CJUE, n° C-676/22, Arrêt de la Cour, B2 Energy s.r.o. contre Odvolací finanční ředitelství, 29 février 2024

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 29 févr. 2024, C-676/22
Numéro(s) : C-676/22
Arrêt de la Cour (dixième chambre) du 29 février 2024.#B2 Energy s.r.o. contre Odvolací finanční ředitelství.#Demande de décision préjudicielle, introduite par le Nejvyšší správní soud.#Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 138, paragraphe 1 – Exonération des livraisons intracommunautaires de biens – Refus du bénéfice de l’exonération – Preuves – Fournisseur des biens ne prouvant pas la livraison des biens au destinataire indiqué dans les documents fiscaux – Fournisseur présentant d’autres informations prouvant la qualité d’assujetti du destinataire effectif.#Affaire C-676/22.
Date de dépôt : 2 novembre 2022
Précédents jurisprudentiels : arrêt du 20 octobre 2016, Plöckl, C-24/15, EU:C:2016:791
arrêt du 27 septembre 2012, VSTR, C-587/10, EU:C:2012:592
arrêt du 6 septembre 2012, Mecsek-Gabona, C-273/11, EU:C:2012:547
arrêt du 9 février 2017, Euro Tyre, C-21/16, EU:C:2017:106
Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887
Cour, dans l' arrêt du 9 décembre 2021, Kemwater ProChemie ( C-154/20, EU:C:2021:989
Euro Tyre, C-21/16, EU:C:2017:106
Kemwater ProChemie, C-154/20, EU:C:2021:989
Kemwater ProChemie ( C-154/20, EU:C:2021:989
Traum, C-492/13, EU:C:2014:2267, point 25
VSTR, C-587/10, EU:C:2012:592
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62022CJ0676
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2024:186
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Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

29 février 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 138, paragraphe 1 – Exonération des livraisons intracommunautaires de biens – Refus du bénéfice de l’exonération – Preuves – Fournisseur des biens ne prouvant pas la livraison des biens au destinataire indiqué dans les documents fiscaux – Fournisseur présentant d’autres informations prouvant la qualité d’assujetti du destinataire effectif »

Dans l’affaire C-676/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque), par décision du 26 octobre 2022, parvenue à la Cour le 2 novembre 2022, dans la procédure

B2 Energy s.r.o.

contre

Odvolací finanční ředitelství,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. Z. Csehi (rapporteur), président de chambre, MM. I. Jarukaitis et D. Gratsias,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 octobre 2023,

considérant les observations présentées :

pour l’Odvolací finanční ředitelství, par MM. T. Měkýš et T. Rozehnal,

pour le gouvernement tchèque, par M. Smolek, Mme L. Březinová, MM. O. Serdula et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes A. Armenia et M. Salyková, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant B2 Energy s.r.o. à l’Odvolací finanční ředitelství (direction d’appel des finances, République tchèque) (ci-après la « direction des finances »), au sujet du refus des autorités fiscales d’exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) plusieurs livraisons intracommunautaires effectuées par cette société.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive TVA

3

L’article 131 de la directive TVA dispose :

« Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. »

4

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de cette directive :

« Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté [européenne] par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens. »

5

L’article 139, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« L’exonération prévue à l’article 138, paragraphe 1, ne s’applique pas aux livraisons de biens effectuées par des assujettis qui bénéficient de la franchise pour les petites entreprises prévue aux articles 282 à 292.

L’exonération ne s’applique pas non plus aux livraisons de biens effectuées pour des assujettis ou pour des personnes morales non assujetties, dont les acquisitions intracommunautaires de biens ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1. »

Le règlement (UE) no 904/2010

6

Aux termes du considérant 7 du règlement (UE) no 904/2010 du Conseil, du 7 octobre 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (JO 2010, L 268, p.1) :

« Afin de collecter la taxe due, les États membres devraient coopérer afin de contribuer à l’assurance de l’établissement correct de la TVA. Par conséquent, ils doivent non seulement contrôler l’application correcte de la taxe due sur leur propre territoire mais devraient également aider les autres États membres à veiller à l’application correcte de la taxe relative à une activité exercée sur leur propre territoire mais due dans un autre État membre. »

Le droit tchèque

7

Selon l’article 92, paragraphe 3, du zákon č. 280/2009 Sb., daňový řád (loi no 280/2009 établissant le code de procédure fiscale), dans sa version applicable au litige au principal, l’assujetti établit toutes les circonstances qu’il est tenu de mentionner dans une déclaration fiscale régulière, dans une déclaration fiscale complémentaire ou dans d’autres documents.

