique, dans leur rédaction en vigueur au moment des faits, les établissements publics de santé sont des personnes morales de droit public dotées de l’autonomie administrative et financière ;

Considérant que MM. Bouvier-Muller, Lysandre et Lassays, fonctionnaires ou agents du Groupe hospitalier Sud Réunion, sont dès lors justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Sur la prescription

Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-2 du code des juridictions financières, « la Cour ne peut être saisie après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre » ;

Considérant que la communication du ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative a été enregistrée au ministère public le 1er juillet 2008 ; qu’ainsi les irrégularités mentionnées dans cette communication, postérieures au 1er juillet 2003, ne sont pas couvertes par la prescription ;

Sur l’absence d’avis des ministres

Considérant que l’absence de réponse des ministres du travail, de l’emploi et de la santé, du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat et de l’économie, des finances et de l’industrie à la demande d’avis formulée le 27 mai 2011, dans le délai d’un mois qui leur avait été imparti, ne fait pas obstacle à la poursuite de la procédure, en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières ;

Sur les faits, leur qualification et l’imputation des responsabilités

Considérant que les agissements présumés irréguliers pour lesquels MM. Bouvier-Muller, Lysandre et Lassays sont renvoyés devant la Cour se rapportent à un défaut de vigilance relatif à la dégradation de la situation financière de l’établissement et aux dépassements des effectifs autorisés par les crédits budgétaires, dépassements qui constituent la cause majeure de cette dégradation ;

1- Sur les faits

Considérant que M. Bouvier-Muller a exercé, du 6 mars 2006 au 14 mai 2007, parallèlement à sa fonction de directeur du centre hospitalier Félix Guyon, celle de directeur par intérim du GHSR ; que, par lettre du 15 mars 2006, le directeur de l’agence régionale d’hospitalisation a indiqué à M. Bouvier-Muller que sa mission « portera essentiellement sur la conduite du projet de centre hospitalier régional (CHR) » ; que M. Bouvier-Muller « déléguerait à M. Lysandre, la conduite générale de l’établissement » ; que M. Bouvier-Muller a ainsi accordé le 28 mars 2006 une délégation de signature « aux fins d’assurer la conduite générale du groupe hospitalier sud Réunion » à M. Lysandre, directeur délégué et, en cas d’absence de celui-ci, à M. Lassays, directeur des ressources humaines ;

Considérant qu’ainsi, selon les pièces du dossier, la mission confiée à M. Bouvier-Muller, par ailleurs directeur du centre hospitalier Félix Guyon, était principalement de préparer la création du centre hospitalier régional ;

Considérant que M. Lysandre a exercé les fonctions de directeur délégué du GHSR du 28 mars 2006 au 14 mai 2007, puis de directeur par intérim du 14 mai 2007 au 2 février 2008 ;

Considérant que M. Lassays a exercé la fonction de directeur des ressources humaines du GHSR du 6 août 2001 au 1er août 2007 ;

Considérant que l’équilibre financier du GHSR était, lors de l’exercice 2005, attesté par de nombreuses sources émanant de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins et de la mission d’expertise et financière du Trésor public ;

Considérant que cette bonne situation financière résultait notamment de dotations supplémentaires obtenues par l’établissement en 2005 et 2006, des effets de la mise en place de la réforme de la tarification dite « T2A », ainsi que du développement significatif de l’activité en 2006 résultant de l’épidémie de Chikungunya ; que cette bonne situation financière masquait des fragilités ; qu’en particulier l’excédent apparent correspondait pour partie au montant de mesures financées qui n’avaient été ni mises en œuvre, ni enregistrées dans les charges à payer ou dans les provisions ;

Considérant que la situation financière du GHSR a commencé à se dégrader à compter des exercices 2006 et 2007 ; qu’à l’occasion de l’établissement des comptes définitifs pour 2006, de la préparation de l’état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) pour 2007, puis à l’occasion de la présentation pour avis des résultats du premier quadrimestre 2007 au comité technique d’établissement le 25 juin 2007, le caractère préoccupant de la situation a été constaté, le déficit prévisionnel de 2007 étant de 5,4 M € ;

Considérant que, le 16 juillet 2007, l’agence régionale d’hospitalisation (ARH) de la Réunion a refusé d’approuver une décision modificative de l’état prévisionnel des recettes et des dépenses, en soulignant le caractère irréaliste de ce document ; qu’à compter de cette date, le directeur du centre hospitalier régional a exigé une enquête interne puis a sollicité de l’ARH qu’elle procède à une vérification approfondie de la situation du GHSR ;

