CE, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 405061

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Sur la décision

Référence :
CE
Juridiction : Conseil d'État
Décision précédente : Conseil d'État, 5 décembre 2013
Précédents jurisprudentiels : 28 décembre 2001, commune de Saint-Jory c/ Mme E, n° 225189
30 décembre 2009, Institut de France, n° 304379
CAA de Lyon du 29 juin 2006, M. B, enregistré sous le n° 02LY01643
CAA de Marseille du 4 février 2014, Brunet, enregistré sous le n° 13MA01392
Conseil d'Etat dans sa décision du 11 juillet 2011, Montaut, n° 321225
Conseil d'Etat des 20 avril 2005 et 1er octobre 2014, Karsenty et autres et Erden, n° 261706 et 349560
Conseil d'Etat du 16 février 1996, Bancharel, n° 138771
Conseil d'Etat du 16 juin 1989, ministre de la culture c/ Denise, n° 95041
Conseil d'Etat du 18 novembre 2015, M. G, n° 380461
Conseil d'Etat du 22 novembre 2004, ministre de l' éducation nationale c/ M. F, n° 244515
Conseil d'Etat du 22 septembre 1993, Sergène, n° s 87033, 87456
Conseil d'Etat du 24 juin 2002, département de la Seine-Maritime, n° 240271
Conseil d'Etat du 27 avril 2012, M. D, n° 327732
Conseil d'Etat du 6 décembre 2013, commune d'Ajaccio, n° 365155
Conseil d'Etat du 7 novembre 1986, Edwige, n° 59373
Cour du 10 juin 2014, Fédération autonome de l' éducation nationale, enregistré sous le n° 13PA00583
Cour du 23 juin 2016, Bertin, enregistré sous le n° 14PA04627
Tribunal des conflits du 9 février 2015, M. C, n° 3997
Tribunal des conflits. Voyez ainsi le jugement du 4 mai 2016 enregistré sous le n° 1509123/5-1
Voyez notamment la décision du 11 juin 1997, Nevez, n° 142167

Texte intégral

N° 15PA01086, 15PA01088 M. X / Présidence de la République
Séance du 6 septembre 2016
Lecture du 20 septembre 2016
CONCLUSIONS de Mme Oriol, Rapporteur public M. X, qui a longtemps exercé les fonctions de spécialiste des systèmes informatiques dans plusieurs cabinets ministériels, a été recruté en qualité de contractuel, le 31 mars 2011 pour une durée de trois ans renouvelable, afin d’assurer les fonctions de chef du service des télécommunications et de l’informatique (STI) de la présidence de la République, regroupant à l’époque 16 bureaux et 41 collaborateurs. En avril 2013, après que le commandant militaire en charge de la sécurité des services de l’Elysée, le colonel de gendarmerie W-AA, lui eut demandé de prendre connaissance des termes d’une réquisition judiciaire pour obtenir la communication de données informatiques relatives à des affaires sensibles, notamment la nomination de M. Y à la BPCE ou encore l’arbitrage Crédit Lyonnais-J K, M. X s’est opposé à sa hiérarchie, estimant que la recherche d’informations dans les archives informatiques des collaborateurs du précédent Président de la République, sans leur consentement, constituait un ordre illégal.
A cette même époque, la directrice de cabinet du Président de la République, Mme Z, a décider de renforcer le STI, estimant à la suite d’un rapport d’audit commandé à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), que celui-ci souffrait de nombreux dysfonctionnements, en partie liés à des erreurs et insuffisances professionnelles de M. X. Sur le fondement officiel de ce rapport, un nouveau chef du STI, M. L A, a été nommé, M. X devenant son adjoint. Cette nouvelle situation a impliqué pour lui de quitter son bureau du Palais de l’Elysée pour rejoindre les annexes situées sur le site du Palais de l’Alma, ce dont il a été officiellement informé par une décision de Mme Z en date du 17 mai 2013. Vivant très mal cette situation qu’il a regardée comme un déclassement et un licenciement de fait constitutifs d’une sanction déguisée assortie de harcèlement moral, M. X a été placé en congés maladie pendant plusieurs mois. Pour mettre fin à cette situation, il a introduit, en vain, un recours gracieux en date du 6 juin 2013 auprès de Mme Z pour qu’elle revienne sur sa décision du 17 mai précédent.
A son retour de congés à l’automne 2013, M. X aurait donc dû reprendre ses nouvelles fonctions d’adjoint auprès de M. A, afin de mener à bien la mission sur la refonte de l’architecture technique de la présidence qui lui avait alors été confiée. Toutefois, à la suite d’un article intitulé « Révélations sur le cabinet noir de l’Elysée » paru dans la revue Valeurs actuelles le 31 octobre 2013, en partie fondé sur un témoignage à charge de M. X, Mme Z, par décision du même jour, a non seulement récusé le licenciement de fait dont l’intéressé estimait avoir fait l’objet, mais, surtout, décidé de le suspendre à titre conservatoire pour une durée de quatre mois, en raison de manquements graves à ses obligations professionnelles. Un nouvel article de même nature également publié dans la revue Valeurs actuelles le 7 novembre 2013, sous le titre « Les mensonges du pouvoir », a finalement conduit Mme Z à licencier M. X pour motif disciplinaire en raison d’une atteinte grave à son obligation de discrétion professionnelle, par décision du 20 décembre 2013. Cette décision est intervenue après que l’intéressé eut refusé de se rendre à l’entretien préalable auquel il avait été convié par courrier du 21 novembre précédent et demandé en vain à sa hiérarchie de revenir à titre gracieux sur la décision de suspension prise à son endroit.
Estimant avoir subi des préjudices graves du fait des décisions que nous venons d’évoquer, M. X a saisi le Tribunal administratif de Paris de requêtes tendant à leur annulation, assorties de conclusions indemnitaires destinées à leur réparation présentées en vain devant son employeur par des réclamations préalables des 7 novembre 2013 et 12 février 2014. A ce titre, il a sollicité une somme de 87 000 € en réparation des préjudices subis du fait de l’illégalité de la décision du 17 mai 2013 et du harcèlement moral dont il aurait été victime. Il a également demandé au TA, outre l’annulation des décisions portant sur sa suspension et sur son licenciement pour motif disciplinaire, de condamner l’Etat à lui verser la somme de 108 438 € au titre de l’indemnité de licenciement à laquelle il estimait avoir droit, la somme de 277 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés annuels, ainsi que la somme de 13 992 € au titre de l’absence de préavis.
