CJCE, n° T-224/00, Arrêt du Tribunal, Archer Daniels Midland Company et Archer Daniels Midland Ingredients Ltd contre Commission des Communautés européennes, 9 juillet 2003

  • Application des pourcentages au montant de base de l'amende·
  • Exposé sommaire des moyens invoqués 2. droit communautaire·
  • Obligation pour celle-ci de s'y conformer 11. concurrence·
  • Lignes directrices arrêtées par la commission·
  • Marge d'appréciation réservée à la commission·
  • Non-rétroactivité des dispositions pénales·
  • Pouvoirs de vérification de la commission·
  • Mise en œuvre des règles de concurrence·
  • Recours en annulation - moyens * moyens·
  • Violation du principe «non bis in idem»

Chronologie de l’affaire

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Curia · CJUE · 9 juillet 2003

Division de la Presse et de l'Information COMMUNIQUÉ DE PRESSE Nº 58/03 9 juillet 2003 Arrêts du Tribunal de première instance dans les affaires T-220/00, T-223/00, T-224/00 et T-230/00 Cheil Jedang Corporation e.a. / Commission des Communautés européennes À L'OCCASION D'UNE ENTENTE SUR LE MARCHÉ DE LA LYSINE, LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE CLARIFIE LES CRITÈRES CONCERNANT LA FIXATION DU MONTANT DES AMENDES Le Tribunal réduit de 7.316.760 euros les amendes infligées par la Commission européenne. La lysine est le principal acide aminé utilisé …

 
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Sur la décision

Référence :
CJUE, Tribunal, 9 juill. 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients / Commission, T-224/00
Numéro(s) : T-224/00
Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre) du 9 juillet 2003. # Archer Daniels Midland Company et Archer Daniels Midland Ingredients Ltd contre Commission des Communautés européennes. # Concurrence - Entente - Lysine - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Applicabilité - Gravité et durée de l'infraction - Chiffres d'affaires - Circonstances aggravantes - Circonstances atténuantes - Coopération durant la procédure administrative - Cumul de sanctions. # Affaire T-224/00.
Date de dépôt : 25 août 2000
Précédents jurisprudentiels : Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie/Commission, 240/82
Cour du 10 juillet 1984, Kirk, 63/83
Cour du 10 novembre 1993, Otto, C-60/92
Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246/86
Cour du 13 février 1969, Wilhelm e.a., 14/68
Cour du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission ( 7/72, Rec. p. 1281
Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88
Cour du 15 juillet 1970, Boehringer/Commission, 45/69
Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375 point 59
Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73
Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C-298/98
Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission ( C-248/98 P, Rec. p. I-9641
Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C-283/98
Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C-297/98
Cour du 17 octobre 1972, Vereeniging van Cementhandelaren/Commission, 8/72
Cour du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87
Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82
Cour du 5 mai 1966, Gutmann/Commission, 18/65 et 35/65
Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92
Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51/92
Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81
Cour eur. D. H., arrêt Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992, série A n° 251-B
Cour eur. D. H., décision Krombach c. France du 29 février 2000
Deutsche Bahn/Commission, T-229/94
Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission ( T-12/89, Rec. p. II-907
Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T-151/94
Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission ( T-141/94
Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T-380/94
Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T-102/92, Rec. p. II-17, point 68, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352/94
Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T-45/98 et T-47/98
Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77/92, Rec. p. II-549, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327/94
Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T-311/94
Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T-308/94
Tribunal du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304/94
Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95
Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89
Tribunal du 18 janvier 2000, Mehibas Dordtselaan/Commission, T-290/97
Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94
Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23/99
Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96
Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89
Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89
Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T-148/89
Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission ( T-62/98, Rec. p. II-2707
Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91
Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43/92
Solution : Recours en annulation : rejet sur le fond, Recours contre une sanction : obtention
Identifiant CELEX : 62000TJ0224
Identifiant européen : ECLI:EU:T:2003:195
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Texte intégral

Avis juridique important

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62000A0224

Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre) du 9 juillet 2003. – Archer Daniels Midland Company et Archer Daniels Midland Ingredients Ltd contre Commission des Communautés européennes. – Concurrence – Entente – Lysine – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Applicabilité – Gravité et durée de l’infraction – Chiffres d’affaires – Circonstances aggravantes – Circonstances atténuantes – Coopération durant la procédure administrative – Cumul de sanctions. – Affaire T-224/00.


Recueil de jurisprudence 2003 page II-02597


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


1. Procédure – Requête introductive d’instance – Exigences de forme – Exposé sommaire des moyens invoqués

(Statut CE de la Cour de justice, art. 19, alinéa 1; règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1)

2. Droit communautaire – Principes généraux du droit – Non-rétroactivité des dispositions pénales – Champ d’application – Amendes infligées à raison d’une violation des règles de concurrence – Inclusion – Violation en raison de l’application des lignes directrices pour le calcul des amendes s’agissant d’une infraction antérieure à leur introduction – Absence

(Convention européenne des droits de l’homme, art. 7; règlement du Conseil n° 17, art. 15)

3. Concurrence – Amendes – Montant – Marge d’appréciation réservée à la Commission – Possibilité d’élever le niveau des amendes pour renforcer leur effet dissuasif

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15)

4. Droit communautaire – Principes – Protection de la confiance légitime – Conditions – Protection contre l’exercice par la Commission de son pouvoir d’élever le niveau des amendes sanctionnant les violations de règles de concurrence – Absence

(Règlement du Conseil n° 17)

5. Concurrence – Amendes – Montant – Sanctions communautaires et sanctions infligées dans un État membre ou un État tiers pour violation du droit national de la concurrence – Violation du principe «non bis in idem» – Absence – Cumul – Admissibilité – Obligation pour la Commission de tenir compte, dans la détermination du montant de l’amende, de la sanction infligée dans un État membre en raison des mêmes faits – Obligation non transposable à l’hypothèse d’une sanction infligée dans un État tiers

(Protocole n° 7 de la convention européenne des droits de l’homme, art. 4; règlement du Conseil n° 17, art. 15)

6. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité et durée des infractions – Possibilité d’élever le niveau des amendes pour renforcer leur effet dissuasif

(Art. 81 CE et 82 CE; règlement du Conseil, n° 17, art. 15, § 2)

7. Concurrence – Ententes – Fixation des prix – Infraction pouvant être qualifiée de très grave, nonobstant le caractère simplement indicatif des prix fixés

(Art. 81 CE)

8. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Fixation des prix – Obligation de la Commission de se référer, pour apprécier l’impact d’une infraction, au jeu de la concurrence en l’absence de celle-ci

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15, § 2)

9. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Prise en compte des effets de l’ensemble de l’infraction, indépendamment du comportement effectif prétendument adopté par une entreprise

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15)

10. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Lignes directrices arrêtées par la Commission – Obligation pour celle-ci de s’y conformer

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15, § 2)

11. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Prise en considération du chiffre d’affaires global de l’entreprise concernée et du chiffre d’affaires réalisé avec les ventes des marchandises faisant l’objet de l’infraction – Limites

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15, § 2)

12. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Mesure de la capacité effective à causer un préjudice sur le marché affecté – Caractère pertinent des parts de marché détenues par l’entreprise concernée

(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil n° 17, art. 15, § 2)

13. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Mesure de l’impact réel sur la concurrence du comportement infractionnel de chaque entreprise – Caractère pertinent du chiffre d’affaires réalisé avec les produits faisant l’objet d’une pratique restrictive

(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil n° 17, art. 15, § 2)

14. Recours en annulation – Moyens – Contestation de la réalité des faits retenus par une décision sanctionnant la violation des règles de concurrence – Recevabilité – Condition – Absence de reconnaissance de cette réalité au cours de la procédure administrative

(Art. 230 CE)

15. Concurrence – Ententes – Accords entre entreprises – Notion – Concours de volontés quant au comportement à adopter sur le marché

(Art. 81, § 1, CE)

16. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Rôle respectif des entreprises ayant participé à l’infraction

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15)

17. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Circonstances atténuantes – Non-application effective d’un accord – Appréciation au niveau du comportement individuel de chaque entreprise

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15)

18. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Circonstances atténuantes – Mise en place d’un programme d’alignement pour se conformer aux règles communautaires de concurrence – Prise en compte non impérative

[Art. 81, § 1, sous a) et b), CE; règlement du Conseil n° 17, art. 15]

19. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Réduction du montant de l’amende en contrepartie d’une coopération – Conditions – Transmission par une entreprise d’informations sur des faits susceptibles d’être retenus pour la sanctionner

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15)

20. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Circonstances atténuantes – Réduction du montant de l’amende en contrepartie d’une collaboration permettant de déterminer le degré de participation d’une autre entreprise

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15)

21. Concurrence – Procédure administrative – Pouvoirs de vérification de la Commission – Respect du principe général prescrivant une protection contre les interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique – Impossibilité d’utiliser ou d’effectuer des enregistrements secrets, audiovisuels ou sonores

(Convention européenne des droits de l’homme, art. 8; règlement du Conseil n° 17)

22. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Méthode de calcul définie par les lignes directrices arrêtées par la Commission – Application des pourcentages au montant de base de l’amende

(Règlement du Conseil n° 17, art. 15, § 2)

Sommaire


1. Selon l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure.

( voir point 36 )

2. Le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres, consacré également par l’article 7 de la convention européenne des droits de l’homme, et fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect.

À cet égard, même s’il ressort de l’article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal, il n’en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit communautaire, et notamment celui de non-rétroactivité, dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en application des règles de concurrence du traité. Ce respect exige que les sanctions infligées à une entreprise pour une infraction aux règles de la concurrence correspondent à celles qui étaient fixées à l’époque où l’infraction a été commise.

De ce point de vue, le changement qu’entraîneraient les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, par rapport à la pratique administrative antérieure de la Commission, ne constitue pas une altération du cadre juridique déterminant le montant des amendes pouvant être infligées, contraire au principe général de non-rétroactivité des dispositions pénales ou à celui de sécurité juridique.

En effet, d’une part, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est, uniquement, défini dans le règlement n° 17 dont les lignes directrices ne s’écartent pas. D’autre part, au regard de la marge d’appréciation laissée par le règlement n° 17 à la Commission, l’introduction par celle-ci d’une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation du niveau général des amendes, sans pour autant excéder la limite maximale fixée par le même règlement, ne peut être considérée comme une aggravation, avec effet rétroactif, des amendes telles qu’elles sont juridiquement prévues par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

( voir points 39-41, 51-55 )

3. La Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. En outre, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.

( voir points 56, 181 )

4. Le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire a fait naître chez lui des espérances fondées. Cependant, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration.

S’agissant des opérateurs économiques, ils ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions communautaires. Or, s’agissant des règles communautaires de concurrence, leur application efficace exige que la Commission puisse, à tout moment, adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique de concurrence. En conséquence, le fait que la Commission a appliqué, par le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17.

( voir points 62, 64-65 )

5. Le principe non bis in idem, également consacré par l’article 4 du protocole n° 7 de la convention européenne des droits de l’homme, constitue un principe général du droit communautaire dont le juge assure le respect. Dans le domaine du droit communautaire de la concurrence, ce principe interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois par la Commission du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure de la Commission qui n’est plus susceptible de recours.

Il peut, en revanche, y avoir un cumul de sanctions, l’une communautaire, l’autre nationale, à la suite de l’existence de deux procédures parallèles, poursuivant des fins distinctes, du fait du système particulier de répartition des compétences entre la Communauté et les États membres en matière d’ententes. Cependant, une exigence générale d’équité implique que, en fixant le montant de l’amende, la Commission est obligée de tenir compte de sanctions qui auraient déjà été supportées par la même entreprise pour le même fait, lorsqu’il s’agit de sanctions infligées pour infractions au droit des ententes d’un État membre et, par conséquent, commises sur le territoire communautaire.

Cette possibilité de cumul de sanctions étant justifiée par le fait que les procédures, nationale et communautaire, poursuivent des fins distinctes, le principe non bis in idem ne peut, à plus forte raison, trouver à s’appliquer dans l’hypothèse où la Commission a décidé d’infliger une amende à une entreprise pour sa participation à une entente déjà sanctionnée par les autorités ou les juridictions d’un État tiers, les procédures diligentées et les sanctions infligées par la Commission, d’une part, et par les autorités ou les juridictions d’un État tiers, d’autre part, ne poursuivant pas, à l’évidence, les mêmes objectifs. En outre, il n’existe, actuellement, aucun principe de droit international public interdisant à des autorités ou à des juridictions d’États différents de poursuivre et de condamner une personne en raison des mêmes faits.

Par ailleurs, si la Commission est obligée, conformément à une exigence d’équité, de tenir compte, en fixant le montant d’une amende, de sanctions déjà infligées à la même entreprise pour des infractions au droit des ententes d’un État membre et, par conséquent, commises sur le territoire communautaire, c’est en raison de la situation particulière qui résulte, d’une part, de l’étroite interdépendance des marchés nationaux des États membres et du marché commun et, d’autre part, du système particulier de répartition des compétences entre la Communauté et les États membres en matière d’ententes sur un même territoire, celui du marché commun. Cette justification fait, à l’évidence, défaut dans l’hypothèse où les premières décisions répressives ont été adoptées à l’encontre d’une entreprise par les autorités ou les juridictions d’un État tiers pour violation de leurs règles de concurrence et la Commission n’a, dès lors, aucune obligation, lors de la fixation du montant d’une amende infligée à ladite entreprise pour infraction au droit communautaire de la concurrence, de tenir compte des décisions susvisées.

( voir points 85-87, 89-90, 92, 99-100 )

6. Le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE ou de l’article 82 CE constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comprend la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises.

Il s’ensuit que la Commission a le pouvoir de décider du niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif lorsque des infractions d’un type déterminé sont encore relativement fréquentes, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière de concurrence, en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer.

( voir points 105-106 )

7. Dans le cadre d’une entente, la fixation d’un prix, même simplement indicatif, affecte le jeu de la concurrence par le fait qu’il permet à tous les participants à l’entente de prévoir avec un degré raisonnable de certitude quelle sera la politique de prix poursuivie par leurs concurrents. De telles ententes comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné et peuvent être qualifiées d’infractions très graves. En effet, en exprimant une volonté commune d’appliquer un certain niveau de prix à leurs produits, les producteurs concernés ne déterminent plus de manière autonome leur politique sur le marché, portant ainsi atteinte à la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence.

( voir points 119-120 )

8. Lors de la détermination de la gravité d’une infraction en matière de concurrence, il y a lieu de tenir compte, notamment, du contexte réglementaire et économique du comportement incriminé. À cet égard, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction.

Il en résulte, d’une part, que, dans le cas d’ententes sur les prix, il doit être constaté que les accords ont effectivement permis aux entreprises concernées d’atteindre un niveau de prix de transaction supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence d’entente.

Il en découle, d’autre part, que, dans le cadre de son appréciation, la Commission doit prendre en compte toutes les conditions objectives du marché concerné, eu égard au contexte économique et éventuellement réglementaire qui prévaut.

( voir points 150-152 )

9. En matière de répression des ententes prohibées, le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise est sans pertinence aux fins de l’évaluation de l’impact d’une entente sur le marché, seuls doivent être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble.

( voir points 160, 167 )

10. La Commission ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle-même imposées. En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation de la gravité d’une infraction, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées.

( voir point 182 )

11. Parmi les éléments d’appréciation de la gravité d’une infraction aux règles communautaires de concurrence peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction, la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Il s’ensuit, d’une part, qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. Il en résulte, d’autre part, qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant d’une amende approprié ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global.

( voir points 58, 188 )

12. Dans le cadre de la détermination du montant des amendes infligées pour violation des règles communautaires de concurrence, l’analyse de la capacité effective des entreprises sanctionnées à causer un préjudice important à un marché déterminé implique une appréciation de l’importance réelle de ces entreprises sur le marché affecté, c’est-à-dire de leur influence sur celui-ci. À cette fin, sont pertinentes les parts de marché détenues par une entreprise sur le marché affecté, tandis que son chiffre d’affaires global ne l’est pas.

( voir point 193 )

13. Dans le cadre de la détermination du montant des amendes infligées pour violation des règles communautaires de concurrence, l’appréciation du poids spécifique, c’est-à-dire de l’impact réel, de l’infraction commise par chaque entreprise, que la Commission doit désormais effectuer en vertu des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, lorsqu’elle estime qu’il y a lieu de pondérer les montants de départ de l’amende en raison du fait qu’il s’agit d’une infraction impliquant plusieurs entreprises (de type cartel) entre lesquelles il existe des disparités considérables de dimension, consiste à déterminer l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles et non l’importance de l’entreprise en cause en termes de taille ou de puissance économique. À cet égard, la part du chiffre d’affaires provenant des ventes de marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné. En particulier, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence.

( voir points 194, 196 )

14. En l’absence de reconnaissance expresse de son comportement anticoncurrentiel par l’entreprise mise en cause, la Commission devra encore établir les faits, l’entreprise restant libre de développer, le moment venu et notamment dans le cadre de la procédure contentieuse, tous les moyens de défense qui lui paraîtront utiles. En revanche, tel ne saurait être le cas en présence d’une reconnaissance des faits par l’entreprise en question. Ainsi, lorsque l’entreprise a expressément admis, dans le cadre de la procédure administrative, la matérialité des faits qui lui étaient reprochés par la Commission dans sa communication des griefs, ces faits doivent être considérés comme établis, l’entreprise n’étant plus en mesure de les contester dans le cadre de la procédure contentieuse devant le Tribunal.

( voir point 227 )

15. Pour qu’il y ait accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée, et ce indépendamment des effets qu’elle a pu produire sur le marché. La Commission est donc en droit de qualifier d’accord, au sens de cette disposition, un concours de volontés entre entreprises, dans la mesure où ledit concours est intervenu, à tout le moins, sur des initiatives de prix.

( voir point 228 )

16. Lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles, ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci.

Il en résulte, notamment, que le rôle de chef de file joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d’une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l’amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises.

( voir points 238-239 )

17. Le point 3, deuxième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, relatif à «la non-application effective d’un accord», doit s’interpréter non pas comme visant l’hypothèse dans laquelle une entente, dans son ensemble, n’est pas mise en oeuvre, abstraction faite du comportement propre à chaque entreprise, mais doit se comprendre comme une circonstance fondée sur le comportement individuel de chaque entreprise.

( voir points 263-265 )

18. S’il est certes important qu’une entreprise ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, ce fait ne change rien à la réalité de l’infraction constatée. Il en résulte que le seul fait que, dans certains cas, la Commission ait pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la mise en place d’un programme d’alignement du comportement de l’entreprise sur les règles communautaires de concurrence en tant que circonstance atténuante n’implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans un cas déterminé.

La Commission n’est donc pas tenue de retenir un tel élément comme circonstance atténuante pour autant qu’elle se conforme au principe d’égalité de traitement, qui implique qu’il ne soit pas procédé à une appréciation différente sur ce point entre les entreprises destinataires d’une même décision.

( voir points 280-281 )

19. Ne constitue pas une coopération relevant du champ d’application de la communication de la Commission sur la coopération, ni, à plus forte raison, du point D de celle-ci qui vise notamment la transmission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve contribuant à confirmer l’existence de l’infraction commise, le fait pour une entreprise de mettre à la disposition de la Commission, dans le cadre de son enquête sur une entente, des informations relatives à des actes pour lesquels, en tout état de cause, elle n’aurait pas dû acquitter d’amende au titre du règlement n° 17.

( voir point 297 )

20. La mise à disposition, par une entreprise, d’une information qui n’a pas, en tant que telle, permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction avec plus de facilité, mais l’a néanmoins mise en mesure d’évaluer plus rigoureusement le degré de coopération d’une autre entreprise lors de la procédure aux fins de la détermination du montant de son amende, et a donc facilité la tâche de la Commission lors de son enquête, ne saurait être considérée comme constitutive d’une coopération relevant du champ d’application de la communication sur la coopération, mais est, en revanche, constitutive d’une collaboration effective en dehors du champ d’application de la communication au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA.

Dès lors, sauf à méconnaître cette disposition, une réduction du montant de l’amende doit être accordée au titre des circonstances atténuantes.

Cette solution s’impose d’autant plus que, dans le cadre de l’appréciation de la coopération fournie par des entreprises, la Commission ne saurait méconnaître le principe d’égalité de traitement. En effet, une entreprise qui, outre le fait d’avoir expressément admis la matérialité des faits dans le cadre de sa réponse à la communication des griefs, a facilité la tâche de la Commission sur d’autres points, dans le cadre d’une collaboration effective au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices, ne saurait être comparée à une entreprise qui a admis la matérialité des faits sans fournir d’autres informations.

( voir points 305-309 )

21. S’agissant du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, est admise l’existence d’un principe général du droit communautaire garantissant une protection contre les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient disproportionnées ou arbitraires. C’est à la lumière de ce principe que la Cour et le Tribunal exercent un contrôle sur l’exercice des pouvoirs de vérification conférés à la Commission en vertu du règlement n° 17.

Le respect du principe général susvisé implique, notamment, que l’intervention de la puissance publique ait un fondement légal et soit justifiée par des raisons prévues par la loi. À cet égard, le règlement nº 17 ne contient aucune disposition sur la possibilité d’effectuer et d’utiliser des enregistrements secrets, audiovisuels ou sonores.

( voir points 340-341 )

22. Eu égard au libellé des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, les pourcentages correspondant aux augmentations ou aux réductions, retenus au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes, doivent être appliqués au montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, et non au montant d’une majoration précédemment appliquée au titre de la durée de l’infraction ou au résultat de la mise en oeuvre d’une première majoration ou réduction au titre d’une circonstance aggravante ou atténuante. Cette méthode de calcul du montant des amendes permet de garantir une égalité de traitement entre différentes entreprises participant à un même cartel.

( voir point 378 )

Parties


Dans l’affaire T-224/00,

Archer Daniels Midland Co., établie à Decatur, Illinois (États-Unis),

Archer Daniels Midland Ingredients Ltd, établie à Erith (Royaume-Uni),

représentées par MM. L. Martin Alegi et E. W. Batchelor, solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. Lyal et W. Wils, en qualité d’agents, assistés de M. J. Flynn, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation partielle de la décision 2001/418/CE de la Commission, du 7 juin 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 – Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24) ou de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes et, d’autre part, une demande reconventionnelle de la Commission tendant à l’augmentation du montant de ladite amende,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. M. Vilaras, président, Mme V. Tiili et M. P. Mengozzi, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


Faits à l’origine du litige

1 Les requérantes, Archer Daniels Midland Co. (ci-après «ADM Company») et sa filiale européenne Archer Daniels Midland Ingredients Ltd (ci-après «ADM Ingredients»), opèrent dans le secteur de la transformation de céréales et de graines oléagineuses. Elles se sont implantées sur le marché de la lysine en 1991.

2 La lysine est le principal acide aminé utilisé dans l’alimentation animale à des fins nutritionnelles. La lysine synthétique est utilisée comme additif dans les aliments qui ne contiennent pas suffisamment de lysine naturelle, par exemple les céréales, afin de permettre aux nutritionnistes de composer des régimes à base de protéines répondant aux besoins alimentaires des animaux. Les aliments auxquels de la lysine synthétique est ajoutée peuvent également se substituer aux aliments contenant une quantité suffisante de lysine à l’état naturel, tel le soja.

3 En 1995, à l’issue d’une enquête secrète menée par le Federal Bureau of Investigation (FBI), des perquisitions ont été effectuées aux États-Unis dans les locaux de plusieurs entreprises actives sur le marché de la lysine. Aux mois d’août et d’octobre 1996, ADM Company ainsi que les sociétés Kyowa Hakko Kogyo Co. Ltd (ci-après «Kyowa»), Sewon Corp. Ltd, Cheil Jedang Corp. (ci-après «Cheil») et Ajinomoto Co. Inc., ont été inculpées par les autorités américaines pour avoir formé une entente ayant consisté à fixer les prix de la lysine et à répartir les volumes de vente de ce produit entre juin 1992 et juin 1995. À la suite d’accords conclus avec le ministère de la Justice américain, ces entreprises se sont vu imposer des amendes par le juge saisi du dossier, à savoir une amende de 10 millions de dollars des États-Unis (USD) pour Kyowa Hakko Kogyo et Ajinomoto, une amende de 70 millions de USD pour ADM Company et une amende de 1,25 million de USD pour Cheil. Le montant de l’amende imposée à Sewon Corp. s’élevait, selon cette dernière, à 328 000 USD. Par ailleurs, trois dirigeants d’ADM Company ont été condamnés à des peines d’emprisonnement et à des amendes pour leur rôle dans l’entente.

