CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE FABRIS c. FRANCE, 7 février 2013, 16574/08

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Chronologie de l’affaire

Commentaires17

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www.revuegeneraledudroit.eu · 21 février 2021

Imprimer ... 843 • Le juge ordinaire, qu'il soit administratif ou judiciaire, est, en vertu du principe de subsidiarité et en tant que juge national, le « juge primaire » de la ConvEDH, ou, si l'on peut dire, le juge naturel de la protection des droits fondamentaux. C'est à lui qu'il revient d'interpréter et d'appliquer le droit interne à la lumière des principes mis en place dans le texte européen et d'écarter, si nécessaire, la loi nationale lorsqu'elle n'est pas compatible avec les exigences de la ConvEDH. Les juges se sont ainsi appropriés progressivement les principes …

 

www.revuegeneraledudroit.eu · 21 février 2021

Imprimer ... 964 • On a pu voir précédemment que les deux systèmes européens (Conseil de l'Europe et les différentes Communautés européennes) étaient nés sur la base d'une même volonté qui était celle de ne plus jamais revivre la seconde guerre mondiale et tous ses travers et d'unir, en ce sens, les peuples d'Europe dans un cadre général d'état de droit préservant les droits et libertés (le Conseil de l'Europe a pour but de « réaliser une union plus étroite entre ses membres » (préambule ConvEDH) alors que les signataires du Traité instituant la Communauté européenne en 1957 ont pu …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Grande Chambre), 7 févr. 2013, n° 16574/08
Numéro(s) : 16574/08
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2013
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Alboize-Barthes et Alboize-Montezume c. France (déc.), no 44421/04, 21 octobre 2008
Albu et autres c. Roumanie, no 34796/09 et suivants, § 34, 10 mai 2012
Ališic et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et "l'ex République yougoslave de Macédoine" (déc.), no 60642/08, § 52, 17 octobre 2011
Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, CEDH 2009
Antoni c. République tchèque, no 18010/06, 25 novembre 2010
Association nationale des pupilles de la Nation c. France (déc.), no 22718/08, 6 octobre 2009
Beian c. Roumanie (no 1), no 30658/05, § 39, CEDH 2007-V (extraits)
Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I
Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, nos 37639/03, 37655/03, 26736/04 et 42670/04, § 41, 3 mars 2009
Brauer c. Allemagne, no 3545/04, 28 mai 2009
Brumarescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 61, CEDH 1999-VII
Camp et Bourimi c. Pays-Bas, no 28369/95, CEDH 2000-X
Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France, no 29613/08, § 18, 21 décembre 2010
Depalle c. France [GC], no 34044/02, CEDH 2010
Di Marco c. Italie (fond), no 32521/05, § 50, 26 avril 2011
E.S. c. France (déc.), no 49714/06, 10 février 2009
Inze c. Autriche, 28 octobre 1987, série A no 126
Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, série A no 112
Karaman c. Turquie, no 6489/03, § 30, 15 janvier 2008
Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, CEDH 2012 (extraits)
Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, CEDH 2004-IX
Larkos c. Chypre [GC], no 29515/95, §§ 30-31, CEDH 1999-I
Magnin c. France (déc.), no 26219/08, 10 mai 2012
Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII
Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, série A no 31
Mazurek c. France, no 34406/97, 1er février 2000, CEDH 2000-II
Merger et Cros c. France, no 68864/01, 22 décembre 2004
Mork c. Allemagne, nos 31047/04 et 43386/08, §§ 28 à 30 et 54, 9 juin 2011
Nejdet Sahin et Perihan Sahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 56-57, 20 octobre 2011
Nerva et autres c. Royaume-Uni, no 42295/98, § 43, CEDH 2002-VIII
Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 24, série A no 257-B
Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil 1998-II
Pla et Puncernau c. Andorre, no 69498/01, CEDH 2004-VIII
Plalam S.P.A. c. Italie (fond), no 16021/02, § 37, 18 mai 2010
Pressos Companía Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 31, série A no 332
Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 85, CEDH 2001-VIII
Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1997-I
Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, § 103, 27 mai 2010
Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, § 77, CEDH 2006-IX (extraits)
Slivenko et autres c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99, § 121, CEDH 2002-II (extraits)
Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 55, CEDH 2005-X
Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, §§ 51 et 52, CEDH 2006-VI
Stretch c. Royaume-Uni, no 44277/98, § 32, 24 juin 2003
Taron c. Allemagne (dec.), no 53126/07, 29 mai 2012
Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 61, CEDH 2009
Vermeire c. Belgique, 29 novembre 1991, série A no 214-C
Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 96, 28 juin 2007
Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, § 42, CEDH 2006-VIII
Organisations mentionnées :
  • Commission de Venise
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'article 14+P1-1 - Interdiction de la discrimination (Article 14 - Discrimination) (article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété ; article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens) ; Satisfaction équitable réservée
Identifiant HUDOC : 001-116715
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:0207JUD001657408
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Sur les parties

Texte intégral

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE FABRIS c. FRANCE

(Requête no 16574/08)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

7 février 2013

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Fabris c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

 Josep Casadevall, président,
 Françoise Tulkens,
 Nina Vajić,
 Lech Garlicki,
 Karel Jungwiert,
 Elisabeth Steiner,
 Alvina Gyulumyan,
 Egbert Myjer,
 Dragoljub Popović,
 George Nicolaou,
 András Sajó,
 Ledi Bianku,
 Nona Tsotsoria,

 Işil Karakaş
 Guido Raimondi,

 Paulo Pinto de Albuquerque,
 André Potocki, juges,
 et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 4 avril et 24 octobre

2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16574/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Henry Fabris (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er avril 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me A. Ottan, avocat à Lunel. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant, un enfant « adultérin », alléguait avoir subi, dans le cadre de la succession de sa mère, une discrimination fondée sur la naissance contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 et avec l’article 8 de la Convention.

4.  La requête a été attribuée à la cinquième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 10 février 2010, le président de la section a décidé de la communiquer au Gouvernement. Comme le permettaient l’ancien article 29 § 3 de la Convention (article 29 § 1 actuel) et l’article 54 A du règlement, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire. Le 21 juillet 2011, une chambre de la cinquième section, composée des juges dont les noms suivent : Dean Spielmann, Président, Jean-Paul Costa, Boštjan M. Zupančič, Mark Villiger, Isabelle Berro‑Lefèvre, Ann Power et Angelika Nußberger, juges, ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section, a déclaré la requête recevable. Elle a conclu, par cinq voix contre deux, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 et, à l’unanimité, qu’il n’y avait pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.

5.  Le 6 septembre 2011, le requérant a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention et de l’article 73 du règlement. Le 28 novembre 2011, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

6.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des mémoires devant la Grande Chambre.

8.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 4 avril 2012 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement
Mmes A.-F. Tissier, coagente,
 E. Topin, ministère des Affaires étrangères et européennes,
 M.-A. Recher, ministère de la Justice,
 C. Azar, ministère de la Justice, conseillères ;
 

–  pour le requérant
Mes A. Ottan, avocat,
 M. Ottan, avocate,  conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Ottan et Mme Tissier.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9.  Le requérant est né en 1943 et réside à Orléans.

A.  Contexte de l’affaire

10.  Le requérant fut reconnu à sa naissance par son père. Au temps de sa conception, sa mère, Mme R. épouse M., était engagée dans les liens du mariage et de cette union étaient nés deux enfants, A. née en 1923 et J.L. né en 1941. Par un jugement du 28 février 1967, la séparation de corps fut prononcée entre la mère du requérant et son époux, Monsieur M.

11.  Par un acte du 24 janvier 1970, les époux M. firent donation-partage de leurs biens entre leurs deux enfants légitimes. Cet acte, passé devant notaire, contenait une réserve d’usufruit et une action révocatoire pour garantir les charges et conditions de la donation. Lors de sa conclusion, les époux M. déclarèrent ne pas avoir d’autres enfants que les deux donataires.

12.  Par un jugement du 24 novembre 1983, le tribunal de grande instance de Montpellier déclara le requérant enfant naturel de Mme M., après avoir constaté que la possession d’état d’enfant naturel était amplement établie.

13.  En 1984, le requérant émit le souhait de faire opposition à la donation-partage consentie en 1970. A cette date, son avocat lui indiqua que cet acte ne pouvait être contesté du vivant du donateur et que seule une action en réduction pourrait être engagée dans les cinq ans à compter du décès de celui-ci.

14.  En juillet 1994, la mère du requérant décéda. Par une lettre du 7 septembre 1994, le notaire en charge de la succession rappela au requérant qu’en tant qu’enfant « adultérin », il n’avait droit qu’à la moitié de ce qu’il aurait recueilli s’il avait été légitime (la législation applicable prévoyant à ce moment là un droit successoral réduit de moitié par rapport à un enfant légitime – voir les paragraphes 26 et 27 ci-dessous). Il lui indiqua que ses demi-frère et demi-sœur étaient prêts à lui payer comptant la somme de 298 311 francs français (FRF) (environ 45 477 euros (EUR)) en précisant que « dans le cas d’une réduction pour survenance d’enfant ultérieur, il ne peut s’agir que d’une réduction en argent et en aucun cas en nature ». Aucun accord ne fut conclu entre les trois enfants.

B.  L’action en réduction intentée par le requérant

15.  Par exploit du 7 janvier 1998, le requérant assigna son demi-frère J.L. et sa demi-sœur A. en réduction de la donation-partage, conformément à l’article 1077‑1 du code civil (paragraphe 25 ci-dessous). Il demanda une part réservataire égale aux leurs sur la masse successorale de sa mère.

16.  Après sa condamnation par la Cour dans l’affaire Mazurek c. France (no 34406/97, 1er février 2000, CEDH 2000‑II), la France modifia, par la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 (ci-après, la « loi de 2001 »), sa législation et accorda aux enfants « adultérins » des droits successoraux identiques aux enfants légitimes (paragraphe 28 ci-dessous). Cette nouvelle loi entra en vigueur avant qu’un jugement soit prononcé dans le litige en cours. Selon ses dispositions transitoires, sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables, les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage étaient applicables aux successions ouvertes à la date de publication de la loi au Journal officiel (4 décembre 2001), et n’ayant pas donné lieu à partage avant cette date (article 25-II de la loi de 2001, paragraphe 30 ci‑dessous).

17.  Dans ses conclusions récapitulatives du 20 février 2003, le requérant s’appuya sur les dispositions de la loi de 2001. Il soutint que celle-ci abrogeait l’article 14 de la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation (ci-après, la « loi de 1972 », paragraphes 27 et 29 ci-dessous), disposition transitoire qui prévoyait que les droits des réservataires institués par ladite loi ne pouvaient être exercés au préjudice des donations entre vifs consenties avant son entrée en vigueur. Selon le requérant, l’abrogation de cette disposition le rendait recevable à exercer l’action en réduction prévue à l’article 1077-1 du code civil bien que la donation-partage ait été consentie le 24 janvier 1970.

1.  Le jugement de première instance

18.  Par un jugement du 6 septembre 2004, le tribunal de grande instance de Béziers fit droit à la demande du requérant. Il considéra que l’article 14 de la loi de 1972 était contraire aux articles 8 et 14 de la Convention. A cet égard, il se référa à l’arrêt Marckx c. Belgique (13 juin 1979, série A no 31) reconnaissant « que la vie familiale comprenait également les intérêts matériels », ainsi qu’à plusieurs arrêts de la Cour « qui ont continué à affirmer le caractère discriminatoire des différences de traitement en matière successorale entre enfants légitimes et enfants naturels (arrêts Mazurek, Inze et Vermeire) ». Il estima également que cet article était contraire à la loi
nouvelle de 2001. Il jugea que l’intéressé disposait des mêmes droits successoraux que ses demi-frère et demi-sœur dans la succession en motivant sa décision comme suit :

« Que l’article 25-1 de la loi du 3 décembre 2001 dispose que cette loi est applicable aux successions ouvertes à compter de sa mise en application ; que sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables les dispositions de cette loi sont applicables aux successions ouvertes à la date de la publication de la loi au Journal Officiel de la République française dans la mesure où ces successions n’ont pas donné lieu à un partage avant cette date ;

Qu’en l’espèce, la succession de Madame M. n’a pas encore donné lieu à partage et qu’ainsi s’appliquent les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage. (...)