Par un jugement du 15 janvier 2015, les premiers juges ont rejeté les requêtes de M. X. C’est de ce jugement que l’intéressé fait régulièrement appel devant votre Cour par deux requêtes distinctes présentant les mêmes conclusions qu’en première instance. Vous pourrez sans difficulté les joindre, dès lors qu’elles concernent le même justiciable, soulèvent des questions de droit semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune.
Commençons, si vous le voulez bien, par examiner les moyens soulevés sur le terrain de la régularité du jugement attaqué.
*
I-Régularité du jugement attaqué :
S’agissant de cette cause juridique, M. X fait principalement grief aux premiers juges d’avoir fait preuve de partialité en sa défaveur, méconnaissant de ce fait le principe d’égalité des armes consacré par le § 1 de l’article 6 de la CvEDH. Plus précisément, il estime que le tribunal aurait dû tenir compte du témoignage favorable du capitaine Calestroupat, dont il estime qu’il aurait été sain qu’il soit entendu en qualité de témoin. M. X estime également que les premiers juges n’étaient pas tenus d’accéder à la demande de la présidence de la République de supprimer certains passages de ses écritures de première instance qui, selon lui, n’avaient rien de diffamatoires. Enfin, il fait grief au tribunal de s’être fondé, sans l’avoir consulté, sur le rapport d’audit de l’ANSSI qui n’avait pourtant pas été produit en première instance.
Vous regarderez tout d’abord ces moyens comme étant opérants, le litige portant sur une sanction infligée par un employeur public à un agent contractuel placé sous son autorité, mettant de surcroît en cause d’éventuels droits civils à indemnité. Dans cette affaire, c’est donc bien une contestation incluse dans le champ des matières visées par le § 1 de l’article 6 de la CvEDH que les premiers juges ont eu à connaître. Voyez sur cette question la décision du Conseil d’Etat du 24 juin 2002, département de la Seine-Maritime, n° 240271, fichée en B, rendue aux conclusions de M N. Pour une affaire jugée a contrario, voyez également, par exemple, l’arrêt définitif de la 10e chambre de votre Cour du 10 juin 2014, Fédération autonome de l’éducation nationale, enregistré sous le n° 13PA00583.
Ceci étant acquis, pour répondre aux moyens tels qu’ils sont soulevés devant vous, vous relèverez en premier lieu qu’il est certain qu’aucune des parties au procès devant le juge administratif ne doit être défavorisée par rapport aux autres. Par suite, pour éviter tout reproche sur ce terrain, il appartient au juge, le cas échéant, de mettre en œuvre ses pouvoirs d’instruction pour assurer l’égalité des armes entre les parties. Voyez sur ces questions les décisions du Conseil d’Etat des 20 avril 2005 et 1er octobre 2014, Karsenty et autres et Erden, n° 261706 et 349560, toutes deux publiées au Recueil.
Au vu de ces règles, il ne nous semble pas qu’il y ait eu en l’espèce de déséquilibre du procès au détriment de M. X de la part des premiers juges.
* Ainsi, contrairement à ce que semble sous-entendre M. X, le juge administratif n’est jamais tenu de mentionner les termes d’une attestation, fût-elle favorable à un requérant, s’il estime qu’elle n’est pas discriminante pour la solution du litige. En l’espèce, le témoignage du capitaine Calestroupat en date du 25 avril 2013, s’il reconnaissait les mérites professionnels de M. X, ne remettait pas pour autant en cause les faits à l’origine du litige dans un sens de nature à influer sur l’appréciation par les premiers juges des pièces du dossier. Celle-ci est en effet fondée non pas sur les éventuels manquements professionnels de M. X, mais sur un comportement regardé comme fautif de l’intéressé en raison du manquement à son devoir de réserve né des articles parus dans la revue Valeurs actuelles. Nous nous bornerons ici à souligner qu’ils n’ont pas été sans causer un certain remous dans les plus hautes sphères de l’Etat, nous y reviendrons plus tard.
Toujours sur cette question, il nous semble également qu’il ne peut être fait grief aux premiers juges de ne pas avoir auditionné le capitaine Calestroupat dans le cadre de leurs pouvoirs d’instruction, la procédure devant le juge administratif étant, comme vous le savez, essentiellement écrite. En l’espèce, il nous semble qu’entendre la capitaine, en son temps adjoint de M. X à l’Elysée, n’aurait rien ajouté à son témoignage écrit, dont nous venons de dire qu’il n’était pas de nature, à lui seul, à influencer les premiers juges dans leur appréciation du dossier.
* Notez par ailleurs qu’à supposer même que les premiers juges aient décidé de supprimer certains passages des écritures de M. X qui n’auraient rien eu de diffamatoires ou d’outrageants, une telle circonstance est en tout état de cause sans incidence sur la régularité du jugement attaqué, sur le terrain de laquelle l’appelant se borne à se placer. Voyez en ce sens, par exemple, l’arrêt définitif de la CAA de Lyon du 29 juin 2006, M. B, enregistré sous le n° 02LY01643. Nous reviendrons néanmoins sur cette question, sur le fond cette fois, à la fin de nos conclusions.
* Enfin, même s’il aurait sans doute été préférable que les premiers juges statuent au vu du rapport d’audit de l’ANSSI évoqué au considérant n° 25 du jugement attaqué, vous noterez qu’ils ont pris la peine de relever que M. X avait lui-même admis que ce rapport avait mis en évidence des failles importantes dans la sécurité des systèmes d’information de la présidence de la République. Dans ces conditions, la mention de ce rapport sans qu’il eût été effectivement consulté, ne peut à notre avis être regardée comme un élément qui aurait déséquilibré le procès au détriment de M. X.
Nous vous invitons donc à confirmer la régularité du jugement attaqué, sans vous appesantir sur les allégations de portée générale, d’ailleurs infondées, selon lesquelles les premiers juges auraient été soumis à des pressions de la part de l’Elysée.
Venons-en à présent au cœur du litige, qui porte en premier lieu sur le statut des personnels contractuels de la présidence de la République et des textes qui leur sont applicables.
II-Statut des personnels de l’Elysée et textes applicables :
Il s’agit là de la principale question de droit qui vous est soumise dans cette affaire. Pour mémoire, alors que l’appelant se prévalait devant les premiers juges des dispositions prévues par le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat, ceux-ci ont estimé que tous les moyens soulevés sur ce terrain étaient inopérants, faute pour M. X d’être en fonction au sein d’une administration centrale de l’Etat, l’Elysée n’en présentant pas le caractère et ne pouvant selon eux y être assimilé.