4 En juillet 1996, Ajinomoto a, sur la base de la communication 96/C 207/04 de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»), proposé à la Commission de coopérer avec elle pour établir l’existence d’un cartel sur le marché de la lysine et ses effets dans l’Espace économique européen (EEE).

5 Les 11 et 12 juin 1997, la Commission a procédé à des vérifications, en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), dans les installations européennes d’ADM Company et dans celles de Kyowa Hakko Europe GmbH. À la suite de ces vérifications, Kyowa Hakko Kogyo et Kyowa Hakko Europe ont fait connaître leur souhait de coopérer avec la Commission et lui ont fourni certaines informations concernant, notamment, la chronologie des réunions entre les producteurs de lysine.

6 Le 28 juillet 1997, la Commission a, en application de l’article 11 du règlement n° 17, adressé à ADM Company et ADM Ingredients, à Sewon Corp. et à sa filiale européenne Sewon Europe GmbH (ci-après, prises ensemble, «Sewon»), ainsi qu’à Cheil, des demandes de renseignements concernant leur comportement sur le marché des acides aminés et les réunions de l’entente identifiées dans ces demandes. Après une lettre de la Commission du 14 octobre 1997 leur rappelant qu’elles n’avaient pas répondu à ses demandes, ADM Ingredients a répondu à la demande de la Commission concernant le marché de la lysine. ADM Company n’a fourni aucune réponse.

7 Le 30 octobre 1998, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission a envoyé une communication des griefs à ADM Company et ADM Ingredients (ci-après, prises ensemble, «ADM») et aux autres entreprises concernées, à savoir Ajinomoto et sa filiale européenne Eurolysine SA (ci-après, prises ensemble, «Ajinomoto»), Kyowa Hakko Kogyo et sa filiale européenne Kyowa Hakko Europe (ci-après, prises ensemble, «Kyowa»), Daesang Corp. (anciennement Sewon Corp.) et sa filiale européenne Sewon Europe, et Cheil, pour violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’EEE (ci-après l'«accord EEE»). Dans sa communication des griefs, la Commission reprochait à ces entreprises d’avoir fixé les prix de la lysine dans l’EEE ainsi que des quotas de vente pour ce marché et d’avoir échangé des informations sur leurs volumes de vente, à partir des mois de septembre 1990 (Ajinomoto, Kyowa et Sewon), de mars 1991 (Cheil) et de juin 1992 (ADM) jusqu’au mois de juin 1995. Après réception de cette communication des griefs, les requérantes ont informé la Commission qu’elles ne contestaient pas la matérialité des faits.

8 À la suite de l’audition des entreprises concernées le 1er mars 1999, la Commission a, le 17 août 1999, envoyé à ces dernières une communication des griefs complémentaire concernant la durée de l’entente, dans laquelle il était conclu qu’Ajinomoto, Kyowa et Sewon avaient participé à l’entente au moins à partir du mois de juin 1990, Cheil au moins à partir du début de l’année 1991 et les requérantes à partir du 23 juin 1992. Les requérantes ont répondu à cette communication des griefs complémentaire le 6 octobre 1999, en confirmant qu’elles ne contestaient pas la matérialité des faits reprochés.

9 Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision 2001/418/CE, du 7 juin 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 – Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24, ci-après la «Décision»). La Décision a été notifiée aux requérantes par lettre du 16 juin 2000.

10 La Décision comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

[ADM Company] et sa filiale européenne [ADM Ingredients], Ajinomoto Company, Incorporated, et sa filiale européenne Eurolysine SA, Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et sa filiale européenne Kyowa Hakko Europe GmbH, Daesang Corporation et sa filiale européenne Sewon Europe GmbH, ainsi que [Cheil] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, du traité CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE en participant à des accords sur les prix, les volumes de ventes et l’échange d’informations individuelles sur les volumes de ventes de lysine synthétique, couvrant l’ensemble de l’EEE.

La durée de l’infraction a été la suivante:

a) dans le cas d'[ADM Company] et d'[ADM Ingredients]: du 23 juin 1992 au 27 juin 1995;

b) dans le cas d’Ajinomoto Company Incorporated et d’Eurolysine SA: au moins à partir de juillet 1990 jusqu’au 27 juin 1995;

c) dans le cas de Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et de Kyowa Hakko Europe GmbH: au moins à partir de juillet 1990 jusqu’au 27 juin 1995;

d) dans le cas de Daesang Corporation et de Sewon Europe GmbH: au moins à partir de juillet 1990 jusqu’au 27 juin 1995;

e) dans le cas de [Cheil]: du 27 août 1992 au 27 juin 1995.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l’article 1er, en raison de l’infraction constatée audit article:

a) [ADM Company] et

[ADM Ingredients]

(solidairement responsables) une amende de: 47 300 000 euros

b) Ajinomoto Company, Incorporated et

Eurolysine SA

(solidairement responsables) une amende d : 28 300 000 euros

c) Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et

Kyowa Hakko Europe GmbH

(solidairement responsables) une amende de: 13 200 000 euros

d) Daesang Corporation et

Sewon Europe GmbH

(solidairement responsables) une amende de: 8 900 000 euros

e) [Cheil], une amende de: 12 200 000 euros

[…]»

11 Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application, dans la Décision, de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices») ainsi que de la communication sur la coopération.

12 En premier lieu, le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, a été fixé à 39 millions d’euros en ce qui concerne ADM. S’agissant d’Ajinomoto, de Kyowa, de Cheil et de Sewon, le montant de base de l’amende a été fixé, respectivement, à 42, à 21, à 19,5 et à 21 millions d’euros (considérant 314 de la Décision).

13 Pour la fixation du montant de départ des amendes, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission a, tout d’abord, considéré que les entreprises concernées avaient commis une infraction très grave, eu égard à sa nature, à son impact concret sur le marché de la lysine dans l’EEE et à l’étendue du marché géographique concerné. Estimant ensuite, sur la base de leurs chiffres d’affaires totaux réalisés au cours de la dernière année de la période infractionnelle, qu’il existait une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs de l’infraction, la Commission a procédé à un traitement différencié. En conséquence, le montant de départ des amendes a été fixé à 30 millions d’euros pour ADM et Ajinomoto, et à 15 millions d’euros pour Kyowa, Cheil et Sewon (considérant 305 de la Décision).

14 Pour tenir compte de la durée de l’infraction commise par chaque entreprise et déterminer le montant de base de leur amende respective, le montant de départ ainsi déterminé a été majoré de 10 % par an, soit une majoration de 30 % pour ADM et Cheil, et de 40 % pour Ajinomoto, Kyowa et Sewon (considérant 313 de la Décision).

15 En deuxième lieu, au titre des circonstances aggravantes, les montants de base des amendes infligées à ADM et à Ajinomoto ont été majorés de 50 % chacun, soit 19,5 millions d’euros pour ADM et 21 millions d’euros pour Ajinomoto, au motif que ces entreprises avaient joué un rôle de meneur dans la commission de l’infraction (considérant 356 de la Décision).

16 En troisième lieu, au titre des circonstances atténuantes, la Commission a diminué de 20 % la majoration appliquée à l’amende de Sewon à raison de la durée de l’infraction, au motif que cette entreprise avait joué un rôle passif dans l’entente à compter du début de l’année 1995 (considérant 365 de la Décision). La Commission a, en outre, diminué de 10 % les montants de base des amendes de chacune des entreprises concernées, au motif qu’elles avaient toutes mis fin à l’infraction dès les premières interventions d’une autorité publique (considérant 384 de la Décision).

17 En quatrième lieu, la Commission a procédé à une «réduction significative» du montant des amendes, au sens du titre D de la communication sur la coopération. À ce titre, la Commission a consenti, à Ajinomoto et à Sewon, une réduction de 50 % du montant de l’amende qui leur aurait été infligée en l’absence de coopération, à Kyowa et à Cheil, une réduction de 30 % et, enfin, à ADM, une réduction de 10 % (considérants 431, 432 et 435 de la Décision).

Procédure et conclusions des parties

18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 août 2000, les requérantes ont introduit le présent recours.

19 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et a, au titre des mesures d’organisation de la procédure, demandé à la Commission de répondre par écrit à diverses questions. La défenderesse a déféré à cette demande dans le délai imparti.

20 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 25 avril 2002.

21 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal:

— annuler la disposition de la Décision leur infligeant une amende ou réduire le montant de cette dernière;

— condamner la Commission aux entiers dépens;

— ordonner à la Commission de leur rembourser toutes les dépenses liées à la constitution de la garantie aux fins du paiement de l’amende.

22 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

— rejeter le recours comme non fondé;

— augmenter le montant de l’amende infligée aux requérantes;

— condamner les requérantes aux dépens.

Sur la demande principale d’annulation de la disposition de la Décision infligeant à ADM une amende ou de réduction du montant de celle-ci

I – Sur l’applicabilité des lignes directrices

23 Les requérantes font grief à la Commission d’avoir effectué le calcul du montant de l’amende sur la base des critères établis par les lignes directrices, alors que l’entente incriminée avait pris fin avant leur publication. Elles en déduisent que la Commission a violé, d’une part, les principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité des peines et, d’autre part, le principe d’égalité de traitement.

Arguments des parties

1. Sur la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité des peines

Sur la recevabilité du moyen

24 La Commission estime que le moyen est irrecevable pour autant qu’il est tiré d’une prétendue violation du principe de non-rétroactivité. À cet égard, les requérantes n’invoqueraient aucune argumentation juridique et, en particulier, ne préciseraient nullement si, et dans quelle mesure, la notion de «non-rétroactivité» doit être distinguée de celles de sécurité juridique et de confiance légitime.

25 Les requérantes affirment que la violation du principe de non-rétroactivité est clairement exposée dans leur requête.

Sur le fond

26 Les requérantes font valoir que la méthode de calcul du montant des amendes établie par les lignes directrices s’écarte radicalement de la pratique passée de la Commission en la matière qui, comme elle l’avait admis dans la Décision (considérant 318), consistait à déterminer le montant de l’amende en fonction d’un taux de base représentant un certain pourcentage des ventes sur le marché communautaire concerné. À l’inverse, les lignes directrices introduiraient désormais un taux fixe d’amende, par exemple de 20 millions d’euros en cas d’infraction très grave, indépendamment du volume des ventes du produit concerné. Par conséquent, les requérantes estiment que, dans la mesure où la méthode précédente de calcul du montant des amendes avait été largement portée à la connaissance des opérateurs et était encore en vigueur au moment de l’infraction, la Commission ne pouvait pas donner un effet rétroactif aux lignes directrices sans violer le principe de sécurité juridique et porter atteinte à leur confiance légitime.

27 À cet égard, l’argument de la Commission, exposé au considérant 317 de la Décision, tiré de l’arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission (T-141/94, Rec. p. II-347, point 666), serait manifestement erroné. À l’inverse de l’entreprise visée dans cet arrêt, sanctionnée conformément aux règles en vigueur à la date de l’infraction, ADM se serait vu appliquer une méthode de calcul qui n’était même pas envisagée à l’époque où l’infraction a été commise.

28 Les requérantes considèrent, par ailleurs, que l’application rétroactive des lignes directrices n’est pas justifiée par le pouvoir discrétionnaire dont jouirait la Commission pour adapter sa politique générale en matière d’amendes. La jurisprudence issue des arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a/Commission (100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 108), et du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission (T-12/89, Rec. p. II-907), ne serait pas applicable en l’espèce, car elle concernerait des affaires dans lesquelles les modifications intervenues dans le montant des amendes ne résultaient pas d’un changement complet de méthodologie, mais de simples majorations des pourcentages appliqués au chiffre d’affaires afférent aux ventes du produit concerné. En outre, selon les requérantes, contrairement aux changements de politique qui étaient en cause dans les arrêts précités, l’objectif de dissuasion était suffisamment atteint à l’époque de l’adoption de la Décision du fait de la publication des lignes directrices, de sorte qu’il était manifestement disproportionné de leur donner une application rétroactive. En tout état de cause, la marge d’appréciation conférée à la Commission lors de la fixation du niveau des amendes ne pourrait, en aucun cas, aboutir à infliger des amendes de 15 à 20 fois plus élevées que celles qui auraient été fixées selon la pratique existante au moment de l’infraction. Ce faisant, la Commission aurait donc violé les principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de non-rétroactivité.

29 Quant à l’argument selon lequel il serait également courant, aux États-Unis, que la sanction d’une infraction pénale soit établie sur la base de la pratique suivie au moment de la décision et non pas sur la base de celle qui existait à la date de l’infraction, les requérantes l’estiment dénué de fondement. Ainsi qu’il résulterait du manuel des lignes directrices de la Sentencing Commission des États-Unis [point 1 B 1.11(b)(1)] et de la jurisprudence d’une cour d’appel fédérale [arrêt United States v. Kimler, 167 F. 3d 889, (5th Circ. 1999)], l’application avec effet rétroactif de nouvelles lignes directrices en matière d’amendes serait interdite par la règle ex post facto de la Constitution des États-Unis, lorsqu’elle aboutit à infliger une peine plus lourde que celle qui était prévue au moment de la commission de l’infraction.

30 La Commission soutient qu’il n’y a eu aucune pénalisation rétroactive dans la mesure où les lignes directrices ne changeraient pas les sanctions applicables en vertu de l’article 15 du règlement n° 17, mais se limiteraient à exposer la manière dont la Commission entend exercer son pouvoir d’infliger des amendes en tenant compte de la gravité et de la durée de l’infraction.

31 Elle fait valoir, par ailleurs, que si, avant l’adoption de ses lignes directrices, elle suivait fréquemment une approche fondée sur le chiffre d’affaires il ne s’agissait nullement d’une pratique constante.

32 Enfin, il ressortirait de la jurisprudence que la Commission peut, à tout moment, augmenter le niveau général des amendes, le cas échéant après la communication des griefs (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, points 22 et 109). Or, en l’espèce, les lignes directrices avaient été publiées près d’un an avant que la communication des griefs ne soit adressée à chacune des entreprises concernées.

2. Sur la violation du principe d’égalité de traitement

33 Les requérantes soutiennent que l’application des lignes directrices enfreint le principe d’égalité de traitement, car elle conduit à différencier les entreprises ayant commis une infraction au droit de la concurrence en fonction non pas de la date de l’infraction, mais de la date d’adoption de la décision de la Commission fixée par cette dernière de manière arbitraire. À titre d’exemple, les requérantes exposent que l’entreprise visée dans la décision 97/624/CE de la Commission, du 14 mai 1997, relative à une procédure d’application de l’article [82] du traité CE (IV/34.621, 35.059/F-3 – Irish Sugar plc) (JO L 258, p. 1), s’est vu infliger une amende ne représentant que 6,8 % du montant des ventes réalisées sur le marché pertinent, alors que l’infraction en cause était concomitante à l’entente sur la lysine. Contrairement à ce que soutient la Commission, le fait que les lignes directrices aient entre-temps été publiées ne constituerait pas une raison objective justifiant le traitement différent auquel est soumis ADM.

34 La Commission estime que deux entreprises ayant commis des infractions identiques au même moment, mais qui sont sanctionnées à des moments différents, sont placées dans une situation différente si une nouvelle politique en matière d’amendes intervient entre-temps. En revanche, le principe d’égalité de traitement aurait été enfreint en cas d’application simultanée de politiques différentes.

35 À l’argument selon lequel la Commission détermine, de manière arbitraire, la date à laquelle elle adopte sa décision, celle-ci rétorque que la durée d’une procédure est déterminée par certaines contingences, telles que la complexité et l’ampleur de l’entente ainsi que l’exercice des droits de la défense. Elle ajoute que des entreprises qui sont parvenues à dissimuler plus longtemps leur entente et à n’être confondues que tardivement ne devraient pas pouvoir profiter de cette réussite en réclamant, en outre, l’application d’une amende analogue à celle infligée aux entreprises ayant commis des infractions concomitantes.

Appréciation du Tribunal

1. Sur la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité des peines

Sur la recevabilité du moyen

36 Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (arrêts du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T-102/92, Rec. p. II-17, point 68, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352/94, Rec. p. II-1989, point 333).

37 En l’espèce, les requérantes reprochent clairement à la Commission, dans la requête et à plusieurs reprises, d’avoir appliqué rétroactivement les lignes directrices et en déduisent explicitement que la Commission a violé le principe de non-rétroactivité. Ces indications étaient, en outre, suffisamment claires et précises étant donné qu’elles n’ont pas empêché la Commission de répondre aux arguments soulevés dès le stade du mémoire en défense et qu’elles permettent au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel.

38 Il convient donc de rejeter l’argumentation de la Commission et de déclarer le moyen recevable dans son ensemble.

Sur le fond

— Sur la violation des principes de non-rétroactivité des peines et de sécurité juridique

39 Il y a lieu de rappeler que le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres, consacré également par l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950, et fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (arrêt de la Cour du 10 juillet 1984, Kirk, 63/83, Rec. p. 2689, point 22, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23/99, Rec. p. II-1705, point 219).

40 Même s’il ressort de l’article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 235), il n’en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit communautaire, et notamment celui de non-rétroactivité, dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en application des règles de concurrence du traité (voir, par analogie, en ce qui concerne les droits de la défense, arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 7, et arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 220).

41 Ce respect exige que les sanctions infligées à une entreprise pour une infraction aux règles de la concurrence correspondent à celles qui étaient fixées à l’époque où l’infraction a été commise (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 221).

42 À cet égard, il y a lieu de préciser que les sanctions pouvant être imposées par la Commission pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence sont définies par l’article 15 du règlement n° 17, adopté antérieurement à la date à laquelle l’infraction a été commise. Or, d’une part, la Commission n’a pas le pouvoir de modifier le règlement n° 17 ou de s’en écarter, fût-ce par des règles de nature générale qu’elle s’impose à elle-même. D’autre part, s’il est constant que la Commission a déterminé le montant de l’amende imposée aux requérantes conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes exposée dans les lignes directrices, il y a lieu de constater que, ce faisant, elle est restée dans le cadre des sanctions définies par l’article 15 du règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 222).

43 En effet, aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, «[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille [euros] au moins et de un million d'[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence […] elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, […] du traité». Il est prévu, dans la même disposition, que, «[p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci» (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 223).

44 Or, les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 224).

45 Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction (ci-après le «montant de départ général»). L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les «infractions peu graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 et 1 million d’euros, les «infractions graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageables peut varier entre 1 million et 20 millions d’euros et les «infractions très graves» pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d’euros (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tiret) (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 225).

46 Ensuite, les lignes directrices énoncent que, à l’intérieur de chacune des catégories d’infractions précitées, et notamment pour les catégories dites «graves» et «très graves», l’échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa). De plus, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d’infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridiques et économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa) (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, points 225 et 226).

47 À l’intérieur de chacune des trois catégories définies ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature et d’adapter en conséquence le montant de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (ci-après le «montant de départ spécifique») (point 1 A, sixième alinéa) (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 227).

48 Quant au facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tiret) (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 228).

49 Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d’exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base, puis se réfèrent à la communication sur la coopération (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 229).

50 À titre de remarque générale, les lignes directrices précisent que le résultat final du calcul de l’amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d’aggravation et d’atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu’il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles que le contexte économique spécifique, l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)] (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 230).

51 Il s’ensuit que, suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes reste effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité de l’infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 231).

52 Par conséquent, les lignes directrices ne vont pas au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 232).

53 Contrairement à ce que prétendent les requérantes, le changement qu’entraîneraient les lignes directrices par rapport à la pratique administrative antérieure de la Commission ne constitue pas non plus une altération du cadre juridique déterminant le montant des amendes pouvant être infligées, contraire au principe général de non-rétroactivité des dispositions pénales ou à celui de sécurité juridique (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 233).

54 En effet, d’une part, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est, uniquement, défini dans le règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 234).

55 D’autre part, au regard de la marge d’appréciation laissée par le règlement n° 17 à la Commission, l’introduction par celle-ci d’une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation du niveau général des amendes, sans pour autant excéder la limite maximale fixée par le même règlement, ne peut être considérée comme une aggravation, avec effet rétroactif, des amendes telles qu’elles sont juridiquement prévues par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 235).

56 Il est sans pertinence, à cet égard, d’avancer que le calcul du montant des amendes suivant la méthode exposée dans les lignes directrices, notamment à partir d’un montant déterminé, en principe, en fonction de la gravité de l’infraction, peut amener la Commission à infliger des amendes plus élevées que dans sa pratique antérieure. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59; du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127). En outre, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109; arrêt Solvay/Commission, précité, point 309, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304/94, Rec. p. II-869, point 89). L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109 et LR AF 1998/Commission, précité, points 236 et 237).

57 L’interprétation restrictive de la jurisprudence susvisée avancée par les requérantes pour en contester l’applicabilité à la présente espèce ne saurait, au demeurant, être retenue par le Tribunal. En effet, ladite jurisprudence est formulée en des termes généraux qui ne permettent pas d’exclure l’hypothèse où l’augmentation du niveau des amendes infligées procède de l’introduction par la Commission d’une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes telles qu’elles sont juridiquement prévues par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

58 Enfin, dans la mesure où il est reproché à la Commission de ne pas avoir déterminé le montant de l’amende en se fondant sur le chiffre d’affaires afférent aux ventes de lysine dans l’EEE, c’est-à-dire afférent aux ventes du produit ayant fait l’objet de l’infraction sur le marché géographique en cause, il convient de rappeler que la seule référence expresse au chiffre d’affaires contenue dans l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 concerne la limite supérieure que le montant d’une amende ne peut dépasser. En outre, selon une jurisprudence constante, ce chiffre d’affaires s’entend comme étant relatif au chiffre d’affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 119; arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43/92, Rec. p. II-441, point 160, et du 6 avril 1995, Cockerill-Sambre/Commission, T-144/89, Rec. p. II-947, point 98). Il a été jugé, avant l’adoption des lignes directrices, que la Commission peut, en vue de la détermination du montant des amendes, tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des produits ayant fait l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. Il ne faut, par ailleurs, attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant d’une amende appropriée ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global (voir, notamment, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, points 120 et 121; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77/92, Rec. p. II-549, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327/94, Rec. p. II-1373, point 176).

59 Il a également été jugé, avant l’adoption des lignes directrices, que la Commission est en droit de calculer une amende sans tenir compte des divers chiffres d’affaires des entreprises concernées, sous réserve de l’application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, fixant le seuil maximal de l’amende susceptible d’être infligée. Ainsi, la Cour a estimé que la Commission pouvait déterminer au préalable le montant global de l’amende et le répartir ensuite entre les entreprises en fonction de la part de marché moyenne détenue par chacune et d’éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes propres à chacune (voir arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Boehringer/Commission, 45/69, Rec. p. 769, point 55, et du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 51 à 53).

60 Il résulte de la jurisprudence susvisée que, indépendamment de la méthode désormais indiquée dans les lignes directrices, les requérantes ne pouvaient pas, en tout état de cause, prétendre à la fixation du montant final de l’amende sur la base d’un pourcentage de leur chiffre d’affaires sur le marché concerné.

61 Il résulte des considérations qui précèdent que le moyen tiré de la violation des principes de non-rétroactivité des peines et de sécurité juridique doit être rejeté.

— Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

62 Il convient de rappeler, en premier lieu, que le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire a fait naître chez lui des espérances fondées (arrêts de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products/Commission, 265/85, Rec. p. 1155, point 44, et du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477, point 26). En outre, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration (voir arrêt du Tribunal du 18 janvier 2000, Mehibas Dordtselaan/Commission, T-290/97, Rec. p. II-15, point 59, et la jurisprudence citée).

63 En l’espèce, il suffit de relever que les requérantes ne se prévalent d’aucun comportement de l’administration ayant pu faire naître chez elles l’espoir de voir maintenue la méthode antérieure qui était, prétendument, appliquée de manière constante par la Commission. Leur seul argument consiste à affirmer la nécessité d’appliquer la pratique décisionnelle antérieure. Or, il est exclu que des entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende puissent acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission maintiendra une prétendue pratique décisionnelle antérieure en matière de calcul du montant des amendes.

64 En effet, il convient de rappeler, en second lieu, que, selon une jurisprudence constante (arrêts de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec. p. I-395, point 33, et du 23 novembre 2000, British Steel/Commission, C-1/98 P, Rec. p. I-10349, point 52), les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions communautaires.