Le litige au principal et la question préjudicielle

8

La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant B2 Energy, une société tchèque, à la direction des finances, au sujet du refus de l’administration fiscale d’exonérer B2 Energy de la TVA concernant plusieurs livraisons de biens, prétendument intracommunautaires, à destination de la Pologne, au motif que B2 Energy n’avait pas démontré que les conditions pour bénéficier de cette exonération étaient remplies.

9

En 2015, B2 Energy a effectué des livraisons d’huile de colza à destination de la Pologne. Selon la juridiction de renvoi, ces biens n’ont pas été livrés aux destinataires déclarés dans les documents fiscaux, mais à d’autres destinataires établis dans cet État membre, dont certains ont confirmé la réception en apposant leur cachet et leur signature sur des lettres de voiture internationales.

10

Après avoir effectué, le 15 juillet 2015, un contrôle fiscal au titre des mois allant de février à mai 2015, l’administration fiscale concernée a constaté que B2 Energy n’avait pas démontré, sur la base des documents fournis, qu’elle remplissait les conditions pour bénéficier de l’exonération de la TVA. Bien qu’elle n’ait pas contesté la réalisation effective du transport des biens concernés à destination d’un autre État membre, elle a considéré que B2 Energy n’avait pas démontré qu’elle avait transféré le droit de disposer de ces biens comme un propriétaire aux personnes présentées dans les documents fiscaux comme en étant les destinataires ni même que lesdits biens avaient été livrés à une personne enregistrée fiscalement dans un autre État membre. L’administration fiscale a, dès lors, considéré que B2 Energy ne remplissait pas les conditions pour bénéficier du droit à l’exonération. Par conséquent, elle a, par des avis d’imposition du 6 octobre 2017, constaté que le montant de la TVA devait être majoré pour les mois allant de février à mai 2015.

11

Par une décision du 21 novembre 2019, la direction des finances a rejeté les réclamations introduites par B2 Energy contre ces avis d’imposition. Le recours introduit contre cette décision par B2 Energy a été rejeté par le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque) par un jugement du 18 août 2021 relevant, en substance, que B2 Energy n’avait pas même démontré que les biens concernés avaient été livrés, par l’intermédiaire des destinataires déclarés sur les documents fiscaux, aux destinataires qu’elle présentait comme étant les destinataires finaux. Plus particulièrement, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) a estimé que les documents soumis n’indiquaient ni la personne ayant pris en charge les biens au nom du destinataire ni le destinataire auquel les marchandises avaient été livrées. De ce fait, il ne serait pas possible d’identifier la personne habilitée à exercer le droit de disposer de ces marchandises comme un propriétaire.

12

B2 Energy a introduit un recours en cassation contre ce jugement devant la juridiction de renvoi en faisant valoir, en substance, qu’elle avait apporté la preuve que les conditions d’exercice du droit à l’exonération de la TVA pour la livraison de biens à destination d’un autre État membre étaient remplies. Les éléments de preuve fournis, certifiant la réception effective des biens concernés par des sociétés autres que les entités déclarées sur les documents fiscaux pertinents, permettraient, en effet, d’établir l’identité des destinataires auxquels le droit de disposer de ces biens aurait été transféré.

13

Selon la juridiction de renvoi, la Cour, dans l’arrêt du 9 décembre 2021, Kemwater ProChemie (C-154/20, EU:C:2021:989), aurait admis que les conditions pour bénéficier du droit à la déduction de la TVA sont remplies, lorsque l’identité du fournisseur n’est pas établie, si l’administration fiscale dispose des informations nécessaires pour vérifier que ce fournisseur avait la qualité d’assujetti à la TVA. La juridiction de renvoi s’interroge sur la possibilité de transposer cet arrêt pour l’appréciation du droit à l’exonération de la TVA des livraisons de marchandises à destination d’un autre État membre, lorsque les faits démontrent que ces marchandises ont été prises en charge non pas par le destinataire déclaré dans les documents fiscaux, mais par un autre destinataire qui disposait de la qualité d’assujetti.