Pour saisir le raisonnement du Tribunal administratif de Paris dans ce jugement classé en C+, vous pourrez vous référer aux conclusions de notre collègue AJ AK-AL, publiées au n° 3 de la revue Droit administratif de mars 2015, comm.18. Il y est notamment expliqué, en référence à la décision du Conseil d’Etat du 5 mai 1976, Union des syndicats CFDT des administrations centrales et assimilées, n° 96308, au Recueil, que l’administration du personnel de la présidence de la République est une entité à part, qui ne peut se confondre avec les autres administrations de l’Etat. Plaide ainsi en ce sens, pour le rapporteur public devant le TA, le fait que les personnels qui y travaillent, soit viennent d’administrations centrales de l’Etat, soit sont recrutés par contrat, comme M. X.
En première analyse, quelques arguments peuvent plaider en faveur de la position des premiers juges, en premier lieu le fait qu’il n’existe pas de texte de nature législative ou réglementaire qui fixe le statut ou les textes légaux applicables aux collaborateurs du Président de la République.
En outre, il ressort de l’article 21 de la Constitution de la Vème République que c’est le Premier ministre qui dirige l’action du Gouvernement et exerce le pouvoir réglementaire. Pour cela, il dispose de l’administration, centrale et déconcentrée, comme le rappelle l’article 2 du décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration, en vertu duquel les administrations centrales sont placées sous sa seule autorité. En vertu de l’article 3 de ce même décret, qui reprend à l’identique les termes de la précédente charte de déconcentration de 1992, les administrations centrales participent à l’élaboration des projets de loi et de décret et préparent et mettent en œuvre les décisions du Gouvernement et de chacun des ministres. En vertu de la séparation des pouvoirs entre le Président de la République, chef de l’Etat, et le Premier ministre, chef du Gouvernement, vous pourriez donc être tentés de juger que le Président ne dispose pas d’une administration centrale et choisit dès lors ses collaborateurs intuitu personae, ces derniers ayant d’ailleurs vocation à cesser leurs fonctions auprès de lui en cas d’alternance. Parmi ces collaborateurs, il y a bien évidemment de nombreux conseillers dont la mission auprès du Président de la République, qui tire sa légitimité à exercer le pouvoir d’Etat du peuple souverain[1], est à l’évidence plus politique qu’administrative. C’est notamment le cas des membres du secrétariat général et du cabinet, aujourd’hui fondus dans une seule et même entité, avec, dans l’ordre protocolaire actuel[2], le secrétaire général de l’Elysée, AD-O AM, qui vient avant le chef de l’état-major particulier et le directeur de cabinet.
Pour autant, s’arrêter là pour confirmer l’analyse du Tribunal administratif serait sans doute un peu hâtif. Tout d’abord parce que la décision du Conseil d’Etat du 5 mai 1976 susévoquée, qui a maintenant 40 ans et a été prise avant l’entrée en vigueur du statut de la fonction publique d’Etat et de ses décrets d’application, outre qu’elle nous paraît pour le moins désuète, n’a été rendue qu’en ce qui concerne le cas d’un administrateur civil en poste au secrétariat général de l’Elysée. Il nous semble donc délicat d’en tirer une règle générale pour tous les agents en poste à l’Elysée, notamment ceux exerçant dans des services qui n’ont aucune connotation politique. Ne perdez pas de vue en effet que le directeur de cabinet du Président, outre les fonctions exercées plus haut, gère également l’administration de l’Elysée, qu’il s’agisse du protocole, des ressources humaines et des finances ou encore des services informatiques, structures exclusivement administratives, également appelées fonctions support, comme il en existe dans toutes les administrations.
A ce titre, contrairement à ce que vous pourriez intuitivement supposer, le Président de la République est entouré d’un nombre très important de collaborateurs, très précisément 806 au 31 décembre 2015, au vu du dernier rapport annuel de la Cour des comptes sur les comptes et la gestion des services de la présidence. Parmi ceux-ci, 660 étaient des agents mis à disposition de la présidence par leur administration d’origine et 146 des agents contractuels. Cette masse corrobore à l’évidence l’idée que tous les collaborateurs de l’Elysée ne sont pas des politiques, contrairement à ce qui a pu être le cas par exemple à l’époque du Général de Gaulle qui n’a disposé que de 200 collaborateurs, appelés son « entourage » ou sa « maison », pendant ses deux mandats[3].
Aujourd’hui, même parmi les membres actuels du cabinet qui permettent au Président d’impulser les réformes de nature politique mises en œuvre par le Gouvernement sous l’autorité du Premier ministre, il est bien difficile de tenir pour négligeable la dimension administrative. Certes, vous pourrez objecter que comptent au nombre des anciens secrétaires généraux ou adjoints de l’Elysée, par exemple, les anciens Premiers ministres O P et AH AI, mais également, plus près de vous, Q R, secrétaire général adjoint avant de devenir ministre de l’économie en 2014. Pour autant, si les nombreux conseillers techniques de l’Elysée travaillent sur des sujets éminemment politiques, ils en assurent le suivi en étroite collaboration avec l’administration, comme l’indique le libellé de leurs portefeuilles, souvent jumeaux de ceux du secrétariat général du Gouvernement rattaché au Premier ministre. A titre d’exemple, si Q R, haut fonctionnaire issu de l’inspection générale des finances, a imaginé le crédit d’impôt compétitivité emploi, sujet très politique, il l’a concrètement mis au point en collaboration étroite avec les services de Bercy et du secrétariat général du Gouvernement.
H également que sous l’empire de la Constitution de la Vème République, les commentateurs avisés évoquent souvent le terme de bicéphalisme administratif[4] pour caractériser la répartition des rôles entre le Président de la République et le Premier ministre. Certes, comme nous l’avons dit, ce dernier dispose de l’administration. Néanmoins, le Président de la République est également doté par la Constitution de compétences d’attribution en matière administrative. L’article 13 de la Constitution définit ainsi son pouvoir réglementaire consistant à signer les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres. Ce même article lui permet également de nommer aux emplois civils et militaires de l’Etat, s’agissant des hauts fonctionnaires obligatoirement nommés en conseil des ministres.
Il est vrai néanmoins qu’à défaut de compétences propres pour gérer l’administration qui l’entoure, le Président de la République est en théorie tributaire des mises à disposition de fonctionnaires que veulent bien lui consentir les autres administrations, ce qui a pu faire dire à certains auteurs que d’un point de vue strictement logistique, le centre nerveux de l’administration demeure le Gouvernement, entre les mains du Premier ministre, qui coordonne les centaines de fonctionnaires à la disposition de l’Etat et du Président[5]. Difficile toutefois d’imaginer que des directeurs d’administration centrale ou des responsables des grands corps de l’Etat ou de la préfectorale, premiers pourvoyeurs de conseillers à l’Elysée, s’opposent à une mise à disposition de leurs meilleurs éléments auprès de la présidence de la République.