Considérant qu’une mission d’enquête de l’ARH a été diligentée le 5 septembre 2007, laquelle a conclu à une dérive préoccupante des comptes de l’établissement ; que, sur ce fondement, l’agence régionale d’hospitalisation de la Réunion a enjoint, le 7 septembre 2007, à l’ordonnateur de préparer un plan de retour à l’équilibre ;

Considérant qu’un état prévisionnel des recettes et des dépenses modificatif pour 2007, voté par le conseil d’administration de l’établissement le 2 octobre 2007, a fait apparaître un résultat prévisionnel déficitaire de 14 M€, traduisant une insuffisance de recettes de 4,9 M€ et un accroissement des charges de 9,1 M€ ;

Considérant que le compte financier définitif a été arrêté avec un déficit de 9 317 736 € pour l’exercice 2007, soit 3,5 % des recettes de fonctionnement de l’hôpital ; que le déficit, malgré la mise en œuvre d’un plan de retour à l’équilibre, s’est établi à 8 284 248 € pour l’exercice 2008 ;

Considérant que l’absence de contrôle budgétaire et de contrôle interne efficient n’a pas permis que la direction de l’établissement soit alertée sur le degré de dégradation de la situation financière du GHSR en 2006 et 2007 ;

Considérant que cette dégradation de la situation financière de l’établissement résulte en grande partie d’une augmentation des charges de personnel ; qu’en effet, des recrutements d’agents au-delà des effectifs autorisés par les crédits budgétaires ont été réalisés ; qu’ainsi les charges nettes de personnel (titre I) sont passées de 148,9 M€ en 2005 à 157,9 M€ en 2006 et 168,2 M€ en 2007 ; que cette augmentation de près de 20 M€ en trois ans représente les deux tiers de l’augmentation des dépenses sur la même période ;

Considérant qu’une grande partie des déficits des comptes 2007 et 2008 du GHSR est la conséquence directe et certaine du recrutement d’agents en méconnaissance de la régularité budgétaire et des règles de gestion des ressources humaines ;

Considérant en effet, que l’instauration de l’état prévisionnel des recettes et des dépenses dans les établissements hospitaliers n’a pas modifié le caractère limitatif de certains crédits, notamment ceux des chapitres nos 6411, 6413, 6421, 6422 et 6423 relatifs aux rémunérations des personnels permanents titulaires, médicaux et non médicaux ;

Considérant que, si la notion d’« emplois budgétaires limitativement énumérés par corps et par grade » n’a plus été applicable à compter de l’EPRD pour 2006, le montant de la masse salariale restait limitativement fixé et calculé par rapport à un effectif d’agents de référence, l’ordonnateur et ses services devant toujours procéder à un strict contrôle des mouvements de personnel, en particulier des recrutements ;

Considérant que l’augmentation incontrôlée des effectifs a conduit à un dépassement des crédits limitatifs ouverts sur les chapitres de personnel ;

Considérant que lesdits recrutements ont essentiellement concerné des postes administratifs, alors que les enveloppes accordées par l’ARH étaient destinées, notamment dans le cadre d’un plan de santé mentale, au renforcement des effectifs de personnel soignant ; que, pour la seule catégorie des « agents et adjoints administratifs », les effectifs rémunérés sont passés de 134,1 unités au 1er janvier 2006 à 223,6 unités au 1er janvier 2008 ; qu’en août 2007, une enquête interne a évalué à 132,66 le nombre de postes en excédent sur la paie de juillet ;

Considérant que les créations d’emplois ainsi faites ont été décidées sans réflexion sur les possibilités de redéploiement des moyens ; que M. Lassays, directeur des ressources humaines, n’a jamais émis la moindre objection face aux demandes qu’il recevait des différents services ; qu’il a même parfois précédé l’expression des besoins, en dotant notamment le secteur des archives médicales de moyens en personnels non justifiés ;

Considérant que, jusqu’en février 2006, la direction des ressources humaines produisait mensuellement, à la demande du directeur de l’établissement, un tableau de bord présentant les effectifs autorisés traduits en journées de travail potentiel ; que cette présentation sous forme de tableau permettait de disposer d’un historique sur douze mois et d’apprécier l’évolution des effectifs rémunérés comparée à celle de l’activité ;