14

C’est dans ces conditions que le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 138, paragraphe 1, de la directive [TVA] doit-il être interprété à la lumière de l’arrêt du 9 décembre 2021, Kemwater ProChemie (C-154/20, EU:C:2021:989), en ce sens qu’il y a lieu de refuser une demande d’exonération de la [TVA] lors de la livraison de marchandises à destination d’un autre État membre de l’Union [européenne] sans que l’administration fiscale soit tenue de prouver que le fournisseur des marchandises a été impliqué dans une fraude à la TVA, lorsque ce fournisseur n’a pas démontré la livraison des marchandises à un destinataire spécifique indiqué sur les documents fiscaux et ayant la qualité d’assujetti dans l’autre État membre, alors même que, compte tenu des éléments de fait et des informations présentés par le redevable, l’on dispose des données nécessaires pour vérifier que le véritable destinataire dans l’autre État membre avait cette qualité ? »

Sur la question préjudicielle

15

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA, relatif à l’exonération des livraisons intracommunautaires, doit être interprété en ce sens qu’il y a lieu de refuser l’exonération de la TVA d’un fournisseur établi dans un État membre, ayant livré des marchandises à destination d’un autre État membre, qui n’a pas démontré que ces marchandises avaient été livrées à un destinataire ayant la qualité d’assujetti dans cet État membre, alors même que, compte tenu des éléments de fait et des informations présentés par ce fournisseur, l’administration fiscale de l’État membre de départ dispose des données nécessaires pour vérifier que la personne à laquelle les biens ont été physiquement livrés avait la qualité d’assujetti agissant en tant que tel dans l’État membre d’arrivée.

16

À titre liminaire, il convient d’emblée de rappeler que l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit l’obligation pour les États membres d’exonérer les livraisons de biens satisfaisant aux conditions qui y sont énumérées (arrêt du 9 février 2017, Euro Tyre, C-21/16, EU:C:2017:106, point 23 et jurisprudence citée).

17

S’agissant, d’une part, de la qualification d’une opération de livraison intracommunautaire, il résulte de l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA, dans sa version applicable aux faits au principal, lu en combinaison avec l’article 131 de cette directive, que relèvent de cette notion et sont exonérées, dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations des livraisons concernées et de prévenir toute fraude, toute évasion fiscale ou tout abus éventuels, les livraisons de biens expédiés ou transportés, par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire d’un État membre, mais à l’intérieur de l’Union, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

18

À cet égard, il importe de relever que, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA, dans sa version applicable à l’affaire au principal, l’exonération d’une opération à la TVA est subordonnée à la condition que le droit de disposer d’un bien comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur, que le fournisseur établit que ce bien a été expédié ou transporté dans un autre État membre et que, à la suite de cette expédition ou de ce transport, ledit bien a quitté physiquement le territoire de l’État membre du départ de l’expédition ou du transport (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2017, Euro Tyre, C-21/16, EU:C:2017:106, point 25 et jurisprudence citée).

19

D’autre part, ainsi qu’il ressort de l’article 139, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA, l’exonération de cette taxe est soumise à la condition que la livraison ne soit pas effectuée pour un assujetti ou une personne morale non assujettie dont les acquisitions intracommunautaires de biens ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive (arrêt du 9 octobre 2014, Traum, C-492/13, EU:C:2014:2267, point 25).

20

Hormis ces conditions, relatives précisément à la qualité d’assujetti, au transfert du pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire et au déplacement physique des biens d’un État membre à un autre, aucune autre condition ne saurait ainsi être exigée pour qualifier une opération de livraison intracommunautaire de biens, étant précisé que la notion de livraison intracommunautaire a un caractère objectif et s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées (arrêt du 27 septembre 2012, VSTR, C-587/10, EU:C:2012:592, point 30).

21

Partant, le principe de neutralité fiscale exige que l’exonération de la TVA soit accordée si ces conditions de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (arrêt du 9 février 2017, Euro Tyre, C-21/16, EU:C:2017:106, point 36).

22

Est dénuée de pertinence, dans ce contexte, l’argumentation de la direction des finances tirée de l’article 138, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1910 du Conseil, du 4 décembre 2018 (JO 2018, L 311, p. 3), lequel prévoit que les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif, mais dans l’Union, lorsque l’assujetti, ou la personne morale non assujettie, destinataire de la livraison de biens est identifié aux fins de la TVA dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens et a communiqué son numéro d’identification TVA au fournisseur.

23

En effet, cette disposition, introduite par la directive 2018/1910, n’est pas applicable ratione temporis aux faits de l’affaire au principal.

24

Dès lors, les conditions énoncées à l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA, dans sa version applicable aux faits au principal, concernant, d’une part, l’existence d’une livraison d’un État membre à un autre et, d’autre part, la qualité d’assujetti de l’acquéreur, selon laquelle l’acquéreur doit être un «assujetti […] agissant en tant que tel dans un [autre] État membre», n’impliquent pas, en soi, que la livraison physique des biens concernés doit être effectuée au destinataire indiqué sur les documents fiscaux.