65 Or, dans le domaine des règles communautaires de concurrence, il résulte clairement de la jurisprudence (voir, notamment, arrêt Musique diffusion française e.a/Commission, précité, point 109) que leur application efficace exige que la Commission puisse, à tout moment, adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique de concurrence. En conséquence, le fait que la Commission a appliqué, par le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17.

66 En outre, selon cette même jurisprudence, la Commission n’est pas tenue d’indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d’un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau général des amendes, lorsque cette possibilité dépend de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières des affaires en cause (arrêt Musique diffusion française e.a/Commission, précité, point 22).

67 L’adoption des lignes directrices, dans lesquelles la Commission a établi une nouvelle méthode générale pour le calcul du montant des amendes, étant à la fois antérieure à la communication des griefs adressée à chacune des entreprises membres du cartel et indépendante des circonstances particulières de l’espèce, il en résulte, à plus forte raison, que les requérantes ne sauraient reprocher à la Commission d’en avoir fait application aux fins de déterminer le montant de l’amende, sauf à démontrer, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, que l’administration avait fait naître chez elles des espérances fondées en sens contraire.

68 Dans ces circonstances, le grief tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime doit être rejeté.

2. Sur la violation du principe d’égalité de traitement

69 Selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T-311/94, Rec. p. II-1129, point 309, et la jurisprudence citée).

70 Dans le domaine de la répression des infractions aux règles de concurrence, le respect de ce principe exige, sans doute, que des entreprises ayant commis des infractions de même nature à des périodes concomitantes soient exposées aux mêmes sanctions légales, indépendamment de la date nécessairement aléatoire à laquelle une décision est prise contre elles. Dans cette mesure, ce principe est étroitement lié au principe de non-rétroactivité des peines, en vertu duquel la sanction infligée à une entreprise pour une infraction aux règles de concurrence doit correspondre à celle qui était prévue à l’époque où l’infraction a été commise.

71 Toutefois, en l’espèce, les requérantes ne sauraient valablement se prévaloir d’une violation de ce principe au seul motif que la Commission a fait application des lignes directrices pour procéder au calcul du montant de l’amende, plutôt que de la méthode pratiquée dans certaines décisions antérieures à l’entrée en vigueur des lignes directrices, telles que la décision 97/624, méthode qui consistait à déterminer le montant final de l’amende en fixant un pourcentage du chiffre d’affaires provenant de la vente du produit ayant fait l’objet de l’infraction sur le marché géographique en cause.

72 En effet, ainsi qu’il a déjà été souligné, le changement que l’adoption des lignes directrices a pu entraîner par rapport à la pratique administrative existante de la Commission ne constitue pas une altération du cadre juridique déterminant le montant des amendes pouvant être infligées en raison d’infractions aux règles communautaires de concurrence, celui-ci étant uniquement défini par le règlement n° 17. Suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes reste effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité et la durée de l’infraction, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition. Le fait que les lignes directrices établissent une nouvelle méthode de calcul, dans laquelle sont énumérés les éléments pris en compte aux fins d’évaluer la gravité et la durée de l’infraction, ne modifie donc pas les amendes auxquelles les entreprises s’exposaient déjà avant leur adoption.

73 Il s’ensuit que le fait d’avoir appliqué la méthode énoncée dans les lignes directrices pour calculer le montant de l’amende d’ADM ne saurait être constitutif d’un traitement discriminatoire par rapport aux entreprises ayant commis des infractions aux règles communautaires de concurrence durant la même période mais qui, pour des raisons tenant à la date de découverte de l’infraction ou propres au déroulement de la procédure administrative les concernant, ont fait l’objet de condamnations à des dates antérieures à l’entrée en vigueur des lignes directrices. En effet, dans les deux cas, les amendes auxquelles ces entreprises étaient exposées au moment de la commission de l’infraction demeuraient dans les limites prévues à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

74 D’ailleurs, à supposer même que la Commission ait adopté sa Décision à une date plus avancée et n’ait pu faire application des lignes directrices, il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 58 et 59 ci-dessus, antérieure à l’adoption des lignes directrices, que les requérantes n’auraient pas pu prétendre avoir droit à la fixation du montant de l’amende sur la base du chiffre d’affaires provenant des ventes du produit faisant l’objet de l’infraction sur le marché affecté, au seul motif que le montant des amendes infligées à des entreprises ayant commis des infractions aux règles communautaires de concurrence durant la même période avait été calculé suivant cette méthode.

75 Dans ces conditions, le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement doit être rejeté.

II – Sur l’incidence des amendes déjà infligées dans d’autres pays

76 Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir déterminé le montant de l’amende sans tenir compte des amendes déjà infligées à ADM Company dans d’autres pays en raison des mêmes faits. À l’appui de ce grief, elles invoquent une violation du principe d’interdiction du cumul des sanctions et un défaut de prise en compte de l’effet dissuasif des amendes déjà infligées.

Arguments des parties

1. Sur le principe d’interdiction du cumul des sanctions et l’obligation pour la Commission de prendre en compte les sanctions infligées antérieurement

77 Les requérantes font valoir que, par son refus de déduire de l’amende fixée par la Décision le montant des amendes déjà infligées à ADM Company aux États-Unis et au Canada, la Commission a violé le principe interdisant le cumul de sanctions pour une même infraction. Ainsi qu’il résulterait de l’arrêt de la Cour du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission (7/72, Rec. p. 1281), la Commission serait obligée d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un pays tiers si les faits retenus contre l’entreprise requérante par la Commission, d’une part, et par ces autorités, d’autre part, sont identiques. Tel serait précisément le cas en l’espèce, puisque, à l’inverse de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, l’entente sanctionnée par les autorités américaines et canadiennes était la même, de par son objet, sa localisation et sa durée, que celle sanctionnée par la Commission, laquelle se serait d’ailleurs fondée sur les éléments de preuve réunis par les autorités américaines.

78 À cet égard, les requérantes contestent l’appréciation contenue dans la Décision, selon laquelle les amendes infligées aux États-Unis et au Canada auraient uniquement pris en considération les effets anticoncurrentiels de l’entente dans le ressort de ces juridictions (considérant 311 de la Décision). Aux États-Unis, le jugement rendu contre ADM Company le 15 octobre 1996 ferait, au contraire, ressortir que l’entente condamnée était mondiale et entravait le commerce «aux États-Unis et ailleurs». L’amende infligée serait, par ailleurs, d’un montant particulièrement élevé en raison de la portée géographique de l’infraction. En ce qui concerne la procédure suivie au Canada, le fait qu’il s’agissait d’une entente mondiale aurait également été spécifiquement pris en compte.

79 En tout état de cause, à supposer même que l’affirmation de la Commission soit exacte, le fait que d’autres autorités n’aient pris en compte que les effets locaux d’une infraction serait dénué de pertinence aux fins de l’application du principe d’interdiction du cumul des sanctions. En effet, selon l’arrêt du 14 décembre 1972 Boehringer/Commission, précité, seule serait déterminante, à ce titre, l’identité des comportements incriminés. Cette approche serait confirmée par la pratique de la Commission elle-même qui, dans une décision de 1983, avait déduit du montant de l’amende infligée à des entreprises ayant participé à une entente le montant de l’amende déjà fixé par les autorités allemandes, alors qu’elle ne statuait que sur les aspects de cette entente qui étaient extérieurs à l’Allemagne [voir décision 83/546/CEE de la Commission, du 17 octobre 1983, relative à une procédure d’application de l’article [81] du traité instituant la Communauté économique européenne (IV/30.064 – Cylindres en fonte et en acier moulés) (JO L 317, p. 1)].

80 L’existence de cette pratique antérieure de la Commission démontrerait en outre que, en refusant de tenir compte des amendes déjà infligées à ADM Company, celle-ci a non seulement méconnu le principe d’interdiction du cumul des sanctions, mais aussi violé le principe d’égalité de traitement.

81 Enfin, les requérantes estiment que la Commission a également violé le principe d’interdiction du cumul des sanctions en tenant compte du chiffre d’affaires mondial d’ADM, qui comprend le chiffre d’affaires réalisé aux États-Unis, lequel avait déjà été pris en considération par les autorités américaines, canadiennes et mexicaines pour fixer des amendes très élevées. Pour éviter une double sanction, il convenait donc, selon les requérantes, que la Commission ne tienne compte que de la part du chiffre d’affaires provenant des ventes de lysine dans l’EEE.

82 La Commission expose, en substance, que les amendes infligées par des autorités d’États tiers ne sanctionnent que les violations de leur droit national de la concurrence et qu’elles ne sont pas compétentes pour sanctionner les violations du droit communautaire de la concurrence. La circonstance selon laquelle diverses autorités aient eu à examiner les mêmes faits serait dénuée de pertinence, un même fait pouvant constituer une infraction à l’égard de plusieurs ordres juridiques. Quant à sa pratique décisionnelle, elle concernerait les amendes infligées non par des autorités d’États tiers, mais par des autorités des États membres et viserait précisément à éviter qu’un comportement anticoncurrentiel fasse l’objet d’une double sanction dans la Communauté elle-même.

2. Sur l’effet dissuasif des amendes déjà infligées

83 Les requérantes estiment que la Commission a omis de prendre en compte, lors de la détermination du montant de l’amende, le fait qu’ADM Company avait déjà été condamnée, dans des pays tiers, à des amendes et à des dommages-intérêts d’un montant suffisant pour la dissuader de commettre toute nouvelle infraction au droit de la concurrence. ADM aurait été, dès lors, suffisamment sanctionnée.

84 La Commission rétorque que, lorsqu’elle exerce son pouvoir d’infliger des amendes, elle tient compte de la nécessité de dissuasion au regard de la situation dans la Communauté européenne. Une entreprise ayant participé à une entente mondiale ne doit pas s’attendre à un traitement plus indulgent qu’une entreprise qui participe à une entente limitée à l’Europe. L’objectif de dissuasion auprès d’entreprises telles qu’ADM ne serait pas atteint si la Commission devait s’abstenir d’infliger de lourdes amendes pour des violations flagrantes du droit communautaire de la concurrence au motif que son auteur s’est déjà vu infliger des amendes pour des infractions au droit de la concurrence de pays tiers. Quant au niveau des dommages-intérêts exigés dans le cadre d’actions civiles, il serait sans rapport avec le niveau approprié des sanctions administratives.

Appréciation du Tribunal

1. Sur la violation du principe de non-cumul des sanctions et de la prétendue obligation de la Commission de prendre en compte les sanctions infligées antérieurement

85 Il ressort de la jurisprudence que le principe non bis in idem, également consacré par l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH, constitue un principe général du droit communautaire dont le juge assure le respect (arrêts de la Cour du 5 mai 1966, Gutmann/Commission, 18/65 et 35/65, Rec. p. 149, 172, et du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, point 3; arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931, point 96, confirmé, sur ce point, par arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375 point 59).

86 Dans le domaine du droit communautaire de la concurrence, ce principe interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois par la Commission du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure de la Commission qui n’est plus susceptible de recours.

87 En outre, la jurisprudence a admis la possibilité d’un cumul de sanctions, l’une communautaire, l’autre nationale, à la suite de l’existence de deux procédures parallèles, poursuivant des fins distinctes, dont l’admissibilité résulte du système particulier de répartition des compétences entre la Communauté et les États membres en matière d’ententes. Cependant, une exigence générale d’équité implique que, en fixant le montant de l’amende, la Commission est obligée de tenir compte de sanctions qui auraient déjà été supportées par la même entreprise pour le même fait, lorsqu’il s’agit de sanctions infligées pour infractions au droit des ententes d’un État membre et, par conséquent, commises sur le territoire communautaire (voir arrêts de la Cour du 13 février 1969, Wilhelm e.a., 14/68, Rec. p. 1, point 11, et du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, point 3; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, point 191, et Sotralentz/Commission, T-149/89, Rec. p. II-1127, point 29).

88 Pour autant que les requérantes allèguent que, en leur infligeant une amende pour la participation à une entente déjà sanctionnée par les autorités américaines et canadiennes, la Commission a violé le principe non bis in idem, selon lequel il ne peut être infligé une deuxième sanction à la même personne pour la même infraction, il y a lieu de considérer que cette argumentation ne peut être retenue par le Tribunal.

89 À cet égard, il suffit de rappeler que le juge communautaire a admis qu’une entreprise peut valablement faire l’objet de deux procédures parallèles pour une même infraction et donc d’une double sanction, l’une par l’autorité compétente de l’État membre en cause, l’autre communautaire. Cette possibilité de cumul de sanctions est justifiée par le fait que lesdites procédures poursuivent des fins distinctes (voir arrêts Wilhelm e.a., précité, point 11, Tréfileurope/Commission, précité, point 191, et Sotralentz/Commission, précité, point 29).

90 Dans ces conditions, le principe non bis in idem ne peut, à plus forte raison, trouver à s’appliquer en l’espèce, les procédures diligentées et les sanctions infligées par la Commission, d’une part, et par les autorités américaines et canadiennes, d’autre part, ne poursuivant pas, à l’évidence, les mêmes objectifs. Si dans le premier cas, il s’agit de préserver une concurrence non faussée sur le territoire de l’Union européenne ou dans l’EEE, la protection recherchée concerne, dans le second cas, le marché américain ou canadien.

91 Cette conclusion se trouve confortée par la portée du principe d’interdiction du cumul des sanctions, tel qu’il est consacré par l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH et appliqué par la Cour européenne des droits de l’homme. Il résulte du libellé dudit article que ce principe a seulement pour effet d’interdire à une juridiction d’un État de se saisir de, ou de réprimer, une infraction pour laquelle la personne mise en cause a déjà été acquittée ou condamnée dans ce même État. En revanche, le principe non bis in idem n’interdit pas qu’une personne soit poursuivie ou punie plus d’une fois pour un même fait dans deux États différents, ou plus (voir Cour eur. D. H., décision Krombach c. France du 29 février 2000, non publiée).

92 Il importe, également, de souligner qu’il n’existe pas, actuellement, de principe de droit international public interdisant à des autorités ou à des juridictions d’États différents de poursuivre et de condamner une personne en raison des mêmes faits. Une telle interdiction ne pourrait donc aujourd’hui résulter que d’une coopération internationale très étroite débouchant sur l’adoption de règles communes telles que celles figurant dans la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée le 19 juin 1990 à Schengen (Luxembourg). À cet égard, il n’a pas été excipé par les requérantes de l’existence d’un texte conventionnel liant la Communauté et des États tiers tels que les États-Unis ou le Canada et prévoyant une telle interdiction.

93 Il y a lieu, certes, d’observer que l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), prévoit que nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. Force est de constater, toutefois, que, indépendamment de la question de savoir si le texte précité a ou non force juridique contraignante, ce dernier n’a vocation à s’appliquer que sur le territoire de l’Union et délimite expressément la portée du droit défini en son article 50 aux cas où la décision d’acquittement ou de condamnation en cause a été prononcée à l’intérieur de ce territoire.

94 Il s’ensuit que, dans la mesure où les requérantes invoquent une violation du principe non bis in idem au motif que l’entente en question a également fait l’objet de condamnations en dehors du territoire communautaire ou que la Commission a pris en compte dans la Décision le chiffre d’affaires global d’ADM qui comprend le chiffre d’affaires réalisé par ADM Company aux États-Unis et au Canada déjà pris en considération par les autorités américaines et canadiennes pour fixer des amendes, il y a lieu de rejeter ce grief.

95 Pour autant que les requérantes allèguent que, en refusant de déduire de l’amende fixée par la Décision le montant des amendes déjà infligées à ADM Company aux États-Unis et au Canada ou en prenant en compte dans la Décision le chiffre d’affaires global d’ADM, la Commission a méconnu l’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, selon lequel la Commission serait obligée d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un pays tiers si les faits retenus contre l’entreprise requérante par la Commission, d’une part, et par ces autorités, d’autre part, sont identiques, il y a lieu de considérer que cette argumentation ne peut davantage être retenue par le Tribunal.

96 Il convient de rappeler que, dans l’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, la Cour a indiqué (point 3):

«[…] en ce qui concerne la question de savoir si la Commission peut également être tenue d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un État tiers, elle n’aurait besoin d’être tranchée que si les faits retenus en l’espèce contre la requérante par la Commission, d’une part, et les autorités américaines, d’autre part, sont identiques.»

97 Les requérantes déduisent, a contrario, du point 3 susmentionné que la Commission était obligée de prendre en compte les sanctions infligées par les autorités américaines et canadiennes à ADM Company pour sa participation à l’entente mondiale sur la lysine, qui serait la même, de par son objet, sa localisation, sa durée, que celle visée par la Commission dans sa Décision leur infligeant une amende de 47,3 millions d’euros.

98 Il convient, en premier lieu, d’observer qu’il résulte à l’évidence du libellé du point 3 de l’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, que la Cour n’a pas tranché la question de savoir si la Commission est tenue d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un État tiers dans l’hypothèse où les faits retenus contre une entreprise par cette institution et par lesdites autorités seraient identiques. Il résulte dudit point que la Cour a fait de l’identité des faits incriminés par la Commission et les autorités d’un État tiers une condition préalable à l’interrogation susvisée.

99 Il importe, en second lieu, de souligner que c’est en considération de la situation particulière qui résulte, d’une part, de l’étroite interdépendance des marchés nationaux des États membres et du marché commun et, d’autre part, du système particulier de répartition des compétences entre la Communauté et les États membres en matière d’ententes sur un même territoire, celui du marché commun, que la Cour, ayant admis la possibilité d’une double poursuite, a, eu égard à l’éventuelle double sanction qui en découle, jugé nécessaire la prise en compte de la première décision répressive conformément à une exigence d’équité (voir arrêt Wilhelm e.a., précité, point 11, et conclusions de l’avocat général M. Mayras sous l’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, Rec. p. 1293, 1301 à 1303).

100 Or, une telle situation fait à l’évidence défaut dans le cas présent et, dès lors, en l’absence d’allégation d’une disposition conventionnelle expresse prévoyant l’obligation pour la Commission, lors de la fixation du montant d’une amende, de tenir compte de sanctions déjà infligées à la même entreprise pour le même fait par des autorités ou des juridictions d’un État tiers, tels que les États-Unis ou le Canada, les requérantes ne sauraient valablement reprocher à la Commission d’avoir méconnu, en l’espèce, cette prétendue obligation.

101 En tout état de cause, à supposer même qu’il puisse être déduit, a contrario, de l’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, que la Commission est tenue d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un État tiers dans l’hypothèse où les faits retenus contre l’entreprise en cause par cette institution et par lesdites autorités sont identiques, la preuve d’une telle identité, qu’il appartient aux requérantes de rapporter (arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, point 5) n’a pas été fournie en l’espèce.

102 En ce qui concerne la condamnation d’ADM Company aux États-Unis, il ressort du jugement rendu le 15 octobre 1996 par la United States District Court, à la suite d’un accord conclu avec le ministère de la Justice américain, que cette entreprise a été condamnée, d’une part, à une amende de 70 millions de USD pour sa participation à l’entente sur la lysine et, d’autre part, à une amende de 30 millions de USD pour sa participation à une entente sur l’acide citrique. Il résulte des documents produits par les requérantes qu’ADM Company a également été condamnée, au Canada, à une amende de 16 millions de dollars canadiens pour sa participation à deux ententes concernant la lysine et l’acide citrique. Il apparaît, dès lors, que les condamnations aux États-Unis et au Canada visaient un ensemble plus large d’accords et de pratiques concertées. En particulier, il est à noter que, pour évaluer le montant de l’amende, la juridiction américaine a pris en compte le volume des transactions commerciales réalisées «à la fois sur le marché de la lysine et sur celui de l’acide citrique» (point 7 du jugement).

103 À supposer même que la condamnation concernant l’entente sur la lysine puisse être considérée comme distincte de celle relative à l’entente sur l’acide citrique, il convient de souligner que, bien que le jugement rendu aux États-Unis évoque le fait que l’entente sur la lysine avait pour objet de restreindre la production et d’augmenter les prix de la lysine «aux États-Unis et ailleurs», il n’est nullement établi que la condamnation prononcée aux États-Unis ait visé des applications ou des effets de l’entente autres que ceux intervenus dans ce pays (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, précité, point 6) et en particulier dans l’EEE, ce qui, au demeurant, aurait manifestement empiété sur la compétence territoriale de la Commission. Cette dernière observation vaut également pour la condamnation infligée au Canada. À cet égard, il résulte des débats à l’audience que les amendes imposées par les juridictions américaines et canadiennes ont été calculées à partir du chiffre d’affaires réalisé par ADM Company sur le territoire de ces deux États. En outre, il est incontestable que la Commission a mené sa propre enquête (considérants 167 à 175 de la Décision) et s’est livrée à sa propre appréciation des moyens de preuve qui lui étaient soumis (voir, en ce sens, décision Krombach c. France, précitée).

104 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le grief des requérantes tiré d’une violation par la Commission d’une prétendue obligation d’imputer les sanctions infligées antérieurement par les autorités d’États tiers ainsi que celui, invoqué incidemment par les requérantes, de la violation du principe d’égalité de traitement, la référence à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission étant, à cet égard, dépourvue de pertinence. Cette dernière concerne, en effet, des situations qui ne sont pas comparables à celle d’ADM, ce qui justifie l’absence d’un traitement identique.

2. Sur l’effet dissuasif des amendes déjà infligées

105 Selon la jurisprudence, le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE ou de l’article 82 CE constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comprend certainement la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais elle comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 105).

106 Il s’ensuit que la Commission a le pouvoir de décider du niveau du montant des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif lorsque des infractions d’un type déterminé sont encore relativement fréquentes, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière de concurrence, en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 108).

107 À cet égard, le point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices prévoit, notamment, qu’il est nécessaire, dans le cadre de l’évaluation de la gravité d’une infraction et du montant de départ de l’amende, «de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif».

108 Les requérantes ne sauraient valablement faire valoir qu’aucune dissuasion ne s’imposait à leur égard au motif qu’ADM Company avait déjà été condamnée pour les mêmes faits par des juridictions d’États tiers.

109 En effet, il y a lieu de relever, tout d’abord, que cette argumentation des requérantes recoupe en réalité celle relative à la violation du principe d’interdiction du cumul des sanctions qui a été rejetée par le Tribunal aux points 85 à 104 ci-dessus.

110 Ensuite, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence susvisée, l’objectif de dissuasion que la Commission est en droit de poursuivre lors de la fixation du montant d’une amende vise à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence fixées par le traité pour la conduite de leurs activités au sein de la Communauté ou de l’EEE. Il s’ensuit que le caractère dissuasif d’une amende infligée en raison d’une violation des règles de concurrence communautaires ne saurait être déterminé ni en fonction, seulement, de la situation particulière de l’entreprise condamnée ni en fonction du respect par celle-ci des règles de concurrence fixées dans des États tiers en dehors de l’EEE.

111 Dans le cas présent, qui correspond à un type d’infraction classique au droit de la concurrence et à un comportement dont l’illégalité a été affirmée par la Commission à maintes reprises et depuis ses premières interventions en la matière, il était, en outre, loisible à la Commission de considérer comme nécessaire de fixer le montant de l’amende à un niveau suffisamment dissuasif dans les limites fixées par le règlement n° 17.

112 En conséquence, le grief des requérantes, selon lequel la Commission a omis de prendre en compte, lors de la détermination de l’amende, le fait qu’ADM aurait déjà été suffisamment sanctionnée pour la dissuader de commettre de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence, doit être rejeté.

III – Sur la gravité de l’infraction

Sur la nature de l’infraction

1. Arguments des parties

113 Les requérantes soutiennent que la Commission a violé les lignes directrices en qualifiant l’infraction reprochée de «très grave» et non de «grave». En effet, l’entente sur la lysine n’aurait pas entraîné de cloisonnement des marchés nationaux, et n’aurait donc pas porté atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur, dès lors que les prix étaient fixés pour l’Europe entière et qu’il n’y avait aucune répartition des marchés nationaux entre les entreprises concernées.

114 Or, il résulterait d’une interprétation littérale du point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices, définissant la notion d’infraction très grave, qu’une telle qualification est subordonnée à la condition que l’infraction reprochée ait porté atteinte, de manière très grave, au bon fonctionnement du marché intérieur, étant donné que, aux termes de cette disposition, «il s’agi(t) pour l’essentiel de restrictions horizontales de type cartels de prix et de quotas de répartition des marchés, ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur». Si la condition d’atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur n’avait pas été exigée pour les cartels de prix ou pour les quotas de répartition de marchés, l’emploi du terme «autres» aurait été omis.