Qu’en effet, il n’est pas sérieux de soutenir que le législateur, en adoptant la loi du 3 décembre 2001, a souhaité maintenir une disposition contraire à l’esprit et au but de la nouvelle loi. »

2.  L’arrêt d’appel

19.  En octobre et décembre 2004, J.L. et les héritiers de A., décédée en cours de procédure, firent appel du jugement.

20.  Par un arrêt du 14 février 2006, la cour d’appel de Montpellier infirma le jugement et déclara que le requérant n’était pas admis à exercer l’action en réduction de la donation-partage par application de l’article 14 alinéa 2 de la loi de 1972. Elle précisa que :

« (...) aux termes de [cet article], les droits des réservataires institués par la présente loi ou résultant des règles nouvelles concernant l’établissement de la filiation ne pourront être exercés au préjudice des donations entre vifs consenties avant son entrée en vigueur.

Ce texte, qui édicte une règle générale notamment quant aux effets rétroactifs des règles nouvelles relatives à la filiation issues de la loi du 3 janvier 1972, n’a pas été expressément abrogé par la loi du 3 décembre 2001, et son abrogation tacite ne s’évince pas non plus des termes de cette loi, d’une part en ce qu’il ne lui est pas contraire, et d’autre part en ce qu’il n’était pas cantonné à la seule application de l’article 915 du code civil abrogé par ladite loi. »

La cour d’appel estima qu’une telle conclusion n’était pas inconciliable avec le principe général d’égalité des droits quelle que soit la naissance, tel qu’il ressort des articles 1 du Protocole no 1, 8 et 14 de la Convention :

« D’abord, les dispositions de l’article 14 de la loi de 1972 ont pour seul objet d’interdire l’exercice des droits des réservataires institués par cette loi et élargis par la loi du 3 décembre 2001, au préjudice des donations entre vifs consenties avant le 1er août 1972, sans priver lesdits réservataires de leurs droits à succession. Ensuite, elles présentent une justification objective et raisonnable au regard du but légitime poursuivi, à savoir garantir une certaine paix des rapports familiaux en sécurisant des droits acquis dans ce cadre, parfois de très longue date, sans pour autant créer de distorsion excessive entre héritiers, étant observé que [ces dispositions] ont une portée limitée à la fois dans le temps et quant aux libéralités concernées. »

3.  L’arrêt de la Cour de cassation

21.  Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen en cassation fondé sur la violation des articles 1 du Protocole no 1 et 14 de la Convention, il fit valoir que la paix des rapports familiaux ne pouvait pas avoir une légitimité supérieure à l’égalité, en matière de droits de caractère civil, entre enfants issus du mariage et enfants nés hors mariage.

22.  Dans son avis transmis aux parties, l’avocat général de la Cour de cassation proposa de rejeter le pourvoi. Il s’adressa aux juges de la première chambre civile de la Cour de cassation en ces termes :

« (...) ne faut-il pas considérer que la succession ouverte n’a pas donné lieu à partage avant la date de publication de la loi, dès lors qu’une action en réduction concernant la donation partage est pendante à cette date ?

C’est bien, en effet, de l’approche différente proposée par les dispositions transitoires des lois de 1972 et de 2001 que naît la difficulté qui vous est soumise. Alors que ni les successions ouvertes, ni les donations entre vifs consenties avant l’entrée en vigueur de la loi de 1972, ne pouvaient être remises en cause par cette loi, la loi de 2001 permet aux enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage d’avoir des droits successoraux dans des successions ouvertes avant la publication de cette dernière loi.

Cette différence justifie que les dispositions de la loi de 2001 ne soient pas appliquées de façon restrictive. Seul un partage réalisé, un accord amiable intervenu, ou une décision judiciaire irrévocable, permettent d’exclure les droits nouveaux de ces enfants dans les successions déjà ouvertes. Par l’exercice de l’action en réduction, la succession ouverte à la date de publication de la loi de 2001 ne peut pas avoir « donné lieu à partage » à la date de publication de la loi.

Il me paraît, en conséquence, difficile de soutenir que la loi du 3 décembre 2001 n’est pas applicable. En revanche, les termes de l’article 14 de la loi du 3 janvier 1972 sont dénués de toute ambiguïté. Les droits des réservataires institués par cette loi ne peuvent être exercés « au préjudice des donations entre vifs consenties avant son entrée en vigueur ». Faut-il, alors, admettre que ces dispositions ont été tacitement abrogées ?

Faisant abstraction du temps, le mémoire ampliatif soutient que la contradiction manifeste entre les dispositions transitoires de ces deux lois emporte abrogation tacite de celles régissant la loi de 1972. Si l’approche est différente entre le régime transitoire instauré en 1972 et celui retenu en 2001, il ne me paraît pas, cependant, qu’il y ait contradiction.

En excluant la remise en cause des donations entre vifs consenties avant l’entrée en vigueur de la loi de 1972, le législateur a entendu garantir la sécurité juridique que ces donations appelaient. Rien ne justifie que cette sécurité juridique soit remise en cause en 2002, les dispositions transitoires antérieures étant complémentaires de celles définies par la loi de 2001.

C’est ce qui me conduit à vous proposer de rejeter la première branche du moyen, la donation entre vifs intervenue le 24 janvier 1970 ne pouvant être remise en cause par les droits successoraux nés de règles nouvelles concernant l’établissement de la filiation. A cet égard, si la réalité du partage avant la date de publication de la loi du 3 décembre 2001 est discutable, l’existence d’une donation entre vifs consentie avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1972 n’est pas discutée. (...) »

23.  Par un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en soulevant d’office un motif de pur droit. Elle rappela qu’en application des dispositions transitoires de la loi de 2001, les nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de la conception, engagés dans les liens du mariage, n’étaient applicables qu’aux successions ouvertes et non encore partagées avant le 4 décembre 2001 (paragraphe 16 ci-dessus). Elle releva qu’un partage successoral s’étant réalisé par le décès de Mme M., survenu en juillet 1994 et donc avant le 4 décembre 2001, les dispositions précitées n’étaient pas applicables.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Donation-partage et action en réduction

24.  La loi française permet de procéder soi-même au partage de sa succession entre ses héritiers. Dans le cadre d’une donation-partage, le donateur décide d’une distribution immédiate de ses biens (transfert entre vifs). C’est un partage anticipé, définitif et négocié. La propriété des biens concernés est transférée au moment de la donation, qui constitue en même temps le premier acte (anticipé) d’une succession destinée à s’ouvrir plus tard. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la donation-partage devient un partage successoral par le décès du donateur. La succession est à la fois ouverte et définitivement liquidée ou partagée au jour du décès de l’ascendant (Cass. Civ. 7 mars 1876 ; 1re Civ, 5 octobre 1994, Bull. 1994, I, no 27).

25.  Le descendant qui n’a pas été alloti dans le partage est invité à composer sa part de réserve sur les biens existant à l’ouverture de la succession. Si ces biens n’y suffisent pas, il dispose d’une action en réduction, à exercer dans un délai de cinq ans à partir du décès du donateur. C’est la voie de recours qu’a utilisée le requérant conformément aux articles 1077-1 et 1077-2 du code civil, ainsi libellés à l’époque des faits :

Article 1077-1

« Le descendant qui n’a pas concouru à la donation-partage, ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve, peut exercer l’action en réduction, s’il n’existe pas à l’ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve, compte tenu des libéralités dont il a pu bénéficier. »

Article 1077-2

« Les donations-partages suivent les règles des donations entre vifs pour tout ce qui concerne l’imputation, le calcul de la réserve et la réduction.

L’action en réduction ne peut être introduite qu’après le décès de l’ascendant qui a fait le partage ou du survivant des ascendants en cas de partage conjonctif. Elle se prescrit par cinq ans à compter dudit décès.

L’enfant non encore conçu au moment de la donation-partage dispose d’une semblable action pour composer ou compléter sa part héréditaire. »

26.  Les articles 913 et 915 du code civil relatifs à « la portion de biens disponible » dans les donations entre vifs et testaments, depuis lors abrogés, se lisaient comme suit :

Article 913

« Les libéralités, soit par acte entre vifs, soit par testament ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant ; le tiers s’il laisse deux enfants, le quart, s’il en laisse trois ou un plus grand nombre ; sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les enfants légitimes et les enfants naturels, hormis le cas de l’article 915. »

Article 915

« Quand un enfant naturel dont le père ou la mère était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne, est appelé à la succession de son auteur en concours avec les enfants légitimes issus de ce mariage, il compte par sa présence pour le calcul de la quotité disponible ; mais sa part dans la réserve héréditaire n’est égale qu’à la moitié de celle qu’il aurait eue si tous les enfants, y compris lui-même, eussent été légitimes.

La fraction dont sa part dans la réserve est ainsi diminuée accroîtra aux seuls enfants issus du mariage auquel l’adultère a porté atteinte, elle se divisera entre eux par égales portions. »

B.  Evolution du droit des enfants « adultérins »

27.  Le régime successoral des enfants naturels a été modifié par la loi de 1972 sur la filiation, qui consacra leur égalité dans la succession avec une exception constituée par la situation de l’enfant « adultérin » (Mazurek, précité, § 17), celui-ci voyant son droit restreint à « la moitié de la part à laquelle [il aurait] eu droit si tous les enfants du défunt, y compris lui‑même, eussent été légitimes » (voir les anciens articles 757 et 760 du code civil, ibidem ; voir, également, pour les donations, paragraphe 26 ci‑dessus).

28.  Introduite à la suite de l’arrêt Mazurek, la loi de 2001 fait disparaître les restrictions aux droits successoraux des enfants « adultérins » et consacre l’égalité successorale entre tous les enfants, légitimes, naturels simples ou « adultérins ». Son article 1 dispose qu’elle « ne distingue pas entre la filiation légitime et la filiation naturelle pour déterminer les parents appelés à succéder » (article 733 du code civil) et que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes » (article 735 du code civil). Les textes qui régissaient la restriction de la réserve héréditaire de l’enfant « adultérin » et sa capacité de recevoir à titre gratuit sont abrogés. Finalement, l’ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation consacre le principe d’égalité des filiations, faisant disparaître les notions mêmes d’enfant légitime et naturel.

C.  Dispositions transitoires

1.  Dispositions transitoires de la loi de 1972

29.  Elles limitaient la portée de la réforme introduite par la loi de 1972. Son article 14 avait exclu toute application immédiate des droits successoraux nouveaux de l’enfant naturel simple ou « adultérin », dans les successions ouvertes avant son entrée en vigueur, et empêché cet enfant de remettre en cause des donations entre vifs consenties avant l’entrée en vigueur de la loi, le 1er août 1972. C’est sur la base de cette disposition que la cour d’appel de Montpellier a rejeté l’action du requérant (paragraphe 20 ci-dessus).

2.  L’article 25 de la loi de 2001

30.  Selon l’article 25-I de la loi de 2001, en principe, l’entrée en vigueur de la loi est différée au 1er juillet 2002. Toutefois, s’agissant de l’abrogation des dispositions du code civil relatives aux droits des enfants « adultérins », le législateur a décidé, par exception, une règle d’entrée en vigueur immédiate à la date de la publication de la loi au Journal officiel soit le 4 décembre 2001. Ainsi l’article 25-II dispose que :

« La présente loi sera applicable aux successions ouvertes à compter [du 1er juillet 2002], sous les exceptions suivantes : (...)

2o  Sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables, seront applicables aux successions ouvertes à la date de publication de la
présente loi au Journal officiel de la République française et n’ayant pas donné lieu à partage avant cette date :

-  les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage ; (...) »

31.  Pour autant qu’elle porte sur les droits des enfants « adultérins », la loi de 2001 a donc vocation à s’appliquer à toutes les successions ouvertes au 4 décembre 2001, à condition qu’il n’y ait pas partage avant cette date.

3.  La loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités

32.  Cette loi a modifié l’article 25-II de la loi de 2001 en abrogeant les termes « dont le père ou la mère était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage ». L’article 25-II 2o ne contient plus aucune référence au caractère adultérin de la filiation.

