Tribunal administratif de Bordeaux, 5 septembre 2013, n° 1200802

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Bordeaux, 5 sept. 2013, n° 1200802
Juridiction : Tribunal administratif de Bordeaux
Numéro : 1200802
Sur renvoi de : Conseil d'État, 18 octobre 2005

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE BORDEAUX

N° 1200802

___________

ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE

___________

M. Deshayes

Rapporteur

___________

Mme Martin

Rapporteur public

___________

Audience du 27 juin 2013

Lecture du 5 septembre 2013

___________

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Bordeaux

3e Chambre

60-01-02-01-01-02

Vu la requête, enregistrée le 5 mars 2012, présentée pour l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est situé XXX à Castillon-la-Bataille (33500), par Me Brun, avocat ; l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE demande au tribunal :

— de mettre à la charge de l’Etat une somme de 6 000 euros en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait de sa condamnation, par le conseil de prud’hommes de Libourne, à verser une somme du même montant à M. Y X, technicien de maintenance qu’elle avait recruté en contrat « nouvelles embauches » le 1er mars 2006 et qu’elle avait licencié le 19 juillet 2007 ;

— de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

— l’auteur de l’ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 n’était pas compétent pour édicter cet acte ;

— la responsabilité de l’Etat législateur pour réparer les préjudices qui résultent de l’intervention d’un acte législatif adopté en méconnaissance des engagements internationaux de la France a été reconnue par le juge administratif ; au cas d’espèce, le conseil de prud’hommes de Libourne a requalifié le contrat « nouvelles embauches » qu’elle avait conclu avec M. X au motif que les dispositions, d’ailleurs abrogées le 25 juin 2008, de l’ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, ayant acquis valeur législative et devenues l’article L. 1223-4 du code du travail, étaient en contradiction avec la convention n° 158 de l’organisation internationale du travail (OIT) du 22 juin 1982, ratifiée le 16 mars 1989 par la France ;

— l’ordonnance du 2 août 2005 ne satisfait pas aux exigences de la convention susmentionnée n° 158 de l’OIT, dont les dispositions étaient connues de l’Etat français ; la responsabilité de la puissance publique doit être engagée du fait d’un acte législatif contraire à une convention internationale ; en raison de l’incompatibilité de l’ordonnance du 2 août 2005 avec la convention n°158 de l’OIT, elle a subi un préjudice financier direct ; en appliquant les dispositions de cette ordonnance, elle a été condamnée par le conseil des prud’hommes ; son préjudice financier est constitué par la condamnation prononcée par le conseil de prud’hommes ;

Vu l’avis de réception de la demande préalable ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 avril 2012, présenté par le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, qui conclut au rejet de la requête ou, à tout le moins, à ce que la condamnation de l’Etat soit limitée à la moitié de la somme sollicitée ;

Il fait valoir que :

— à la date du 19 juillet 2007, à laquelle est intervenu le licenciement, il était de jurisprudence constante que les conseils de prud’hommes jugeaient que l’ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 était en contradiction avec la convention n° 158 ; nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, l’entreprise, qui a elle-même commis une faute, ne peut pas rechercher la responsabilité de l’Etat ;

— par un arrêt du 19 octobre 2005, le Conseil d’Etat avait jugé que l’ordonnance du 2 août 2005 était conforme à la convention n°158 de l’OIT ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 avril 2012, présenté pour l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE, qui confirme ses conclusions initiales et demande, en outre, au tribunal de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à ses difficultés de trésorerie et aux frais inhérents à la procédure d’exécution forcée du jugement du conseil de prud’hommes de Libourne ;

Vu le mémoire en production de pièces, enregistré le 14 juin 2013, présenté pour l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail ;

Vu la loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d’urgence pour l’emploi ;

Vu l’ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 relative au contrat de travail « nouvelles embauches » ;

Vu les lois n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 et n° 2006-339 du 23 mars 2006 ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 27 juin 2013 :

— le rapport de M. Deshayes, premier conseiller ;

— et les conclusions de Mme Martin, rapporteur public ;

Sur les conclusions principales :