Considérant que ce dispositif de suivi des effectifs, de même que la pratique d’une réunion mensuelle dédiée à la question des effectifs, ont été abandonnés dès le départ du prédécesseur de M. Bouvier-Muller ; que M. Lassays, directeur des ressources humaines, a justifié cet abandon par le fait que le maintien d’un tel tableau n’apparaissait plus s’imposer compte tenu des dispositions du décret n° 2005-1474 du 30 novembre 2005 relatif à l’état des prévisions de recettes et de dépenses des établissements de santé et de sa circulaire d’application n° DHOS/F4/2005-535 du 2 décembre 2005 précités ;

Considérant que la direction des ressources humaines tenait un tableau des dépenses de personnel non médical permettant de faire une projection en année pleine de ces dépenses et de les rapporter au budget autorisé ; que, si elles avaient été exploitées et communiquées à la direction de l’établissement, ces informations auraient permis de constater et de corriger les anomalies de gestion des comptes de personnel et de prendre la mesure des dérives en matière de recrutement de personnel ;

Considérant que l’EPRD pour 2007 accompagné d’un tableau prévisionnel des effectifs rémunérés (TPER) a été voté par le conseil d’administration, le 26 avril 2007 ; que ce document reposait sur des évolutions de coûts unitaires de personnel titulaire et non titulaire qui auraient dû faire l’objet d’un contrôle de cohérence ; que la comparaison de ce document avec le TPER de 2006 faisait naître un doute sérieux sur la fiabilité des chiffrages proposés ; qu’en effet, le niveau d’effectifs prévu par le TPER de 2007 excédait celui établi par la direction des affaires financières, lequel permettait, lui, la rémunération des agents sur les crédits ouverts ;

Considérant de même, qu’une discordance existait entre d’une part, l’évolution des effectifs rémunérés par unité fonctionnelle et par grade, tous statuts confondus, et, d’autre part, l’évolution des effectifs théoriques par unité fonctionnelle et par grade ;

Considérant que la direction des ressources humaines a créé des emplois alors qu’elle ne pouvait méconnaître l’absence de crédits pérennes pour les financer, en détournant de leur objet des crédits dédiés accordés par l’ARH et en pratiquant des recrutements massifs de personnels contractuels sur des emplois permanents, ce qui permettait de ne pas faire apparaître une augmentation trop forte de l’effectif de personnels titulaires et stagiaires ;

Considérant que ces pratiques constituent des manœuvres ayant eu pour objet de dissimuler une insuffisance de crédits ; que le dépassement des effectifs autorisés, aussi bien en termes d’équivalents temps plein (ETP) que de postes, a été obtenu en méconnaissant les conditions figurant à l’EPRD 2006 afin d’organiser une transformation de postes à coût constant des emplois de non titulaires (- 202 ETP) gageant l’ouverture de postes de titulaires et de stagiaires (+ 198 ETP) ;

Considérant en outre, que les dispositions combinées des articles 12 et 17 de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001, ainsi que des articles premier et 15 du décret n° 2004-118 du 6 février 2004 susvisés prévoient que les agents non titulaires exerçant des fonctions dévolues aux agents titulaires peuvent être recrutés sans concours, pendant cinq années, aux grades disposant de l’échelle de rémunération la moins élevée de la catégorie C, sous réserve de satisfaire à certaines conditions d’ancienneté et de diplômes ; que l’effectif concerné par ces recrutements doit être fixé annuellement par l’autorité investie du pouvoir de nomination ; que ces dispositions visent à organiser la résorption de l’emploi précaire au sein des établissements publics de santé ; qu’elles ne sauraient justifier qu’il soit dérogé aux règles relatives à la fixation et à la gestion des crédits budgétaires ;

Considérant que les recrutements de gestionnaires et de secrétaires effectués le 22 août 2006 (43 agents) et le 15 mars 2007 (21 agents) ne correspondaient ni à des postes non pourvus ni à des prévisions de départs à anticiper ; que l’établissement ne pouvait recruter ces agents sans méconnaître l’autorisation budgétaire ; que ces personnels ont ainsi été recrutés en surnombre au moyen de la procédure temporaire susmentionnée ; que le directeur des ressources humaines en procédant à ces recrutements sans concours, a accru irrégulièrement les effectifs administratifs et techniques du GHSR ; qu’il en est de même s’agissant des recrutements d’agents d’entretien ouverts sans concours en août 2006 (25 postes) et le 15 mars 2007 (13 postes) ;