Pour le reste, le Président peut également, nous l’avons dit, s’adjoindre les services de contractuels qu’il a le pouvoir de recruter et qui, en ce qui les concerne, ne dépendent en rien, à supposer qu’il existe, du bon vouloir du Premier ministre. Sur cette question, dans son rapport sur la gestion des comptes et des services de la présidence de la République, la Cour des comptes s’est longtemps émue du statut de ces contractuels auxquels a souvent été appliquée la convention collective nationale des employés de maison, alors qu’ils auraient selon elle dû être dotés d’un statut ad hoc de droit public. Les magistrats financiers se sont donc félicités de la décision du Tribunal des conflits du 9 février 2015, M. C, n° 3997, par laquelle il a été jugé qu’un contractuel recruté pour exercer les fonctions de chef de rang dans les services de la présidence de la République devait être regardé comme un agent de service public administratif ayant de ce fait la qualité d’agent public.
Nous tirons pour notre part de cette importante décision la conclusion qu’il est difficilement envisageable de faire échapper les contractuels de l’Etat chargés de fonctions purement administratives à l’Elysée au champ des règles du droit public. En effet, encore moins qu’un chef de rang, un responsable du STI ou un DRH n’a de points communs avec un employé de maison.
Reste toutefois à savoir, et c’est tout l’enjeu de la question qui vous est posée aujourd’hui, si le décret n° 83-86 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat, pris pour l’application de l’article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, leur est applicable.
En vertu de l’article 2 de cette même loi applicable à l’époque du litige, entrent dans son champ les personnes qui ont été nommées dans un emploi permanent à temps complet et titularisées dans un grade de la hiérarchie des administrations centrales de l’Etat, des services déconcentrés en dépendant ou des établissements publics de l’Etat. Dans sa version en vigueur en 2016, vous noterez que le texte parle dorénavant des administrations de l’Etat, ce qui est moins restrictif, des autorités administratives indépendantes et des établissements publics de l’Etat. Toutefois, comme nous l’avons dit plus haut, le pouvoir réglementaire a entendu définir l’administration centrale comme l’entité placée sous l’autorité du Premier ministre pour mettre en œuvre les décisions du Gouvernement et de chacun des ministres. Pour faire simple, si le secrétariat général du Gouvernement, la DGFIP ou la DLPAJ sont des administrations centrales, il n’en va pas de même, au sens donné par les définitions légales, de l’administration de l’Elysée. C’est d’ailleurs ce que persiste à juger le Tribunal administratif de Paris, s’agissant notamment de l’affaire C consécutive à la décision du Tribunal des conflits. Voyez ainsi le jugement du 4 mai 2016 enregistré sous le n° 1509123 / 5-1.
Il nous semble toutefois que cette position fait naître au détriment des contractuels de l’Elysée une forme d’insécurité juridique qui ne peut être comblée ni par les stipulations des contrats renvoyant éventuellement au décret du 17 janvier 1986, comme c’est le cas pour M. X, ni par le recours aux principes généraux du droit qui ont tendance à essaimer dans le contentieux de la fonction publique, sans être toutefois complètement exhaustifs[6]. Nous sommes donc encline à juger que les services administratifs de l’Elysée, s’ils ne constituent pas une administration centrale au sens classique du terme entendu comme administration placée sous l’autorité du Premier ministre, peuvent néanmoins y être assimilés en raison du statut d’autorité publique de l’Etat de la présidence de la République, dotée à cet égard de compétences et de services administratifs. Notez d’ailleurs, comme l’indique M. X, qu’au registre du commerce et des sociétés, la présidence de la République est présentée comme ayant pour activité principale l’administration publique générale et est dotée du code SIREN correspondant.
Pour conclure, même si nous n’irions peut-être pas jusqu’à l’affirmer pour les membres du secrétariat général ou du cabinet de l’Elysée, il nous semble que les services administratifs de la présidence de la République, notamment le STI, sont assimilables à une administration centrale de l’Etat et qu’à la suite de la décision du Tribunal des conflits du 9 février 2015, il y a lieu d’estimer que les contractuels de l’Elysée chargés comme M. X d’un service public administratif, doivent se voir appliquer les dispositions du décret n° 83-86 du 17 janvier 1986.
Même si cela n’a pas en l’espèce un grand intérêt pratique dans la mesure où le contrat de M. X se réfère en partie au décret du 17 janvier 1986, nous vous invitons donc à censurer l’analyse des premiers juges s’agissant de l’inopérance des moyens soulevés sur le terrain des dispositions contenues dans ce texte.
Ceci étant acquis, reste maintenant à examiner la légalité des décisions que conteste M. X. Même si vous n’aurez à l’examiner que sous l’angle des conclusions indemnitaires qui sont présentées devant vous, commençons par la décision prise par Mme Z le 17 mai 2013 de conférer à M. X la qualité d’adjoint de M. A, première dans l’ordre chronologique des trois décisions qui sont en cause aujourd’hui.
III-Légalité des décisions attaquées :
1) Légalité de la décision du 17 mai 2013 :
Tout l’enjeu du débat sur cette question consiste à savoir si M. X a été sanctionné par une rétrogradation et ce qu’il appelle un licenciement de fait, à la suite de son refus d’obéir à la demande du colonel W-AA de lui transmettre des données concernant la précédente présidence sur la base de recherches dans les archives informatiques de l’Elysée dont il avait alors la responsabilité.
Nous commencerons par écarter très rapidement les moyens soulevés sur le terrain du licenciement de fait. En effet, nous y reviendrons, la réorganisation du STI décidée par Mme Z n’a pas privé M. X de toutes fonctions, ni même d’ailleurs d’une partie de sa rémunération, y compris lorsqu’il était en congés maladie. D’ailleurs, dans sa décision du 31 octobre 2013 relative à la suspension de M. X, Mme Z a bien pris la peine de préciser qu’il n’était à ce stade aucunement licencié.
La question de la sanction déguisée est en revanche plus délicate.
Comme vous le savez, la jurisprudence a eu l’occasion de clarifier ce qui distingue une sanction disciplinaire et une décision prise dans l’intérêt du service. Comme cela a été rappelé par S T dans ses conclusions sur la décision du 30 décembre 2009, Institut de France, n° 304379, fichée en B, c’est la décision de section Spire du 9 juin 1978, n° 08397, au Recueil, rendue aux conclusions du président Genevois, qui a défini les contours de la sanction disciplinaire déguisée. Précisément, celle-ci est caractérisée par la conjonction d’un élément subjectif, l’intention de sanctionner, et d’un élément objectif tenant aux effets de la mesure incriminée qui doit avoir par elle-même les effets d’une sanction disciplinaire et porter atteinte à la situation statutaire ou aux prérogatives attachées aux fonctions de l’agent public concerné.