4.  Jurisprudence de la Cour de cassation pertinente

33.  Par un arrêt du 6 janvier 2004 (1re Civ, Bull. 2004, I, no 10), la Cour de cassation a fait application des dispositions transitoires de la loi de 2001, sans se référer aux dispositions de la Convention, pour casser un arrêt d’appel de 2002 qui avait annulé des donations consenties à un enfant « adultérin » en faisant application des textes anciens alors que la succession n’avait pas été partagée. Dans un arrêt du 7 juin 2006 (1re Civ, Bull. 2006, I, no 297), en faisant également application des dispositions transitoires, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par un enfant « adultérin » qui avait reçu une part égale à la moitié de celle qu’il aurait reçue s’il avait été légitime, dès lors que le partage était intervenu avant le 4 décembre 2001 (en l’espèce le 13 mars 1996). Dans un arrêt du 15 mai 2008, la Cour de cassation a jugé que les dispositions de la loi de 2001 relatives aux nouveaux droits des enfants « adultérins » étaient applicables à une succession ouverte avant le 1er août 1972 (en l’occurrence en 1962) dès lors qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un partage avant le 4 décembre 2001 (1re Civ, Bull. 2008, I, no 139).

III.  ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

34.  Dans la grande majorité des pays étudiés (quarante Etats sur quarante-deux), le statut de l’enfant en matière successorale est indépendant de la situation matrimoniale de ses parents. Vingt et un pays confèrent le même statut à tous les enfants, tandis que dix-neuf autres (Albanie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Espagne, Grèce, Italie, Lettonie, Luxembourg, République de Moldova, Monaco, Monténégro, San Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Royaume-Uni, Turquie et Ukraine) établissent une distinction entre les enfants légitimes et les enfants naturels/illégitimes, mais en leur accordant expressément une égalité successorale. La notion d’enfant « adultérin » est très peu répandue, ces enfants étant en général assimilés aux enfants naturels. Certaines différences entre les enfants légitimes et les enfants naturels/illégitimes en matière successorale perdurent à Malte. Le seul Etat partie à faire encore une distinction claire en matière de vocation successorale à l’égard des enfants nés hors mariage est l’Andorre, où ceux-ci sont placés dans une situation moins favorable que les enfants légitimes.

IV.  DOCUMENTS ET JURISPRUDENCE EUROPÉENNE PERTINENTS

35.  Le Groupe de rapporteurs du Comité des Ministres (GR-J) poursuit son examen du projet de recommandation [CM/Rec (2012)] aux Etats membres sur les droits et le statut juridique des enfants et les responsabilités parentales (avec son exposé des motifs) qui a été présenté au Comité des Ministres. Le projet de recommandation vise à remplacer les normes obsolètes de la Convention européenne de 1975 sur le statut juridique des enfants nés hors mariage (Convention que la France n’a pas ratifiée) qui ne sont plus conformes à la jurisprudence de la Cour. Dans l’état actuel du texte, il contient un élément central qui est le principe de non-discrimination énoncé au principe 1 qui dispose :

« Les enfants ne devraient faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur des motifs tels que (...) la naissance (...)

Les enfants ne devraient, en particulier, faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur l’état civil de leurs parents. »

Par ailleurs, le principe 5 « droit de succession » énonce que sous réserve de la définition des parents donnée au principe 2 et du principe 17.2 (procréation post mortem), « les enfants devraient, quelles que soient les circonstances de leur naissance, avoir les mêmes droits de succession sur les biens de chacun de leurs parents et des familles de ceux-ci ».

L’alinéa pertinent de l’exposé des motifs est ainsi rédigé :

« 22.  Eu égard au principe général de non-discrimination tel qu’énoncé au principe 1 et aux décisions de la Cour dans Mazurek c. France, Camp et Bourimi c. Pays-Bas et Marckx c. Belgique, qui concluent respectivement que la discrimination à l’encontre des enfants nés de relations adultères et des enfants nés hors mariage dans le domaine des droits de succession constituait une violation de l’article 14 de la CEDH, combiné à l’article 1 du premier Protocole dans la première affaire et à l’article 8 dans la deuxième, le principe 5 indique, en termes généraux, que les enfants devraient avoir des droits de succession égaux, quelles que soient les circonstances de leur naissance. À cet égard, ce principe a une application plus large que l’article 9 de la Convention européenne de 1975 sur le statut juridique des enfants nés hors mariage, lequel confère à ces enfants les mêmes droits de succession que ceux des enfants nés dans le mariage. Le principe 5 est subordonné à la définition des parents donnée au principe 2. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

36.  Le requérant se plaint de l’impossibilité de faire valoir ses droits successoraux en tant qu’enfant « adultérin » et dénonce la persistance d’une discrimination injustifiée après l’arrêt Mazurek et malgré l’adoption de la loi de 2001.

Il allègue la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1, lesquels se lisent respectivement ainsi :

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) la naissance (...) »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A.  L’arrêt de la chambre

37.  Dans son arrêt du 21 juillet 2011, la chambre a jugé que le grief du requérant entrait dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1, ce qui suffisait pour rendre l’article 14 de la Convention applicable. En effet, en raison de la reconnaissance de sa filiation maternelle en 1983, le requérant disposait d’un intérêt, sanctionnable devant les tribunaux internes, à faire valoir ses droits dans la succession de sa mère d’une manière compatible avec l’article 14 de la Convention (paragraphes 38-42 de l’arrêt de la chambre).

38.  Sur le fond, la chambre a observé que les lois de 1972 et 2001 avaient mis en place des dispositions transitoires précises quant à l’application des nouveaux droits successoraux qu’elles consacraient. Elle a relevé que les juridictions internes avaient considéré que le requérant ne pouvait en bénéficier au moment de l’introduction de l’action en réduction de la donation-partage de 1970. En effet, selon la cour d’appel, la disposition transitoire de la loi de 1972 excluait la remise en cause de donations consenties entre vifs avant l’entrée en vigueur de cette loi. La Cour de cassation, quant à elle, avait estimé que la réalisation du partage successoral lors du décès de la mère en 1994 constituait une situation faisant obstacle, en vertu de l’article 25-II de la loi de 2001, à l’application des nouvelles dispositions consacrant l’égalité successorale. Ces interprétations du droit interne poursuivaient le but légitime de garantir le principe de sécurité juridique et les droits acquis de longue date par les enfants légitimes ; de plus, elles n’apparaissaient pas déraisonnables, arbitraires ou en flagrante contradiction avec l’interdiction de la discrimination. La chambre a distingué la situation spécifique de la présente espèce des affaires dans lesquelles le partage successoral n’avait pas encore été réalisé (Mazurek, précité, et Merger et Cros c. France, no 68864/01, 22 décembre 2004) pour arriver à la conclusion que la différence de traitement litigieuse était proportionnée au but poursuivi et qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 50-59 de l’arrêt de la chambre).

B.  Arguments des parties

1.  Le Gouvernement

a)  Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention

39.  Le Gouvernement soutient que les faits dénoncés par le requérant ne tombent pas sous l’empire de l’article 1 du Protocole no 1, ce qui rend l’article 14 de la Convention inapplicable. Il observe à cet égard que la donation-partage de 1970 a opéré un transfert de propriété des biens aux deux enfants légitimes et instauré une situation juridique acquise qui a empêché le requérant de bénéficier de la succession. Ni la loi de 1972, ni celle de 2001 n’ont pu entraîner la réalisation de la part successorale à laquelle il aurait eu droit si l’acte de 1970 n’avait pas existé. A la différence des affaires Mazurek et Merger et Cros, dans lesquelles les requérants ont acquis automatiquement des droits héréditaires à la suite du décès de leur parent, la succession en l’espèce a été réglée en 1970 avant le décès de la mère du requérant. De surcroît, ce partage des biens est antérieur de plusieurs années à l’établissement de sa filiation en 1983. Dès lors, selon le Gouvernement, l’intéressé n’avait aucun droit héréditaire sur la succession (voir, mutatis mutandis, Alboize-Barthes et Alboize-Montezume c. France (déc.), no 44421/04, 21 octobre 2008).

b)  Sur le fond

40.  A l’instar de ce qu’il a souligné devant la chambre, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas été « exclu » de la succession de sa mère, mais que, dans la mesure où il avait déjà été disposé des biens de celle-ci dans le cadre de la donation-partage de 1970, il ne pouvait pas réaliser la part successorale qui lui serait revenue du fait des lois de 1972 et 2001 en l’absence d’un tel acte. Ainsi, ce ne sont pas les décisions juridictionnelles en cause qui ont empêché le requérant de bénéficier de la succession de sa mère, mais un acte antérieur de transfert de propriété ayant instauré une situation juridique acquise.

41.  C’est de ces droits acquis par les autres héritiers que le législateur de 2001, ayant au demeurant parfaitement répondu aux obligations à caractère général qui étaient à sa charge pour exécuter l’arrêt Mazurek, a dû tenir compte en aménageant l’entrée en vigueur de la loi. L’application de la nouvelle loi à des situations antérieures devait nécessairement prendre en compte les principes de sécurité juridique et de prévisibilité de la loi consacrés par la jurisprudence de la Cour. L’article 25 de la loi de 2001 a donc exclu l’application des nouveaux droits aux successions ouvertes à la date de sa publication et ayant donné lieu à partage avant cette date. De l’avis du Gouvernement, dans ces circonstances, l’interprétation retenue par la Cour de cassation n’est pas en contradiction avec l’arrêt Mazurek. A la différence de celui-ci et de l’affaire Merger et Cros, dans lesquels les requérants ont contesté des situations qui n’étaient pas encore acquises au moment de l’introduction de leur recours interne, l’action en réduction intentée par le requérant en 1998 visait à remettre en cause une situation de partage déjà réalisé.

42.  Le Gouvernement reconnaît qu’un arrêt concluant à une violation de la Convention peut entraîner des mesures générales dans l’Etat défendeur et avoir une portée qui vaut au-delà du litige concernant les parties devant la Cour. Pour autant, il affirme que la Cour n’a jamais reconnu un effet rétroactif à ses arrêts. Soutenir que l’arrêt Mazurek devait s’appliquer à la présente affaire, c’est-à-dire à une situation juridique définitivement acquise avant son prononcé, et qu’il devrait avoir un effet rétroactif, viderait de sa portée l’article 46 de la Convention.

2.  Le requérant

a)  Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention

43.  Le requérant ne produit pas d’observations supplémentaires devant la Grande Chambre à celles produites devant la chambre et marquant son désaccord avec le Gouvernement sur ce point (paragraphe 37 de l’arrêt de la chambre). Il estime que l’établissement de sa filiation maternelle en 1983 lui donnait des droits héréditaires à l’ouverture de la succession de sa mère – pendante au jour de l’introduction de sa requête – qui entrent dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1.

b)  Sur le fond

44.  Selon le requérant, l’effectivité de l’article 14 de la Convention doit être garantie et seules des raisons « très fortes » peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une distinction fondée sur la naissance. La sécurité juridique n’est ni un droit garanti par la Convention ni une cause d’utilité publique susceptible de justifier une atteinte au respect des biens sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1.

45.  Ce qui pouvait être toléré en 1972, au nom du concept de sécurité juridique, pour mettre en échec le principe de non-discrimination garanti par l’article 14, ne peut plus l’être après l’arrêt Mazurek. En revanche, le requérant souligne que des droits injustement acquis ne devaient pas être sécurisés par les dispositions transitoires de la loi de 2001, censée mettre fin à la violation constatée dans cet arrêt. Il estime qu’en réparant le dommage causé à M. Mazurek, la Cour a refusé de sécuriser les situations juridiques antérieures à son arrêt. Le requérant considère que la méconnaissance de la force obligatoire de l’arrêt Mazurek doit être constatée en l’espèce et sanctionnée. Conclure autrement équivaudrait à admettre qu’un Etat adoptant une législation censée tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour dispose d’un délai indéfini de transposition des décisions de celle‑ci, pour ne s’occuper, en la circonstance, que des successions futures, et puisse ainsi valider a posteriori des violations avérées de la Convention. Le requérant dénonce le maintien d’une discrimination conservant les effets de la loi de 1972 sanctionnée par la Cour et désavouée dans son inspiration par le législateur de 2001.