Considérant en outre que l’obligation de titularisation immédiate et de reclassement des agents dans leur corps d’intégration, prévue par l’article 6 du décret n° 2004-118 précité, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-227 du 24 février 2006, imposait une gestion rigoureuse des procédures de recrutement, de manière à faire coïncider ces recrutements avec les vacances des postes de titulaires, de telle sorte que soient respectées les enveloppes limitatives de crédits ; qu’à défaut, il a été procédé à des recrutements de personnels permanents en sureffectifs ;

Considérant que le tableau de situation des effectifs par centre de responsabilité et par unité fonctionnelle établi au 1er janvier 2008 met en évidence des dotations excessives dans les catégories administratives et techniques suivantes : « secrétariat médical central et autres secrétariats médicaux », « recettes », « caisses externes », « archives », « cuisine », « liaisons intérieures » et « buanderie » ;

Considérant que cette forte augmentation des postes a été décidée sans prendre en compte l’organisation des services et les moyens budgétaires disponibles ; que les embauches ont été effectuées, selon les déclarations de M. Lassays, sur la demande, souvent verbale, de chefs de service et en ne se fondant ni sur une politique décidée par le conseil d’administration ni sur des directives de la direction générale ou d’une quelconque autre autorité ;

Considérant que l’absence de suivi des effectifs et la méconnaissance des autorisations de recrutement décidées par le conseil d’administration résultent de l’abandon des instruments de gestion et du défaut de transmission des informations entre la direction générale du GHSR, la direction des ressources humaines et la direction des affaires financières ; que ces défaillances sont avérées pour la période allant de mars 2006 à août 2007 ;

2- Sur la qualification des faits et les responsabilités

Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières « toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’État ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1 » ;

Considérant que les dispositions du règlement général sur la comptabilité publique sont rendues applicables aux établissements publics de santé par l’article R. 6145-1 du code de la santé publique ; qu’aux termes de l’article 50 dudit règlement général, « la définition des règles générales de comptabilité incombe au ministre des finances » ; qu’en conséquence l’instruction budgétaire et comptable M 21, applicable aux établissements publics de santé, fait partie des règles d’exécution des recettes, des dépenses et de la gestion du patrimoine des établissements publics de santé ;

Considérant par ailleurs que le régime budgétaire des établissements publics de santé a été modifié par l’article 13 de l’ordonnance n° 2005-406 du 2 mai 2005 simplifiant le régime juridique des établissements de santé, par le décret n° 2005-1474 du 30 novembre 2005 relatif à l’état des prévisions de recettes et de dépenses des établissements de santé et précisé par une circulaire d’application n° DHOS/F4/2005-535 du 2 décembre 2005 ;

Considérant que l’abandon du suivi budgétaire, qui a masqué la dégradation de la situation financière du GHSR et conduit à un grave déficit budgétaire en 2007 et 2008, témoigne d’un défaut général de surveillance et d’une méconnaissance des obligations de bonne gestion auxquels est astreint tout responsable d’un organisme soumis au contrôle des juridictions financières ; qu’il constitue de ce fait une infraction aux règles relatives à l’exécution des dépenses de l’établissement prévue par l’article L. 313-4 précité du code des juridictions financières ;

Considérant que la réglementation relative au financement et au contrôle budgétaire des établissements publics de santé, modifiée par le décret du 30 novembre 2005, ne rendait plus obligatoire le vote par le conseil d’administration d’un tableau théorique des effectifs ;

Considérant toutefois que les projets d’EPRD soumis à l’approbation du conseil d’administration devaient être accompagnés, en application du 4° de l’article R. 6145-19 du code de la santé publique, d’un tableau prévisionnel des effectifs rémunérés ; que la circulaire du 2 décembre 2005 précitée, précise que le TPER est élaboré en cohérence avec l’EPRD ; que la valorisation de l’effectif inscrit au tableau correspond aux dépenses prévisionnelles figurant dans le titre 1 de chaque compte de résultat prévisionnel de l’EPRD ; qu’il porte sur l’ensemble des effectifs, médicaux et non médicaux, et fait apparaître distinctement les effectifs et dépenses prévisionnels correspondant aux emplois permanents et ceux relatifs aux emplois non permanents ;

