Conseil d'État, Juge des référés, 20 octobre 2020, 445092, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CE, juge des réf., 20 oct. 2020, n° 445092
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 445092
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Non-lieu
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042474936
Identifiant européen : ECLI:FR:CEORD:2020:445092.20201020

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 14 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. P… R…, M. O… H…, M. S… N…, Mme U… C…, M. J… Q…, Mme V… F…, Mme D… I…, la société Atelio et la société Shopper union France demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d’ordonner la suspension de l’exécution des articles 1er, 2, 8, 11, 15, 21, 27, 36, 38, 40, 44, 45 et 47 et de l’annexe 1 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 modifié prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, en ce que ces dispositions imposent de manière générale le port du masque dans

différents lieux ;

2°) à titre subsidiaire, d’une part, d’ordonner la suspension de l’exécution des mêmes dispositions en tant qu’elles imposent le port du masque aux enfants âgés de onze à quinze ans, aux personnes atteintes de maladies chroniques disposant d’un certificat médical mentionnant une contre-indication au port du masque et aux femmes en train d’accoucher, d’autre part, d’enjoindre au Premier ministre de fixer des critères de déclenchement objectifs et fiables du port du masque, basés notamment sur le taux de reproduction du virus et le nombre de décès, d’hospitalisations et de passages en réanimation et, dans ce but, d’uniformiser le seuil de positivité au virus retenus par les différents tests PCR utilisés par les laboratoires, enfin, de lui enjoindre de mettre en place un système de comptage des cas positifs évitant qu’une même personne porteuse du virus soit comptabilisée plusieurs fois et de produire, dans un délai de quinze jours, les données ainsi corrigées pour la période allant du 1er août 2020 à la date de la présente ordonnance ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

 – le Conseil d’Etat est compétent en application des dispositions de l’article R. 311-1 du code de justice administrative ;

 – ils justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir ;

 – la condition d’urgence est remplie dès lors que le décret contesté préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à leur situation et à un intérêt public en ce que, en premier lieu, il est en vigueur et s’applique à l’heure actuelle, en deuxième lieu, le port prolongé du masque est nuisible pour leur santé, eu égard notamment aux pathologies particulières dont eux ou leurs proches sont atteints, en dernier lieu, une telle obligation porte atteinte à la santé publique et au droit à la protection de la santé, en raison des risques qui s’attachent au port permanent et inadapté du masque ;

 – il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

 – ce décret est dépourvu de base légale et entaché de l’incompétence de son auteur, dès lors que la loi du 9 juillet 2020 sur le fondement de laquelle il a été pris n’était pas encore entrée en vigueur à la date à laquelle le Premier ministre l’a signé ;

 – il a été pris au terme d’une procédure irrégulière en ce qu’il se fonde sur des avis du Haut conseil de la santé publique (HCSP) rendus en méconnaissance des dispositions du code de la santé publique et du règlement intérieur de ce conseil dès lors, en premier lieu, qu’aucun de ces avis, à l’exception de celui en date du 30 mai 2020, ne justifie d’une extrême urgence permettant de recourir à une procédure dérogatoire remettant à un groupe d’experts la rédaction des avis, en deuxième lieu, que le HCSP a été saisi par une autorité incompétente, seul le ministre des solidarités et de la santé bénéficiant d’une habilitation à cette fin, en troisième lieu, que des groupes d’experts ne pouvaient rendre d’avis au nom du HCSP sans méconnaître les dispositions de l’article R. 1411-55-1 alinéa 4 du code de la santé publique et, en dernier lieu, que ces avis sont entachés d’irrégularités susceptibles d’avoir eu une influence sur le sens du décret contesté, eu égard à l’inapplication des règles de prévention et de gestion des conflits d’intérêts censées garantir tant le respect des principes d’impartialité, de transparence, de pluralité, de contradictoire que celui de la charte de l’expertise sanitaire, prévus respectivement aux articles L. 1452-1 et L. 1452-2 du code précité ;

 – le décret méconnaît les dispositions du III de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 précitée et le principe de proportionnalité des mesures de police administrative dès lors, en premier lieu, que l’obligation du port du masque n’est pas nécessaire et adaptée aux circonstances de temps et de lieu, eu égard notamment au déclin de la propagation de l’épidémie de covid-19 à la date du 10 juillet 2020 comme à celle d’aujourd’hui, en deuxième lieu, que les critères de déclenchement de cette obligation doivent être objectifs et fiables contrairement à ceux sur lesquels se fonde le gouvernement, en troisième lieu, que l’efficacité du port du masque n’est pas prouvée scientifiquement, en quatrième lieu, qu’une telle obligation générale dans tous les lieux clos et pour tous les citoyens de plus de onze ans est disproportionnée au regard, d’une part, des effets indésirables et des inconvénients qui en résultent et, d’autre part, des distinctions qu’il aurait été possible d’apporter selon les territoires, en cinquième lieu, que son utilisation revêt un caractère inefficace voire contre-productif ;

 – l’obligation de port du masque est disproportionnée et contraire au principe d’égalité en ce qu’elle s’applique dès le seuil d’âge de onze ans, en ce que des dérogations sont accordées aux personnes handicapées et munies d’un certificat médical et non à celles atteintes de maladies chroniques et, enfin, en ce qu’elle s’applique aux femmes en train d’accoucher ;

 – cette obligation méconnaît le droit au respect de la vie privée et la liberté de circulation, garantis par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par l’article 2 de son protocole n° 4.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 12 octobre 2020, M. G… A… et 828 autres intervenants concluent à ce qu’il soit fait droit à la requête, par des moyens identiques.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 13 octobre 2020, Mme B… W…, Mme L… T… et Mme M… K… concluent à ce qu’il soit fait droit à la requête, par des moyens identiques.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 octobre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu’aucun des moyens n’est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 19 octobre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut à ce qu’il n’y ait lieu de statuer sur la requête. Il soutient que ses conclusions tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l’exécution du décret en litige en tant qu’il prévoit l’obligation de porter le masque dans différents lieux sont devenues sans objet en raison de l’abrogation de ce décret par celui du 16 octobre 2020, paru au Journal officiel de la République française le 17 octobre.

La requête a été communiquée pour observations au Premier ministre qui n’a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, M. R… et les autres requérants et, d’autre part, le ministre des solidarités et de la santé, le Premier ministre, M. A… et les autres intervenants et Mme W… et les autres intervenantes ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 15 octobre 2020 à 10 heures :

— Me E…, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. R… et des autres requérants ;

 – les représentants de M. R… et des autres requérants ;

 – les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a reporté au 19 octobre à 18 heures la clôture de l’instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. L’article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. » Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

2. Les intervenants justifient d’un intérêt suffisant à la suspension des dispositions contestées. Ainsi, leurs interventions dans le cadre du présent litige sont recevables.

3. Les conclusions tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l’exécution du décret en litige en tant qu’il prévoit l’obligation de porter le masque dans différents lieux sont devenues sans objet en raison de l’abrogation de ce décret par le décret susvisé du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, paru au Journal officiel de la République française le 17 octobre. En conséquence, il n’y a pas lieu d’y statuer.

4. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions tendant à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :

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Article 1er : Les interventions de M. G… A… et autres et de Mme B… W… et autres sont admises.

Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à à ce que soit ordonnée la suspension de l’exécution du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 modifié prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, en tant que ce décret impose le port du masque dans différents lieux.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. P… R…, premier requérant dénommé, à Me E… pour l’ensemble des intervenants et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

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