115 En outre, cette qualification ne serait pas conforme à la pratique décisionnelle de la Commission en la matière. Ainsi, les décisions citées au considérant 258 de la Décision pour démontrer le caractère prétendument très grave de l’infraction commise se rapporteraient toutes à des ententes comportant un cloisonnement de marchés nationaux. En revanche, les accords horizontaux n’entraînant pas de tels cloisonnements seraient moins sévèrement sanctionnés, comme le démontreraient la décision 1999/210/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article [81] du traité CE (Affaire IV/F-3/33.708 – British Sugar plc, affaire IV/F-3/33.709 – Tate & Lyle plc, affaire IV/F-3/33.710 – Napier Brown & Company Ltd, affaire IV/F-3/33.711 – James Budgett Sugars Ltd) (JO 1999, L 76, p. 1), la décision 1999/271/CE de la Commission, du 9 décembre 1998, relative à une procédure d’application de l’article [81] du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO 1999, L 109, p. 24), et la décision 98/247/CECA de la Commission, du 21 janvier 1998, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (Affaire IV/35.814 – Extra d’alliage) (JO L 100, p. 55), relatives à des ententes sur les prix qui, en l’absence de cloisonnement des marchés, ont seulement été qualifiées d’infractions «graves». Cette différenciation, normalement pratiquée par la Commission, serait conforme à l’arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission (T-62/98, Rec. p. II-2707), dans lequel il a été jugé qu’une infraction visant le cloisonnement d’un marché «est, par sa nature, particulièrement grave». Les requérantes en déduisent qu’en s’écartant de sa pratique habituelle en la matière la Commission a également violé le principe d’égalité de traitement.

116 La Commission conteste le bien-fondé de l’argumentation des requérantes.

2. Appréciation du Tribunal

117 Selon une jurisprudence constante, l’appréciation de la gravité de l’infraction doit être effectuée en tenant compte, notamment, de la nature des restrictions apportées à la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 246, et la jurisprudence citée).

118 Or, l’entente ayant notamment consisté en l’espèce à fixer des objectifs de prix de la lysine dans l’EEE et à fixer des quotas de vente pour ce marché, il importe de rappeler que les premiers exemples d’ententes donnés par l’article 81, paragraphe 1, sous a) et b), CE, déclarées expressément incompatibles avec le marché commun, sont précisément celles qui consistent à:

«a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

[…]»

119 C’est pourquoi des infractions de ce type, notamment lorsqu’il s’agit d’ententes horizontales, sont qualifiées par la jurisprudence de «particulièrement graves» (arrêt Thyssen Stahl/Commission, précité, point 675) ou d'«infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence» (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T-148/89, Rec. p. II-1063, point 109; arrêt BPB de Eendracht/Commission, précité, points 303 et 338).

120 En particulier, la fixation d’un prix, même simplement indicatif, affecte le jeu de la concurrence par le fait qu’il permet à tous les participants à l’entente de prévoir avec un degré raisonnable de certitude quelle sera la politique de prix poursuivie par leurs concurrents (arrêt de la Cour du 17 octobre 1972, Vereeniging van Cementhandelaren/Commission, 8/72, Rec. p. 977, point 21). Plus généralement, de telles ententes comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné (arrêt Thyssen Stahl/Commission, précité, point 675). En effet, en exprimant une volonté commune d’appliquer un certain niveau de prix à leurs produits, les producteurs concernés ne déterminent plus de manière autonome leur politique sur le marché, portant ainsi atteinte à la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence (arrêt BPB de Eendracht/Commission, précité, point 192).

121 C’est au regard de ces considérations qu’il convient de comprendre les dispositions du point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices, intitulé «Infractions très graves», pour lesquelles il est prévu que le montant envisageable au titre de la gravité de l’infraction est «au-delà de 20 millions d'[euros]».

122 À l’égard de ces infractions, il est, en effet, indiqué qu'«[i]l s’agi[t] pour l’essentiel de restrictions horizontales de type cartels de prix et de quotas de répartition des marchés, ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur, telles que celles visant à cloisonner les marchés nationaux, ou d’abus caractérisés de position dominante d’entreprises en situation de quasi-monopole [voir les décisions (91/297/CEE, 91/298/CEE, 91/299/CEE, 91/300/CEE et 91/301/CEE (Soda Ash), 94/815/CE (ciment), 94/601/CE (carton), 92/163/CE (Tetra Pak II) et 94/215/CECA (poutrelles)]».

123 Contrairement à ce que prétendent les requérantes, l’entente à laquelle il est dûment établi qu’elles ont participé et qui comportait, notamment, la fixation d’objectifs de prix ne saurait échapper à la qualification d’infraction très grave au seul motif qu’il s’agissait d’une entente mondiale qui ne procédait pas à un cloisonnement des marchés nationaux au sein du marché commun.

124 D’une part, une interprétation littérale de la disposition susvisée des lignes directrices ne conduit pas à considérer que la qualification d’infraction très grave est subordonnée à la condition que la pratique en cause ait procédé à un cloisonnement des marchés. Il en résulte, au contraire, que les ententes horizontales relatives à des cartels de prix ou à des quotas de répartition des marchés sont présumées porter atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur et qu’une telle qualification peut, en outre, être retenue à l’égard d’autres pratiques de nature à produire un tel effet, comme, par exemple, celles visant à un cloisonnement des marchés. Le fait qu’un tel cloisonnement ne soit pas une condition sine qua non pour qu’une infraction soit considérée comme très grave résulte d’ailleurs également de ce que cette disposition qualifie d’infractions très graves les abus caractérisés de position dominante par des entreprises en situation de quasi-monopole, pratiques qui ne visent pas non plus, nécessairement, un cloisonnement des marchés.

125 D’autre part, une interprétation plus systématique des dispositions pertinentes conduit également à la même conclusion. En effet, ainsi qu’il a été indiqué, deux des pratiques ayant fait l’objet de l’entente sont expressément interdites par l’article 81, paragraphe 1, CE, car elles comportent des restrictions intrinsèques à la concurrence dans le marché commun. Or, ainsi qu’il résulte de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, l’un des objectifs fondamentaux de la Communauté est la mise en place d'«un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur». Contrairement à ce que semblent prétendre les requérantes, l’objectif général concernant le «bon fonctionnement du marché intérieur» auquel ces pratiques sont présumées porter atteinte, en vertu du point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices, se réfère donc à la nécessité de garantir non seulement l’absence de cloisonnement des marchés nationaux, mais également le maintien d’une concurrence non faussée au sein du marché commun.

126 Au regard de ces considérations, il y a lieu de rejeter le grief des requérantes selon lequel l’infraction commise ne serait pas, par nature, une infraction très grave.

127 S’agissant du grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, les requérantes prétendent que la qualification d’infraction «très grave» retenue en l’espèce par la Commission ne serait pas conforme à sa pratique décisionnelle en la matière, ladite qualification n’ayant été retenue que dans des cas d’ententes comportant un cloisonnement des marchés nationaux.

128 Il résulte des considérations mentionnées aux points 117 à 125 ci-dessus que cette argumentation est, en tout état de cause, dépourvue de pertinence, la qualification en cause n’étant pas subordonnée à l’existence d’un cloisonnement des marchés nationaux.

129 Il y a lieu de rappeler qu’il appartient à la Commission, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et à la lumière des indications contenues au point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices, de déterminer si les circonstances propres à l’affaire qu’elle est amenée à traiter permettent de retenir la qualification d’infraction très grave.

130 Il ressort d’ailleurs de la pratique décisionnelle de la Commission que cette qualification ne se rapporte pas uniquement, comme l’allèguent les requérantes, à des cas d’ententes comportant un cloisonnement des marchés nationaux.

131 La qualification d’infraction «très grave» a, en effet, été retenue par la Commission dans une situation de restriction de concurrence n’impliquant aucun cloisonnement des marchés nationaux, et ce dans sa décision 1999/243/CE, du 16 septembre 1998, relative à une procédure d’application des articles [81] et [82] du traité CE (Affaire IV/35.134 – Trans-Atlantic Conference Agreement) (JO 1999 L 95 p. 1). Ainsi, la Commission a qualifié d’infraction à l’article 82 CE, considérée comme «très grave» (considérant 593 de la décision 1999/243) eu égard aux dispositions pertinentes des lignes directrices, des mesures prises par des entreprises pour éliminer la concurrence dans le secteur des transports maritimes de ligne et porter ainsi atteinte à la structure du marché.

132 Par ailleurs, il convient de rappeler que l’entente à laquelle a participé ADM comportait, outre la fixation d’objectifs de prix proprement dits, des restrictions consistant en la fixation de quotas de vente et l’instauration d’un système d’échanges d’informations sur les volumes de vente. Dans ces circonstances, la situation des requérantes ne peut être considérée comme comparable à celle des entreprises concernées par les décisions de la Commission mentionnées au point 115 ci-dessus, lesquelles visaient uniquement des collusions en matière de prix.

133 Il s’ensuit que le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement doit être rejeté.

Sur l’impact concret de l’entente sur le marché

134 Les requérantes soutiennent que, dans le cadre de son évaluation de la gravité de l’infraction, la Commission a procédé à une appréciation erronée de l’impact concret de l’entente sur le marché.

135 L’argumentation des requérantes se subdivise en cinq griefs qui, quoique distincts, comportent des arguments communs.

1. Arguments des parties

136 En premier lieu, les requérantes font grief à la Commission de ne pas avoir rapporté la preuve qui lui incombait de ce que l’entente avait eu un impact concret sur le marché, mais d’avoir procédé par simples présomptions. Elle aurait ainsi confondu la possibilité de présumer l’existence d’une entente, sans démontrer ses effets restrictifs de concurrence, en raison de son objet anticoncurrentiel et la pertinence de l’appréciation des effets de l’infraction lorsqu’il en est tenu compte pour évaluer sa gravité. En effet, les éléments invoqués dans la Décision se rapporteraient aux phénomènes constatés sur le marché mais non à ce qui se serait produit en l’absence d’entente. La seule analyse économique produite à cet égard, à savoir le rapport du professeur Connor, ne serait pas pertinente dans la mesure où elle concerne le marché des États-Unis et n’a pas été communiquée à ADM durant la procédure.

137 En deuxième lieu, la Commission n’aurait pas pris en compte l’incidence positive de l’entrée d’ADM sur le marché à partir de 1992, qui a doublé la capacité de production et engendré une baisse des prix.

138 En troisième lieu, la Commission n’aurait pas tenu compte des contraintes objectives pesant sur la fixation des prix, à savoir l’existence de produits interchangeables à base de lysine naturelle et l’entrée potentielle de nouveaux concurrents sur le marché en cause.

139 En quatrième lieu, les preuves invoquées auraient, en tout état de cause, fait l’objet d’une appréciation erronée. Les variations de prix constatées seraient dues, mis à part pour deux réunions, à d’autres facteurs (prix des produits de substitution, évolution de la production des animaux consommateurs de lysine, etc.). Les annonces de prix faites par ADM n’auraient pas eu d’impact et les prix pratiqués à l’égard de ses clients seraient inférieurs aux prix annoncés. La similitude entre les parts de marché et les quotas convenus serait pure coïncidence, ceux-ci ayant été exprimés en volumes absolus. Les déclarations des participants à l’entente faisant état d’un succès des accords seraient purement anecdotiques, dès lors que certains s’inquiétaient au contraire de leur non-respect. La multiplicité des réunions ne démontrerait pas que l’entente a eu un impact sur le marché.

140 En cinquième lieu, la Commission aurait rejeté à tort les études économiques produites par ADM, fondées sur le modèle d’oligopole de Cournot, et n’aurait pas démontré que les prix pratiqués par ADM, qui ne correspondaient pas aux prix convenus, étaient supérieurs aux prix qui auraient été appliqués dans le cadre d’un oligopole non coopératif. Elle aurait également rejeté, à tort, l’argument tiré de ce que l’accord d’échange d’informations a, en réalité, eu un effet proconcurrentiel.

141 La Commission rejette chacun de ces griefs pour les raisons exposées dans la Décision. Concernant l’argument tiré du fait que la hausse des prix serait due, mis à part pour deux réunions, à d’autres facteurs, elle fait valoir que les requérantes cherchent en réalité à contester un ensemble de faits, dont ADM avait admis la matérialité, qui étayent la constatation d’infraction, ce qui justifierait sa demande d’augmentation du montant de l’amende.

2. Appréciation du Tribunal

142 Il y a lieu, tout d’abord, de souligner que, dans la Décision (considérants 228 à 230), la Commission a conclu à l’existence d’accords relevant de l’article 81, paragraphe 1, CE en constatant que, s’agissant d’accords fixant les prix, instaurant des quotas de vente et instituant un système d’échange d’informations, ils poursuivaient un objet anticoncurrentiel. Dès lors, aux fins de cette appréciation, la Commission n’a pas procédé ensuite à un examen des effets restrictifs de concurrence de ces accords, ainsi qu’elle en avait le droit (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 99).

143 Dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, la Commission s’est néanmoins fondée sur le fait que l’infraction avait eu, selon elle, un impact concret sur le marché de la lysine dans l’EEE (considérants 261 à 296 de la Décision), ainsi qu’elle doit désormais le faire, conformément au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, lorsqu’il apparaît que cet impact est mesurable.

144 La Commission a ainsi estimé, au considérant 261 de la Décision, que l’infraction en cause, commise par des entreprises qui étaient pratiquement les seuls producteurs de lysine au monde, «a eu pour effet de faire monter les prix à un niveau supérieur à celui qu’ils auraient atteint autrement et de restreindre les volumes de ventes et, par conséquent, a eu un impact concret sur le marché de la lysine dans l’EEE».

145 S’agissant de l’effet allégué de l’entente sur les volumes de vente, la Commission a constaté (considérant 267 de la Décision), sur la base d’un tableau illustrant les parts de marché mondiales des producteurs en 1994, que les parts effectivement obtenues étaient pratiquement identiques aux parts qu’ils s’étaient attribuées dans le cadre de leurs accords sur les quantités. Les requérantes invoquent une pure coïncidence au motif que les accords portaient sur des quotas de production exprimés en volume et soulignent que le total des ventes d’ADM en 1994 dépassait le volume qui lui avait été attribué.

146 Une telle argumentation ne permet pas de réfuter la preuve apportée par la Commission que les quotas attribués étaient respectés, preuve qui est clairement corroborée au considérant 269 de la Décision par le fait que, lors de leur réunion du 18 janvier 1995 à Atlanta, les producteurs ont conclu que la différence entre le quota attribué à chaque entreprise et ses ventes effectives n’était pas excessive et qu’il était donc possible de maintenir le niveau des prix (voir, également, les considérants 153 à 156 de la Décision).

147 Dans ces conditions, l’effet de limitation des volumes de vente et de maintien des parts de marché que l’accord sur les quantités a produit doit être considéré comme démontré à suffisance de droit.

148 Néanmoins, aux fins du contrôle de l’appréciation portée par la Commission sur l’impact concret de l’entente sur le marché, il importe surtout d’examiner celle portée sur les effets produits par l’entente sur les prix (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T-308/94, Rec. p. II-925, point 173, et Mayr-Melnhof/Commission, T-347/94, Rec. p. II-1751, point 225). En effet, ainsi qu’il a été souligné dans ces arrêts à propos d’une entente ayant un objet analogue, et comme le confirment les déclarations des producteurs lors de leur réunion du 18 janvier 1995, une collusion sur les parts de marché a pour objectif d’assurer la réussite des initiatives concertées en matière de prix.

149 En l’espèce, s’agissant de l’entente sur les prix, la Commission a estimé que l’infraction en cause a eu pour effet de faire monter les prix à un niveau supérieur à celui qu’ils auraient atteint autrement (considérant 261 de la Décision).

150 En ce qui concerne cet effet d’augmentation des prix, il convient de rappeler que, lors de la détermination de la gravité de l’infraction, il y a lieu de tenir compte, notamment, du contexte réglementaire et économique du comportement incriminé (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 612, et du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219/95 P, Rec. p. I-4411, point 38). À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction (voir, en ce sens, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 619 et 620; arrêts Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 235, et Thyssen Stahl/Commission, précité, point 645).

151 D’une part, il en résulte que, dans le cas d’ententes sur les prix, il doit être constaté que les accords ont effectivement permis aux entreprises concernées d’atteindre un niveau de prix de transaction supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence d’entente.

152 D’autre part, il en découle que, dans le cadre de son appréciation, la Commission doit prendre en compte toutes les conditions objectives du marché concerné, eu égard au contexte économique et éventuellement réglementaire qui prévaut. Il ressort des arrêts du Tribunal rendus dans l’affaire relative au cartel du carton qu’il convient de tenir compte de l’existence, le cas échéant, de «facteurs économiques objectifs» faisant ressortir que, dans le cadre d’un «libre jeu de la concurrence», le niveau des prix n’aurait pas évolué de manière identique à celui des prix pratiqués (arrêts Cascades/Commission, précité, points 183 et 184, et Mayr-Melnhof/Commission, précité, points 234 et 235).

153 En l’espèce, il ressort de la Décision que quatre éléments ont été pris en compte par la Commission à l’appui de sa conclusion quant à l’existence d’un effet d’augmentation des prix.

154 La Commission a, en premier lieu, relevé que l’entrée d’ADM sur le marché, en 1991, a entraîné une baisse importante des prix avec une chute de 50 % durant l’été 1992 et que, à la suite des accords intervenus entre les entreprises concernées, les prix de la lysine en Europe ont augmenté de manière substantielle en l’espace de six mois et ont été ramenés à environ 80 % de ce qu’était leur prix au début de l’année 1991 (considérant 262 de la Décision). Cet élément, dont la pertinence est évidente, n’est pas véritablement contesté. Les requérantes font valoir néanmoins, dans le cadre de leur deuxième grief, que l’entrée d’ADM sur le marché a eu une incidence positive. Or, ainsi que le fait valoir la Commission à juste titre, l’effet positif pouvant être escompté de l’entrée de ce nouveau concurrent sur le marché fermé de la lysine a précisément été anéanti par l’entente à laquelle ADM a participé.

155 Elle a, en deuxième lieu, mis en évidence la hausse des prix de la lysine intervenue en juillet 1993, faisant suite à une baisse par ADM de ses prix et à la conclusion d’un nouvel accord en juin de la même année entre les producteurs de lysine (considérant 263 de la Décision).

156 Elle a, en troisième lieu, constaté que les accords de prix conclus après la destruction des récoltes américaines de soja durant les crues du Mississipi de l’été 1993 (voir l’accord de Paris du 5 octobre 1993, considérants 112 et suivants de la Décision) ont permis de maintenir les prix à un niveau relativement élevé (environ 5 marks allemands par kilogramme) jusqu’au début de l’année 1995, alors que la capacité de production avait doublé et que la demande n’avait augmenté que de 60 % (considérant 264 de la Décision).

157 Les requérantes soutiennent que cette appréciation est erronée dans la mesure où la pénurie de substituts à la lysine synthétique, due aux inondations causées par la crue du Mississipi, a, au contraire, eu un effet de hausse des prix.

158 Sur ce point, il convient de souligner que la destruction d’une grande partie des récoltes américaines de soja, produit permettant de fournir de la lysine naturelle qui est elle-même substituable à la lysine synthétique, a certes pu entraîner une hausse des prix des céréales, auxquelles, dans les aliments pour animaux, est précisément ajoutée de la lysine synthétique, mais aussi la formation de stocks de lysine excédentaire. C’est sur la base de ces constatations, effectuées lors de leur réunion de Paris du 5 octobre 1993, que les producteurs ont exprimé leur préoccupation d’une baisse importante des prix et qu’ils sont convenus de diminuer de près de moitié leur offre (considérant 114 de la Décision). De cet élément, conjugué au constat d’un doublement de la capacité de production entre 1993 et 1995 et d’une hausse moins importante de la demande, la Commission a donc pu déduire à juste titre que le niveau des prix était artificiellement haut. Il convient donc d’écarter l’argumentation des requérantes mentionnée au point 157 ci-dessus.

159 Quant au quatrième et dernier élément invoqué dans la Décision, il résulte du fait que, selon la Commission, «il est inconcevable que les parties soient convenues à maintes reprises de se rencontrer dans diverses parties du monde pour fixer les prix […] sur une si longue période sans qu’il y ait eu d’effet sur le marché de la lysine» (considérant 286). Comme le soutiennent les requérantes, cette affirmation est dépourvue de force probante, étant fondée sur de pures conjectures et non sur des facteurs économiques objectifs. Il convient donc de l’écarter.

160 Il y a lieu d’observer que les requérantes ne contestent pas véritablement la corrélation constatée par la Commission entre les initiatives de prix et les prix effectivement pratiqués sur le marché par les membres du cartel (considérants 262 à 264 de la Décision). Elles arguent seulement du fait que les prix pratiqués à l’égard des clients d’ADM étaient en certaines occasions inférieurs à ceux convenus. À cet égard, il convient de relever que, s’agissant d’un accord portant sur des objectifs de prix (et non sur des prix fixes), il est évident que la mise en oeuvre de l’accord impliquait uniquement que les parties s’efforceraient de les atteindre. En outre, le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise est sans pertinence aux fins de l’évaluation de l’impact d’une entente sur le marché, seuls doivent être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble (voir arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, points 150 et 152).

161 En revanche, les requérantes soutiennent que la Commission a omis de tenir compte d’autres éléments pertinents qui seraient de nature à infirmer ceux sur lesquels cette dernière a fondé sa conclusion quant à un effet d’augmentation des prix, à savoir:

— les contraintes pesant sur la fixation des prix résultant de l’existence de produits interchangeables et de l’entrée potentielle sur le marché de nouveaux producteurs,

— la structure oligopolistique du marché, qui, au regard de deux études économiques, expliquerait le comportement d’ADM (application de la théorie des jeux s’inspirant du modèle d’oligopole de Cournot).

162 En premier lieu, la Commission aurait considéré à tort que les contraintes susvisées ne maintenaient pas les prix de la lysine à des niveaux non collusoires.

163 S’agissant de l’interchangeabilité des produits, il résulte des considérants 43 à 48 et 274 à 276 de la Décision que la Commission a bien pris en compte ce facteur de détermination des prix de la lysine. Après avoir observé qu’il est techniquement possible de substituer la lysine naturelle à la lysine synthétique, à la condition d’ajouter d’autres substances pour assurer l’équilibre protéique, la Commission a admis (considérant 275 de la Décision), en réponse à un argument analogue d’Ajinomoto durant la procédure administrative, que lorsque le prix de la farine de soja (à partir de laquelle est produite la lysine naturelle) est suffisamment bas ce produit devient substituable à la lysine synthétique, son prix constituant une limite à ne pas dépasser pour les producteurs en cause. Toutefois, elle a ensuite souligné (considérant 276 de la Décision) que le prix de la farine de soja est resté suffisamment élevé durant la période infractionnelle pour que les participants à l’entente aient pu augmenter leurs prix.

164 Ce constat n’est pas explicitement contesté par les requérantes. Celles-ci se limitent, en effet, à mettre en cause la valeur probante de l’extrait d’un rapport économique figurant au considérant 276 de la Décision. Elles soutiennent, à cet égard, que ce rapport concernait le marché américain et qu’il ne leur a pas été présenté durant la procédure administrative. Le contenu de ce rapport peut, sans aucun doute, être considéré comme non pertinent au regard de la conclusion susvisée figurant au considérant 276 de la Décision, car il ne s’agit nullement d’un élément de preuve en soi, mais d’une explication théorique du phénomène constaté sur la base de données observées aux États-Unis. D’ailleurs, la Commission indique elle-même qu’elle ne l’a pas invoqué comme élément de preuve. Il convient de rappeler, à cet égard, que la Commission ne faisait ici que répondre à un argument soulevé, durant la procédure administrative, en l’occurrence par Ajinomoto et non par ADM. La question du défaut de communication aux requérantes de l’étude en cause est examinée au point 327 ci-après.

165 Quant à l’entrée potentielle de nouveaux opérateurs sur le marché durant la période d’infraction, les requérantes ne présentent aucun indice, en particulier le nom d’entreprises qui auraient eu vocation à entrer sur ce marché, qui permettrait d’accréditer sa thèse. Or, il est constant que la production de lysine synthétique exige d’importants investissements et fait appel à une technologie de haut niveau (considérants 29 et 30 de la Décision), ce qui est de nature à expliquer que le marché soit demeuré particulièrement fermé.