En l’espèce, il nous semble que l’élément subjectif fait clairement débat. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, M. X s’est sérieusement opposé à la demande de sa hiérarchie de transmettre des données informatiques sur la base pourtant d’une réquisition judiciaire. Contrairement à ce que soutient l’intéressé, il ne s’agissait pas là d’un ordre illégal, mais d’une procédure imposée par l’état de droit. Comme le rappelle d’ailleurs la présidence de la République dans ses écritures, M. X ne s’est jamais vu contraint de transmettre des informations classifiées, le colonel W-AA, dans son courriel du 11 avril 2013, ayant bien la peine de spécifier qu’il appartenait à l’appelant, je cite « de différencier les bases de données exploitables de celles qui ne le sont pas, et, le cas échéant, en disant pourquoi ». Il ne nous paraît donc pas invraisemblable qu’en rétorsion au refus de M. X d’obtempérer à la demande du colonel W-AA, les services de la présidence de la République aient décidé de le sanctionner en lui faisant perdre son statut de chef du STI.
Pour s’en défendre, la présidence de la République vous oppose qu’en réalité, le changement de statut de M. X ne serait que la conséquence d’un rapport d’audit commandé à l’ANSSI quelques mois plus tôt, lequel aurait mis en évidence des dysfonctionnements dans le service en raison notamment des lacunes professionnelles de M. X. Y étaient notamment évoqués une gouvernance insuffisante du système d’information, une nécessaire amélioration de la qualité du service, un état préoccupant des infrastructures et des lacunes dans la sécurité du système.
Si nous ne doutons pas du bien-fondé des éléments contenus dans ce rapport, nous nous étonnons en revanche qu’alors qu’il a été commandé à l’été 2012 et rendu en octobre de la même année, le cabinet du Président de la République ait attendu plus de six mois pour en tirer les conséquences s’agissant de la situation professionnelle de M. X, seulement quelques jours après l’épisode de la réquisition judiciaire que l’intéressé a refusé d’honorer.
Alors certes, vous pourrez ne pas être insensibles au fait que dans sa décision du 17 mai 2013, Mme Z a précisé qu’elle aurait envisagé de nommer un nouveau chef du STI dès la remise du rapport d’audit de l’ANSSI et qu’elle ne se serait en quelque sorte ravisée que pour donner une dernière chance à M. X en lui adjoignant le colonel W-AA et un technicien pour redresser le service. Cela étant, si elle fait à cet égard état de demandes réitérées et de réunions de comités de pilotage qui auraient révélé les insuffisances de M. X pour mener à bien cette tâche, aucune n’apparaît, sauf erreur de notre part, avant le moins d’avril 2013, date à laquelle la perte de confiance entre M. X et sa hiérarchie commençait à être sérieusement consommée. Nous en déduisons donc que le rapport de l’ANSSI a pu apparaître comme un motif providentiel pour justifier la rétrogradation de M. X.
Même si vous ne connaîtrez vraisemblablement jamais le fin mot de l’histoire, nous vous invitons donc à relativiser la portée de ce rapport sur lequel les premiers juges se sont essentiellement fondés pour estimer qu’il n’y avait pas en l’espèce de sanction déguisée. Il nous semble en effet délicat de ne pas voir de lien de cause à effet entre le refus d’obtempérer de M. X à la demande du colonel W-AA et la décision du 17 mai 2013, d’autant plus que, sur le principe, l’attitude de l’appelant justifiait sans doute une sanction, nous y reviendrons un peu plus tard.
H également que l’intérêt du service qui serait fondé sur les éventuelles lacunes professionnelles de M. X, ne fait pas obstacle, au moins en théorie, à la mise en évidence d’une sanction déguisée. Voyez sur cette question les conclusions de Rémi Keller sur la décision du Conseil d’Etat du 27 avril 2012, M. D, n° 327732. Par ailleurs, dans la présente espèce, l’aspect « disciplinaire » de la rétrogradation de M. X au rang de chef adjoint du STI, hormis le rapport de l’ANSSI susévoqué, ne reposait sur aucun autre motif tiré de l’intérêt du service, comme par exemple des relations difficiles avec sa hiérarchie ou ses collègues qui auraient nécessité un éloignement. Voyez sur cette question, par exemple, l’arrêt de votre Cour du 23 juin 2016, Bertin, enregistré sous le n° 14PA04627.
S’agissant à présent de l’élément objectif qui caractérise également une sanction déguisée, le fait d’avoir fait perdre à M. X son statut de chef du STI en le rétrogradant dans les fonctions d’adjoint, en le privant de surcroît du bénéfice d’un bureau individuel au Palais de l’Elysée pour un bureau collectif et plus petit au Palais de l’Alma, nous semble avoir indéniablement porté atteinte à son statut et aux prérogatives attachées à ses fonctions. Contrairement à ce que soutient la présidence de la République, cette analyse ne nous paraît pas pouvoir être relativisée par le fait que M. X a été placé en congés maladie trois jours après la décision de Mme Z, ce qui, en creux, aurait permis d’atténuer les conséquences négatives de son déménagement.
Bien que consciente du contexte sensible de cette affaire et du fait rappelé plus haut que les collaborateurs du Président de la République ne sont pas tout à fait des agents publics comme les autres, nous vous invitons néanmoins à regarder la décision de Mme Z en date du 17 mai 2013 comme une sanction déguisée prise à l’encontre de M. X.
Notez pour conclure qu’il aurait peut-être été plus simple pour la présidence de la République, dans la présente affaire, de mettre fin au contrat de M. X dans l’intérêt du service pour perte de confiance. Dans une telle hypothèse, vous n’auriez en effet exercé qu’un contrôle minimum n’allant pas jusqu’à celui de l’erreur manifeste d’appréciation sur la décision attaquée. Voyez sur cette question, s’agissant d’un collaborateur de cabinet d’un maire, la décision du 28 décembre 2001, commune de Saint-Jory c / Mme E, n° 225189, au Recueil. Cela aurait toutefois supposé que M. X puisse être regardé comme occupant un emploi fonctionnel de collaborateur du cabinet du Président de la République. Cette question étant à notre avis loin d’être évidente à trancher en droit, elle peut expliquer que le Président de la République ne se soit pas placé sur ce terrain. Dont acte.