25

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’administration fiscale a refusé à B2 Energy le bénéfice de l’exonération de la TVA au motif que cette société n’a pas prouvé que les marchandises concernées avaient été livrées aux destinataires déclarés dans les documents fiscaux ni que ces marchandises avaient été livrées à une personne immatriculée à la TVA dans un autre État membre.

26

À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, il n’existe que deux cas de figure dans lesquels le non-respect d’une exigence formelle peut entraîner la perte du droit à l’exonération de la TVA (arrêt du 9 février 2017, Euro Tyre, C-21/16, EU:C:2017:106, point 38 et jurisprudence citée).

27

En premier lieu, le principe de neutralité fiscale ne saurait être invoqué, aux fins de l’exonération de la TVA, par un assujetti qui a intentionnellement participé à une fraude fiscale ayant mis en péril le fonctionnement du système commun de la TVA. En effet, il n’est pas contraire au droit de l’Union d’exiger d’un opérateur qu’il agisse de bonne foi et prenne toute mesure pouvant raisonnablement être requise pour s’assurer que l’opération qu’il effectue ne le conduit pas à participer à une fraude fiscale. Dans l’hypothèse où l’assujetti concerné savait ou aurait dû savoir que l’opération qu’il a effectuée était impliquée dans une fraude commise par l’acquéreur et qu’il n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables en son pouvoir pour éviter cette fraude, le bénéfice de l’exonération devrait lui être refusé (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 41 et jurisprudence citée).

28

En second lieu, la violation d’une exigence formelle peut conduire au refus de l’exonération de la TVA si cette violation a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (arrêt du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 42 et jurisprudence citée). Il résulte, cependant, de la condition même à laquelle ce refus d’exonération de la TVA est subordonné que l’administration ne saurait imposer des exigences supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice du droit à exonération de l’assujetti, dès lors qu’elle dispose des données nécessaires pour établir que les exigences de fond sont satisfaites (arrêt du 20 octobre 2016, Plöckl, C-24/15, EU:C:2016:791, point 47), et notamment que les marchandises ont été livrées à un assujetti agissant en tant que tel.

29

Il convient de relever, à cet égard, que la juridiction de renvoi s’en tient à interroger la Cour sur la nécessité d’établir la qualité d’assujetti de l’acquéreur sans se référer à l’hypothèse d’une fraude. Dans ces conditions, il convient de comprendre la question posée par la juridiction de renvoi comme visant les modalités de preuve susceptibles d’être imposées au fournisseur pour démontrer que les conditions de l’exonération de la TVA lors d’une livraison de biens vers un autre État membre, et plus particulièrement la condition relative à la qualité d’assujetti de l’acquéreur, sont remplies.

30

Dès lors, il importe de rappeler que, en l’absence d’une disposition dans la directive TVA quant aux preuves que les assujettis sont tenus de fournir afin de bénéficier de l’exonération de la TVA, il appartient aux États membres de fixer, conformément à l’article 131 de cette directive, les conditions dans lesquelles ils exonèrent les opérations intracommunautaires en vue d’assurer l’application correcte et simple de ces exonérations et de prévenir toute fraude, toute évasion et tout abus éventuels. Les États membres doivent, dans l’exercice de leurs pouvoirs, respecter les principes généraux du droit qui font partie de l’ordre juridique de l’Union, au nombre desquels figurent notamment les principes de sécurité juridique et de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 37 et jurisprudence citée).

31

Il convient de constater, à cet égard, que, depuis l’abolition du contrôle aux frontières entre les États membres, il s’avère difficile pour l’administration fiscale de vérifier si les marchandises ont ou non physiquement quitté le territoire d’un État membre. De ce fait, c’est principalement sur la base des preuves fournies par les assujettis et des déclarations de ces derniers que les autorités fiscales nationales procèdent à une telle vérification (arrêt du 6 septembre 2012, Mecsek-Gabona, C-273/11, EU:C:2012:547, point 35 et jurisprudence citée).

32

Plus spécifiquement, la Cour a souligné que les obligations qui incombent à un assujetti en matière de preuve doivent être déterminées en fonction des conditions fixées expressément à cet égard par le droit national et de la pratique habituelle établie pour des transactions similaires (arrêt du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 57 et jurisprudence citée).