166 En second lieu, en ce qui concerne précisément la structure oligopolistique du marché, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir rejeté les deux études économiques qu’ADM avait invoquées durant la procédure administrative qui tendent, en réalité, à démontrer qu’ADM avait adopté le comportement d’un «tricheur» au sein de l’entente. Sur le modèle d’une théorie des jeux s’inspirant du modèle d’oligopole de Cournot, à l’origine du concept de l’oligopole, elles visent ainsi à démontrer qu’il n’a pas été prouvé que les prix appliqués étaient supérieurs à ceux qui auraient été pratiqués dans le cadre d’un oligopole non coopératif.

167 Il convient de relever que, par cet argument, les requérantes ne visent qu’à se fonder sur le prétendu comportement de «tricheur» d’ADM au sein du cartel et que ledit argument doit, dès lors, être considéré comme inopérant. Il en va d’ailleurs de même s’agissant de l’argument tendant à démontrer le caractère proconcurrentiel de l’accord d’échanges d’informations, et selon lequel ADM aurait fourni des informations inexactes. En effet, ainsi qu’il a déjà été énoncé au point 160 ci-dessus, le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise est sans pertinence aux fins de l’évaluation de l’impact d’une entente sur le marché, seuls doivent être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble (voir arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, points 150 et 152).

168 Au surplus, il y a lieu d’observer qu’une hausse concertée des prix produit des effets d’autant plus dommageables que le marché est déjà caractérisé par sa structure oligopolistique, laquelle constitue effectivement un facteur économique objectif de nature à atténuer les effets de la concurrence entre producteurs. Il est certain que des comportements d’entreprises, comme celui adopté par ADM, réduisent encore davantage la concurrence, par le biais, notamment, des activités de fixation des prix. En conséquence, les requérantes ne sauraient se fonder sur le caractère oligopolistique du marché pour justifier leur affirmation quant à l’absence d’impact concret de l’infraction sur ledit marché (voir, en ce sens, arrêt Thyssen Stahl/Commission, précité, point 302).

169 Outre le fait qu’ADM a elle-même admis que deux réunions des producteurs de lysine, celles du 8 décembre 1993 et du 10 mars 1994, ont eu un effet positif important d’un point de vue statistique en provoquant une hausse des prix de la lysine (considérant 284 de la Décision), il y a lieu de relever que les requérantes ne sont pas parvenues à apporter des éléments tangibles susceptibles d’infirmer les éléments de preuve fournis par la Commission et donc de considérer que cette dernière a démontré à suffisance de droit l’impact négatif de l’entente sur le marché.

170 Quant à l’argument de la Commission selon lequel la contestation par les requérantes du lien de causalité entre l’entente et la hausse des prix revient à mettre en cause la matérialité des faits et justifie donc sa demande d’augmentation du montant de l’amende, il relève de l’examen de la demande reconventionnelle tendant à l’augmentation du montant de l’amende.

171 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent concernant la nature propre de l’infraction et l’impact concret de celle-ci que la Commission a pu estimer à bon droit, compte tenu également de l’étendue du marché géographique concerné (l’EEE), que l’entente constituait une «infraction très grave» au sens du point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices.

Sur le chiffre d’affaires pris en compte

172 Les requérantes font grief à la Commission de s’être fondée sur le chiffre d’affaires mondial plutôt que sur le chiffre d’affaires réalisé sur le marché géographique en cause provenant de la vente des produits ayant fait l’objet de l’infraction, à savoir le chiffre d’affaires afférent aux ventes de lysine dans l’EEE. Elles invoquent, à cet égard, une violation du principe de proportionnalité et des lignes directrices ainsi que des violations du principe d’égalité de traitement.

1. Arguments des parties

Sur la violation du principe de proportionnalité et des lignes directrices

173 Les requérantes font valoir que l’absence de prise en compte du chiffre d’affaires réalisé sur le marché en cause est constitutive d’une violation du principe de proportionnalité, au motif que le montant de l’amende infligée représente plus de 115 % du total des ventes de lysine réalisées par ADM dans l’EEE en 1995.

174 À cet égard, la Commission aurait considéré, à tort, que la seule limite à son pouvoir discrétionnaire est fixée par les seuils indiqués à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir, notamment, le chiffre d’affaires total des entreprises concernées (considérant 318 de la Décision). Ce faisant, elle aurait méconnu le principe de proportionnalité, lequel doit présider à la détermination du montant des amendes.

175 Selon les requérantes, il résulte tant de la pratique décisionnelle de la Commission que de la jurisprudence du Tribunal que le montant d’une amende doit être proportionné au montant des ventes du produit faisant l’objet de l’infraction. Dans son arrêt Parker Pen/Commission, précité, le Tribunal aurait ainsi réduit le montant de l’amende en se fondant sur le faible chiffre d’affaires provenant des ventes du produit faisant l’objet de l’infraction par rapport à celui résultant de l’ensemble des ventes réalisées, cas de figure identique à celui de la présente espèce.

176 Par ailleurs, l’absence de prise en compte du chiffre d’affaires réalisé sur le marché concerné serait contraire au point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, qui fait référence à la prise en compte de la «capacité économique effective» des entreprises à créer un dommage important aux autres opérateurs ainsi qu’à l'«impact réel du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence».

177 La Commission conteste ces arguments en faisant valoir qu’elle s’est conformée aux lignes directrices. Par ailleurs, le principe de proportionnalité exigerait seulement que le montant de l’amende finale soit proportionné à la gravité et à la durée de l’infraction, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En outre, l’arrêt Parker Pen/Commission, précité, étant relatif à une entente verticale, dans laquelle le chiffre d’affaires de l’entreprise condamnée correspond au chiffre d’affaires sur le marché pertinent, ne pourrait pas être transposé à un accord horizontal.

Sur les violations du principe d’égalité de traitement

178 Les requérantes estiment que la prise en compte du chiffre d’affaires total, plutôt que de celui afférent aux ventes de lysine dans l’EEE, aboutit à un traitement discriminatoire tant par rapport aux entreprises visées dans d’autres décisions de la Commission, antérieures ou postérieures à la publication des lignes directrices, que par rapport aux entreprises visées dans la Décision. À cet égard, ADM aurait été comparée à tort à Ajinomoto, alors qu’elle ne disposait, sur le marché de la lysine dans l’EEE, que d’une part de marché de 20 % tandis qu’Ajinomoto y était dominante avec une part de 48 %.

179 La Commission admet que l’application des lignes directrices peut conduire à imposer des amendes plus élevées que par le passé, dans la mesure où elles ont pour objectif de parvenir à une dissuasion plus efficace. Il ne saurait, dès lors, être exclu qu’une même infraction soit désormais condamnée plus lourdement que selon la pratique antérieure. Toutefois, l’augmentation du niveau général des amendes au cours des dix dernières années ne serait que le résultat de l’exercice légitime, par la Commission, de son pouvoir d’appréciation. Celle-ci en déduit que les évaluations comparatives effectuées par les requérantes sont à la fois contestables et dénuées de pertinence.

180 La Commission fait également valoir, en substance, qu’ADM est une entreprise de dimension comparable à celle d’Ajinomoto.

2. Appréciation du Tribunal

Sur la violation du principe de proportionnalité et des lignes directrices

181 Ainsi qu’il a été énoncé au point 56 ci-dessus, il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. L’application efficace desdites règles exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique communautaire de concurrence, le cas échéant, en élevant ce niveau (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109).

182 Il y a lieu de rappeler que, dans la Décision, la Commission a déterminé le montant de l’amende imposée aux requérantes en faisant application de la méthode de calcul qu’elle s’est imposée dans les lignes directrices. Or, il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle-même imposées (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 53, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51/92 P, Rec. p. I-4235, et la jurisprudence citée). En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées (arrêts du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T-380/94, Rec. p. II-2169, point 57, et du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T-214/95, Rec. p. II-717, point 89).

183 En vertu des lignes directrices, la gravité des infractions est établie en fonction d’une variété d’éléments, dont certains doivent, désormais, être obligatoirement pris en compte par la Commission.

184 À cet égard, les lignes directrices prévoient que, mis à part la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché et l’étendue géographique de celui-ci, il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

185 Par ailleurs, il peut également être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension sont mieux à même d’apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent (point 1 A, cinquième alinéa).

186 Dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, le montant de départ général peut être pondéré pour établir un montant de départ spécifique tenant compte du poids, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature (point 1 A, sixième alinéa).

187 Il convient d’observer que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes est calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises sur le marché concerné. Toutefois, elles ne s’opposent pas non plus à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin que soient respectés les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent. En particulier, le chiffre d’affaires peut entrer en ligne de compte lors de la prise en considération des différents éléments énumérés aux points 184 à 186 ci-dessus (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, points 283 et 284).

188 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, parmi les éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction, la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. D’une part, il s’ensuit qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. D’autre part, il en résulte qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant d’une amende approprié ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, points 120 et 121; Parker Pen/Commission, précité, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, précité, point 176).

189 En l’espèce, il ressort de la Décision que, pour déterminer le montant de départ de l’amende, la Commission a d’abord pris en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché et l’étendue géographique de celui-ci. La Commission a ensuite indiqué que, dans le cadre du traitement différencié qu’il convient d’appliquer aux entreprises, il importait de tenir compte de la «capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important au marché de la lysine dans l’EEE», de la portée dissuasive de l’amende et de la taille respective de ces entreprises. Aux fins de l’appréciation de ces éléments, la Commission a choisi de se fonder sur le chiffre d’affaires total réalisé par chaque entreprise en cause, au cours de la dernière année de l’infraction, estimant que ce chiffre lui permettait d'«apprécier les ressources et l’importance réelles des entreprises concernées sur les marchés affectés par leur comportement illicite» (considérant 304 de la Décision).

190 Les requérantes reprochent précisément à la Commission d’avoir pris en compte le chiffre d’affaires susvisé au lieu et place du chiffre d’affaires provenant des ventes du produit en cause dans l’EEE.

191 Il importe de souligner à ce stade que, eu égard à une certaine ambiguïté résultant de la lecture combinée de la Décision et des écrits de la défenderesse déposés dans le cadre de la présente instance, la Commission a précisé, lors de l’audience et sur question expresse du Tribunal, qu’elle a tenu compte non seulement du chiffre d’affaires «global» des entreprises en cause, c’est-à-dire celui relatif à l’ensemble de leurs activités, mais aussi du chiffre d’affaires mondial sur le marché de la lysine, ces deux types de chiffres d’affaires figurant dans un tableau inséré dans le considérant 304 de la Décision. En outre, il convient de relever que, selon le considérant 318 de la Décision, «la Commission a dûment pris en considération, dans ses conclusions sur la gravité, l’importance économique de l’activité particulière concernée par l’infraction».

192 Il est, toutefois, constant que la Commission n’a pas tenu compte du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises en cause sur le marché affecté par l’infraction, à savoir celui de la lysine dans l’EEE.

193 Or, s’agissant de l’analyse de la «capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important au marché de la lysine dans l’EEE» (considérant 304 de la Décision), qui implique une appréciation de l’importance réelle de ces entreprises sur le marché affecté, c’est-à-dire de leur influence sur celui-ci, le chiffre d’affaires global ne présente qu’une vue inexacte des choses. Il ne saurait être exclu, en effet, qu’une entreprise puissante ayant une multitude d’activités différentes ne soit présente que de manière accessoire sur un marché de produits spécifique tel que celui de la lysine. De même, il ne saurait être exclu qu’une entreprise ayant une position importante sur un marché géographique extracommunautaire ne dispose que d’une position faible sur le marché communautaire ou de l’EEE. Dans de tels cas, le seul fait que l’entreprise concernée réalise un chiffre d’affaires total important ne signifie pas nécessairement qu’elle exerce une influence déterminante sur le marché affecté par l’infraction. C’est pourquoi la Cour a souligné, dans son arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 139), que, s’il est vrai que les parts de marché détenues par une entreprise ne sauraient être déterminantes afin de conclure qu’une entreprise appartient à une entité économique puissante, elles sont en revanche pertinentes afin de déterminer l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Or, en l’espèce, la Commission n’a tenu compte ni des parts de marché en volume des entreprises en cause sur le marché affecté ni même du chiffre d’affaires des entreprises sur le marché affecté (celui de la lysine dans l’EEE), lequel aurait permis, compte tenu de l’absence de producteurs tiers, de déterminer l’importance relative de chaque entreprise sur le marché concerné en faisant indirectement apparaître leurs parts de marché en valeur (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie/Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, point 99).

194 Par ailleurs, il ressort de la Décision que la Commission n’a pas fait référence explicitement à la prise en compte du «poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence», appréciation qu’elle doit désormais effectuer en vertu des lignes directrices lorsqu’elle estime, comme en l’espèce, qu’il y a lieu de pondérer les montants de départ de l’amende en raison du fait qu’il s’agit d’une infraction impliquant plusieurs entreprises (de type cartel) entre lesquelles il existe des disparités considérables de dimension (voir point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices).

195 À cet égard, la référence, dans la Décision (dernière phrase du considérant 304), à l'«importance réelle des entreprises» n’est pas de nature à combler la lacune susvisée.

196 En effet, l’appréciation du poids spécifique, c’est-à-dire de l’impact réel, de l’infraction commise par chaque entreprise consiste, en réalité, à déterminer l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles et non l’importance de l’entreprise en cause en termes de taille ou de puissance économique. Or, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 121, et Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 369), la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné. En particulier, ainsi que l’a souligné le Tribunal, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T-151/94, Rec. p. II-629, point 643).

197 Il résulte de ce qui précède que, en se fondant sur les chiffres d’affaires mondiaux d’ADM sans prendre en considération son chiffre d’affaires sur le marché affecté par l’infraction, c’est-à-dire celui de la lysine dans l’EEE, la Commission a méconnu le point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, ainsi que l’ont fait valoir les requérantes.

198 Dans ces circonstances, il appartient au Tribunal d’examiner si, comme le prétendent les requérantes, le défaut de prise en compte du chiffre d’affaires sur le marché affecté et la méconnaissance des lignes directrices qui en résulte ont conduit, en l’espèce, à une violation par la Commission du principe de proportionnalité lors de la fixation du montant de l’amende. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’appréciation du caractère proportionné de l’amende infligée par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction, critères visés à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, relève du contrôle de pleine juridiction confié au Tribunal en vertu de l’article 17 du même règlement.

199 Dans le cas présent, les requérantes font d’abord valoir, en substance, que le montant final de l’amende, fixé à 47,3 millions d’euros, est disproportionné en ce qu’il équivaut à 115 % du chiffre d’affaires réalisé par ADM sur le marché de la lysine dans l’EEE au cours de la dernière année d’infraction.

200 Cette argumentation ne peut être retenue par le Tribunal. Il résulte, en effet, de la jurisprudence que la limite instituée par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, par référence au chiffre d’affaires global de l’entreprise, vise précisément à éviter que les amendes soient disproportionnées par rapport à l’importance de celle-ci (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 119). Dans la mesure où le montant de l’amende finale ne dépasse pas 10 % du chiffre d’affaires global d’ADM au cours de la dernière année d’infraction, elle ne saurait donc être considérée comme disproportionnée du seul fait qu’elle dépasse le chiffre d’affaires réalisé sur le marché concerné. Il convient d’observer que les requérantes ont fait référence à un arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission (C-248/98 P, Rec. p. I-9641, point 61), dans lequel celle-ci a souligné, de manière incidente, que «l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 […] vise à garantir que la sanction soit proportionnée à l’importance de l’entreprise sur le marché des produits faisant l’objet de l’infraction». Outre le fait que, dans le point 61 de l’arrêt susvisé, la Cour vise expressément, à titre de référence, le point 119 de l’arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, il y a lieu de souligner que la formulation en cause, non reprise dans la jurisprudence ultérieure, s’inscrit dans le contexte particulier de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt KNP BT/Commission, précité. En l’occurrence, la requérante reprochait, en effet, à la Commission d’avoir tenu compte de la valeur des ventes internes au groupe aux fins de la détermination de ses parts de marché, ce qui a néanmoins été jugé valable par la Cour pour le motif précité. Il ne saurait, dès lors, en être déduit que la sanction infligée à ADM est disproportionnée.

201 Les requérantes font également référence de manière explicite à l’arrêt Parker Pen/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a accueilli le moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité au motif que la Commission n’avait pas pris en considération le fait que le chiffre d’affaires réalisé avec les produits concernés par l’infraction était relativement faible par rapport à celui de l’ensemble des ventes réalisées par l’entreprise en cause, ce qui a justifié une réduction du montant de l’amende (points 94 et 95). Elles indiquent se trouver dans une situation identique à celle de ladite entreprise.

202 Il convient d’observer, d’abord, que la solution adoptée par le Tribunal dans l’arrêt Parker Pen/Commission, précité, concerne la fixation du montant final de l’amende et non du montant de départ de l’amende au regard de la gravité de l’infraction.

203 Ensuite, à supposer que la jurisprudence susvisée soit transposable à la présente espèce, il y a lieu de rappeler à ce stade que le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction, le caractère approprié du montant des amendes. Or, cette appréciation peut justifier la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C-297/98 P, Rec. p. I-10101, points 53 à 55), tels que, en l’occurrence, le chiffre d’affaires réalisé par les requérantes sur le marché de la lysine dans l’EEE, non pris en compte dans la Décision.

204 À cet égard, il importe de souligner que la comparaison des différents chiffres d’affaires des requérantes pour l’année 1995 fait ressortir deux éléments d’information. D’une part, il est vrai que le chiffre d’affaires provenant des ventes de lysine dans l’EEE peut être considéré comme faible par rapport au chiffre d’affaires global, le premier ne représentant que 0,3 % du second. D’autre part, il apparaît, en revanche, que le chiffre correspondant aux ventes de lysine dans l’EEE (41 millions d’euros, comme mentionné au considérant 5 de la Décision) représente une part relativement importante du chiffre d’affaires réalisé par ADM sur le marché mondial de la lysine (202 millions d’euros, comme indiqué au considérant 5 de la Décision, et non 154 millions d’euros, comme mentionné erronément au considérant 304 de celle-ci), en l’occurrence plus de 20 %.

205 Dans la mesure où les ventes de lysine dans l’EEE représentent donc, non pas une faible fraction, mais une part significative de ce dernier chiffre d’affaires, une violation du principe de proportionnalité ne peut, en l’espèce, être valablement soutenue, et cela d’autant plus que le montant de départ de l’amende n’a pas été déterminé seulement sur la base d’un simple calcul fondé sur le chiffre d’affaires global, mais également sur le fondement du chiffre d’affaires sectoriel et d’autres éléments pertinents que sont la nature propre de l’infraction, l’impact concret de cette dernière sur le marché, l’étendue du marché affecté, la nécessaire portée dissuasive de la sanction, la taille et la puissance des entreprises.

206 Au regard des motifs susvisés, le Tribunal estime, dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, que le montant de départ de l’amende déterminé en considération de la gravité de l’infraction commise par ADM est approprié et que, la méconnaissance par la Commission des lignes directrices n’ayant pas entraîné, en l’espèce, une violation du principe de proportionnalité, il convient, dès lors, de rejeter le grief soulevé à cet égard par les requérantes.

Sur les violations du principe d’égalité de traitement

207 Dans le cadre de la détermination du montant des amendes, la Commission ne saurait méconnaître le principe d’égalité de traitement, principe général du droit communautaire qui, ainsi qu’il a déjà été énoncé au point 69 ci-dessus, n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié.

208 En ce qui concerne, en premier lieu, la discrimination alléguée par rapport aux entreprises ayant fait l’objet de décisions antérieures à la publication des lignes directrices, dont il ressortirait que l’amende correspondait à des taux compris entre 5 et 10 % du chiffre d’affaires réalisé sur le marché pertinent, il suffit de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d’élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif (voir, par exemple, arrêt du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, précité, point 179).

209 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la discrimination alléguée par rapport aux entreprises ayant fait l’objet de décisions postérieures à la publication des lignes directrices, il importe de relever, tout d’abord, qu’il est vrai que, dans plusieurs décisions récentes faisant application des lignes directrices [voir, en particulier, la décision 1999/271 et la décision 1999/60/CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article [81] du traité CE (IV/35.691/E-4 – Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1)], la Commission a, notamment, tenu compte du chiffre d’affaires réalisé sur le marché affecté par l’infraction aux fins de l’évaluation de la gravité de celle-ci.

210 Il n’en demeure pas moins que, en raison des circonstances propres à l’espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre la présente Décision et d’autres décisions faisant également application des lignes directrices. En effet, ainsi qu’il a déjà été souligné, les lignes directrices ne prévoient pas explicitement que les amendes sont calculées en fonction de chiffres d’affaires spécifiques, mais seulement que sont pris en compte certains éléments (capacité économique effective des entreprises à causer un dommage, dimension des entreprises, poids spécifique et impact réel du comportement infractionnel de chaque entreprise, etc.) à propos desquels le chiffre d’affaires peut entrer en ligne de compte. Dans chaque cas d’espèce, il appartient donc à la Commission, sous le contrôle du Tribunal, de déterminer s’il y a lieu de se référer à l’un et/ou à l’autre des chiffres d’affaires pertinents ou à d’autres facteurs, tels que les parts de marché détenues. En conséquence, le fait que la Commission n’a pas tenu compte du chiffre d’affaires réalisé sur le marché pertinent ne constitue pas, en soi, une discrimination par rapport aux entreprises visées par d’autres décisions.

211 Enfin, en ce qui concerne, en troisième lieu, l’argument tiré d’une comparaison prétendument discriminatoire avec Ajinomoto, il doit être rejeté.

212 Certes, le chiffre d’affaires réalisé en 1995 par ADM sur le marché pertinent (41 millions d’euros) est inférieur à celui réalisé par Ajinomoto au cours de la même année (75 millions d’euros, comme indiqué au considérant 10 de la Décision). Toutefois, ADM demeure, de ce point de vue, largement plus importante que le groupe des trois «petits» producteurs auxquels elle ne saurait être comparée, les chiffres d’affaires de la lysine dans l’EEE de Sewon, de Kyowa et de Cheil s’élevant respectivement à 15, à 16 et à 17 millions d’euros en 1995 (considérants 16, 13 et 18 de la Décision). De surcroît, le chiffre d’affaires global d’ADM, qui demeure une indication de la taille et de la puissance économique d’une entreprise, fait apparaître clairement qu’ADM est deux fois plus importante qu’Ajinomoto, ce qui, à la fois, est de nature à compenser le fait qu’elle exerce une influence inférieure à Ajinomoto sur le marché de la lysine dans l’EEE et explique que le montant de départ de l’amende soit fixé à un niveau suffisamment dissuasif.

213 Dans ces circonstances, la Commission a pu considérer à bon droit qu’il convenait de fixer le montant de départ de l’amende d’ADM et d’Ajinomoto à un niveau identique.

214 Il s’ensuit que le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement doit être rejeté.

IV – Sur la durée de l’infraction

Arguments des parties

215 Les requérantes contestent la majoration de 10 % par année écoulée du montant de l’amende retenu au titre de la gravité de l’infraction, soit une majoration totale de 30 % au titre de la durée de l’infraction.

216 Elles font valoir, d’une part, qu’ADM ne s’est jamais considérée comme partie à quelque accord que ce soit avant le mois de décembre 1993, aucun accord impliquant ADM dans l’entente n’étant intervenu avant cette époque, et, d’autre part, que la Commission a elle-même reconnu que, pendant certaines périodes, les accords en cause n’étaient pas respectés ou ne l’étaient pas dans une mesure significative et qu’il lui appartenait d’en tenir compte. À cet égard, il résulterait, en effet, de la décision 98/273/CE de la Commission, du 28 janvier 1998, relative à une procédure d’application de l’article [81] du traité CE (IV/35.733 – VW) (JO L 124 p. 60) qu’une majoration moins élevée au titre de la durée de l’infraction est effectuée dans un tel cas, conformément au principe général selon lequel l’amende doit être proportionnelle au préjudice causé. La majoration maximale appliquée en l’espèce violerait donc le principe d’égalité de traitement, dès lors que la Commission se serait écartée de sa pratique décisionnelle en la matière.