Si vous nous suivez, vous estimerez donc que la sanction a été prise à l’issue d’une procédure illégale, faute pour la présidence de la République d’avoir respecté les garanties prévues par l’article 44 du décret du 17 janvier 1986, tenant notamment à la faculté pour M. X de prendre connaissance de son dossier et d’être assisté des défenseurs de son choix.
Nous évoquerons les conséquences de ce vice de procédure sur le terrain indemnitaire plus tard. Poursuivons, si vous le voulez bien, par la légalité de la décision de suspension du 31 octobre 2013, fondée, nous l’avons dit, sur le manquement par M. X à son devoir de réserve lorsqu’il a communiqué des informations confidentielles à la revue Valeurs actuelles.
2) Suspension du 31 octobre 2013 :
* En premier lieu, M. X se prévaut de ce que cette décision est insuffisamment motivée.
Ce moyen ne vous retiendra pas très longtemps. En effet, il est constant qu’une décision de suspension, eu égard à sa nature de mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service, n’est pas au nombre des décisions visées par la loi du 11 juillet 1979 et n’a pas à être motivée. Voyez sur ce point la décision du Conseil d’Etat du 7 novembre 1986, Edwige, n° 59373, aux Tables.
* En deuxième lieu, vous écarterez tout aussi rapidement le moyen tiré de ce que M. X n’aurait pas été en mesure de consulter son dossier. En effet, un tel moyen n’aurait été opérant que s’il s’était vu infliger une sanction, caractère que ne revêt pas la mesure de suspension en litige, prise dans l’intérêt du service. Voyez sur cette question, par exemple, la décision du Conseil d’Etat du 22 septembre 1993, Sergène, n° s 87033, 87456, mentionnée aux Tables.
Vous écarterez également sans difficulté le moyen tiré de ce que M. X aurait été privé du délai de préavis qui s’impose en cas de licenciement. En effet, une mesure de suspension n’est pas davantage constitutive d’un licenciement que d’une sanction. Sur ce moyen de légalité externe, comme sur les précédents, vous pourrez utilement vous référer à l’arrêt définitif de l’arrêt de la CAA de Marseille du 4 février 2014, Brunet, enregistré sous le n° 13MA01392, qui concernait un agent contractuel de l’éducation nationale relevant des dispositions du décret du 17 janvier 1986, longuement évoqué tout à l’heure.
* En troisième lieu, sur le fond cette fois, M. X conteste la légalité de la décision attaquée au motif qu’il n’aurait commis aucune faute en refusant d’obéir à un ordre qui était manifestement illégal, ce qui faisait échec à ce qu’il pût être suspendu.
Une fois de plus, vous pourrez écarter ce moyen sans beaucoup hésiter. En effet, la décision de suspension en litige n’est pas fondée sur la faute qu’aurait éventuellement commise M. X en refusant de transmettre en avril 2013 les données informatiques qui lui étaient demandées par le colonel W-AA dans le cadre de la réquisition judiciaire concernant les affaires sensibles de la précédente présidence, mais sur les manquements graves à ses obligations de réserve et de discrétion professionnelle procédant des informations transmises à la revue Valeurs actuelles à l’occasion de la parution le 31 octobre 2013 de l’article « Révélations sur le cabinet noir de l’Elysée ».
Quant au bien-fondé de la mesure de suspension proprement dite, comme vous le savez, il ressort d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat qu’une telle mesure est justifiée lorsqu’elle est fondée sur des faits présentant un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. Voyez notamment la décision du 11 juin 1997, Nevez, n° 142167, fichée en B. Sur cette problématique, comme le relevait Isabelle de Silva dans ses conclusions sur la décision du Conseil d’Etat du 22 novembre 2004, ministre de l’éducation nationale c / M. F, n° 244515, aux Tables, le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal.
En l’espèce, compte tenu des répercussions potentielles de l’article de Valeurs actuelles sur la réputation du Président de la République actuel, il nous paraît tout à fait justifié que la directrice de son cabinet ait décidé de suspendre M. X à titre conservatoire pour une durée de quatre mois, en raison du manquement grave à son obligation de réserve lorsqu’il s’est épanché auprès de journalistes sur des sujets éminemment polémiques de nature à jeter l’opprobre sur la plus haute autorité de l’Etat.
* Enfin, même si la décision du 15 avril 2013 par laquelle Mme Z a décidé de nommer un nouveau chef du STI a constitué une sanction déguisée, la mesure conservatoire du 31 octobre suivant n’a pas eu pour vocation de sanctionner M. X deux fois pour les mêmes faits. Rappelons en effet que l’une portait sur le refus d’obtempérer à un ordre, l’autre sur le manquement au devoir de réserve. Vous écarterez donc également le moyen soulevé sur le terrain de la méconnaissance du principe « non bis in idem ».
Une fois confirmée la légalité de cette mesure conservatoire, venons-en à celle de la décision portant licenciement pour motif disciplinaire en date du 20 décembre 2013, également fondée sur ce que M. X aurait manqué à ses devoirs de réserve et de discrétion professionnelle à la suite de sa récidive dans ses confessions à la revue Valeurs actuelles.
3) Licenciement du 20 décembre 2013 :
* En premier lieu, M. X soutient que la décision prononçant son licenciement est entachée d’un vice de procédure, au motif qu’il n’a pas bénéficié du préavis prévu à l’article 46 du décret du 17 janvier 1986.
Vous pourrez écarter ce premier moyen sans difficulté. En effet, cet article, en référence au titre X du décret, exclut du champ du préavis les licenciements pour motif disciplinaire tels que celui concernant M. X.
* En deuxième lieu, M. X reproche à la décision de licenciement contestée d’être fondée sur des faits commis alors qu’il n’était plus contractuellement lié à l’administration, ce qui faisait selon lui échec à ce qu’il pût être licencié pour motif disciplinaire. Pour étayer son argumentation, il estime, comme nous l’avons dit plus haut, avoir déjà fait l’objet d’un licenciement de fait consécutif à ce qu’il estime être une rétrogradation intervenue en mai 2013, après que M. A lui eut succédé à la tête du STI, insinuant qu’il aurait entendu en prendre acte dans un courrier adressé à Mme Z le 22 octobre 2013.
Il nous semble que vous pourrez aisément écarter ce moyen. En effet, il ressort de la décision du 17 mai 2013 que Mme Z n’a jamais eu à cette époque l’intention de licencier M. X, mais simplement de revoir le contour de ses fonctions en le changeant d’affectation. A cet égard, vous relèverez que M. X, même en position d’adjoint de M. A, a conservé sa rémunération, qui lui a d’ailleurs été versée jusqu’à ce qu’il soit officiellement licencié à la fin de l’année 2013. Plaider un licenciement de fait est en outre difficilement compatible avec le fait qu’en sa qualité d’adjoint du chef du STI, M. X s’est vu confier une mission portant sur la refonte de l’architecture technique des services informatiques de l’Elysée dans le cadre de la réorganisation du STI. Vous pourrez vous référer sur cette question au courriel en ce sens adressé par M. A le 9 septembre 2013.