Considérant que ces dispositions n’avaient ni pour objet ni pour effet de dissocier la réalité financière des effectifs payés de l’évaluation, sur la base d’un coût moyen des effectifs, des crédits de personnels autorisés dans l’EPRD ; que le maintien du caractère limitatif des crédits de personnel permanent titulaire obligeait, au contraire, la direction de l’établissement à un suivi précis des effectifs employés par les unités fonctionnelles ;

Considérant que l’abandon des instruments propres à assurer un suivi précis et régulier des effectifs rémunérés par rapport aux effectifs autorisés, l’absence de réaction appropriée aux discordances pouvant être relevées, ainsi que les créations de postes permanents en sureffectifs, sans analyse préalable approfondie des besoins, constituent des manquements aux règles de bonne gestion et sont constitutifs de l’infraction aux règles d’exécution des dépenses visées à l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant enfin, que la création d’emplois permanents sans crédits disponibles constitue un engagement de dépenses en dépassement de crédits, donc une infraction aux règles relatives à l’exécution des dépenses au sens de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant que M. Bouvier-Muller était ordonnateur de l’établissement du 6 mars 2006 au 14 mai 2007 ; qu’il appartient à l’ordonnateur d’un établissement public de prendre des mesures adéquates de contrôle des dépenses, de pallier l’absence d’instruments de suivi des effectifs rémunérés pour que ceux-ci correspondent aux crédits disponibles et aux besoins en personnel de l’établissement ;

Considérant en outre que, si M. Bouvier-Muller, le 28 mars 2006, a donné à M. Lysandre, directeur délégué, une délégation de signature « aux fins d’assurer la conduite générale du groupe hospitalier Sud Réunion », l’autorité qui accorde à un subordonné une délégation de signature n’est pas dessaisie de ses compétences ; que dès lors, la délégation de signature à M. Lysandre n’exonère pas M. Bouvier-Muller, autorité délégante, de sa responsabilité ;

Considérant que les manquements précités constituent des infractions aux règles applicables aux dépenses de l’établissement, sanctionnées par l’article L. 313-4 précité du code des juridictions financières ;

Considérant que M. Lysandre a exercé les fonctions de directeur délégué de l’établissement public du 28 mars 2006 au 14 mai 2007, puis de directeur par intérim jusqu’au 2 février 2008 ;

Considérant qu’en sa qualité d’ordonnateur responsable de la préparation et de l’exécution du budget ainsi que de la présentation des comptes, M. Lysandre a une responsabilité directe dans les graves anomalies constatées en matière de suivi budgétaire et comptable ;

Considérant que M. Lysandre affirme, en premier lieu, que ni le directeur des finances en poste jusqu’en décembre 2006, ni l’intérimaire qui lui a succédé, ne lui auraient communiqué les états de dépenses engagées comme ils en avaient le devoir ;

Considérant toutefois qu’un tel défaut d’information n’est pas de nature à exonérer la responsabilité du directeur de l’établissement auquel il appartient d’exiger de ses subordonnés la transmission des données relevant de leur compétence ; qu’en outre, la délégation de signature précitée de M. Bouvier-Muller à M. Lysandre prévoyait que ce denier devait « apprécier l’opportunité d’évoquer avec le directeur par intérim les affaires qui lui paraiss[ai]ent avoir un intérêt particulier », notamment « en raison de leur particulière gravité ou urgence » ;

Considérant que M. Lysandre fait valoir en second lieu qu’il ne peut lui être reproché d’avoir intentionnellement permis le recrutement de personnels en sureffectifs ;

Considérant que le grief fait à M. Lysandre d’avoir manqué à son devoir de vigilance et d’avoir méconnu les principes élémentaires de bonne gestion en s’abstenant de toute mesure de contrôle des dépenses, alors que la situation financière de l’établissement s’aggravait, n’est pas assorti d’un élément intentionnel ;

Considérant au surplus, que M. Lysandre a personnellement signé certains actes relatifs au recrutement de personnel non médical, notamment une décision du 24 novembre 2006 fixant la liste d’admission et portant clôture du recrutement sans concours d’agents d’entretien, et un avis de recrutement sans concours de vingt-et-un agents administratifs daté du 15 mars 2007 ; qu’ainsi, M. Lysandre n’a pas seulement manqué à son devoir de vigilance mais a pris une part active aux irrégularités ;