33

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi semble indiquer que B2 Energy a soumis à l’administration fiscale, sans démontrer qu’elle a livré les biens concernés aux destinataires déclarés, les documents fiscaux relatifs aux livraisons effectuées, y compris plusieurs pièces jointes telles que les notes de livraison, les lettres de voiture internationales, les bons de pesage ou les relevés de comptes bancaires, dont il ressort que les marchandises ont été livrées dans un autre État membre où leur réception a été certifiée par d’autres entités que celles déclarées par B2 Energy ou que celles qu’elle a présentées comme étant les destinataires finaux de ces marchandises.

34

Il ressort également des termes de la décision de renvoi et du libellé même de la question posée que cette question se fonde sur la prémisse selon laquelle l’administration fiscale disposait des informations nécessaires pour vérifier, à la lumière des faits, que les véritables destinataires avaient la qualité d’assujettis. Plus particulièrement, la juridiction de renvoi souligne que le transport d’huile de colza de la République tchèque vers la Pologne et son déchargement chez des destinataires, non identifiés par la requérante au principal dans ses déclarations fiscales, n’ont pas été contestés par l’administration fiscale. De plus, les livraisons en cause au principal porteraient sur des biens qui, par nature, sembleraient destinés à être utilisés dans le cadre d’une activité économique.

35

Cela étant, le fait que les marchandises ont été reçues par des entités autres que celles mentionnées dans les documents fiscaux pourrait indiquer qu’elles ont fait l’objet d’une opération commerciale, dont le moment peut être déterminant pour l’application de l’exonération. En effet, la qualification en tant que livraison intracommunautaire de la livraison effectuée par le fournisseur qui applique l’exonération et renseignée dans les documents fiscaux dépend de la question de savoir si le transport peut effectivement être imputé à cette livraison (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, VSTR, C-587/10, EU:C:2012:592, point 31).

36

À cet égard, il convient de souligner que, en vue de l’exonération de la TVA, les autorités fiscales doivent dûment tenir compte de tous les éléments en leur possession, tels que les documents dont fait état la juridiction de renvoi, aux fins d’examiner si ces documents peuvent, le cas échéant, étayer l’existence vraisemblable d’une livraison effective des marchandises transportées dans un État membre autre que l’État membre de départ du transport ou de l’expédition (voir, par analogie, arrêt du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, points 66 et 67).

37

Par ailleurs, au regard du principe de neutralité fiscale, il ne saurait être exigé de l’assujetti, pour pouvoir exercer son droit à l’exonération de la TVA, qu’il prouve, dans tous les cas, lorsque le destinataire des biens concernés n’a pas été identifié, que ce destinataire a la qualité d’assujetti dans la mesure où il résulte de façon certaine des circonstances factuelles que ledit destinataire avait nécessairement cette qualité (voir, par analogie, arrêt du 9 décembre 2021, Kemwater ProChemie, C-154/20, EU:C:2021:989, point 40).

38

Dans ces conditions, il appartient aux autorités fiscales et aux juridictions nationales compétentes de vérifier, sur la base de l’ensemble des documents produits, y compris des documents qui se trouvaient en la possession du fournisseur, si les conditions de fond du bénéfice de l’exonération de la TVA étaient réunies.

39

Ce n’est que dans l’hypothèse où, compte tenu des circonstances factuelles, et malgré les éléments fournis par l’assujetti, les données nécessaires pour vérifier que les conditions prévues à l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA étaient remplies font défaut que le bénéfice de l’exonération de la TVA doit être refusé à ce dernier, sans que l’administration fiscale soit tenue de prouver que cet assujetti a été impliqué dans une fraude à la TVA.

40

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il y a lieu de refuser l’exonération de la TVA d’un fournisseur établi dans un État membre, ayant livré des marchandises à destination d’un autre État membre, lorsque ce fournisseur n’a pas démontré que les marchandises avaient été livrées à un destinataire ayant la qualité d’assujetti dans ce dernier État membre et que, compte tenu des circonstances factuelles et des éléments fournis par le fournisseur, les données nécessaires pour vérifier que ce destinataire avait cette qualité font défaut.

Sur les dépens

41

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,

doit être interprété en ce sens que :

il y a lieu de refuser l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée d’un fournisseur établi dans un État membre, ayant livré des marchandises à destination d’un autre État membre, lorsque ce fournisseur n’a pas démontré que les marchandises avaient été livrées à un destinataire ayant la qualité d’assujetti dans ce dernier État membre et que, compte tenu des circonstances factuelles et des éléments fournis par le fournisseur, les données nécessaires pour vérifier que ce destinataire avait cette qualité font défaut.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.

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