217 La Commission estime, en premier lieu, que la Décision a fixé, à juste titre, le point de départ de l’infraction commise par ADM au mois de juin 1992 et relève qu’il a déjà été répondu aux arguments d’ADM aux considérants 209 et 210 de la Décision. En particulier, elle rappelle que la thèse selon laquelle, lors de la réunion de Mexico, l’accord sur les prix n’était que conditionnel est dénuée de pertinence. En effet, les accords conditionnels demeureraient des «accords» au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. En tout état de cause, la condition exigée en l’espèce, à savoir la conclusion d’un accord de répartition des volumes, était satisfaite et ADM aurait, en outre, exprimé sa volonté de participer aux quotas de production immédiatement après la réunion de juin 1992 (voir considérant 76 de la Décision). Enfin, les requérantes ne contesteraient pas les preuves apportées aux considérants 376 et 377 de la Décision concernant l’application rigoureuse par ADM des accords sur les prix, y compris durant la période antérieure à décembre 1993.

218 S’agissant, en second lieu, de l’argument tiré de la non-application des accords durant certaines périodes, la Commission estime que les requérantes visent à remettre en cause les faits constatés dans la Décision, dont elles ne contestaient pourtant pas la matérialité.

219 Elle souligne, enfin, que la majoration de 30 % appliquée en l’espèce ne saurait être qualifiée d’excessive, dès lors que les lignes directrices proposent une majoration allant jusqu’à 50 % pour les infractions de durée moyenne.

Appréciation du Tribunal

220 Conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la durée de l’infraction constitue l’un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence.

221 En ce qui concerne le facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu au titre de la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tiret).

222 Au considérant 313 de la Décision, la Commission expose ce qui suit:

«Dans la présente affaire, les entreprises concernées ont commis une infraction de moyenne durée (entre trois et cinq ans). Les montants de départ déterminés en fonction de la gravité (considérant 305) sont par conséquent majorés de 10 % par an, soit, pour ADM et Cheil, de 30 %, et pour Ajinomoto, Kyowa et Sewon, de 40 %.»

223 En ce qui concerne la majoration appliquée à l’égard d’ADM, il convient de rappeler que, selon l’article 1er, sous a), du dispositif de la Décision, la durée de l’infraction d’ADM était comprise entre le 23 juin 1992 et le 27 juin 1995, soit trois années révolues, ce qui justifie entièrement la majoration de 30 %.

224 Les requérantes contestent cette majoration au motif qu’ADM ne se serait jamais considérée comme une partie aux accords avant décembre 1993. Cette argumentation ne saurait être retenue par le Tribunal.

225 Tout d’abord, il y a lieu de constater que les requérantes ne sollicitent pas l’annulation de l’article 1er de la Décision susvisé, qui définit la durée de la participation d’ADM à l’entente.

226 Ensuite, il convient de relever que, par leur argumentation, les requérantes remettent en cause la matérialité des faits admis lors de la procédure administrative, étant précisé que, au point 206 de la communication des griefs, tel que précisé par la communication des griefs complémentaire, la Commission avait clairement indiqué que la participation d’ADM à l’entente avait débuté le 23 juin 1992. ADM a, en effet, expressément indiqué, dans ses réponses à ces communications des griefs, qu’elle ne contestait pas les faits exposés dans ces dernières (point 1.1 des réponses d’ADM, annexes 7 et 9 du recours, volumes 3 et 4 des annexes), élément qui, parmi d’autres, a permis de retenir contre elle une infraction à l’article 81 CE.

227 Or, selon la jurisprudence de la Cour, «[en] l’absence de reconnaissance expresse de la part de l’entreprise mise en cause, la Commission devra encore établir les faits, l’entreprise restant libre de développer, le moment venu et notamment dans le cadre de la procédure contentieuse, tous les moyens de défense qui lui paraîtront utiles» (arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, précité, point 37). Il en résulte, en revanche, que tel ne saurait être le cas en présence d’une reconnaissance des faits par l’entreprise en question. Ainsi, lorsque, comme en l’espèce, l’entreprise a expressément admis, dans le cadre de la procédure administrative, la matérialité des faits qui lui étaient reprochés par la Commission dans sa communication des griefs, ces faits doivent alors être considérés comme établis, l’entreprise n’étant plus en mesure de les contester dans le cadre de la procédure contentieuse devant le Tribunal.

228 Enfin, à supposer même que l’argumentation des requérantes susvisée ne puisse être assimilée à une remise en cause de la matérialité des faits, il n’est pas contesté que, lors de la réunion de Mexico du 23 juin 1992, les participants, parmi lesquels ADM, sont convenus d’objectifs de prix pour la lysine (considérant 75 de la Décision), de sorte que la Commission a pu considérer, à bon droit, qu’ADM avait participé à l’infraction à compter de cette date. L’argument des requérantes selon lequel aucun accord sur les prix ne serait intervenu à cette date, dans la mesure où un tel accord était subordonné à un accord sur les volumes de vente, ne saurait être accueilli. Il convient, tout d’abord, de relever qu’il ressort du considérant 75 de la Décision que Kyowa, ADM et Ajinomoto sont, au cours de la réunion de Mexico du 23 juin 1992, convenues des prix pour la lysine jusqu’en octobre de la même année, sans conditionner cet accord à une quelconque circonstance, seul l’accord sur les prix à pratiquer après octobre 1992 étant conclu sous réserve d’un accord sur les volumes de vente. Ensuite, selon une jurisprudence constante, pour qu’il y ait accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (voir, en particulier, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 130, et arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 256). Or, dans la mesure où un concours de volontés entre les entreprises concernées était intervenu, à tout le moins, sur les initiatives de prix, la Commission était en droit de le qualifier d’accord au sens de cette disposition. Enfin, le fait qu’un accord sur les volumes ait pu conditionner la mise en oeuvre effective d’un accord sur les prix serait également sans incidence sur sa qualification, la prise en considération des effets concrets d’un accord étant superflue aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 99).

229 Quant à l’argumentation consistant à faire valoir que, pendant certaines périodes, les accords n’ont pas été respectés, ou ne l’ont pas été dans une mesure significative, il s’agit d’une considération relevant de l’examen ultérieur d’un prétendu défaut de prise en compte de la non-application effective des accords au titre des circonstances atténuantes.

230 En conséquence, il y a lieu de considérer que c’est à bon droit que la Commission a procédé, en application des lignes directrices, à une majoration de 10 % par année écoulée du montant de départ de l’amende retenu au titre de la gravité de l’infraction, soit une majoration totale de 30 % correspondant à la durée effective de l’infraction.

V – Sur les circonstances aggravantes

231 Les requérantes font grief à la Commission d’avoir majoré de 50 % le montant de base de l’amende au motif que, selon la Décision (considérants 329 à 356), ADM était le meneur de l’infraction avec Ajinomoto. À l’appui de ce grief, elles font valoir que la Commission a procédé à une appréciation erronée du rôle d’ADM et invoquent une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.

Arguments des parties

1. Sur l’appréciation erronée du rôle d’ADM

232 Les requérantes soutiennent que la conclusion de la Commission, selon laquelle ADM aurait joué le rôle d’un meneur de l’entente, est entachée de plusieurs erreurs d’appréciation. À l’appui de sa thèse, elle invoque les éléments suivants:

— une absence de prise en compte des opinions des autres participants à l’entente qualifiant Ajinomoto de seul meneur de l’infraction;

— le fait que les menaces contre les tricheurs et l’abaissement ponctuel des prix sont des éléments communs à tous les participants à l’entente, à l’inverse des facteurs retenus contre Ajinomoto;

— les réductions de prix antérieures à juin 1992 ne seraient pas un indice de «leadership»;

— les réductions de prix effectuées entre janvier et juin 1993 n’auraient pas visé à contraindre les autres participants à parvenir à un accord sur les volumes de vente;

— les menaces de sanctions exercées par l’un de ses cadres ne lui seraient pas imputables, car il agissait sous les ordres du FBI;

— lors de la réunion d’Irvine du 25 octobre 1993, c’est Ajinomoto, et non ADM, qui aurait été chargée de faire accepter un plan de répartition des ventes aux autres producteurs;

— le fait que des dirigeants d’ADM aient participé aux réunions avec Ajinomoto ne constituerait pas un indice probant;

— lors de la réunion de Mexico du 23 juin 1992, ADM n’aurait pas été en mesure d’établir la future structure de l’entente.

233 La Commission conteste la validité de chacun de ces arguments.

2. Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité

234 Les requérantes soutiennent, en premier lieu, que la majoration de 50 % du montant de base de l’amende d’ADM est disproportionnée et discriminatoire au regard du traitement réservé à Ajinomoto.

235 En effet, à supposer même que l’analyse de la Commission soit correcte – quod non – en ce qui concerne le rôle joué par ADM, il ressortirait des considérants 330, 331 et 353 de la Décision, relatifs au rôle joué par Ajinomoto, que dix éléments ont été retenus contre cette dernière pour démontrer son rôle de meneur, alors que, selon les considérants 331, 332 et 339 de la Décision, seuls quatre éléments ont été retenus à l’encontre d’ADM. Malgré cette différence significative, ADM se serait pourtant vu infliger une majoration d’amende identique à celle d’Ajinomoto.

236 En second lieu, cette majoration serait également disproportionnée et discriminatoire en ce qu’elle serait en contradiction avec la pratique décisionnelle de la Commission. Selon cette pratique, le rôle de meneur ne serait habituellement sanctionné que par une majoration de 25 % du montant de base de l’amende. Ce n’est que dans le cas d’une combinaison de circonstances aggravantes, comprenant le rôle de meneur, qu’une majoration de 50 % serait appliquée (voir la décision Conduites précalorifugées, précitée), hypothèse non avérée en l’espèce.

237 La Commission conteste le caractère discriminatoire et disproportionné de la majoration effectuée.

Appréciation du Tribunal

1. Sur l’appréciation erronée du rôle d’ADM

238 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, point 623), ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (voir arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 150, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6/89, Rec. p. II-1623, point 264).

239 Il en résulte, notamment, que le rôle de «chef de file» joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d’une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l’amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C-298/98 P, Rec. p. I-10157, point 45; arrêts Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 291, et IAZ e.a./Commission, précité, points 57 et 58).

240 Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base de l’amende comprenant, notamment, le «rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction».

241 En l’espèce, il ressort de la Décision que trois éléments essentiels ont été pris en compte par la Commission afin de conclure qu’ADM avait joué le rôle d’un meneur dans l’infraction: d’une part, les ventes à bas prix effectuées jusqu’en juin 1992, puis au début de 1993; d’autre part, les menaces exercées à plusieurs reprises à l’égard des petits producteurs; enfin, sa participation à plusieurs réunions bilatérales avec Ajinomoto, dont l’objet était de débattre des orientations stratégiques de l’entente et de faire adopter des initiatives de prix et de quotas aux autres producteurs. De plus, il a été souligné qu’ADM a inspiré la structure de l’entente en se référant à son expérience passée dans un autre cartel, qui concernait l’acide citrique. Ces éléments doivent être appréciés au regard du contexte de l’espèce, en particulier de la position sur le marché que détenaient ces entreprises et des ressources dont elles disposaient.

242 En ce qui concerne, tout d’abord, les ventes à bas prix effectuées temporairement par ADM, elles constituent l’un des éléments sur lesquels la Commission a pu se fonder à bon droit. En effet, bien qu’elle ne soit entrée sur le marché de la lysine qu’en 1991, ADM était, d’ores et déjà, un opérateur incontournable compte tenu non seulement de sa dimension globale et des ressources financières dont elle disposait, mais aussi, et surtout, de sa capacité de production. À cet égard, il est particulièrement significatif que, dès son entrée sur le marché en 1991, date à laquelle il n’existait encore que trois producteurs de lysine dans le monde, l’usine d’ADM a pratiquement porté au double la capacité de production mondiale de la lysine (considérants 32, 69 et 70 de la Décision). Dans le contexte de l’espèce, faisant apparaître qu’ADM a d’abord lancé d’importantes opérations à bas prix tout en ayant fait part aux autres producteurs du sérieux de ses intentions et de sa préférence pour une coordination comme moyen pour elle de s’implanter sur le marché (considérants 69 et 70 de la Décision) et a ensuite conclu des accords de prix avec les autres producteurs, il est manifeste que l’objectif poursuivi par ADM en pratiquant des ventes à bas prix entre 1991 et juin 1992 était de démontrer aux autres producteurs déjà présents sur le marché que l’absence d’entente sur les prix leur serait préjudiciable. Cette stratégie a été utilisée à nouveau par ADM en 1993 afin d’obtenir un accord sur les quotas de vente répondant à ses ambitions. Dans la mesure où ADM ne se limitait donc pas à baisser ses prix, mais le faisait dans le but de parvenir à la conclusion d’accords restrictifs de concurrence, les arguments des requérantes tendant à nier la valeur probante de la politique de prix d’ADM doivent donc être rejetés.

243 En ce qui concerne, ensuite, les menaces explicites adressées aux autres producteurs lors de la réunion du 23 août 1994 (considérant 143 de la Décision), et, en particulier, à Sewon en novembre 1992 (considérant 89 de la Décision), puis en mai (considérant 134 de la Décision) et en août 1994 (considérant 143 de la Décision), elles ne sont pas directement contestées par les requérantes. Celles-ci font valoir soit que ces menaces ont été effectuées par l’un des cadres d’ADM travaillant secrètement pour le FBI, soit qu’il s’agit d’une technique commune à tous les participants à une entente. À cet égard, il suffit de relever que le cadre en question était président de la filiale d’ADM active dans le secteur de la lysine, qu’il dépendait directement du vice-président d’ADM qui était aussi impliqué dans l’entente et qu’il agissait dans le cadre de la politique globale d’ADM, même s’il informait le FBI. Il n’est d’ailleurs pas allégué que les menaces exprimées l’auraient été sur ordre du FBI. Quant aux autres participants à l’entente, ils n’étaient pas en mesure, mis à part Ajinomoto, de concrétiser leurs prétendues menaces de représailles.

244 Enfin, la Commission a démontré, sur la base des documents fournis par les parties elles-mêmes dans le cadre de leur coopération, que plusieurs réunions bilatérales entre les directions générales d’ADM et d’Ajinomoto, dont le rôle de meneur a également été retenu par la Commission, avaient eu lieu afin de débattre de l’orientation générale et de la forme de l’entente. Il s’agit des réunions du 30 avril 1993 au siège d’ADM, du 14 mai 1993 à Tokyo et du 25 octobre 1993 à Irvine (considérants 98 à 101 et 117 de la Décision).

245 Au regard des éléments susmentionnés, il y a lieu de considérer que la Commission a pu, à bon droit, conclure qu’ADM avait joué un rôle de meneur dans l’infraction avec Ajinomoto, les requérantes n’ayant pas démontré le caractère erroné de cette appréciation.

2. Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité

246 Il convient de relever que, pour caractériser le rôle de meneur d’Ajinomoto, la Commission a retenu, outre sa participation aux réunions bilatérales avec ADM, les éléments suivants:

— jusqu’en 1991, date d’entrée d’ADM sur le marché, c’est elle qui fixait les prix de la lysine que les autres membres de l’entente convenaient de suivre (considérant 330);

— elle a joué le rôle d’instigatrice en obtenant que les autres producteurs asiatiques coopèrent avec ADM (considérant 330);

— elle a exercé, avec ADM, des menaces à l’égard de Sewon en 1992 (considérant 330);

— elle a assumé les fonctions de coordinateur de l’entente en organisant et en dotant en personnel le secrétariat chargé de la surveillance du système de contrôle des quantités (considérants 330 et 353).

247 Un simple raisonnement arithmétique, tel que celui avancé par les requérantes, ne permet pas d’appréhender avec justesse les rôles respectifs d’ADM et d’Ajinomoto au sein de l’entente et ne peut fonder la conclusion d’une inégalité de traitement. Il ressort de la Décision et des faits de l’espèce que ces deux entreprises, du fait qu’elles étaient d’une dimension et d’une puissance relativement comparables sur le marché, ont exercé ensemble le rôle de meneur en définissant l’orientation stratégique de l’entente et les mesures de représailles éventuelles à l’encontre des autres producteurs. Or, ces éléments demeurent déterminants pour qualifier le rôle de chefs de file joué par ces entreprises. S’il est constant qu’Ajinomoto a bien organisé matériellement le rôle de coordinateur, il ressort, toutefois, à suffisance de la Décision que les structures mises en place, dont Ajinomoto avait la charge, étaient le fruit de l’expérience passée d’ADM, notamment dans le cadre de l’entente sur l’acide citrique, qui les avait donc inspirées (considérants 74 et 339 de la Décision). Dans ces conditions, il n’y avait pas nécessairement lieu pour la Commission de faire bénéficier ADM d’une majoration moins élevée.

248 Quant à l’argument selon lequel une majoration de 50 % serait supérieure à la majoration généralement appliquée dans les autres décisions de la Commission, il n’est pas de nature à révéler une violation du principe de proportionnalité ou du principe d’égalité de traitement.

249 À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lors de la détermination du montant de chaque amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation et n’est pas tenue d’appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (arrêts Martinelli/Commission, précité, point 59, et Mo och Domsjö/Commission, précité, point 268, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C-283/98 P, Rec. p. I-9855, point 47).

250 Dans ces conditions, le grief tiré de la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité devra être rejeté.

251 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Commission a pu, à juste titre, majorer de 50 %, au titre des circonstances aggravantes, le montant de base retenu à l’encontre d’ADM.

VI – Sur les circonstances atténuantes

Arguments des parties

1. Sur la non-application effective des accords

252 Les requérantes soutiennent que la Commission aurait dû, conformément au point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, accorder à ADM une réduction du montant de l’amende en raison de la non-application effective des accords infractionnels par cette entreprise, étant précisé qu’il n’existe aucune présomption légale de mise en oeuvre d’une entente lorsque les parties se réunissent de façon répétée.

253 Les requérantes font valoir qu’ADM n’a pas mis en oeuvre les accords sur les prix du fait qu’elle accordait d’importantes remises à ses clients et ne facturait donc pas les prix officiellement convenus, comme le démontre l’analyse économique effectuée par ADM en réponse à la communication des griefs (annexe 7 de la requête). Dans la mesure où le point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, relatif aux circonstances atténuantes, vise la non-application «effective» d’une entente, le fonctionnement interne de l’entreprise serait indifférent. L’approche suivie par la Commission serait, en outre, contraire à sa pratique décisionnelle antérieure. Dans la décision Transbordeurs grecs, précitée, celle-ci aurait, par exemple, admis qu’une concurrence sur les prix par le biais de remises constitue une circonstance atténuante.

254 En ce qui concerne l’application des accords sur les quantités, elle ne serait pas démontrée. La Décision se référerait à des quantités minimales, ce qui serait dépourvu de pertinence dans le cadre d’une entente visant à augmenter les prix. Quant aux échanges d’informations, ADM aurait fourni des informations inexactes.

255 La Commission fait valoir, de manière générale, que l’expression «non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles», contenue dans les lignes directrices, vise le cas dans lequel une entente, dans son ensemble, n’est pas mise en oeuvre ou est inactive pendant une certaine période. En revanche, la situation individuelle des membres d’une entente active ne serait pas visée.

256 Elle souligne que l’application des accords sur les prix par ADM n’est pas présumée, mais démontrée, notamment, par les instructions à ses forces de vente. S’agissant des quotas, la Décision montrerait que les parts de marché mondiales ont été respectées. Quant au fait de fournir des données inexactes, il s’agirait également d’une simple tricherie et non d’une distanciation à l’égard de l’accord.

2. Sur l’adoption d’un code de conduite par ADM

257 Les requérantes font valoir que la Commission aurait dû tenir compte, lors du calcul du montant de l’amende, de la mise en place au sein d’ADM d’un programme rigoureux et permanent de mise en conformité aux règles de concurrence comportant, notamment, l’adoption d’un code de conduite adressé à tous les employés de l’entreprise et la création d’un département spécialisé.

258 En outre, l’adoption du programme de mise en conformité aux règles de concurrence, la mise en place d’une nouvelle direction et le licenciement des cadres supérieurs impliqués dans l’infraction démontreraient une contrition sincère de l’entreprise.

259 La Commission estime que, si une future mise en conformité de l’entreprise est certes positive, cette question n’est toutefois pas pertinente pour la fixation du montant de l’amende.

Appréciation du Tribunal

1. Sur la non-application effective des accords

260 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d’examiner la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune d’entre elles (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, précité, point 623, et Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 150), afin de déterminer s’il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

261 Cette conclusion constitue la conséquence logique du principe d’individualité des peines et des sanctions en vertu duquel une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles communautaires de concurrence (voir, en ce qui concerne l’imputation d’une amende, arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T-45/98 et T-47/98, Rec. p. II-3757, point 63).

262 Les points 2 et 3 des lignes directrices prévoient une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes, qui sont propres à chaque entreprise concernée.

263 En particulier, le point 3 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances atténuantes, une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent amener à une diminution du montant de base de l’amende. Ainsi est-il fait référence au rôle passif d’une entreprise, à la non-application effective des accords, à la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, à l’existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement poursuivi, au fait que l’infraction a été commise par négligence ainsi qu’à la collaboration effective de l’entreprise à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération. Les circonstances ainsi visées sont donc toutes fondées sur le comportement propre à chaque entreprise.

264 Il résulte de ces éléments que l’interprétation de la Commission selon laquelle le point 3, deuxième tiret, relatif à la «non-application effective d’un accord», ne viserait que l’hypothèse dans laquelle une entente, dans son ensemble, n’est pas mise en oeuvre, abstraction faite du comportement propre à chaque entreprise, est manifestement erronée.

265 La thèse de la Commission procède, en effet, d’une confusion entre, d’une part, l’appréciation de l’impact concret d’une infraction sur le marché aux fins de l’évaluation de sa gravité (point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices), dans le cadre de laquelle il y a lieu de prendre en considération les effets résultant de l’ensemble de l’infraction et non pas le comportement effectif de chaque entreprise, et, d’autre part, l’appréciation du comportement individuel de chaque entreprise aux fins de l’évaluation des circonstances aggravantes ou atténuantes (points 2 et 3 des lignes directrices), dans le cadre de laquelle il y a lieu, conformément au principe d’individualité des peines et des sanctions, d’examiner la gravité relative de la participation de l’entreprise à l’infraction.

266 Par ailleurs, la Commission a fait référence dans son mémoire en défense à l’arrêt Cascades/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a estimé que le fait qu’une entreprise, dont la participation à une entente en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d’une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l’amende à infliger (point 230).

267 Il convient d’observer que, dans le cadre de l’arrêt susvisé, le Tribunal a opéré son contrôle à l’égard d’une décision de la Commission n’ayant pas fait application des lignes directrices, puisqu’antérieure à l’adoption de celles-ci, lesquelles envisagent désormais expressément la prise en compte de la non-application effective d’un accord infractionnel comme circonstance atténuante. Or, ainsi que cela a déjà été énoncé au point 182 ci-dessus, il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle-même imposées (voir arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 53, et la jurisprudence citée). En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées (arrêts AIUFFASS et AKT/Commission, précité, point 57, et Vlaams Gewest/Commission, précité, point 89).

268 Reste à savoir si, en l’espèce, la Commission a pu considérer, à bon droit, qu’ADM ne pouvait pas bénéficier d’une circonstance atténuante au titre d’une non-application effective des accords, en vertu du point 3, deuxième tiret, des lignes directrices. À cette fin, il importe de vérifier si les circonstances avancées par les requérantes sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle elles ont adhéré aux accords infractionnels, elles se sont effectivement soustraites à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, points 4872 à 4874).

269 En ce qui concerne, en premier lieu, la non-application prétendue des accords de prix par ADM, il suffit de relever que la Commission a pu considérer à juste titre, au considérant 377 de la Décision (voir, également, les considérants 265 et 266), qu’elle était démentie par les instructions communiquées à ses forces de ventes, qui étaient manifestement destinées à servir de base de négociation avec les clients (voir, en ce sens, arrêt Enichem Anic/Commission, précité, point 280, et arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 341). Le fait que des remises aient pu être ensuite ponctuellement consenties à ces derniers, aboutissant à des prix de transactions individuelles différents suivant les clients, n’est pas de nature à infirmer la conclusion susvisée.

270 En outre, une comparaison entre les prix fixés par ADM, tels que visés au point 47 de la Décision, et ceux convenus entre les membres de l’entente, tels que répertoriés aux considérants 186 à 210 de la Décision, pendant toute la période infractionnelle, révèle l’application par ADM des accords de prix.