46.  Il souligne également que l’action en réduction qu’il a engagée en 1998 était pendante lors de la publication de la loi de 2001, ce qui devait entraîner à son égard le bénéfice des droits nouveaux accordés aux enfants « adultérins ». Il estime par voie de conséquence que du fait de cette causae pendentiae, la succession de sa mère ne pouvait être définitivement partagée sauf à faire de l’action en réduction de la donation-partage une voie de recours inefficace.

C.  Appréciation de la Cour

1.  Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention

a)  Principes généraux

47.  Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Raalte c. Pays‑Bas, 21 février 1997, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I ; Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil 1998‑II ; Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, § 42, CEDH 2006‑VIII, et Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 124, CEDH 2012 (extraits)).

b)  Sur la question de savoir si les faits de l’espèce tombent sous l’empire de l’article 1 du Protocole no 1

48.  En la présente espèce, il convient donc d’établir si le grief du requérant, portant sur l’impossibilité de faire valoir ses droits successoraux au moyen d’une action en réduction de la donation-partage faite par sa mère en méconnaissance de sa part réservataire, tombe sous l’empire, c’est-à-dire dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1.

49.  La Cour rappelle que la notion de « bien » évoquée à la première partie de cette disposition a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000‑I).

50.  L’article 1 du Protocole no 1 ne garantit pas le droit d’acquérir des biens (Slivenko et autres c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99, § 121, CEDH 2002-II (extraits), et Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex République yougoslave de Macédoine (déc.), no 60642/08, § 52, 17 octobre 2011), en particulier par voie de succession ab intestat ou de libéralités (voir, mutatis mutandis, Marckx, précité, § 50, et Merger et Cros, précité, § 37). Cependant, la notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (voir, entre autres, Pressos Companía Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 31, série A no 332 ; Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004-IX, et Association nationale des pupilles de la Nation c. France (déc.), no 22718/08, 6 octobre 2009). L’espérance légitime doit reposer sur une « base suffisante en droit interne » (voir Kopecký, précité, § 52 ; Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 63, CEDH 2010, et Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, § 103, 27 mai 2010). De même, la notion de « biens » peut s’étendre à une prestation donnée dont les intéressés ont été privés en vertu d’une condition d’octroi discriminatoire (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 79, CEDH 2009). Par contre, l’espoir de voir reconnaître la survivance d’un ancien droit de propriété qu’il est depuis bien longtemps impossible d’exercer effectivement ne peut être considéré comme un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, et il en va de même d’une créance conditionnelle s’éteignant du fait de la non-réalisation de la condition (voir le rappel des principes pertinents dans Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII, avec des références ultérieures à la jurisprudence de la Commission ; voir aussi Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 85, CEDH 2001‑VIII ; Nerva et autres c. Royaume-Uni, no 42295/98, § 43, CEDH 2002‑VIII ; Stretch c. Royaume-Uni, no 44277/98, § 32, 24 juin 2003).

51.  Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole no 1 (Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, nos 37639/03, 37655/03, 26736/04 et 42670/04, § 41, 3 mars 2009 ; Depalle, précité, § 62 ; Plalam S.P.A. c. Italie (fond), no 16021/02, § 37, 18 mai 2010, et Di Marco c. Italie (fond), no 32521/05, § 50, 26 avril 2011). Dans cette optique, la Cour estime qu’il y a lieu de tenir compte des éléments de droit et de fait suivants.

52.  En l’espèce, la Cour relève que c’est uniquement en considération du caractère « adultérin » de sa filiation que le requérant s’est vu refuser le droit de demander la réduction de la donation-partage faite par sa mère, cette qualification de sa filiation étant à l’origine de la décision de la Cour de cassation – interprétant les dispositions transitoires de la loi de 2001 – d’exclure l’application à son égard des dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux reconnus par cette loi. Or, dans des cas où, comme en l’espèce, un requérant formule sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 un grief aux termes duquel il a été privé, en tout ou en partie et pour un motif discriminatoire visé à l’article 14, d’une valeur patrimoniale, le critère pertinent consiste à rechercher si, n’eût été ce motif discriminatoire, l’intéressé aurait eu un droit, sanctionnable par les tribunaux internes, sur cette valeur patrimoniale (voir, mutatis mutandis, Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 55, CEDH 2005‑X ; Andrejeva, précité, § 79). Tel est le cas en l’espèce.

53.  Le Gouvernement soutient que le requérant ne pouvait prétendre à aucun droit héréditaire sur la donation-partage de 1970 car celle-ci avait eu pour effet de distribuer, immédiatement et de manière irrévocable, les biens de sa mère, et ce antérieurement à sa filiation maternelle judiciairement constatée (paragraphe 39 ci-dessus). La Cour ne saurait cependant souscrire à cette thèse. Elle relève que si la donation‑partage a pour effet immédiat de réaliser un transfert de propriété, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, elle ne devient un partage successoral que lors du décès du donateur. La succession est à la fois ouverte et définitivement liquidée ou partagée au jour du décès de l’ascendant (paragraphe 24 ci-dessus), qui en l’espèce n’est survenu qu’en 1994. Or, à cette date, la filiation du requérant était établie. C’est donc bien par l’effet du caractère « adultérin » de celle-ci que le requérant a été écarté de la succession de sa mère.

54.  A cet égard, la présente affaire se rapproche des affaires Mazurek et Merger et Cros précitées, et se distingue de l’affaire Alboize-Barthes et Alboize-Montezume c. France (précitée), dans laquelle il a été décidé que le règlement de la succession du père des requérantes, survenu en 1955 et donc bien avant l’établissement de leur filiation, les empêchait de disposer de droits héréditaires sur la succession du de cujus et de se prétendre titulaires d’un « bien ».

55.  Il en résulte que les intérêts patrimoniaux du requérant entrent dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 et du droit au respect des biens qu’il garantit, ce qui suffit à rendre l’article 14 de la Convention applicable.

2.  Sur le fond

a)  Principes généraux

56.  La Cour rappelle que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l’article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables. Au regard de cette disposition, une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (Mazurek, précité, §§ 46 et 48). Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des différences de traitement (Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, §§ 51 et 52, CEDH 2006‑VI). L’étendue de cette marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention. Celle-ci étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, la Cour doit cependant tenir compte de l’évolution de la situation dans les Etats contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (Konstantin Markin, précité, § 126).

57.  Selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt Marckx, précité, la distinction établie en matière successorale entre enfants « naturels » et enfants « légitimes » pose problème sous l’angle de l’article 8 de la Convention pris isolément (Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, série A no 112) ainsi que sous celui de l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 8 (Vermeire c. Belgique, 29 novembre 1991, série A no 214‑C ; Brauer c. Allemagne, no 3545/04, 28 mai 2009) et 1 du Protocole no 1 (Inze c. Autriche, 28 octobre 1987, série A no 126 ; Mazurek, précité, et Merger et Cros, précité). La Cour a étendu cette jurisprudence aux libéralités en confirmant la prohibition de la discrimination dans le domaine testamentaire (Pla et Puncernau c. Andorre, no 69498/01, CEDH 2004‑VIII). Ainsi, dès 1979, dans l’arrêt Marckx, la Cour affirmait l’incompatibilité avec la Convention des limitations aux droits successoraux des enfants fondées sur la naissance. Elle n’a eu de cesse de réaffirmer ce principe fondamental, érigeant l’interdiction de discrimination fondée sur le caractère « naturel » du lien de parenté en norme de protection de l’ordre public européen.

58. La Cour rappelle également que la communauté de vue entre les Etats membres du Conseil de l’Europe quant à l’importance de l’égalité de traitement entre enfants issus du mariage et enfants nés hors mariage est établie depuis longtemps, ce qui a d’ailleurs conduit aujourd’hui à l’uniformité des législations nationales en la matière – le principe d’égalité faisant disparaître les notions même d’enfant légitime et naturel – ainsi qu’à une évolution sociale et juridique qui entérine définitivement l’objectif d’égalité entre les enfants (paragraphes 28, 34 et 35 ci-dessus).

59.  Aussi, seules de très fortes raisons peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une distinction fondée sur la naissance hors mariage (Inze, précité, § 41 ; Camp et Bourimi c. Pays-Bas, no 28369/95, § 38, CEDH 2000‑X, et Brauer, précité, § 40).

60.  La Cour n’est pas appelée, en principe, à régler des différends purement privés. Cela étant, dans l’exercice du contrôle européen qui lui incombe, elle ne saurait rester inerte lorsque l’interprétation faite par une juridiction nationale d’un acte juridique, qu’il s’agisse d’une clause testamentaire, d’un contrat privé, d’un document public, d’une disposition légale ou encore d’une pratique administrative, apparaît comme étant déraisonnable, arbitraire ou en flagrante contradiction avec l’interdiction de discrimination établie à l’article 14 et plus largement avec les principes sous-jacents à la Convention (Larkos c. Chypre [GC], no 29515/95, §§ 30‑31, CEDH 1999-I ; Pla et Puncernau, précité, § 59, et Karaman c. Turquie, no 6489/03, § 30, 15 janvier 2008).

b)  Application en l’espèce

i.  Sur l’existence d’une différence de traitement fondée sur la naissance hors mariage

61.  En l’espèce, nul ne conteste le fait que le requérant s’est vu privé d’une part de réserve héréditaire et placé définitivement dans une situation différente de celle des enfants légitimes quant à la succession de leur mère. Il s’est en effet trouvé empêché d’obtenir la réduction de la donation‑partage dont il avait été exclu et une part réservataire en raison de son statut d’enfant « adultérin ».

62.  Cette différence de traitement entre le requérant et ses demi-frère et demi-sœur résulte de l’article 25-II de la loi de 2001 qui met comme condition à l’application des nouveaux droits successoraux des enfants « adultérins » aux successions ouvertes avant le 4 décembre 2001 qu’elles n’aient pas donné lieu à un partage avant cette date (paragraphe 30 ci‑dessus). Or, interprétant la disposition transitoire concernée, la Cour de cassation a estimé que le partage successoral avait eu lieu en 1994, au moment du décès de la mère du requérant (paragraphe 23 ci-dessus), suivant en cela une jurisprudence ancienne selon laquelle en matière de donation‑partage, la succession est à la fois ouverte et partagée par le décès du donateur (paragraphe 24 ci-dessus). Un enfant légitime, omis de la donation-partage ou non encore conçu lors de celle-ci, ne se serait pas vu opposer un tel obstacle pour obtenir sa réserve ou sa part héréditaire conformément aux articles 1077-1 et 1077-2 du code civil (paragraphe 25 ci-dessus). Il n’est dès lors pas contesté que la différence de traitement subie par le requérant a pour seul motif sa naissance hors mariage.

63.  La Cour rappelle que son rôle n’est pas de se prononcer sur l’interprétation la plus correcte de la législation interne, mais de rechercher si la manière dont cette législation a été appliquée a enfreint les droits garantis au requérant par l’article 14 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres et mutatis mutandis, Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 24, série A no 257-B, et Pla et Puncernau, précité, § 46). En l’espèce, elle est donc appelée à établir si la différence de traitement litigieuse, ayant sa source dans une disposition de la loi interne, avait une justification objective et raisonnable.

ii.  Sur la justification de la différence de traitement

α)  Sur la poursuite d’un but légitime

64.  Le Gouvernement n’avance plus aucune justification à la discrimination entre enfants légitimes et « adultérins ». La Cour constate en effet que l’Etat français a accepté de modifier sa législation à la suite de l’arrêt Mazurek, précité, et a réformé le droit des successions en abrogeant l’ensemble des dispositions discriminatoires à l’égard de l’enfant « adultérin » moins de deux ans après son prononcé. Elle se félicite d’ailleurs de cette mise en conformité du droit français avec le principe conventionnel de non-discrimination.

65.  Toutefois, selon le Gouvernement, il n’était pas possible de porter atteinte aux droits acquis par les tiers, en l’occurrence les autres héritiers, et cela a justifié de limiter l’effet rétroactif de la loi de 2001 aux seules successions qui étaient ouvertes à la date de sa publication et n’avaient pas donné lieu à partage à cette date. Les dispositions transitoires auraient ainsi été aménagées pour garantir la paix des familles en sécurisant les droits acquis des bénéficiaires de successions déjà partagées.