Dès lors, il nous paraît acquis que la décision de licenciement contestée pouvait légalement être prise en décembre 2013 pour des motifs étrangers au refus de M. X de procéder à une recherche documentaire au sein d’archives informatiques à caractère personnel conformément à une demande en ce sens du colonel W-AA. Vous écarterez par suite comme étant inopérant le moyen tiré de ce que ce refus d’obtempérer n’aurait pas été fautif. Enfin, comme vu supra, vous écarterez également le moyen tiré de ce que le licenciement litigieux aurait contrevenu au principe du « non bis in idem ».
* En troisième et dernier lieu, M. X reproche à son employeur de l’avoir licencié alors qu’il n’avait pas pu mener à bien les missions qui lui avaient été confiées, en raison de la mesure de suspension qui l’a frappé.
Une fois de plus, il nous semble que vous devrez écarter ce moyen. En effet, la décision de licenciement contestée n’est pas motivée par le défaut de conduite de cette mission, seulement évoquée à titre superfétatoire en note de bas de page, mais sur les conséquences dommageables des articles parus dans la revue Valeurs actuelles, nourris des déclarations de M. X sur le fonctionnement des services de l’Elysée sur la base d’informations confidentielles et sur l’atteinte subséquente au devoir de réserve qui en a résulté. Nous pensons sans hésitation que ces faits, qui ne sont entachés d’aucune inexactitude matérielle, présentent un caractère fautif qui justifiait sur le fond la sanction de licenciement attaquée, qui ne nous paraît en l’espèce en rien disproportionnée. Voyez ainsi, s’agissant de la mise en cause violente et répétée de supérieurs, d’un manque de respect à leur endroit et d’un manquement au devoir de réserve, la décision du Conseil d’Etat du 16 juin 1989, ministre de la culture c / Denise, n° 95041.
Vous confirmerez donc la légalité de la décision prononçant le licenciement pour motif disciplinaire de M. X, avant de poursuivre par les conclusions indemnitaires.
IV-Conclusions indemnitaires :
1) Légalité des décisions des 17 mai, 31 octobre et 20 décembre 2013 :
S’agissant des conséquences à tirer de l’éventuelle illégalité des décisions des 17 mai, 31 octobre et 20 décembre 2013 que nous venons d’évoquer, vous analyserez si elles sont susceptibles de mettre en évidence la responsabilité de la présidence de la République, et, en cas de lien direct de causalité avec les éventuels préjudices subis par M. X, si elles lui ouvrent droit à indemnisation. Pour un rappel de la règle, voyez la décision de section du Conseil d’Etat du 6 décembre 2013, commune d’Ajaccio, n° 365155, au Recueil.
* Notez tout d’abord qu’à défaut d’illégalité des décisions de suspension et de licenciement que nous venons d’évoquer, M. X ne saurait se prévaloir d’une quelconque responsabilité de l’Etat qui aurait fait naître à son endroit le principe de la réparation d’un préjudice. Vous rejetterez donc par suite ses conclusions tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser des sommes au titre de l’absence de préavis, de l’indemnité compensatrice de congés annuels et de l’indemnité de licenciement dont il soutient avoir été privé.
* S’agissant de la sanction déguisée contenue dans la décision du 17 mai 2013, la problématique est différente. En effet, comme nous l’avons dit, la présidence de la République n’a pas respecté la procédure qui s’imposait à elle en application de l’article 44 du décret du 17 janvier 1986. Cela étant, comme vous le savez, en dépit de l’irrégularité de procédure mise en évidence, vous devrez rechercher si la même décision aurait pu être légalement prise, s’agissant tant du principe même de la sanction que de son quantum, dans le cadre d’une procédure régulière. Voyez en ce sens la décision du Conseil d’Etat du 18 novembre 2015, M. G, n° 380461, classée en A. Comme le relevait U V-Tognetti dans ses conclusions sur cette affaire, vous ne devrez pas raisonner de manière éthérée et théorique, mais dans le cadre d’une approche probabiliste, en vous demandant si l’illégalité peut être regardée comme indifférente pour l’adoption de cette décision, ou s’il est possible de considérer, avec suffisamment de probabilité sinon de certitude, que la décision de l’administration aurait été différente en l’absence du vice de procédure qui lui est reproché.
En l’espèce, il ne fait selon nous guère de doute que la présidence de la République aurait pris la même décision si la procédure disciplinaire avait été correctement suivie. En effet, comme nous l’avons dit plus haut, le refus de M. X de faire suite à la demande du colonel W-AA sur le fondement d’une réquisition judiciaire prise sur le fondement de l’article 99-3 du code de procédure pénale, justifiait selon nous que fût prise une sanction disciplinaire à son endroit. L’article 99-3 est en effet très clair et impose à toute personne ou administration publique requise par un juge d’instruction ou un officier de police judiciaire commis par lui de remettre des documents intéressant l’instruction, y compris ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. M. X ne pouvait donc s’abriter derrière le secret professionnel, le secret des archives ou encore la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, au seul motif que les anciens collaborateurs du Président Sarkozy n’étaient plus là pour être consultés sur les conséquences de la réquisition judiciaire en cause, décidée dans le cade d’une enquête pénale en cours.
Si sur ce point, M. X soutient qu’il n’a jamais eu les termes précis de cette réquisition entre les mains, il a indiqué dans une note adressée à Mme Z le 17 mai 2013 que M. W AA lui avait donné l’ordre verbal en litige après lui avoir lu la réquisition. A cet égard, il est certain qu’aucun texte n’impose que les ordres adressés à des agents publics émanant de leur hiérarchie directe soient écrits.
Il nous semble donc que dans ces conditions, contrairement à ce qu’il prétend, M. X n’était pas en situation de s’opposer à un ordre manifestement illégal compromettant gravement un intérêt public. Nous pensons en conséquence qu’en refusant d’obéir à cet ordre, il a commis une faute justifiant que fût prise une sanction qui ne nous semble en l’espèce pas disproportionnée. Voyez en ce sens, par exemple, la décision du Conseil d’Etat du 16 février 1996, Bancharel, n° 138771. Pour être tout à fait complets, vous noterez au passage que ce ne sont pas les ultimes pièces produites par M. X, en l’espèce un reportage de Canal + intitulé « Hollande-Sarkozy, la guerre secrète » et une retranscription écrite dudit reportage, qui seront de nature à l’exonérer de sa faute.