271 À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que la Commission a fait observer, à juste titre, que les accords en cause portaient sur des objectifs de prix (ou «prix cibles»), de sorte que la mise en oeuvre de tels accords implique non pas que soit appliqué un prix correspondant à l’objectif de prix convenu, mais que les parties s’efforcent de se rapprocher de leurs objectifs de prix (considérant 376 de la Décision). Elle a également indiqué qu'«[i]l ressort des informations recueillies […] que, dans la présente affaire, à la suite de la majorité des accords de prix, les parties ont fixé leurs prix conformément à leurs accords».

272 Il apparaît, ensuite, que les prix fixés par ADM sont régulièrement très proches des prix cibles, parfois légèrement supérieurs, et coïncident même avec les objectifs de prix convenus en juin et en septembre 1994 (considérants 137 et 145 de la Décision).

273 Enfin, il y a lieu surtout de constater que l’évolution des prix d’ADM a concordé, pendant toute la période infractionnelle, avec l’évolution des objectifs de prix convenus entre les membres de l’entente, ce qui conforte, au demeurant, la conclusion selon laquelle cette dernière a produit ses effets dommageables sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 340). Cette concordance, sur une si longue période, démontre l’absence de toute volonté d’ADM de se soustraire effectivement à l’application des accords sur les prix.

274 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la non-application alléguée des accords sur les volumes de vente, il convient, tout d’abord, de rappeler que, dans la Décision (considérant 378), la Commission a fait valoir que les membres de l’entente considéraient les quotas qui leur étaient attribués comme des «quantités minimales» et que, «tant que chaque partie était en mesure de vendre au moins les quantités qui lui étaient allouées, l’accord était respecté».

275 Ainsi qu’il a été souligné, à juste titre, par toutes les entreprises en cause, cette affirmation est, pour le moins, en contradiction avec les faits reprochés dans la mesure où l’objectif de hausse des prix, qui était principalement poursuivi par les membres de l’entente, impliquait nécessairement une limitation de la production de lysine et donc l’allocation de quotas de vente maximaux. Cela est, notamment, confirmé par les considérants 221 et suivants de la Décision, consacrés à l’appréciation des accords sur les quantités au regard de l’article 81, paragraphe 1, CE, dans lesquels il est fait référence aux limitations des ventes. Cette affirmation de la Commission doit, dès lors, être considérée comme dépourvue de toute pertinence.

276 Il apparaît, toutefois, qu’une application effective des accords sur les volumes peut être considérée comme prouvée à suffisance de droit au regard du tableau figurant au considérant 267 de la Décision, dans lequel il a été procédé à une comparaison entre les parts de marché mondiales allouées à chaque membre de l’entente en vertu des accords et les parts qui ont été effectivement détenues à la fin de l’année 1994. En effet, ainsi que la Commission l’a constaté, les parts de marché mondiales détenues par chaque producteur, à l’exception de Sewon, étaient largement comparables aux parts que chaque membre de l’entente s’était vu attribuer. Il convient de relever que les requérantes n’ont fourni aucun élément susceptible de démontrer le caractère erroné des données mentionnées dans le tableau précité.

277 S’agissant de l’application des accords de quotas en 1995, il ressort clairement des réunions de l’entente de 1995, dont il est fait état aux considérants 153 à 166 de la Décision, qu’ADM a poursuivi l’application des quotas pratiqués l’année précédente.

278 En ce qui concerne, en troisième lieu, l’accord sur l’échange d’informations, il est constant que, le 8 décembre 1993, ADM, Ajinomoto, Kyowa et Sewon sont convenues que, à partir de janvier 1994, toutes les entreprises communiqueraient à Ajinomoto des rapports mensuels sur les ventes de lysines, Cheil souscrivant à cet accord le 10 mars 1994.

279 S’agissant de l’application de cet accord, il suffit de constater qu’il résulte de la Décision (considérants 134, 141, 145, 150, 155, 160, 164 et 165) qu’ADM a bien communiqué ses chiffres de vente. À la différence de Sewon qui a cessé, au début de l’année 1995, d’informer les autres producteurs sur ses volumes de vente, ce qui a perturbé le fonctionnement de l’entente, ADM a donc régulièrement transmis les données convenues et reçu, en retour, les informations sur les ventes réalisées par les autres membres du cartel, ce qui était de nature à influer sur son comportement au sein de l’entente et sur le marché. Elle a, ce faisant, mis en oeuvre l’accord en cause, indépendamment du caractère prétendument inexact des informations fournies.

2. Sur l’adoption d’un code de conduite par ADM

280 Il convient de rappeler que, s’il est certes important qu’une entreprise ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, ce fait ne change rien à la réalité de l’infraction constatée. Il en résulte que le seul fait que, dans certains cas, la Commission ait pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la mise en place d’un programme d’alignement en tant que circonstance atténuante n’implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans un cas déterminé (arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 357, et Mo och Domsjö/Commission, précité, points 417 et 419). Il en est d’autant plus ainsi lorsque l’infraction en cause constitue, comme en l’espèce, une violation manifeste de l’article 81, paragraphe 1, sous a) et b), CE.

281 La Commission n’est donc pas tenue de retenir un tel élément comme circonstance atténuante pour autant qu’elle se conforme au principe d’égalité de traitement, qui implique qu’il ne soit pas procédé à une appréciation différente sur ce point entre les entreprises destinataires d’une même décision. Tel n’a pas été le cas en l’espèce.

282 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la demande des requérantes tendant à la réduction du montant de l’amende au titre de circonstances atténuantes tirées de la non-application effective des accords anticoncurrentiels et de l’adoption d’un code de conduite doit être rejetée.

VII – Sur la coopération d’ADM durant la procédure administrative

Arguments des parties

283 Les requérantes considèrent que la réduction de 10 % du montant de l’amende d’ADM, accordée au titre des dispositions du point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération, est insuffisante, car elle ne tient pas compte de l’assistance considérable fournie par cette entreprise.

284 À cet égard, les requérantes exposent, tout d’abord, qu’ADM a été la première à fournir à la Commission la preuve des faits suivants: l’entente entre les producteurs de lysine existait depuis 17 ans avant l’entrée d’ADM sur le marché; Ajinomoto avait toujours dominé l’entente et, enfin, le personnel d’Ajinomoto au Japon et en Europe avait détruit tous les documents concernant sa participation à l’entente dès les premières perquisitions aux États-Unis. La Commission se serait fondée sur ces constatations aux considérants 50, 330 et 414 de la Décision et aurait également pu réévaluer la coopération fournie par Ajinomoto. Par ailleurs, ADM aurait fourni la preuve documentaire des premiers contacts entre Ajinomoto et Sewon en 1990 (considérant 52 de la Décision), élément qui aurait permis à la Commission d’adopter, à ce titre, une communication des griefs supplémentaire. Enfin, ADM aurait offert de se soumettre à une procédure décisionnelle abrégée pour accélérer le traitement de l’affaire.

285 Le refus de la Commission d’accorder une réduction d’amende supplémentaire serait erroné à deux égards.

286 D’une part, il serait contraire à la communication sur la coopération de considérer qu’une réduction ne peut être accordée lorsque des informations, telles que celles fournies par ADM, concernent une entente antérieure à laquelle l’entreprise ne participait pas. La communication sur la coopération ne contiendrait pas une telle distinction. En outre, la Commission aurait considéré l’entente en cause comme une infraction unique sans tenir compte de la date d’entrée d’ADM sur le marché.

287 D’autre part, à supposer même que la coopération fournie par ADM n’entre pas dans le champ d’application de la coopération sur la coopération, elle relèverait, en tout état de cause, du point 3, sixième tiret, des lignes directrices, qui mentionne, parmi les circonstances atténuantes, la «collaboration effective de l’entreprise à la procédure, en dehors du champ d’application de la communication [sur la coopération]». Toute autre solution reviendrait à réserver un traitement inégal à l’assistance fournie par ADM par rapport à celle des membres de l’entente qui bénéficient d’une réduction de 10 % pour le simple fait de ne pas avoir émis d’objections à l’égard de la communication des griefs.

288 La Commission rétorque que la prétendue assistance considérable d’ADM ne portait pas sur la participation de cette entreprise à l’entente. En outre, dans sa communication des griefs complémentaire, la Commission se serait fondée principalement sur les informations fournies par Sewon et, dans une moindre mesure, sur celles données par Ajinomoto et Kyowa.

Appréciation du Tribunal

289 À titre liminaire, il importe de relever, ainsi qu’il a été constaté au considérant 406 de la Décision, qu’ADM ne remplissait les conditions d’application ni du point B ni du point C de la communication sur la coopération, de sorte que son comportement devait être apprécié au titre du point D de ladite communication intitulé «Réduction significative du montant de l’amende».

290 Aux termes du point D, paragraphe 1, «[l]orsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération».

291 Le point D, paragraphe 2, précise:

«Tel peut notamment être le cas si:

— avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

— après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations.»

292 En l’espèce, la Commission a estimé qu’ADM était en droit de bénéficier d’une réduction de 10 % du montant de l’amende, en application du point D, paragraphe 2, second tiret, au motif que, après réception de la communication des griefs du 29 octobre 1998, elle l’a informée qu’elle ne contestait pas la matérialité des faits aux fins de la présente procédure (considérants 433 à 435 de la Décision).

293 Il convient de déterminer si, au regard des autres informations fournies par ADM durant la procédure administrative, une réduction supplémentaire aurait été justifiée au titre du point D de la communication sur la coopération ou, à défaut d’application de celle-ci, au titre du point 3, sixième tiret, des lignes directrices.

294 En l’espèce, outre le fait d’avoir admis expressément sa participation à l’infraction, ADM a, dans sa réponse à la communication des griefs ou postérieurement à celle-ci, fourni à la Commission des informations concernant le comportement des producteurs de lysine avant son entrée sur le marché en 1992 (existence d’une coopération entre les producteurs dans les années 70 et 80, mise en place de l’entente en juillet 1990 et rôle dominant d’Ajinomoto jusqu’en 1992) ou durant la période d’enquête (destruction de documents par Ajinomoto).

295 Comme la Commission le relève à juste titre dans la Décision (considérant 404), de tels renseignements portaient donc sur des faits pour lesquels ADM ne pouvait pas subir d’amende au titre du règlement n° 17, soit parce qu’ils avaient trait à une période durant laquelle ADM ne participait pas encore à l’entente, soit parce qu’ils concernaient le comportement propre à une autre entreprise.

296 Or, aux termes du point A, paragraphe 3, première phrase, de la communication sur la coopération, celle-ci «définit les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées d’amende ou bénéficier d’une réduction de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter». C’est ainsi que le point D, paragraphe 1, de la communication prévoit, au profit de l’entreprise concernée, une réduction de 10 à 50 % du montant de «l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération».

297 Dès lors, ne constitue pas une coopération relevant du champ d’application de la communication sur la coopération, ni, à plus forte raison, du point D de celle-ci, le fait pour une entreprise de mettre à la disposition de la Commission, dans le cadre de son enquête sur une entente, des informations relatives à des actes pour lesquels, en tout état de cause, elle n’aurait pas dû acquitter d’amende au titre du règlement n° 17.

298 En conséquence, les requérantes ne sauraient valablement prétendre, au titre du point D de la communication sur la coopération, à une réduction supplémentaire du montant de l’amende qui leur a été infligée.

299 Il y a lieu, toutefois, d’examiner si le fait pour ADM d’avoir fourni les informations en question à la Commission constitue une «collaboration effective de l’entreprise à la procédure en dehors du champ d’application de la communication [sur la coopération]», au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices et, partant, une circonstance atténuante dont il y a lieu de tenir compte aux fins de la diminution du montant de base de l’amende.

300 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante qu’une réduction de l’amende au titre d’une coopération lors de la procédure administrative n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise en cause a permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin (voir arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, précité, point 36; arrêt BPB de Eendracht/Commission, précité, point 325, et la jurisprudence citée).

301 En l’espèce, les informations fournies par ADM concernant la préexistence supposée d’une concertation entre producteurs de lysine durant les années 70 et 80 n’ont pas permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction quelconque, dès lors que la Décision ne vise l’entente que pour autant qu’elle a débuté au mois de juillet 1990 entre lesdits producteurs.

302 En revanche, il ressort clairement du considérant 52 de la Décision, ainsi que du dossier, que c’est sur la base d’une lettre en date du 6 décembre 1990, adressée par Sewon à Ajinomoto, qui a été fournie par ADM après l’envoi de la première communication des griefs (télécopie du 28 février 1999 adressée par les représentants d’ADM à la Commission), que la Commission a pu adopter sa communication des griefs complémentaire du 16 août 1999, puis établir, dans la Décision, que l’entente entre Ajinomoto, Kyowa et Sewon avait débuté en juillet 1990, et non pas en septembre 1990.

303 S’agissant du rôle dominant d’Ajinomoto dans l’entente, il ne ressort pas du dossier ni des éléments sur lesquels ADM se fonde (section 2.3.4.4 de la réponse d’ADM à la communication des griefs) que celle-ci a fourni des informations utiles ou des éléments de preuve à ce propos. En effet, dans sa réponse à la communication des griefs, ADM se limite à faire état des déclarations d’autres producteurs ou des commentaires effectués à ce propos par la Commission dans sa communication des griefs. Dès lors, les requérantes ne sauraient prétendre avoir facilité la tâche de la Commission à cet égard.

304 En ce qui concerne la destruction de documents par Ajinomoto lors des vérifications effectuées par les autorités américaines, il ressort du dossier qu’ADM a effectivement informé la Commission sur ce point en lui fournissant un extrait des témoignages d’un membre du personnel d’Ajinomoto lors du procès qui s’était tenu aux États-Unis (section 2.5.3.1 de la réponse d’ADM à la communication des griefs). Ce fait a été constaté au considérant 414 de la Décision et utilisé par la Commission pour en déduire que la coopération d’Ajinomoto n’avait pas été totale, au sens du point B, sous d), de la communication sur la coopération et ne justifiait donc pas une réduction de l’amende à ce titre.

305 Cette dernière information n’a donc pas, en tant que telle, permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction avec plus de facilité, au sens de la jurisprudence susvisée, mais l’a néanmoins mise en mesure d’évaluer plus rigoureusement le degré de coopération d’Ajinomoto lors de la procédure aux fins de la détermination du montant de son amende. Dans le cadre d’une interprétation de ladite jurisprudence conforme à l’esprit de celle-ci, il convient de constater que cette information a facilité la tâche de la Commission lors de son enquête.

306 Au regard de ces éléments, il apparaît qu’ADM a fourni à la Commission des informations utiles sur deux points, à savoir la durée de l’entente et la coopération d’Ajinomoto. La mise à disposition de telles informations ne saurait être considérée comme constitutive d’une coopération relevant du champ d’application de la communication sur la coopération, mais elle est, en revanche, constitutive d’une «collaboration effective en dehors du champ d’application de [ladite] communication» au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices.

307 Dès lors, sauf à méconnaître cette disposition, une réduction supplémentaire du montant de l’amende aurait dû être accordée au titre des circonstances atténuantes.

308 Cette solution s’impose d’autant plus que, dans le cadre de l’appréciation de la coopération fournie par des entreprises, la Commission ne saurait méconnaître le principe d’égalité de traitement (arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité, point 237).

309 En effet, une entreprise qui, outre le fait d’avoir expressément admis la matérialité des faits dans le cadre de sa réponse à la communication des griefs, a facilité la tâche de la Commission sur d’autres points, dans le cadre d’une «collaboration effective» au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices, ne saurait être comparée à une entreprise qui a admis la matérialité des faits sans fournir d’autres informations.

310 En conséquence, eu égard à la violation en l’espèce du point 3, sixième tiret, des lignes directrices, il appartient au Tribunal de déterminer le montant de la réduction qui aurait dû être accordée à ADM à ce titre, en dehors de la réduction de 10 % déjà octroyée. En effet, il importe de souligner que, dans la mesure où le présent recours est dirigé contre une décision de la Commission infligeant une amende à une entreprise pour violation des règles de concurrence, le juge communautaire est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par les articles 229 CE et 17 du règlement n° 17, le caractère approprié du montant de l’amende (arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, précité, point 55).

311 En l’espèce, il importe de constater que les informations fournies par ADM, si elles justifient, certes, une réduction supplémentaire du montant de l’amende pour préserver l’effet utile des lignes directrices, demeurent, dans les faits, d’une portée limitée. D’une part, les informations concernant la durée de l’infraction ont seulement permis à la Commission de constater que l’entente avait débuté en juillet 1990, plutôt qu’en septembre de la même année (ce qui, au demeurant, aurait normalement dû, selon le principe adopté par la Commission au considérant 313 de la Décision, entraîner une majoration de 50 %, et non de 40 %, au titre de la durée à l’égard d’Ajinomoto, de Kyowa et de Sewon, dès lors que cet élément de preuve permettait de constater une durée de cinq années révolues). D’autre part, les informations concernant la coopération d’Ajinomoto ont, certes, permis d’éviter qu’une réduction excessive soit accordée à cette entreprise au titre de sa coopération, mais il n’en demeure pas moins qu’elles n’ont pas, en tant que telles, facilité la tâche de la Commission pour constater l’existence de l’infraction.

312 Dans ces circonstances, une réduction supplémentaire de 10 % sur le montant de base de l’amende d’ADM apparaît pleinement appropriée.

VIII – Sur les vices affectant la régularité de la procédure administrative

Arguments des parties

313 Les requérantes soutiennent que la Décision est entachée de plusieurs violations des «formes substantielles» au détriment d’ADM.

314 En premier lieu, elles font valoir qu’elles n’ont pas été mises en mesure de présenter leurs observations, durant la procédure administrative, à propos de deux éléments sur lesquels la Commission se serait fondée dans la Décision, dans le cadre du calcul du montant de l’amende.

315 Tout d’abord, le rapport Connor, évoqué au considérant 276 de la Décision, n’aurait jamais été communiqué à ADM afin de lui permettre de présenter ses observations. Or, ce rapport constituerait le seul élément invoqué par la Commission pour prouver que les prix de la lysine auraient été moins élevés en l’absence d’entente. Selon les requérantes, cette violation de forme substantielle aurait pour conséquence d’anéantir l’argumentation de la Commission concernant l’impact concret de l’entente sur le marché, élément déterminant pour fixer le montant de l’amende.

316 Par ailleurs, la Commission n’aurait pas permis aux parties de présenter leurs observations à propos de son analyse inexacte, contenue au considérant 311 de la Décision, selon laquelle les amendes infligées aux États-Unis et au Canada ne concernaient que des violations commises dans le ressort des juridictions nationales.

317 En second lieu, les requérantes invoquent l’irrecevabilité de certaines preuves retenues par la Commission.

318 D’une part, elles soutiennent que, dans sa communication des griefs (documents n° 4187 à 4240 de l’annexe de la communication des griefs), la Commission s’est appuyée sur les déclarations d’un participant à l’entente, faites devant une juridiction américaine dans le cadre de l’affaire USA vs. Andreas et autres. Or, selon la jurisprudence (arrêt de la Cour du 10 novembre 1993, Otto, C-60/92, Rec. p. I-5683, point 20), des informations obtenues dans le cadre d’une procédure nationale ne sauraient être utilisées par la Commission comme moyen de preuve d’une infraction aux règles de la concurrence. En outre, les déclarations en cause n’auraient pas valeur de preuve en droit américain, ayant été effectuées à un stade préliminaire de la procédure dans le cadre des réquisitions du ministère public.

319 D’autre part, les requérantes font valoir que, parmi les informations également communiquées à la Commission par les autorités américaines, figuraient des enregistrements sonores ou audiovisuels clandestins, dont l’utilisation par la Commission violerait le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la CEDH. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour eur. D. H., arrêt Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992, série A n° 251-B) et la pratique décisionnelle de la Commission [décision 2000/117/CE de la Commission, du 26 octobre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE – Affaire IV/33.884 – Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied und Technische Unie (FEG et TU) (JO 2000, L 39, p. 1), considérants 32 et 151], l’utilisation d’enregistrements non autorisés serait, en effet, susceptible de constituer une violation du droit d’ADM au respect de sa vie privée, consacré par l’article 8 de la CEDH.

320 Dans la Décision, la Commission se serait fondée sur plusieurs de ces enregistrements, pourtant irrecevables. Ainsi, elle aurait déduit du fait qu’ADM avait recommandé à d’autres entreprises de «surveiller leurs téléphones» que son comportement était intentionnel (considérant 252 de la Décision). Ensuite, elle se serait appuyée sur la teneur des discussions entre ADM et Ajinomoto lors des réunions du 30 avril 1993 à Decatur, du 14 mai 1993 à Tokyo et du 25 octobre 1993 à Irvine pour conclure qu’ADM et Ajinomoto ont été les «deux moteurs de l’entente mondiale» (considérants 98, 100, 101 et 332 de la Décision) et majorer le montant de base de l’amende de 50 %. Ces enregistrements, qui n’auraient commencé qu’au mois de novembre 1992, auraient donc servi de fondement aux thèses erronées de la Commission selon lesquelles la réduction des prix au début de 1992 visait à contraindre les producteurs asiatiques à conclure un accord (considérant 331 de la Décision) et l’entente avait un impact réel sur le marché (considérant 269 de la Décision).

321 La Commission conteste toute violation de formes substantielles.

322 En ce qui concerne la première branche de l’argumentation, la Commission rappelle, tout d’abord, que le rapport Connor ne constitue pas un élément de preuve sur lequel elle se serait fondée pour établir l’incidence de l’entente dans l’EEE, étant donné qu’il portait sur le marché américain. Ce rapport ne serait cité, en tant que simple observation, que pour confirmer l’analyse de la Commission sur la capacité de l’entreprise à fixer les prix. Le fait que ce rapport n’ait pas été soumis à ADM au cours de la procédure administrative serait donc sans conséquence, d’autant plus que, l’auteur de ce rapport ayant témoigné au cours de la procédure aux États-Unis, ADM aurait abondamment commenté ses écrits.

323 Quant à l’argument des requérantes selon lequel les amendes infligées par les juridictions américaine et canadienne ne visaient pas seulement à sanctionner une violation de leurs droits nationaux, la Commission rappelle qu’elle le considère comme dénué de pertinence.

324 S’agissant de la seconde branche de l’argumentation, la Commission souligne qu’elle a mené sa propre enquête et réuni des informations pertinentes en vertu des pouvoirs que lui confère le règlement n° 17. Les résultats de l’enquête ayant été exposés dans la communication des griefs, ADM a eu l’occasion de défendre sa position.

325 La Commission ajoute que, après la réception de la communication des griefs du 29 octobre 1998, ADM a choisi de ne pas contester la matérialité des faits tels qu’ils étaient exposés, afin d’obtenir la réduction d’amende qui lui a été octroyée. Le fait qu’elle affirme désormais que certaines de ces informations étaient irrecevables reviendrait à revenir sur son acceptation de la thèse avancée par la Commission et à rendre injustifiée la réduction du montant de l’amende accordée. En outre, il serait incohérent de soutenir que les enregistrements effectués des réunions en question, auxquelles ADM, était représentée par M. Whitacre, violaient son droit à la vie privée et de faire valoir par ailleurs que cette personne ne travaillait pas pour ADM, mais pour le FBI.

Appréciation du Tribunal

326 Dans le cadre de la première branche de leur argumentation relative à l’existence de vices affectant la procédure administrative, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas leur avoir permis de présenter des observations sur deux éléments évoqués dans la Décision, dans le cadre du calcul du montant de l’amende.

327 S’agissant, tout d’abord, de l’argument des requérantes tiré de ce qu’ADM n’aurait pas pu présenter ses observations sur le rapport Connor, il suffit de relever que les commentaires qu’ADM aurait pu développer sur la base de cet extrait de document au cours de la procédure administrative n’auraient pas permis d’écarter les constatations spécifiques de la Commission concernant l’impact concret de l’infraction sur le marché et, en particulier, l’effet d’augmentation artificielle des prix, qui sont fondées sur d’autres considérations que le rapport susvisé (voir points 150 à 169 ci-dessus) (voir, en ce sens, arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, points 5090 à 5096).

328 Ensuite, en ce qui concerne le grief des requérantes tiré de ce qu’ADM n’aurait pas pu contester l’affirmation de la Commission selon laquelle les juridictions américaine et canadienne lui ont infligé des amendes en ne prenant en considération que les effets anticoncurrentiels produits par l’entente dans le ressort de ces juridictions, il apparaît clairement comme dénué de fondement. En effet, il ressort de la Décision elle-même qu’ADM a contesté cette analyse durant la procédure administrative en faisant valoir, notamment, que l’amende infligée aux États-Unis sanctionnait «la fixation des prix et la répartition de volumes de vente pour la lysine commercialisée aux États-Unis et ailleurs» (considérant 307).