66.  La Cour n’est pas convaincue que la négation des droits héréditaires de l’un ou de plusieurs de ses membres puisse contribuer à renforcer la paix au sein d’une famille. En revanche, elle admet que la protection des droits acquis peut servir les intérêts de la sécurité juridique, valeur sous-jacente à la Convention (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 61, CEDH 1999-VII ; Beian c. Roumanie (no 1), no 30658/05, § 39, CEDH 2007‑V (extraits) ; Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 56-57, 20 octobre 2011 ; Albu et autres c. Roumanie, no 34796/09 et suivants, § 34, 10 mai 2012). Ainsi, à propos d’une succession acceptée par un enfant « adultérin » à l’ouverture de celle-ci, en 1993, et liquidée en 1996, la Cour a déjà jugé que l’irrecevabilité de l’action décidée par la Cour de cassation au motif que la succession avait déjà fait l’objet d’un partage – ce qui ne lui permettait pas de bénéficier des droits nouveaux en application des dispositions transitoires de la loi de 2001 – était conforme au principe de sécurité juridique tel que rappelé dans l’arrêt Marckx. En effet, « l’on ne saurait exiger que l’institution judiciaire annule un partage librement accepté au vu d’un arrêt de la Cour intervenu après ledit partage » (E.S. c. France (déc.), no 49714/06, 10 février 2009). La Cour en conclut que le souci d’assurer la stabilité des règlements successoraux achevés, lequel était prépondérant aux yeux du législateur et du juge saisi en l’espèce, constitue un but légitime susceptible de justifier la différence de traitement dont il s’agit en l’occurrence. Encore faut-il que celle-ci fût proportionnée par rapport à ce but.

β) Sur la proportionnalité entre les moyens employés et le but visé

67.  La Cour observe qu’en l’espèce, sous la réserve de l’action en réduction prévue par la loi, le demi-frère et la demi-sœur du requérant ont obtenu des droits patrimoniaux par l’effet de la donation‑partage de 1970, celle-ci opérant partage successoral lors du décès de Mme M., survenu en juillet 1994. Cette circonstance permet de distinguer la présente affaire des affaires Mazurek et Merger et Cros, précitées, où le partage successoral n’avait pas encore été réalisé.

68.  Cependant, la Cour rappelle que « la protection de la « confiance » du de cujus et de sa famille doit s’effacer devant l’impératif de l’égalité de traitement entre enfants nés hors mariage et enfants issus du mariage » (Brauer, précité, § 43). A cet égard, elle estime que le demi-frère et la demi‑sœur du requérant savaient – ou auraient dû savoir – que leurs droits pouvaient se voir remis en cause. En effet, lors du décès de leur mère en 1994, la loi prévoyait un délai de cinq ans pour exercer une action en réduction de la donation-partage. Les héritiers légitimes devaient donc savoir que leur demi-frère pouvait demander sa part héréditaire jusqu’en 1999 et que cette action était susceptible de remettre en cause, non pas le partage comme tel, mais l’étendue des droits de chacun des descendants. Par ailleurs, l’action en réduction que le requérant avait finalement engagée en 1998 était pendante devant les juridictions nationales au moment du prononcé de l’arrêt Mazurek, qui déclarait incompatible avec la Convention une inégalité successorale fondée sur la naissance hors mariage, et de la publication de la loi de 2001, qui donnait exécution à cet arrêt en incorporant en droit français les principes qui y étaient affirmés. Enfin, le requérant n’était pas un descendant dont ils ignoraient l’existence, car il avait été reconnu comme fils naturel de leur mère par un jugement rendu en 1983 (paragraphe 12 ci-dessus ; voir, mutatis mutandis, Camp et Bourimi, précité, § 39). Ceci suffisait à nourrir des doutes justifiés sur la réalité du partage successoral réalisé par le décès de Mme M. en 1994 (voir les conclusions de l’avocat général, paragraphe 22 ci-dessus).

69.  Sur ce dernier point, la Cour relève que, selon le Gouvernement, la spécificité de la donation-partage empêchait une quelconque remise en cause d’une situation juridique existante, en l’occurrence le partage des biens opéré en 1970 et devenu définitif au décès du de cujus, nonobstant le recours juridictionnel en cours (paragraphes 40 et 41 ci-dessus). Le requérant s’oppose à cette thèse (paragraphe 46 ci-dessus). Dans les circonstances particulières de l’espèce, où la jurisprudence européenne et les réformes législatives nationales montraient une tendance claire vers la suppression de toute discrimination des enfants nés hors mariage s’agissant de leurs droits héréditaires, la Cour estime que le recours exercé par le requérant en 1998 devant le juge national et rejeté par celui-ci en 2007 pèse lourd dans l’examen de la proportionnalité de la différence de traitement (voir paragraphes 22 et 68 ci-dessus, et paragraphe 72 ci‑dessous). Le fait que ce recours était toujours pendant en 2001 ne pouvait, en effet, que relativiser l’attente des autres héritiers de Mme M. de se voir reconnaître des droits incontestés sur la succession de celle-ci.

70.  Aussi, à la lumière de ce qui précède, la Cour considère-t-elle que le but légitime de la protection des droits successoraux du demi-frère et de la demi‑sœur du requérant n’était pas d’un poids tel qu’il dût l’emporter sur la prétention du requérant d’obtenir une part de l’héritage de sa mère.

71.  Au demeurant, il semble que, même aux yeux des autorités nationales, les attentes des héritiers ayant bénéficié d’une donation-partage ne sont pas à protéger en toutes circonstances. En effet, si la même action en réduction de la donation-partage avait été exercée au même moment par un autre enfant légitime, né après celle-ci ou volontairement exclu du partage, cette fin de non-recevoir ne lui aurait pas été opposée.

72.  A cet égard, la Cour juge contestable qu’en 2007, des années après les arrêts Marckx et Mazurek précités, le juge national ait pu moduler différemment la protection de la sécurité juridique selon qu’elle était opposée à un enfant légitime ou à un enfant « adultérin ». Elle note aussi que la Cour de cassation n’a pas répondu au moyen principal invoqué par le requérant et tiré de la méconnaissance du principe de non-discrimination tel que garanti par l’article 14 de la Convention. Or, elle a déjà jugé que les tribunaux doivent examiner avec rigueur les moyens ayant trait aux « droits et libertés » garantis par la Convention dont ils sont saisis et qu’il s’agit là d’un corollaire du principe de subsidiarité (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 96, 28 juin 2007, et Magnin c. France (déc.), no 26219/08, 10 mai 2012).

γ)  Conclusion

73.  A la lumière de toutes ces considérations, la Cour conclut qu’il n’existait pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but légitime poursuivi. La différence de traitement dont le requérant a fait l’objet n’avait donc pas de justification objective et raisonnable. Partant, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.

74.  Cette conclusion ne met pas en cause le droit des Etats de prévoir des dispositions transitoires lorsqu’ils adoptent une réforme législative en vue de s’acquitter de leurs obligations découlant de l’article 46 § 1 de la Convention (voir, par exemple, Antoni c. République tchèque, no 18010/06, 25 novembre 2010 ; Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France, no 29613/08, § 18, 21 décembre 2010 ; Mork c. Allemagne, nos 31047/04 et 43386/08, §§ 28 à 30 et 54, 9 juin 2011, et Taron c. Allemagne (dec.), no 53126/07, 29 mai 2012).

75.  Toutefois, si le caractère essentiellement déclaratoire des arrêts de la Cour laisse à l’Etat le choix des moyens pour effacer les conséquences de la violation (Marckx, précité, § 58, et Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 61, CEDH 2009), il y a lieu de rappeler en même temps que l’adoption de mesures générales implique pour l’Etat l’obligation de prévenir, avec diligence, de nouvelles violations semblables à celles constatées dans les arrêts de la Cour (voir, par exemple, Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, § 77, CEDH 2006‑IX (extraits)). Cela entraîne l’obligation pour le juge national d’assurer, conformément à son ordre constitutionnel et dans le respect du principe de sécurité juridique, le plein effet des normes de la Convention, telles qu’interprétées par la Cour. Or, tel n’a pas été le cas en l’espèce.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8

76.  Le requérant se plaint, pour les mêmes raisons que celles invoquées précédemment sous l’angle du droit au respect de ses biens, d’une discrimination injustifiée portant atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention, lequel dispose :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Arrêt de la chambre

77.  A l’instar de l’arrêt Mazurek, la chambre n’a pas estimé nécessaire de trancher séparément cette question, faute d’arguments distincts (paragraphe 60 de l’arrêt de la chambre).

B.  Arguments des parties

78.  Le requérant ne fait aucune observation sur l’article 8 de la Convention.

79.  Le Gouvernement considère à titre principal qu’il n’y a pas d’ingérence en l’espèce. Les questions de successions ab intestat peuvent entrer dans le champ d’application de l’article 8 mais celui-ci ne garantit pas un droit à l’héritage. L’absence de remise en cause de la situation juridique acquise en 1970 n’est pas une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale.

80.  Si toutefois la Cour devait considérer qu’il y a eu ingérence, celle-ci était prévue par la loi, en l’occurrence la loi de 1972 interdisant l’exercice des droits des réservataires au préjudice de donations consenties avant 1972. Elle poursuivait un but légitime, à savoir garantir une certaine paix des rapports familiaux, en sécurisant des droits acquis depuis longtemps. S’appuyant sur l’arrêt Marckx, le Gouvernement considère qu’il serait contraire au principe de sécurité juridique d’annuler un partage réalisé plusieurs années (loi de 1972) voire plusieurs décennies (loi de 2001) avant les changements législatifs et jurisprudentiels venus modifier les règles successorales des enfants « adultérins ». Cette ingérence était enfin proportionnée car la mise en œuvre des dispositions litigieuses par les juridictions nationales a une portée limitée dans le temps et quant aux libéralités concernées. Le Gouvernement conclut à la conformité à l’arrêt Mazurek et à la Convention des dispositions transitoires telles qu’interprétées par les juridictions nationales. La loi de 2001 en particulier prévoit une application dans le temps des dispositions nouvelles tenant compte des situations acquises dont la remise en cause ne paraît pas souhaitable sur le plan social et pas réalisable dans certains cas. Il souligne la marge d’appréciation dont l’Etat dispose pour pondérer les intérêts en conflit.

C.  Appréciation de la Cour

81.  Eu égard aux conclusions auxquelles elle est parvenue sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 73 ci-dessus), la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément s’il y a eu violation de cette même disposition lue en conjonction avec l’article 8 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

82.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

83.  Le requérant demande la somme de 128 550,75 EUR qui correspond au montant de la part successorale qui lui serait revenue s’il avait été traité à égalité avec ses demi-frère et demi-sœur, augmenté des intérêts légaux. Le requérant demande également une indemnisation de son préjudice moral qu’il chiffre à 30 000 EUR. Enfin, le requérant chiffre à 20 946 EUR les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

84.  Le Gouvernement estime que le constat de violation constituerait une réparation adéquate du préjudice matériel subi par le requérant. Au titre du préjudice moral, une réparation d’ordre monétaire ne pourrait qu’être symbolique. Quant aux frais et dépens, le Gouvernement estime qu’il pourrait être octroyé au requérant la somme globale de 10 000 EUR.

85.  Dans les circonstances de la cause, la Cour juge que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état. Par conséquent, il y a lieu de la réserver en entier et de fixer la procédure ultérieure en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et le requérant (article 75 § 1 du règlement). A cette fin, la Cour accorde aux parties un délai de trois mois.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 ;

2.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 ;

3.  Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;

en conséquence,

a)  la réserve en entier ;

b)  invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans le délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c)  réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la Grande Chambre le soin de la fixer au besoin.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 7 février 2013.

 Johan Callewaert Josep Casadevall
 Adjoint au Greffier Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

–  opinion concordante du juge Popović, à laquelle se rallie la juge Gyulumyan ;

–  opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque.

J.C.M.
J.C.