1. Considérant que l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE, qui avait, le 1er mars 2006, recruté M. X en qualité de technicien de maintenance dans le cadre d’un contrat « nouvelles embauches » prévu par l’ordonnance du 2 août 2005, l’a licencié le 19 juillet 2007 sans formalités particulières, conformément aux dispositions de cette ordonnance ; que par un jugement du conseil de prud’hommes de Libourne, en date du 27 juin 2011, la société requérante a été condamnée à verser à son salarié des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif de la non-conformité de l’ordonnance du 2 août 2005 à la convention n° 158 de l’organisation internationale du travail (OIT) ; que l’entreprise requérante demande que l’Etat soit condamné à lui verser la somme totale de 6 000 euros sur le fondement du régime de responsabilité encourue à raison de la mise en œuvre de dispositions de nature législative contraires aux accords internationaux auxquels la France est partie, en réparation du préjudice qu’elle subi à la suite de cette condamnation ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la convention n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur : « Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. » ; qu’aux termes de l’article 7 de ladite convention : « Un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité. » ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de l’ordonnance du 2 août 2005 relative au contrat de travail « nouvelles embauches », implicitement ratifiée par les lois des 30 décembre 2005 et 23 mars 2006 susvisées : « Les employeurs qui entrent dans le champ du premier alinéa de l’article L. 131-2 du code du travail et qui emploient au plus vingt salariés peuvent conclure (…) un contrat de travail dénommé « contrat nouvelles embauches » ; que le premier alinéa de l’article 2 de cette même ordonnance énonce que ce contrat est conclu sans détermination de durée ; que, selon le deuxième alinéa de cet article : « Ce contrat est soumis aux dispositions du code du travail, à l’exception, pendant les deux premières années courant à compter de la date de sa conclusion, de celles des articles L. 122-4 à L. 122-11, L. 122-13 à L. 122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17 de ce code. » ; que les alinéas suivants du même article 2 précisent les conditions dans lesquelles les « contrats nouvelles embauches » peut être rompu pendant ces deux premières années ;

4. Considérant que la responsabilité de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ; que l’ordonnance du 2 août 2005 doit être regardée comme ayant été ratifiée implicitement par les lois n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 et n° 2006-339 du 23 mars 2006 ; que cette ratification a eu pour effet de lui conférer rétroactivement valeur législative ; que, par suite, cet acte de nature législative est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat du fait de son inconventionnalité ;

5. Considérant qu’en rendant non applicables au licenciement des salariés survenant pendant les deux années suivant leur recrutement par un contrat « nouvelles embauches » les dispositions de la loi du 13 juillet 1973 alors codifiées aux articles L. 122-4 à L. 122-11, L. 122-13 à L. 122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17 du code du travail, et en écartant de la sorte les dispositions générales relatives à la procédure préalable de licenciement, à l’exigence d’une cause réelle et sérieuse, à son énonciation et à son contrôle, privant ainsi le salarié du droit de se défendre préalablement à son licenciement tout en faisant peser exclusivement sur lui la charge de prouver le caractère abusif de la rupture, l’article 2 de l’ordonnance du 2 août 2005, devenu l’article L. 1223-4 du code du travail, ne satisfait pas aux exigences des stipulations susrappelées de la convention n° 158 de l’OIT ;

6. Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE a été condamnée par le conseil de prud’hommes de Libourne pour avoir licencié un salarié en respectant les dispositions de l’ordonnance du 2 août 2005, non conformes aux stipulations susrappelées de la convention n° 158 de l’OIT ; que l’administration ne peut utilement soutenir que la société requérante aurait commis une faute en choisissant de recourir au contrat « nouvelles embauches », dès lors que d’autres conseils de prud’hommes s’étaient préalablement prononcés dans le même sens que celui de Libourne ; que la circonstance que le Conseil d’Etat n’ait pas reconnu l’illégalité de l’ordonnance du 2 août 2005 n’est pas de nature à exclure la responsabilité de l’Etat du fait de l’inconventionnalité de cette ordonnance au regard de la convention n° 158 de l’OIT, consécutivement à la ratification de ce texte, qui lui a conféré une valeur législative ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la société requérante est fondée à soutenir que la responsabilité de l’Etat doit être engagée à son égard pour ce motif et à lui demander réparation de la somme de 6 000 euros, qui constitue pour elle le montant du préjudice qui a découlé de manière directe et certaine de l’inconventionnalité de l’ordonnance ;

Sur les autres conclusions :

7. Considérant que l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE demande au tribunal de l’indemniser du préjudice lié à ses difficultés de trésorerie et aux frais inhérents à la procédure d’exécution forcée du jugement du conseil de prud’hommes de Libourne ; que, toutefois, la requérante n’établit l’existence de ses difficultés de trésorerie par aucune pièce du dossier ; que l’Etat ne saurait être tenu pour responsable du fait que cette entreprise, qui avait été condamnée par le conseil de prud’hommes de Libourne le 27 juin 2011 à verser une somme de 6 000 euros à M. X, n’avait toujours pas exécuté ce jugement le 10 octobre 2012, date à laquelle son banquier a fait l’objet d’une saisie-attribution ; que, dans ces conditions, les conclusions indemnitaires présentées par l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE ne peuvent être accueillies ;

8. Considérant, en revanche, qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 200 euros à verser à l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’Etat versera à l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE une indemnité de 6 000 euros.

Article 2 : L’Etat versera à l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE une somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l’ENTREPRISE T.M. P INFORMATIQUE et au ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Délibéré après l’audience du 27 juin 2013, à laquelle siégeaient :

Mme Viard, président,

M. Deshayes, premier conseiller,

Mme Brouard-Lucas, premier conseiller.

Lu en audience publique le 5 septembre 2013.

Le rapporteur, Le président,

M. P. VIARD

R. DESHAYES

Le greffier,

C. JARDINE

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

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