329 Dès lors, il y a lieu de rejeter le grief développé par les requérantes dans le cadre de la première branche de leur argumentation.

330 En ce qui concerne la seconde branche de l’argumentation des requérantes, relative à l’irrecevabilité de certaines des preuves recueillies par la Commission, il convient, en l’occurrence, de distinguer les deux catégories de preuves dont l’irrecevabilité est alléguée.

331 La première d’entre elles concerne les éléments contenus dans le «Government’s proffer of co-conspirator statements», c’est-à-dire l’exposé récapitulatif des preuves recueillies par le ministère de la Justice américain, produit par ce dernier devant l’United States District Court of Illinois dans le cadre de la procédure pénale engagée par le gouvernement des États-Unis contre trois dirigeants d’ADM et un responsable d’Ajinomoto pour infraction aux lois sur la concurrence, procédure au terme de laquelle ces anciens dirigeants d’ADM ont été condamnés à des peines d’emprisonnement.

332 Il ressort du dossier que ce document (volume 2 des annexes du recours, p. 4187 à 4237) constituait l’une des annexes de la communication des griefs (annexe 6, volume 1 des annexes du recours). De même, il ressort de la communication des griefs que la Commission s’est, notamment, fondée, et cela à plusieurs reprises, sur ce document.

333 Les requérantes invoquent l’irrecevabilité de ces éléments de preuve au motif que, selon une jurisprudence constante, des informations obtenues dans le cadre d’une procédure nationale ne peuvent pas être utilisées par la Commission comme moyen de preuve d’une infraction aux règles de concurrence (arrêt Otto, précité, point 20). Ce faisant, les requérantes procèdent implicitement à une analogie entre le cas où des informations sont obtenues auprès de juridictions nationales communautaires et celui dans lequel, comme en l’espèce, des informations sont recueillies auprès d’autorités extracommunautaires.

334 Sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, de se prononcer sur la question de savoir si le document dont les requérantes invoquent l’irrecevabilité en tant que preuve a été utilisé par la Commission de manière conforme au droit communautaire, il y a lieu de rejeter leur argumentation.

335 Il importe, d’abord, de rappeler que, selon la jurisprudence, lorsqu’un moyen tiré de l’irrecevabilité de certaines preuves est accueilli, les pièces litigieuses doivent être écartées des débats et la légalité de la décision doit être appréciée sans elles (arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, points 24 à 30). Or, il ressort clairement de la communication des griefs que d’autres éléments de preuve que le document litigieux ont été utilisés pour prouver la participation d’ADM à l’entente et le rôle qu’elle y a joué, en particulier les informations communiquées par les membres de l’entente à partir du mois de juillet 1996, dans le cadre de leur coopération avec la Commission. En outre, il importe de rappeler que le présent recours ne vise pas à l’annulation de la Décision en tant que telle, mais tend à la seule annulation de la disposition infligeant l’amende ou à la réduction du montant de l’amende infligée.

336 Ensuite et surtout, il convient de rappeler qu’ADM elle-même a expressément indiqué, dans sa réponse à la communication des griefs, qu’elle ne contestait pas les faits exposés dans cette dernière (point 1.1 de la réponse d’ADM, annexe 7 du recours, volume 3 des annexes), élément qui, parmi d’autres, a permis de retenir contre elle une infraction à l’article 81 CE.

337 Or, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 227 ci-dessus, selon la jurisprudence de la Cour, «[en] l’absence de reconnaissance expresse de la part de l’entreprise mise en cause, la Commission devra encore établir les faits, l’entreprise restant libre de développer, le moment venu et notamment dans le cadre de la procédure contentieuse, tous les moyens de défense qui lui paraîtront utiles» (arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, précité, point 37). Il en résulte, en revanche, que tel ne saurait être le cas en présence d’une reconnaissance des faits par l’entreprise en question. Ainsi, lorsque, comme en l’espèce, l’entreprise a expressément admis, dans le cadre de la procédure administrative, la matérialité des faits qui lui étaient reprochés par la Commission dans sa communication des griefs, ces faits doivent alors être considérés comme établis, l’entreprise n’étant plus en mesure de les contester dans le cadre de la procédure contentieuse devant le Tribunal.

338 En conséquence, l’argument des requérantes tendant à faire déclarer irrecevable l’un des éléments de preuve de la participation d’ADM à l’entente devra être rejeté comme inopérant. En effet, à supposer même qu’il soit accueilli, les faits qui étaient reprochés à ADM dans la communication des griefs demeureraient établis en ce qu’ils avaient, notamment, fait l’objet d’une reconnaissance expresse de sa part.

339 La seconde catégorie de preuves dont les requérantes invoquent l’irrecevabilité concerne les enregistrements secrets, audiovisuels ou sonores, effectués par le FBI lors de son enquête. Selon les requérantes, leur utilisation par la Commission, lors de la détermination du montant de l’amende, contreviendrait au droit fondamental au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la CEDH.

340 S’agissant du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la CEDH, il convient de rappeler que la Cour a admis l’existence d’un principe général du droit communautaire garantissant une protection contre les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient disproportionnées ou arbitraires (arrêt de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 16). C’est à la lumière de ce principe que la Cour et le Tribunal exercent un contrôle sur l’exercice des pouvoirs de vérification conférés à la Commission en vertu du règlement n° 17.

341 Le respect du principe général susvisé implique, notamment, que l’intervention de la puissance publique ait un fondement légal et soit justifiée par des raisons prévues par la loi (arrêt Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, précité, point 16). Or, le règlement n° 17 ne contient aucune disposition sur la possibilité d’effectuer et d’utiliser des enregistrements secrets, audiovisuels ou sonores.

342 Par question écrite notifiée à la Commission le 7 février 2002, cette dernière a été expressément invitée par le Tribunal à préciser si elle avait utilisé, aux fins de l’adoption de la Décision, lesdits enregistrements. Dans sa réponse, la Commission a indiqué que, lors du déroulement de son enquête sur l’entente, le ministère américain de la Justice lui avait transmis, de sa propre initiative et non sur sa demande, des enregistrements vidéos et audios réalisés par le FBI dans le cadre de son enquête menée aux États-Unis. La Commission a précisé ne pas avoir «utilisé les enregistrements aux fins d’appuyer sa propre enquête» et ne pas en avoir tenu compte «pour adopter la décision ou calculer le montant des amendes». Dans ces circonstances, il convient de considérer que l’argumentation des requérantes relative à l’utilisation par la Commission d’enregistrements recueillis en violation du droit au respect de la vie privée est basée sur une prémisse erronée et doit donc être rejetée.

343 En tout état de cause, et pour autant que, par leur argumentation, visée au point 339 ci-dessus, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir indirectement et illégalement utilisé, lors du calcul du montant de l’amende, les enregistrements en cause, et ce du fait que le Government’s proffer of co-conspirator statements incorporerait des éléments provenant desdits enregistrements ainsi que l’a indiqué le représentant de la Commission lors de l’audience, il y a lieu de considérer que le grief soulevé ne saurait pour autant prospérer.

344 Il convient de rappeler que, lorsqu’un moyen tiré de l’irrecevabilité de certaines preuves est accueilli, les pièces litigieuses doivent être écartées des débats.

345 En l’espèce, les requérantes font valoir que les enregistrements de certaines réunions ont servi de fondement aux appréciations selon lesquelles l’infraction avait été commise de propos délibéré (considérant 252 de la Décision), l’entente avait eu un impact concret sur le marché en ce qu’elle avait conduit à une hausse des prix (considérant 269 de la Décision) et elle avait joué un rôle de chef de file (considérants 331 et 332 de la Décision).

346 Indépendamment même de la teneur des discussions qui se sont tenues lors des réunions auxquelles participait ADM, qui auraient fait l’objet des enregistrements litigieux, il ressort des éléments déjà examinés dans le cadre des griefs précédents que d’autres circonstances ont été prises en compte par la Commission pour fonder ses conclusions. En particulier, l’impact de l’infraction sur le marché a été constaté sur la base, notamment, de l’effet d’augmentation des prix. Quant au rôle de meneur joué par ADM dans l’infraction, il est confirmé à la fois par les diverses initiatives qui ont été les siennes afin, notamment, d’établir le fonctionnement de l’entente ainsi que par les menaces exercées à l’égard des autres producteurs.

347 Quant au caractère intentionnel de l’infraction, il est également démontré dans la Décision par le fait que les participants avaient tous l’intention de conclure des accords visant à fixer les prix, répartir les marchés et échanger des informations (considérant 251) et que leurs réunions étaient organisées dans le secret (considérant 253). Or, selon une jurisprudence constante, pour qu’une infraction aux règles de concurrence puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n’est pas nécessaire que l’entreprise ait eu conscience d’enfreindre ces règles, mais il suffit qu’elle n’ait pu ignorer que sa conduite avait pour objet de restreindre la concurrence (voir, notamment, arrêt de la Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246/86, Rec. p. 2117, point 41). Tel est manifestement le cas au regard des circonstances susvisées.

348 Dans ces conditions, à supposer même que l’argumentation des requérantes quant à l’irrecevabilité des preuves constituées par les enregistrements incriminés puisse être accueillie, les appréciations de la Commission relatives à l’impact concret de l’infraction, au caractère intentionnel du comportement infractionnel d’ADM et au rôle de chef de file de celle-ci resteraient fondées au regard des éléments mentionnés aux points 346 et 347 ci-dessus.

IX – Sur la prétendue violation de l’obligation de motivation quant au calcul du montant de l’amende

349 Il convient de relever que les requérantes prétendent que la Décision est insuffisamment motivée sur certains points concernant le calcul du montant de l’amende, à savoir:

— le refus par la Commission de prendre en compte les amendes infligées dans des États tiers;

— la non-prise en compte par la Commission de l’absence d’impact réel de l’entente sur le marché;

— l’absence de prise en compte du chiffre d’affaires de la lysine dans l’EEE;

— le rôle de meneur attribué à ADM et la majoration de 50 % retenue en conséquence;

— l’interprétation de la Commission considérant les accords sur les quotas comme un accord sur des quotas minimaux;

— l’affirmation de la Commission selon laquelle un échange d’informations inexactes constitue la mise en oeuvre d’un accord d’échange d’informations.

350 Il ressort de la requête que les requérantes reprochent à la Commission d’avoir motivé de façon «inadéquate» ou «inappropriée» ses appréciations et visent en réalité à contester le bien-fondé des motifs de la Décision sur les points susvisés. Il suffit, dès lors, de rappeler que, excepté le grief concernant la qualification par la Commission des accords sur les quotas d’accords sur des quotas minimaux, l’ensemble des griefs mentionnés au point 349 ci-dessus ont été rejetés par le Tribunal dans le cadre de l’appréciation quant au fond de la Décision.

351 Par ailleurs, pour autant que l’argumentation des requérantes puisse être interprétée comme l’invocation d’une véritable violation des formes substantielles par la Commission, il y a lieu de relever que, s’agissant de l’ensemble des points visés au point 349 ci-dessus, la Décision satisfait aux exigences de l’article 253 CE. En effet, la motivation de cette dernière fait apparaître de façon claire le raisonnement de la défenderesse, permettant, ainsi, aux requérantes de connaître les éléments d’appréciation pris en compte par la Commission pour mesurer la gravité et la durée de l’infraction aux fins du calcul du montant de l’amende et au Tribunal d’exercer son contrôle.

Sur la demande accessoire des requérantes tendant au remboursement des frais occasionnés par la constitution d’une garantie bancaire

Arguments des parties

352 La Commission estime que la demande des requérantes est irrecevable, car elle ne constitue pas un moyen d’annulation de la Décision, ni d’annulation ou de réduction de l’amende. En tout état de cause, cette demande ne serait étayée par aucun moyen ou argument dans le corps de la requête.

353 Les requérantes estiment que leur demande découle clairement de leurs conclusions tendant à la condamnation de la Commission au paiement des dépens, lesquels englobent la constitution d’une garantie pour le paiement de l’amende.

354 Dans sa duplique, la Commission considère que la demande doit être considérée comme retirée, étant donné qu’elle est prétendument incluse dans la demande de condamnation aux dépens, et relève que, en tout état de cause, les frais de constitution de garantie ne constituent pas des dépens récupérables (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, point 5133).

Appréciation du Tribunal

355 Il convient, tout d’abord, de constater que, outre des conclusions tendant à la condamnation de la Commission aux dépens, les requérantes ont expressément sollicité du Tribunal la condamnation de l’institution à leur rembourser toutes les dépenses effectuées au titre de la constitution d’une garantie bancaire pour le paiement de l’amende. Dans leur réplique, les requérantes ont conclu à ce qu’il plaise au Tribunal de leur adjuger le bénéfice de leurs conclusions présentées dans la requête.

356 Il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, une telle demande, indépendante de celle tendant à la condamnation aux dépens, doit être rejetée comme irrecevable, dès lors qu’elle concerne, en réalité, l’exécution de l’arrêt. En effet, en vertu de l’article 233 CE, c’est à la Commission qu’il appartient de prendre les mesures que comporte une telle exécution (voir arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, point 5118, et la jurisprudence citée).

Sur la demande reconventionnelle de la Commission tendant à l’augmentation du montant de l’amende infligée à ADM

Arguments des parties

357 La Commission demande au Tribunal d’user de sa compétence de pleine juridiction pour augmenter l’amende due par ADM au motif que, dans son recours, celle-ci est manifestement revenue sur son acceptation de la matérialité des faits sur laquelle la réduction de l’amende était fondée. La majoration devrait être au moins égale à la réduction de 10 % qui avait alors été octroyée dans la Décision (considérants 433 et 434).

358 Cette demande serait, tout d’abord, justifiée par le fait que le point E, paragraphe 4, de la communication sur la coopération informe les entreprises bénéficiant d’une réduction que la Commission formulera une telle demande au cas où les faits seraient contestés devant le Tribunal. En outre, il serait impératif que le système communautaire d’application du droit de la concurrence ne puisse pas être tourné en dérision. Tel serait le cas si les entreprises pouvaient obtenir une réduction substantielle de leur amende au stade de l’adoption d’une décision et former ensuite, sans encourir le moindre risque, un recours cherchant à anéantir toute la base factuelle sur laquelle repose cette décision.

359 Les requérantes font valoir qu’elles ne contestent pas les constatations de la Commission relatives à la matérialité des faits, mais critiquent son analyse juridique et son interprétation d’éléments se rapportant à l’amende, tels que l’impact de l’entente sur le marché et le rôle de meneur d’ADM.

Appréciation du Tribunal

360 En vertu de l’article 17 du règlement n° 17, «[le Tribunal] statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l’article [229 CE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte; [il] peut supprimer, réduire, ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée».

361 Par ailleurs, au point E, paragraphe 4, second alinéa, de la communication sur la coopération, il est indiqué que, «[si] une entreprise, ayant bénéficié d’une réduction d’amende pour n’avoir pas contesté la matérialité des faits, conteste celle-ci pour la première fois dans un recours en annulation devant le Tribunal de première instance, la Commission demandera en principe à celui-ci d’augmenter le montant de l’amende qu’elle a infligée à cette entreprise».

362 Compte tenu du pouvoir qui est conféré au Tribunal de majorer le montant d’une amende infligée en application du règlement n° 17, il convient de déterminer si, comme le soutient la Commission en substance, les circonstances de l’espèce justifient que soit supprimée la réduction de 10 % accordée à ADM au titre de sa coopération, ce qui conduirait à une augmentation du montant final de l’amende.

363 En vertu du point D, paragraphe 2, deuxième tiret, de la communication sur la coopération, une entreprise bénéficie d’une réduction d’amende si «après avoir reçu la communication des griefs, [elle] informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations».

364 En l’espèce, il importe de relever que les requérantes ne contestent pas directement, dans le cadre de leur recours, les faits qui étaient reprochés à ADM dans la communication des griefs et sur lesquels est fondé le constat d’une violation de l’article 81 CE, dès lors que leurs conclusions tendent non pas à l’annulation de la Décision en tant que telle, mais à l’annulation de l’amende ou à la réduction de son montant.

365 Toutefois, selon la Commission, les requérantes les contesteraient indirectement sur plusieurs points. À cet égard, elle se réfère explicitement aux arguments des requérantes concernant l’absence d’impact de l’entente sur les prix, la durée de l’infraction et l’irrecevabilité d’une preuve de la participation d’ADM à l’entente.

366 Sur le premier point, il convient de rejeter l’argumentation de la Commission. En effet, le fait de contester l’appréciation de l’effet de l’entente sur les prix n’équivaut pas à contester la matérialité des faits. Il en est d’autant plus ainsi en l’espèce que la Commission ne s’est fondée, dans sa Décision, que sur l’objet des accords, et non sur leurs effets restrictifs, pour les qualifier d’accords contraires à l’article 81, paragraphe 1, CE (voir considérants 228 à 230 de la Décision). En conséquence, à supposer même que l’argument des requérantes soit accueilli, il ne pourrait aucunement remettre en cause la légalité de la Décision pour autant qu’elle conclut à l’existence d’une entente contraire à l’article 81 CE, de sorte qu’il ne saurait être perçu comme une tentative inavouée de contester la réalité de l’infraction et la légalité de la Décision sur ce point.

367 En revanche, les arguments présentés par les requérantes en vue de contester la majoration du montant de départ de l’amende que la Commission a effectuée au titre de la durée de l’infraction reviennent effectivement à contester la durée de la participation d’ADM à l’entente. Celles-ci prétendent, en effet, ne pas avoir adhéré aux accords de prix dès le mois de juin 1992, mais plus tard. Or, il ressort clairement de la communication des griefs (voir, en particulier, point 176) qu’il était reproché à ADM d’être devenue partie aux accords à partir du 23 juin 1992. Dans la mesure où elle avait expressément reconnu la matérialité des faits qui lui étaient reprochés dans ladite communication, une telle contestation revient donc à mettre en cause, sur ce point, la réalité de sa coopération.

368 La même conclusion s’impose à propos des arguments des requérantes relatifs à l’irrecevabilité d’une preuve concernant la participation d’ADM à des réunions de l’entente, puisqu’il s’agissait d’un fait qu’elle avait expressément admis dans sa réponse à la communication des griefs.

369 Toutefois, il convient de relever que ces deux contestations ont été rejetées (voir points 226 et 227 et 336 à 338 ci-dessus) en application des solutions dégagées dans l’arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, précité (point 37), dont il résulte que les faits sont considérés comme établis lorsqu’une entreprise les a expressément reconnus dans le cadre de la procédure administrative, cette dernière n’étant plus libre de développer des moyens de défense visant à les contester dans le cadre de la procédure contentieuse.

370 Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de supprimer la réduction minimale de 10 % accordée à ADM au titre du point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération, et la demande reconventionnelle de la Commission est donc rejetée.

Sur la méthode de calcul et le montant final de l’amende

371 Dans la Décision, la Commission a majoré de 50 % le montant de base de l’amende retenu à l’encontre d’ADM au titre de la circonstance aggravante constituée par le rôle de chef de file de l’entente joué par ADM, puis elle a appliqué au montant de base ainsi majoré une réduction de 10 %, soit 5,85 millions d’euros, au titre de la seule circonstance atténuante reconnue à ADM, à savoir la cessation de l’infraction dès les premières interventions d’une autorité publique (considérant 384), ce qui équivaut à une réduction de 15 % du montant de base.

372 Il convient d’observer que, dans la Décision, la Commission n’a pas appliqué de la même façon aux entreprises concernées les réductions octroyées au titre des circonstances atténuantes. En effet, la Commission a reconnu à Sewon le bénéfice de deux circonstances atténuantes, l’une, au titre de son rôle passif en 1995 à propos des quotas de vente, entraînant une réduction de 20 % de la majoration appliquée à cette entreprise au titre de la durée de l’infraction (considérant 365 de la Décision), l’autre, en considération de la cessation de l’infraction dès les premières interventions d’une autorité publique (considérant 384 de la Décision), justifiant une minoration de 10 % appliquée au résultat de la première réduction susvisée. Force est de constater que la Commission n’a pas appliqué, dans les deux cas de figure précités et à l’inverse de Cheil, les réductions octroyées au titre des circonstances atténuantes au montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction.

373 S’agissant d’ADM, la Commission a, conformément à l’ordre défini dans les lignes directrices, d’abord appliqué une majoration au titre d’une circonstance aggravante, puis une réduction eu égard à la circonstance atténuante admise au profit de celle-ci. Toutefois, il est constant, ainsi qu’il a été souligné au point 371 ci-dessus, que la minoration consentie a été appliquée au résultat de la mise en oeuvre de la majoration de 50 % et non sur le montant de base de l’amende.

374 Par question écrite notifiée à la Commission le 7 février 2002, le Tribunal a invité cette dernière à, notamment, préciser et justifier sa méthode de calcul du montant des amendes.

375 Dans sa réponse datée du 27 février 2002, la Commission a indiqué que le juste moyen de calculer les majorations et les réductions destinées à tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes consiste à appliquer un pourcentage sur le montant de base de l’amende. Elle a également reconnu ne pas avoir systématiquement suivi cette méthode de calcul dans le cadre de sa Décision, s’agissant plus particulièrement de la situation d’Ajinomoto et d’ADM.

376 Lors de l’audience, les requérantes n’ont formulé aucune observation sur la méthode de calcul du montant des amendes décrite par la Commission dans sa lettre du 27 février 2002.

377 Dans ce contexte, il importe de souligner que, selon les lignes directrices, la Commission, après avoir déterminé le montant de base de l’amende en considération de la gravité et de la durée de l’infraction, procède à une augmentation et/ou à une diminution dudit montant au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes.

378 Eu égard au libellé des lignes directrices, le Tribunal estime que les pourcentages correspondant aux augmentations ou aux réductions, retenus au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes, doivent être appliqués au montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, et non au montant d’une majoration précédemment appliqué au titre de la durée de l’infraction ou au résultat de la mise en oeuvre d’une première majoration ou réduction au titre d’une circonstance aggravante ou atténuante. Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre dans sa réponse à la question écrite du Tribunal, la méthode de calcul du montant des amendes décrite ci-dessus se déduit du libellé des lignes directrices et permet de garantir une égalité de traitement entre différentes entreprises participant à un même cartel.

379 Dès lors, le Tribunal considère, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, qu’il y a lieu d’ajouter à la réduction de 15 % visée au point 371 ci-dessus, laquelle est effectivement appropriée dans son amplitude, celle de 10 % retenue en raison de la collaboration effective d’ADM à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération, au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices, soit une réduction globale de 25 % au titre des circonstances atténuantes devant être appliquée au montant de base de l’amende de 39 millions d’euros, ce qui détermine une minoration de 9,75 millions d’euros. Cette dernière doit ensuite être soustraite du montant de base de l’amende majoré de 50 % au titre de la circonstance aggravante tirée du rôle de meneur joué par ADM, soit 58,5 millions d’euros, ce qui se traduit par une amende d’un montant de 48,75 millions d’euros avant application des dispositions de la communication sur la coopération. Il convient d’observer que le même résultat peut être obtenu en appliquant au montant de base de l’amende le résultat de la différence entre les pourcentages retenus au titre des circonstances aggravantes et atténuantes, soit, en l’espèce, une majoration de 25 % du montant de base fixé à 39 millions d’euros.

380 Il y a lieu de rappeler que la Commission a consenti à ADM une réduction de 10 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, et ce au titre du point D de la communication sur la coopération, ce qui équivaut désormais à une réduction de 4 875 000 euros. En conséquence, le montant final de l’amende infligée aux requérantes doit être fixé à 43 875 000 euros.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

381 Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l’espèce, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que les trois quarts de ceux exposés par la Commission.

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1) Le montant de l’amende infligée, solidairement, à Archer Daniels Midland Company et à Archer Daniels Midland Ingredients Ltd est fixé à 43 875 000 euros.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Archer Daniels Midland Company et Archer Daniels Midland Ingredients Ltd sont condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que les trois quarts de ceux de la Commission. La Commission supportera un quart de ses propres dépens.

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CJCE, n° T-224/00, Arrêt du Tribunal, Archer Daniels Midland Company et Archer Daniels Midland Ingredients Ltd contre Commission des Communautés européennes, 9 juillet 2003