OPINION CONCORDANTE DU JUGE POPOVIĆ,
À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE GYULUMYAN

(Traduction)

J’estime que la Cour a omis de préciser, au paragraphe 75 de l’arrêt, en quoi consistent les obligations des États membres s’agissant d’assurer le plein effet des normes de la Convention compte tenu de leur obligation générale de se conformer aux arrêts de la Cour. À mes yeux, l’analyse de la jurisprudence pertinente ne laisse aucun doute quant à la portée de cette obligation.

Il est vrai que l’État peut choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales appropriées dont l’adoption permettra de prévenir de nouvelles violations des dispositions de la Convention. Cependant, dans l’affaire Vermeire c. Belgique (29 novembre 1991, § 26, série A no 214‑C), la Cour a déclaré : « La liberté de choix reconnue à l’État quant aux moyens de s’acquitter de son obligation [au titre de l’article 46] ne saurait lui permettre de suspendre l’application de la Convention en attendant l’aboutissement d’une pareille réforme ». Dans Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) ([GC], no 32772/02, § 37, CEDH 2009), elle a confirmé son attachement à l’obligation pour les États d’exécuter les traités de bonne foi. Cela vaut également pour la Convention.

La Cour a réitéré son point de vue sur la question dans Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2) (no 71525/01, § 103, 26 avril 2007), ainsi que dans Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (précité, § 61). Dans Dumitru Popescu, elle a déclaré, renvoyant à l’arrêt Vermeire précité, que le juge national avait pour obligation notamment d’assurer le plein effet des dispositions de la Convention, en considérant celles-ci comme supérieures et en les faisant passer avant toute disposition contraire de la législation nationale. Dans Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) précité), la Cour a reconsidéré sa jurisprudence passée et confirmé que les Hautes Parties contractantes à la Convention s’étaient engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles étaient parties.

La position ferme et réitérée de la Cour sur l’obligation pour les États membres de se conformer à ses arrêts cadre également avec la Recommandation du Comité des Ministres, organe compétent pour surveiller l’exécution des arrêts. Dans sa Recommandation (2004)6, le Comité des Ministres a souligné que la Convention fait aujourd’hui partie intégrante de l’ordre juridique interne des États membres.

Pour ces raisons, j’estime que c’est en effet le principe de sécurité juridique qui aurait dû conduire l’ordre judiciaire national à se conformer aux normes de la Convention, même en l’absence de mesures immédiates du législateur.


OPINION CONCORDANTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

L’affaire Fabris soulève la question matérielle d’une discrimination devant la loi qui touche les droits successoraux des enfants nés hors mariage. Outre le principe de l’égalité devant la loi, cette affaire porte sur deux autres questions revêtant une importance capitale pour le système de protection des droits de l’homme en Europe, à savoir l’effet rétroactif des arrêts de la Cour et la compétence de celle-ci s’agissant de contrôler l’exécution par les autorités nationales de ses propres arrêts. Je souscris au constat de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 mais, avec tout le respect dû à mes collègues, je désapprouve le raisonnement suivi dans l’arrêt, et ce pour les motifs exposés ci-après.

L’effet direct et erga omnes des arrêts de la Cour

À première vue, la Convention dispose que les effets des arrêts de la Cour se limitent aux parties à l’affaire, c’est-à-dire au(x) requérant(s) et à l’État ou aux États défendeurs. Or cette première lecture est trompeuse, et une interprétation correcte de l’article 46 exige que cette disposition soit lue conjointement avec l’article 1. À la lumière de ces dispositions, lues ensemble, les arrêts de la Cour ont un effet direct et erga omnes[1].

En fait, la Cour a formulé l’effet erga omnes de ses arrêts en affirmant, dans l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni, que ses arrêts servent à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention[2]. Ainsi, elle a maintes fois refusé de rayer une requête du rôle alors que le requérant souhaitait la retirer, parce qu’elle estimait que l’affaire soulevait des problèmes de caractère général touchant à l’observation de la Convention. C’est le même intérêt général fondamental qui a justifié l’introduction de la notion de « victime potentielle[3] » et de la pratique de la tierce intervention[4]. La « sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales » au Conseil de l’Europe et la « ré[alisation d’]une union plus étroite entre ses membres » appellent en effet une interprétation large de la mission de la Cour, non seulement en ce qui concerne les conditions de recevabilité et de radiation des requêtes soumises à la Cour, mais également l’effet de ses arrêts. Le caractère collectif des plaintes portées devant la Cour a, en bonne logique, un impact sur le caractère erga omnes de ses jugements. Les États parties non impliqués dans une procédure ne peuvent ignorer l’interprétation authentique de la Convention que livre la Cour, instance finale investie de ce pouvoir[5]. S’ils passaient outre, délibérément ou par négligence, ils seraient en porte-à-faux avec leurs propres engagements au titre de la Convention, telle qu’interprétée par la Cour, et manqueraient ainsi à faire preuve de la volonté attentive de remplir les obligations conventionnelles qu’appelle le principe de bonne foi dans l’exécution d’un traité. Si en revanche les États parties se conforment aux normes établies par la jurisprudence de la Cour, et ce même sans avoir été concernés par les litiges spécifiques qui sont à l’origine de la jurisprudence, non seulement ils évitent de futurs constats de violation mais de plus ils anticipent la mise en œuvre des droits et libertés inscrits dans la Convention. Cette approche proactive des États parties est également requise par l’application rigoureuse du principe de subsidiarité. La pleine mise en œuvre de la Convention au niveau national oblige les États parties à prendre toutes les mesures nécessaires pour redresser, et de préférence prévenir, les violations. Le manquement à se conformer à la jurisprudence de la Cour, même de la part des États qui n’ont pas été parties aux différends à l’origine de la jurisprudence établie, irait à l’encontre de l’obligation susmentionnée d’agir efficacement, promptement et de manière préventive pour garantir à toute personne les droits et libertés inscrits dans la Convention[6]. Ces développements ont culminé par la reconnaissance de la Convention en tant qu’« instrument constitutionnel de l’ordre public européen[7] » et donc de la Cour en tant que « Cour constitutionnelle de l’Europe[8] ». Dès lors, tous les organes et représentants de n’importe quelle autorité publique de l’État défendeur, à tous les niveaux de son organisation (national, fédéral, régional ou local), sont directement liés par les arrêts de la Cour et donc, pour reprendre la formule forgée par la Déclaration de Brighton, « [t]outes les lois et politiques devraient être conçues et tous les agents publics devraient exercer leurs responsabilités d’une manière qui donne plein effet à la Convention ». Dans ce contexte, la Cour ayant le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la Convention par le biais d’arrêts définitifs et contraignants (article 19 de la Convention), l’effet direct et erga omnes de ses arrêts ne peut pas être limité par les États parties. Seule la Cour elle-même peut décider de restreindre l’effet de ses arrêts[9].

La compétence de la Cour pour contrôler l’exécution de ses propres arrêts

La politique initiale de la Cour, qui s’abstenait d’émettre des directives, a fait place à une politique générale consistant à donner aux États défendeurs des orientations, voire des instructions, sur la manière d’exécuter un arrêt. Les arrêts de la Cour ne sont plus purement déclaratoires, mais prescriptifs[10]. Compte tenu du caractère de plus en plus prescriptif des arrêts de la Cour, et donc de la dualité croissante de l’obligation – de résultat et de moyens – pour les États parties de se conformer aux arrêts de la Cour, le contrôle de celle-ci sur l’application de l’article 46 de la Convention est crucial[11].

Les traités relatifs aux droits de l’homme doivent être interprétés de la manière qui protège le mieux les droits et libertés qui s’y trouvent inscrits[12]. À la lumière de ce principe, il est évident que le caractère juridictionnel de la Cour serait gravement menacé si la Cour ne réagissait pas aux atteintes portées à ses arrêts et, pire, si le dernier mot quant à l’exécution de ses arrêts dépendait de facto de la volonté des premiers destinataires des arrêts eux‑mêmes, à savoir les gouvernements. C’est tout le système de protection des droits de l’homme qui serait sacrifié sur l’autel de la politique, les arrêts de la Cour étant alors réduits à des déclarations provisoires sur des différends qui, pour être effectives, nécessiteraient un satisfecit politique consécutif. La victoire du requérant au Palais des droits de l’homme serait une victoire à la Pyrrhus, l’État défendeur ayant une seconde chance de se défendre, au Palais de l’Europe. Les droits de l’homme seraient alors un mirage trompeur en Europe. Pour que les droits de l’homme ne deviennent pas un simple mirage, c’est l’interprétation la plus protectrice pour les droits et libertés consacrés par la Convention qui s’impose : pour garantir une indépendance réelle – et non virtuelle – du pouvoir judiciaire et un effet utile – et non apparent – des droits et libertés découlant de la Convention, il est indispensable que la Cour soit investie du pouvoir implicite de surveiller l’exécution de ses arrêts et, le cas échéant, de contredire une décision du Comité des Ministres à ce sujet[13].

Depuis longtemps, le droit et la pratique internationaux reconnaissent la « théorie des pouvoirs implicites », selon laquelle les organisations internationales disposent non seulement des pouvoirs explicitement prévus dans leurs textes fondateurs, mais aussi de ceux qui sont nécessaires à l’exercice le plus efficace de leurs missions. Appliquée à la présente affaire, cette théorie exige que les tribunaux internationaux et autres organes chargés de régler des différends soient implicitement investis du pouvoir de surveiller l’exécution de leurs jugements lorsque cela s’impose pour l’accomplissement de leurs fonctions[14]. Dans le cadre juridique européen relatif aux droits de l’homme, le pouvoir de la Cour de surveiller l’exécution de ses arrêts découle implicitement de sa tâche consistant à assurer le respect par les États parties de leurs obligations au titre de la Convention et de son pouvoir de statuer sur toute question concernant l’application de la Convention (article 19 combiné avec l’article 32).

Le Protocole no 14 a constitué un pas dans la bonne direction mais n’a cependant pas permis de consacrer pleinement ce pouvoir implicite. Ce Protocole prévoit un élargissement du pouvoir de la Cour de contrôler la phase de l’exécution : la Cour peut interpréter ses propres arrêts et déclarer qu’un État défendeur ne s’y est pas conformé lorsque des problèmes surgissent au cours de l’exécution. Que le Protocole no 14 reconnaisse explicitement que ces importants pouvoirs appartiennent à la Cour ne dissimule pas le fait que ceux-ci dépendent d’une demande du Comité des Ministres, c’est-à-dire des États parties. Dans l’hypothèse où ces pouvoirs d’interpréter les arrêts de la Cour et de constater que l’État défendeur ne s’y est pas conformé ne seraient pas conférés à la Cour quand l’initiative appartiendrait à la partie lésée, non seulement celle-ci serait en situation d’infériorité par rapport à l’État défendeur, mais, pire encore, l’État défendeur pourrait « bloquer » les effets des arrêts de la Cour au niveau du Comité des Ministres, la Cour ne pouvant alors rien faire face à un éventuel « blocage » politique pendant la phase d’exécution[15]. En cas d’échec du mécanisme de surveillance susmentionné du Comité des Ministres, la seule voie de droit effective permettant à la partie lésée de réagir à une interprétation incorrecte ou à l’inobservation d’un arrêt de la Cour demeure l’accès à la Cour elle-même. Face à certaines affaires déplorables de non‑respect évident de ses arrêts, la Cour a affirmé son pouvoir de censure. Elle n’aurait pas pu faire autrement. C’était la seule manière de protéger son autorité et la force juridique de la Convention. Le risque d’un déni de l’autorité des arrêts de la Cour et la privation concomitante de la force juridique de la Convention ont judicieusement été évités dans l’arrêt éclairant qui a été rendu dans l’affaire Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT)[16]. En affirmant fermement le pouvoir de la Cour de surveiller les manquements à l’article 46 de la Convention, l’arrêt Emre a apporté la touche finale à cette approche[17]. Par la formulation résolue et très claire du paragraphe 75, la Cour a condamné la conduite de l’État défendeur après le premier arrêt Emre. En outre, elle a affirmé de manière directe quelle aurait été l’« exécution la plus naturelle » du premier arrêt Emre, à savoir l’annulation avec « effet immédiat » de la mesure litigieuse d’interdiction du territoire national. Dans ce contexte, le constat de violation de l’article 46 était une conséquence logique et nécessaire du raisonnement tenu[18].