Vous en déduirez par suite que le vice de forme tiré de la méconnaissance des garanties procédurales dont est entachée la décision de Mme Z en date du 13 mai 2013 n’était pas de nature à ouvrir un droit à réparation au profit de M. X, y compris sur le terrain du préjudice moral.
Toujours sur le terrain indemnitaire, examinons à présent les moyens soulevés par M. X s’agissant du harcèlement moral dont il estime avoir été la victime.
2) Harcèlement moral :
En lien avec les questions que nous avons déjà abordées, M. X soutient que la rétrogradation de sa situation professionnelle consécutive à l’épisode de la réquisition judiciaire d’avril 2013 procède également d’un harcèlement moral de sa hiérarchie qui l’aurait poussé à la démission, ce qui lui aurait causé un préjudice dont il demande réparation.
Pour répondre à ce moyen, rappelons que l’office du juge a été précisé par le Conseil d’Etat dans sa décision du 11 juillet 2011, Montaut, n° 321225, au Recueil. Concrètement, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe ensuite à l’administration de produire, si elle s’y croit fondée, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.
Pour apprécier si des agissements sont constitutifs d’un harcèlement moral, le juge administratif exerce un contrôle de qualification juridique des faits au regard du « cadre normal du pouvoir d’organisation du service ». Voyez en ce sens la décision du Conseil d’Etat du 30 décembre 2011, Commune de Saint-Peray, classée en B.
Qu’en est-il en l’espèce ?
A vrai dire, les quelques arguments de M. X ne nous paraissent pas en mesure d’emporter votre conviction. En effet, seule la séquence d’avril 2013 relative à son remplacement par un nouveau chef du STI pourrait à la limite relever d’une situation de harcèlement moral, d’autant plus que ce changement s’est traduit par des responsabilités moindres et un déménagement dans un nouveau bureau, plus éloigné et de taille plus modeste, de surcroît partagé avec un de ses anciens subordonnés.
Pour autant, dès lors que M. X est devenu l’adjoint d’un nouveau chef du STI, appartenant au corps des ingénieurs des mines, il était à notre avis légitime que ce dernier occupe son bureau et que lui-même soit transféré dans d’autres locaux de l’Elysée. S’il est certes indéniable que son nouveau bureau s’est avéré moins bien situé que le précédent, il ne nous semble pour autant qu’il aurait été indécent et attribué dans l’intention d’humilier M. X. H en effet qu’un premier bureau de 24,8 m2 a été proposé à l’intéressé en face de la cour d’honneur du Palais de l’Alma et que si un second, plus modeste (18,6 m2), lui a ultérieurement été attribué, ce n’est qu’en raison de contraintes d’occupation des espaces consécutives à l’installation de cinq prestataires privés.
En outre, aucune répétition d’agissements vexatoires et répétés de la hiérarchie ou des collègues de M. X dans l’intention de lui nuire psychologiquement ne résulte selon nous de l’instruction du dossier. H notamment que si les relations de M. X avec Mme Z ont à l’évidence été tendues, les courriers produits à l’instance, notamment celui portant suspension du 31 octobre 2013, dénotent de la part de celle-ci un ton qui, bien que ferme, est toujours resté courtois.
Notez enfin que si le médecin de M. X, le docteur I, lui a prescrit plusieurs arrêts de travail au printemps 2013, il n’est pas allé jusqu’à attester que l’appelant aurait souffert d’une dépression nerveuse consécutive à un harcèlement subi dans le cadre professionnel. Celui-ci nous paraît en tout état de cause difficile à caractériser dès lors que le niveau de rémunération de M. X a été maintenu et qu’il s’est vu confier des missions opérationnelles sous l’autorité de M. A. S’il se prévaut également de ce qu’il aurait été retiré de la liste de diffusion des courriels « STI-Direction », vous noterez qu’il ne conteste pas que la situation a été rétablie dès son retour de congés maladie.
En l’état du dossier, à défaut d’agissements répétés de sa hiérarchie destinés à lui nuire en dégradant sciemment ses conditions de travail, il nous semble donc que les faits de harcèlement moral dont se plaint M. X ne sont pas établis. Vous en déduirez pour finir que les conclusions indemnitaires présentées sur ce terrain ne peuvent qu’être rejetées.
*
Si vous nous suivez, vous estimerez donc que M. X n’est pas fondé à se plaindre du sens du jugement rendu par le Tribunal administratif de Paris. Pour être tout à fait complets, vous rejetterez également les conclusions présentées en défense tendant à l’effacement de certains passages contenus dans les requêtes d’appel de l’intéressé, en relevant que dans le cadre de mêmes conclusions présentées en première instance, les premiers juges ont pu se montrer assez sévères envers M. X. Vous n’irez toutefois pas jusqu’à remettre en cause le bien-fondé du jugement sur ce point, sauf à vous lancer dans un exercice qui aurait un intérêt plus symbolique que pratique. Enfin, l’Etat n’étant pas la partie perdante à l’instance, vous rejetterez les conclusions de M. X présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l’espèce, il en ira de même des conclusions de la présidence de la République présentées sur le même fondement.
*** ➢ PCMNC :
✓ Rejet des requêtes de M. X ;
✓ Rejet des conclusions de la présidence de la République présentées sur le fondement des articles L. 741-2 et L. 761-1 du code de justice administrative.
[pic][pic]
----------------------- [1] Cf. AD-AN AO, « La notion de pouvoir d’État et le pouvoir présidentiel sous la Ve République "@L\ghiz{}‹[…] g h ? ' ™ Û û =>[…] h[9-CJaJ hñ>QCJaJ […] hËlCJaJ […] […] h \ÿCJaJ h?U˜CJaJ […] hdsvCJaJ h\», dans Itinéraires : études en l’honneur de Léo Hamon, Paris, Economica, 1982, p. 554 [2] Cf. site Internet de la présidence de la République [3] Cf. AB AC, L’entourage du Général de Gaulle à l’Elysée (8 janvier 1959-28 avril 1969) [4] Cf. jurisclasseur administratif n° 115, administrations centrales, par Mylène Le Roux, maître de conférences HDR à la faculté de droit et de sciences politiques de Nantes [5] Cf. AD AE, chef de l’Etat et chef du gouvernement: dyarchie et hiérarchie, Paris, La documentation Française, 1993, p. 93 [6] Cf. article de AF AG in « Les principes généraux du droit du travail dans les fonctions publiques », revue de l’actualité juridique française, 26 janvier 2000

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CE, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 405061