Considérant que M. Lassays, directeur des ressources humaines jusqu’au 3 septembre 2007, disposait, par décision du 29 mars 2006, d’une délégation de signature pour « la gestion des crédits budgétaires affectés aux ressources humaines » ainsi que pour « la gestion des recrutements des personnels titulaires et non titulaires » ; que l’article 6 de ladite délégation obligeait M. Lassays à « référer des éventuelles difficultés rencontrées dans l’application de sa délégation » ; qu’en ne rendant pas compte de recrutements au profit des services qui ne correspondaient pas aux mesures nouvelles accordées par l’ARH, il n’a pas respecté les termes de la délégation que lui avait consenti le directeur de l’hôpital ;

Considérant au surplus, que M. Lassays a procédé à une comptabilisation insincère des engagements financiers, le tableau prévisionnel des effectifs rémunérés joint à l’EPRD voté le 26 avril 2007 ne correspondant pas aux autorisations données par le conseil d’administration ;

Considérant enfin que M. Lassays produit à décharge à la Cour, les appréciations positives portées sur lui par ses évaluateurs et notateurs successifs et conteste avoir manqué de loyauté à l’égard des autorités de l’établissement hospitalier ;

Considérant toutefois que ces moyens sont de nul effet sur le grief fait à M. Lassays en l’espèce ;

Considérant ainsi que la responsabilité de MM. Bouvier-Muller, Lysandre et Lassays est engagée sur le fondement de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Sur les circonstances

Considérant que M. Bouvier-Muller était, au moment des faits, par décision de l’ARH, chargé à titre principal de la mise en place d’un groupe hospitalier régional ; qu’il était, en outre concomitamment affecté à la direction des deux établissements hospitaliers de La Réunion, géographiquement éloignés l’un de l’autre ;

Considérant que le directeur de l’ARH a enjoint par écrit à M. Bouvier-Muller de « déléguer à M. Lysandre la conduite générale de l’établissement » ; que, si la large délégation de signature donnée par M. Bouvier-Muller à M. Lysandre ne peut suffire à exonérer la responsabilité du délégant, le contexte exceptionnel dans lequel M. Bouvier-Muller a été conduit à y procéder, la volonté exprimée par le directeur de l’ARH de voir confier à M. Lysandre la gestion générale du GHSR et la contrainte exercée en ce sens par le conseil d’administration du centre hospitalier sont des éléments majeurs qui doivent être pris en compte ;

Considérant que ces éléments constituent des circonstances absolutoires justifiant que M. Bouvier-Muller soit relaxé des fins de la poursuite ;

Considérant en revanche que M. Lysandre, du fait de son ancienneté dans les cadres, de sa parfaite connaissance de l’établissement et de la délégation de signature et de gestion étendue qui lui était accordée, disposait des moyens d’assurer une surveillance efficace de la gestion du GHSR ; que, dès lors, nulle circonstance de la cause ne peut être retenue en atténuation de la responsabilité de M. Lysandre ;

Considérant, de même, que M. Lassays disposait d’une large délégation, d’une part pour la gestion des crédits budgétaires affectés aux ressources humaines, d’autre part pour la gestion des recrutements des personnels titulaires et non titulaires ; que, de ce fait, nulle circonstance, résultant de la position subordonnée de son poste ou du caractère circonscrit de ses missions, ne peut être admise pour atténuer la responsabilité de M. Lassays ;

Sur l’amende

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de l’espèce en infligeant à M. Lysandre une amende de 10 000 € et à M. Lassays une amende de 10 000 € ;

Sur la publication au Journal officiel de la République française

Considérant qu’il y a lieu, au vu des circonstances de l’espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française en application de l’article L. 314-20 du code des juridictions financières.

ARRÊTE :

Article 1er : M. Emmanuel Bouvier-Muller est relaxé des fins de la poursuite ;

Article 2 : M. Alex Lysandre est condamné à une amende de 10 000 € (dix mille euros) ;

Article 3 : M. Gérard Lassays est condamné à une amende de 10 000 € (dix mille euros) ;

Article 4 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, première section, le vingt-huit octobre deux mil onze par M. Migaud, Premier président de la Cour des comptes, Président ; MM. Loloum et Pêcheur, conseillers d’État, M. Vachia et Mme Fradin, conseillers maîtres à la Cour des comptes.

Lu en audience publique le 9 décembre deux mil onze.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.

Le Président,
Didier MIGAUD

La greffière,
Maryse LE GALL

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Cour de discipline budgétaire et financière, Groupe hospitalier Sud Réunion (GHSR), 9 décembre 2011