En somme, non seulement la Cour aide de diverses façons au processus d’exécution, par exemple en fournissant elle-même des indications sur les mesures adéquates d’exécution, mais de plus elle porte la responsabilité ultime de l’efficacité à long terme de l’ensemble du système de protection des droits de l’homme en Europe en veillant au respect de l’article 46 par le processus d’exécution. L’exercice de la compétence de la Cour pour surveiller l’exécution de ses propres arrêts l’emporte sur une décision contraire du Comité des Ministres. Si la Cour n’est pas liée par une décision du Comité de clore la procédure d’exécution, elle n’est a fortiori pas dans l’impossibilité, pour des motifs de litispendance, d’examiner la question de l’exécution des arrêts.

L’application de l’arrêt Mazurek à l’espèce

La présente affaire est un test pour les effets matériels et temporels de l’arrêt Mazurek[19], dans la mesure où elle soulève la question de l’applicabilité de l’arrêt de 2000 à une succession ouverte en France en 1994. L’effet rétroactif des arrêts de la Cour remet en question la prévisibilité de l’activité judiciaire[20]. Ainsi, la sécurité juridique plaide pour l’effet prospectif des arrêts. Néanmoins, la pleine mise en œuvre des droits et libertés protégés par la Convention peut exiger qu’un arrêt de la Cour soit appliqué rétroactivement, c’est-à-dire à des faits présentés dans une nouvelle requête mais qui sont antérieurs à la date à laquelle l’arrêt est devenu définitif[21]. En l’espèce, le requérant a eu une espérance légitime de compter parmi les héritiers de sa mère entre le 24 novembre 1983 – date de l’établissement de sa filiation – et le 28 juillet 1994, date du décès de sa mère. Ce jour-là, l’espérance légitime du requérant s’est convertie en un droit acquis à une part réservataire sur la succession ouverte de sa mère[22]. Bien que la donation-partage faite en 1970 ait eu pour effet de transférer des biens aux donataires, cela n’est devenu un partage des biens de la donatrice à des fins successorales qu’à la date de son décès. À cette date, la filiation du requérant avait déjà été établie, et un fait antérieur à l’ouverture de la succession de sa mère – la donation-partage – ne pouvait le priver du droit d’obtenir sa part réservataire[23]. Affirmer le contraire reviendrait à faire abstraction de la filiation établie en 1983 et à ôter tout effet utile à l’action en réduction intentée dans les délais par l’intéressé[24]. Autrement dit, l’établissement de la filiation maternelle du requérant en 1983 a conféré à ce dernier des droits successoraux lors de l’ouverture de la succession de sa mère, droits qui relèvent de l’article 1 du Protocole no 1.

En vertu de la loi du 3 décembre 2001, une succession ouverte au 4 décembre 2001 est partagée suivant le principe de l’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage, excepté si le partage des biens a été effectué avant cette date. Cette exception a été appliquée par la Cour de cassation dans la présente affaire. À la lumière de l’arrêt Mazurek, cette disposition transitoire de la loi de 2001 n’est pas valable. Le choix opéré par le législateur national au moyen des dispositions transitoires continue sans raison valable d’établir une distinction entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage[25]. En d’autres termes, cette loi va à l’encontre de Mazurek, qui avait condamné tout traitement discriminatoire concernant les droits successoraux des enfants nés hors mariage. Ainsi, la Cour aurait dû se distancier de la Résolution ResDH(2005)25, adoptée par le Comité des Ministres le 25 avril 2005, et de la Résolution CM/ResDH(2010)191, adoptée le 2 décembre 2010, selon laquelle l’État défendeur avait appliqué de manière satisfaisante l’arrêt Mazurek dans son ordre juridique interne[26].

Comme le cadre législatif était défaillant, les juridictions nationales auraient dû appliquer Mazurek de façon rétroactive à la succession de Mme M. Puisque cette succession n’était pas définitivement close lorsque l’arrêt Mazurek est devenu définitif, en raison de l’action en réduction engagée dans les délais par un héritier disposant d’un droit à une part réservataire mais écarté de la donation-partage, les tribunaux auraient dû considérer que Mazurek l’emportait sur les dispositions transitoires de la loi de 2001 et de la loi de 1972, en faisant primer la Convention et en reconnaissant le droit du requérant à une part réservataire sur la masse successorale de sa mère[27].

Les conséquences de l’arrêt Fabris

De la même manière que l’arrêt Loizidou a permis la pleine reconnaissance de la Cour en tant que « Cour constitutionnelle de l’Europe », dont la tâche ne peut être compromise par des États parties exerçant un droit de réserve, l’arrêt Fabris réaffirme la valeur constitutionnelle des arrêts de la Cour et la compétence de celle-ci pour vérifier qu’un État partie s’est conformé aux obligations découlant pour lui de l’un des arrêts de la Cour. Cette valeur, qui a été constamment renforcée par la pratique de la Cour et du Comité des Ministres, comme nous l’avons montré, n’est assurément pas remise en question par la malencontreuse formule figurant au paragraphe 75 du présent arrêt : « conformément à son ordre constitutionnel et dans le respect du principe de sécurité juridique ». Cette formule semble limiter l’obligation pour les États parties de donner plein effet aux normes de la Convention, telles qu’interprétées par la Cour, à leur « conform[ité] à [l’]ordre constitutionnel ». Si on la comprenait comme autorisant implicitement un mécanisme de filtrage complet et non restrictif vérifiant la constitutionnalité interne des arrêts de la Cour, cette formule anéantirait tout simplement des décennies de construction du système européen des droits de l’homme, viderait la Convention de sa force juridique et cantonnerait la Cour à un rôle d’annexe des juridictions constitutionnelles nationales. De plus, cette lecture serait un coup porté à l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, car elle permettrait à un État partie à la Convention d’invoquer les dispositions de son droit constitutionnel pour justifier son manquement à exécuter un traité. La validité et l’efficacité des arrêts de la Cour ne dépendent pas d’un fiat des cours constitutionnelles nationales[28]. La référence à la « conform[ité] à [l’] ordre constitutionnel » n’est donc rien d’autre qu’un renvoi anodin au principe de sauvegarde des droits de l’homme reconnus, inscrit à l’article 53 de la Convention.

Dans ce contexte, la référence complémentaire au principe de sécurité juridique n’est pas moins problématique. Les juridictions internes ne peuvent annuler, restreindre ou retarder l’effet des arrêts de la Cour au motif qu’ils menacent le principe de sécurité juridique. Si elles le pouvaient, cela leur permettrait de se livrer à une application sélective des arrêts de la Cour, avec le risque de voir quarante-sept manières différentes de mettre en œuvre un même arrêt. Ainsi, la référence au principe de sécurité juridique, outre le fait qu’elle rappelle la motivation de Marckx[29], est aussi une injonction adressée aux tribunaux nationaux de se conformer strictement et sans aucune marge d’appréciation aux arrêts de la Cour. Tout comportement discrétionnaire des juridictions nationales dans la mise en œuvre des arrêts de la Cour remettrait en question le principe de sécurité juridique.

Conclusion

Eu égard à l’applicabilité directe et erga omnes de Mazurek au sein de l’État défendeur et à son applicabilité rétroactive au partage des biens de Mme M., considérant la compétence de la Cour pour surveiller l’exécution de l’arrêt Mazurek par l’État défendeur et appliquant les principes d’égalité devant la loi et de non-discrimination entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage, j’estime que l’État défendeur n’a pas appliqué de façon satisfaisante l’arrêt Mazurek à la présente affaire et a donc porté atteinte à l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.


[1].  Dans Vermeire c. Belgique, 29 novembre 1991, § 26, série A no 214-C, la Cour a explicitement indiqué qu’elle ne pouvait pas rejeter en 1991, pour une succession ouverte le 22 juillet 1980, des griefs identiques à ceux qu’elle avait accueillis le 13 juin 1979 dans l’arrêt Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, série A no 31. Le manquement du législateur belge à appliquer l’arrêt Marckx au niveau national n’exonérait pas l’État défendeur de son obligation internationale d’éviter que des violations de la Convention ne se reproduisent à cause des mêmes défaillances du droit successoral, les juridictions étant également liées par la Convention, telle qu’interprétée par la Cour. Ainsi, la Cour a reconnu l’autorité du précédent (stare decisis) Marckx, arrêt qui avait déjà réglé la question soulevée par la requérante dans Vermeire.

2.  Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 239, série A no 25, et, plus clairement encore, Karner c. Autriche, no 40016/98, § 26, CEDH 2003-IX.

[3].  Voir, par exemple, Marckx, précité, § 27, Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, § 42, série A no 112, et Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 29, CEDH 2009.

[4].  Avis sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, adopté par la Commission de Venise lors de sa 53e session plénière, 2002, §§ 86-87.

[5].  Déclaration de Brighton, paragraphe 10.

[6].  Dans son « Mémorandum aux États en vue de la Conférence d’Interlaken », en date du 3 juillet 2009, le président de la Cour avait lui-même souligné cette idée : « Il n’est plus acceptable qu’un État ne tire pas le plus tôt possible les conséquences d’un arrêt concluant à une violation de la Convention par un autre État lorsque son ordre juridique comporte le même problème. L’autorité de la chose interprétée par la Cour va au-delà de la res judicata au sens strict. Une telle évolution ira de pair avec l’« effet direct » de la Convention en droit interne et avec son appropriation par les États. » Cette idée, inscrite au point 4 c) de la Déclaration d’Interlaken, constitue la pratique des États parties (Avis de la Commission de Venise, précité, § 32).

[7].  Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, § 75, série A no 310, et Avis de la CEDH sur la réforme du système de contrôle de la CEDH, 4 septembre 1992, § I(5).

[8].  Pour reprendre les termes de l’ancien président Ryssdal, « Vers une Cour constitutionnelle européenne », in Collected Courses of the Academy of European Law, II, 1993, p. 20, et de l’ancien président Wildhaber, « Un avenir constitutionnel pour la Cour européenne des droits de l’homme ? », in RUDH, 2002, p. 1.

[9].  Sont dès lors problématiques l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 14 octobre 2004, 2 BvR 1481/04, § 47, et l’arrêt de la Cour constitutionnelle italienne no 311 du 26 novembre 2009, dans la mesure où ils admettent la non-application – totale ou partielle – des arrêts de la Cour, pour des motifs d’inconstitutionnalité interne (voir ci‑dessous).

[10].  Voir, parmi bien d’autres arrêts, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, § 69, CEDH 2000-VI, Fatullayev c. Azerbaïdjan, no 40984/07, § 177, 22 avril 2010, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 126, CEDH 2006-II, et évidemment l’ensemble des arrêts « pilotes » et « quasi pilotes ». En fait, cette politique montre que les arrêts doivent reposer sur une approche fondée sur des principes et non sur une approche casuistique des questions de droit en jeu afin d’apporter la clarté, la précision et la prévisibilité nécessaires aux autorités nationales pour saisir pleinement les répercussions des choix de la Cour (voir la Résolution de l’Assemblée parlementaire no 1226 (2000) du 28 septembre 2000 et l’Avis de la Commission de Venise, précité, §§ 56-58). De toute évidence, plus la jurisprudence s’attache aux circonstances propres à l’affaire, moins elle a de valeur interprétative, plus elle présente de risques d’incohérence et moins elle offre d’orientations aux États parties en général et à l’État défendeur en particulier. Une véritable jurisdictio ne peut être obtenue que lorsqu’une juridiction fait l’effort de s’élever au-dessus des facteurs propres à l’affaire en question et de formuler des normes générales.

[11].  Dans Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 94, série A no 250, la Cour était confrontée au manquement persistant des autorités nationales à autoriser les contacts entre les requérants et leurs enfants, en dépit d’un précédent arrêt de la Cour qui avait été rendu en faveur des requérants. La Cour a dit que « les faits et circonstances sous-jacents au grief invoqué par les intéressés sur le terrain de l’article 53 (...) coïncid[ai]ent pour l’essentiel avec ceux qu’elle [venait] d’examiner sous l’angle de l’article 8 sans constater de violation » et a conclu que « nulle question distincte ne se pos[ait] au regard de l’article 53 ». Ainsi, la Cour ne s’est pas prononcée sur la possibilité qu’il existe des circonstances dans lesquelles un grief tiré de l’ancien article 53 (à présent l’article 46 § 1) de la Convention pouvait être examiné. La réponse à la question à laquelle il n’a pas été répondu dans l’arrêt Olsson appelle une interprétation téléologique de la Convention.

[12].  Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, § 8, série A no 7, et, suivant une longue tradition de la Cour interaméricaine, Ricardo Canese c. Paraguay, 31 août 2004, série C no 111, § 181. Ce principe repose sur l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui prescrit une interprétation téléologique du droit international.

[13].  Voir les arguments du juge Martens dans « Individual complaints under Article 53 of the European Convention on Human Rights », in « The dynamics of the protection of human rights in Europe: Essays in Honour of Henry G. Schermers », Lawson and de Blois (éd.), vol. III, Londres, 1994, pp. 262, 274 et 285.

[14].  Pour la formulation de cette doctrine consolidée, voir Réparation des dommages subis au service des Nations unies, Avis consultatif, CIJ Recueil 1949, p. 180, et, concernant en particulier les pouvoirs implicites d’une juridiction internationale, voir Usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne), 1927, CPJI, série A, no 9 (26 juillet), pp. 21-22, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, CIJ Recueil 1986, p. 142, et LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt, CIJ Recueil 2001, p. 485, ainsi que CIDH, Baena-Ricardo et autres c. Panama, arrêt sur la compétence, 28 novembre 2003, série C, no 104, §§ 72, 114 et 132.

[15].  Voir les observations de l’ancien président Costa qui, dans son opinion séparée jointe à l’arrêt Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, CEDH 2004-II, avertissait que la « solution risqu[ait] d’être bloquée » sur le plan politique. Diverses manières de contourner les effets d’un arrêt de la Cour, comme une conduite dilatoire dans sa mise en œuvre ou le dépôt d’une dérogation à la Convention après le constat d’une violation, prouvent que ce risque est bien réel. Enfin, le risque de l’« auto-amnistie » n’est pas bien loin. La majorité qualifiée des deux tiers des représentants des gouvernements ayant le droit de siéger au Comité qui est requise pour le déclenchement d’une procédure d’interprétation et d’une procédure en manquement, les pouvoirs limités du Comité en matière d’enquête et de collecte d’informations, c’est-à-dire l’absence de visites des lieux, d’auditions de témoins et autres moyens d’apprécier les effets réels des normes adoptées et des mesures prises, et le déséquilibre entre la position de la partie lésée et celle du gouvernement dans la procédure d’exécution devant le Comité des Ministres aggravent ce risque.

[16].  Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 65, CEDH 2009. La clé de voûte de l’arrêt de Grande Chambre réside dans le postulat que fait la Cour de sa compétence inhérente (implicite) pour examiner la conduite des autorités nationales après le premier arrêt Verein gegen Tierfabriken, l’argument crucial étant que si la Cour ne pouvait en connaître, il serait soustrait à tout contrôle au titre de la Convention. Ainsi, la motivation de Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (précité) vise non seulement les actes des autorités nationales qui heurtent l’arrêt de la Cour, mais a fortiori également les omissions de ces autorités lorsqu’un arrêt de la Cour les prie de prendre des mesures pour faire cesser une violation de la Convention. L’importance de cette position se trouve encore renforcée par le fait que la Cour n’a pas hésité à contredire la Résolution du Comité des Ministres ResDH(2003)125 ayant mis fin à sa surveillance de l’exécution du premier arrêt Verein gegen Tierfabriken. Voir également Wasserman c. Russie (no 2), no 21071/05, § 37, 10 avril 2008, et Ivanţoc et autres c. Moldova et Russie, no 23687/05, §§ 86 et 95-96, 15 novembre 2011.

[17].  Emre c. Suisse (no 2), no 5056/10, 11 octobre 2011. L’État défendeur avait expulsé le requérant pour une période indéterminée, ce que la Cour avait estimé disproportionné. Le Tribunal fédéral avait maintenu la mesure d’éloignement mais en avait ramené la durée à dix ans. La question posée par la Cour au paragraphe 68 de l’arrêt Emre – il s’agissait de savoir si, en ramenant à dix ans la période d’éloignement du requérant, le Tribunal fédéral s’était conformé aux conclusions et à l’esprit du précédent arrêt de la Cour (2008) – indique l’intention de la Cour de traiter la seconde requête comme une véritable procédure en manquement.

[18].  Emre, précité, § 43, et, concernant l’exécution de cet arrêt, la Résolution du Comité des Ministres CM/ResDH(2012)139.

[19].  Mazurek c. France, no 34406/97, CEDH 2000-II.

[20].  Il est vrai que la Convention doit s’appliquer à la lumière des conditions actuelles. Dès lors que la Cour ne souscrit pas à une lecture strictement littérale ou une interprétation historique de la Convention, ses arrêts ne visent pas à déterminer le sens originel des dispositions de la Convention. En conséquence, le canon de l’interprétation évolutive de la Convention favorise l’applicabilité non rétroactive des arrêts de la Cour. Le principe de sécurité juridique renforce cette conclusion (Marckx, précité, § 58).

[21].  Dans l’arrêt Merger et Cros c. France, no 68864/01, § 33, 22 décembre 2004, la Cour a appliqué le principe de l’égalité des droits successoraux à une succession ouverte le 12 mars 1986. En bref, elle a appliqué de façon rétroactive la jurisprudence Mazurek à une succession ouverte avant la date à laquelle l’arrêt était devenu définitif. En pratique, toutes les successions déjà ouvertes et les partages correspondant qui étaient en cours en France à l’époque où l’arrêt Mazurek était devenu définitif – et pas uniquement le partage concernant M. Mazurek – auraient dû être traités suivant le principe de l’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage. Dans les situations où, après le 1er février 2000, les biens du défunt n’avaient pas encore été définitivement partagés et où il était encore possible d’appliquer la jurisprudence Mazurek et donc d’assurer aux enfants nés hors mariage une part égale des biens, cela aurait dû être fait. Cette conclusion a acquis encore plus de force après l’arrêt Merger et Cros.

[22].  Le droit comparé montre que l’« ouverture de la succession » intervient à la date du décès du de cujus et que cette date sert souvent de point de départ déterminant lorsqu’il faut élaborer des dispositions transitoires dans le domaine du droit des successions (voir l’article 8 de la Convention de La Haye sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires, et le rapport sur le projet de Convention, où il est noté que « C’est la solution la plus fréquente en droit comparé » (Actes et documents de la IXe session, III, p. 27). Tel est le cas également en France.

[23].  C’est pourquoi je trouve insuffisants les paragraphes 52 à 55 de l’arrêt, et ce pour trois raisons : premièrement, ils n’indiquent pas le « droit » auquel pouvait prétendre le requérant et dont celui-ci a été privé ; deuxièmement, ils ne précisent pas quand le requérant a acquis ce droit et à quel moment celui-ci est devenu exécutoire en droit interne, et troisièmement, ils ne distinguent pas, à l’égard des biens de la mère, la situation juridique du requérant avant le décès de celle-ci, et sa situation juridique après le décès.

[24].  Indépendamment du débat bien connu sur la nature de la donation-partage en tant que présuccession ou anticipation successorale, le fait est que le requérant a été privé de toute part pour la seule raison qu’il n’était pas partie à un acte notarié dont les donateurs l’avaient intentionnellement exclu.

[25].  Je ne puis admettre l’existence d’un intérêt particulier à assurer la « paix des rapports familiaux » dans le cadre d’une succession mettant en jeu des enfants nés hors mariage. Je ne puis non plus accepter que la portée de l’exception soit limitée dans le temps et sur le fond. Mais même en admettant le caractère prétendument limité de l’exception, cet argument ne pourrait jamais justifier le fait que ces règles transitoires perpétuent et multiplient des inégalités qui reviennent à sanctionner un enfant né hors mariage pour la conduite de son parent. Un enfant ne doit tout simplement pas avoir à supporter les conséquences des actes de ses parents.

[26].  En conséquence, je ne trouve pas rigoureusement exacte l’observation, au paragraphe 68 de l’arrêt, selon laquelle la loi du 3 décembre 2001 « donnait exécution à cet arrêt en incorporant en droit français les principes qui y étaient affirmés ». Cette appréciation générale néglige le caractère problématique des règles transitoires de la loi. Ce problème a également été évité dans la Résolution ResDH(2005)25 du Comité des Ministres, qui omet toute référence aux règles transitoires de 2001.

[27].  Pour être plus précis, il convient de noter que l’arrêt Marckx lui-même a posé un principe applicable à tous les États parties à la Convention, y compris l’État défendeur dans l’affaire Fabris. C’est un fait qu’à l’époque où Mme M. est décédée et où le requérant a réclamé auprès du notaire sa part réservataire dans la masse successorale de sa mère (1994), et au moment où M. Fabris a engagé l’action en réduction devant les tribunaux français (1998), les autorités françaises avaient déjà connaissance du principe de non-discrimination concernant les droits successoraux des enfants nés hors mariage qui avait été défini de longues années auparavant, dans Marckx en 1979, réaffirmé en 1987 dans Inze (c. Autriche, 28 octobre 1987, série A no 126) et dans Vermeire en 1991, et appliqué directement par des juridictions suprêmes telles que le Hoog Raad et la Cour de cassation du Luxembourg dans leurs remarquables arrêts du 13 juin 1979 et du 17 janvier 1985 respectivement. En conséquence, le principe de bonne foi dans l’exécution des obligations découlant des traités aurait dû conduire les autorités françaises à traiter la demande du requérant de façon non discriminatoire. Après que l’arrêt Mazurek est devenu définitif en 2000, l’obligation internationale pour l’État défendeur d’éviter de futures violations de la Convention s’est trouvée renforcée du fait qu’il était lié non seulement par le principe de bonne foi mais aussi par l’effet erga omnes national de Mazurek.

[28].  Voir Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig, Avis consultatif, 4 février 1932, CPJI, série A/B, no 44, p. 24 (« un État ne saurait invoquer vis-à-vis d’un autre État sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur ») ; Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations Unies, Avis consultatif, CIJ Recueil 1988, pp. 34 et 35 ; Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2), no 71525/01, § 103, 26 avril 2007, et, concernant l’acceptation par les États parties de cette idée, voir la Résolution DH (95) 211 du 11 septembre 1995, la Résolution DH (96) 368 du 26 juin 1996 et la Résolution DH (96) 150 du 15 mai 1996. L’autorité prépondérante des obligations internationales sur le droit interne, notamment le droit constitutionnel, est a fortiori également valable dans le domaine du droit international des droits de l’homme, compte tenu de la nature des droits de l’homme, matière non réservée à la compétence nationale des États (article 2 § 7 de la Charte des Nations unies), et du fait que les traités relatifs aux droits de l’homme non seulement lient les États parties mais de plus reconnaissent les droits et libertés des citoyens au sein de la juridiction des États parties (article 1 de la Convention). La conclusion est inéluctable : sans préjudice de l’article 15 de la Convention, aucune disposition de droit interne, pas même une disposition constitutionnelle, ne peut limiter ou porter atteinte à l’un quelconque des droits et libertés inscrits dans la Convention telle qu’interprétée par la Cour. Rien n’empêche les tribunaux nationaux, et à leur sommet les juridictions constitutionnelles, d’offrir un niveau supérieur de protection des droits et libertés individuels (article 53), ce qui signifie que les normes de la Convention ne peuvent être écartées que lorsque les dispositions internes offrent une meilleure protection du droit du requérant.

[29].  Suivant « le principe de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention », la Cour « peut dispenser les États de remettre en cause des actes ou situations juridiques antérieurs à des arrêts de la Cour déclarant la législation nationale incompatible avec la Convention » (Marckx, précité, § 58, et Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, no 23614/08, § 65, 30 novembre 2010).

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CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE FABRIS c. FRANCE, 7 février 2013, 16574/08