Tribunal administratif de Toulouse, 26 décembre 2022, n° 2207219

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Toulouse, 26 déc. 2022, n° 2207219
Juridiction : Tribunal administratif de Toulouse
Numéro : 2207219
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 7 septembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2022, M. B F et Mme A G, représentés par Me Pougault, demandent au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de leur accorder le bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) d’enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de les prendre en charge, ainsi que leurs enfants, vers un hébergement d’urgence, à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros à verser à leur conseil, au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative, et de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ; dans l’hypothèse où ils ne seraient pas admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle, sur le seul fondement de l’article l. 761-1 Diu code de justice administrative.

Ils soutiennent :

— être arrivés en France en septembre 2021 pour y solliciter le bénéfice de l’asile ; ils ont été déboutés de leur demande par l’OFPRA, puis définitivement par la CNDA, occasionnant la fin de l’hébergement en CADA dans le département des Pyrénées Orientales ; ils sont revenus sur E en octobre 2022 car leur fille cadette présente des problèmes de santé ; depuis leur sortie du CADA, ils sont sans hébergement et dorment dans leur voiture ; leurs nombreux appels au « 115 » sont restés sans réponse ; l’état de santé de leur fille, qui souffre d’une maladie chronique, est incompatible avec cette situation ; le courrier de leur conseil en date du 13 décembre 2022 adressée au service de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités de leur conseil est restée sans réponse ; ils n’ont aucune ressource ;

—  l’urgence est établie dès lors qu’ils vivent dans un véhicule avec leurs deux enfants mineurs âgés de 3 et 8 ans scolarisés en classes de petite section de maternelle et en CE1 ; le praticien hospitalier du service de Néphrologie-Médecine pédiatrique de l’hôpital des enfants de E indique que leur fille C âgée de 3 ans est suivie par le service pour une maladie chronique dont les crises peuvent être déclenchées par une exposition au froid ; la situation est critique au regard de sa pathologie, de son jeune âge et des températures actuelles ; l’état de sa sœur âgée de 8 ans est fragilisé également par ces conditions de vie ; ils sont dans une situation de grande précarité ; cette situation porte atteinte à l’intérêt supérieur de leurs enfants ; la condition d’urgence est remplie au regard de l’état de santé de l’enfant C et de sa sœur mais également en raison de leur sécurité ;

— la carence de l’Etat porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit des personnes sans abri d’accéder à tout moment à un hébergement d’urgence, qui constitue une liberté fondamentale, ainsi qu’à la dignité humaine ; cette carence constitue une violation des articles L. 345-2, L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l’action sociale et des familles ; ils vivent dans un véhicule depuis plusieurs jours, ce qui est incompatible avec leur situation et l’état de santé des enfants, occasionnant un état de détresse, sanitaire et sociale de toute la famille.

La requête de M. B F et Mme A G a été communiquée au préfet de la Haute-Garonne, qui n’a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de l’action sociale et des familles ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

— le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. D pour statuer sur les demandes de référé.

Ont été entendus, au cours de l’audience publique du 21 décembre 2022 à 14h, en présence de Mme Guérin, greffière d’audience :

— le rapport de M. Bernos, juge des référés ;

— et les observations de Me Pougault représentant les requérants, qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;

— le préfet, régulièrement convoqué, n’étant ni présent, ni représenté.

Considérant ce qui suit :

1. M. B F et Mme A G, ressortissants arméniens, nés respectivement le 11 novembre 1983 à Tsaghkasen (Arménie) et le 14 août 1991 à Aragats (Arménie) ont été définitivement déboutée de leur demande d’asile par une décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) confirmant la décision de rejet prise par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Cette décision a conduit à la fin de leur prise en charge dans le cadre du dispositif d’hébergement ouvert aux demandeurs d’asile à compter d’octobre 2022.

Sur la demande d’admission à l’aide juridictionnelle provisoire :

2. Compte tenu de l’urgence à statuer sur la demande de M. B F et

Mme A G, il y a lieu de les admettre globalement au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

3. Aux termes des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

En ce qui concerne l’urgence :

4. Il résulte de l’instruction que leur enfant C, âgée de trois ans, souffre, selon les termes du certificat, non contesté par l’administration, établi en date du 15 décembre 2022 du praticien hospitalier, « d’une maladie chronique, dont les crises peuvent être déclenchées par l’exposition au froid, et rendent très difficiles la vie à la rue au regard de sa pathologie mais également de son jeune âge et des températures actuelles ». Or, cet enfant vit à la rue dans un véhicule, avec ses parents, et sa sœur âgée de 8 ans, situation non contestée qui est totalement inadaptée à son état de santé, mais aussi au regard de leur sécurité et de leur scolarisation en classes de petite section de maternelle et en CE1. Elle justifie donc d’une urgence de nature à justifier que le juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, statue sur sa demande.

En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

5. Aux termes des dispositions de l’article L. 345-2 du code de l’action sociale et des familles : " Dans chaque département est mis en place, sous l’autorité du représentant de l’Etat, un dispositif de veille sociale chargé d’accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu’appelle leur état. Cette orientation est assurée par un service intégré d’accueil et d’orientation, dans les conditions définies par la convention conclue avec le représentant de l’Etat dans le département, prévue à l’article

L. 345-2-4. / Ce dispositif fonctionne sans interruption et peut être saisi par toute personne, organisme ou collectivité « . En vertu des dispositions de l’article L. 345-2-2 du même code : » Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence () ". Enfin, aux termes de l’article

L. 121-7 du même code : « Sont à la charge de l’Etat au titre de l’aide sociale : () 8° Les mesures d’aide sociale en matière de logement, d’hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 () ».

6. Il appartient aux autorités de l’Etat de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale. Seule une carence caractérisée des autorités de l’Etat dans la mise en œuvre du droit à l’hébergement d’urgence peut faire apparaître, pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale permettant au juge des référés de faire usage des pouvoirs qu’il tient de ce texte, en ordonnant à l’administration de faire droit à une demande d’hébergement d’urgence. Il lui incombe d’apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l’administration, en tenant compte des moyens dont elle dispose, ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée. Les ressortissants étrangers qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée, et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l’article L. 542-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, n’ont pas vocation à bénéficier du dispositif d’hébergement d’urgence. Dès lors, s’agissant des ressortissants étrangers placés dans cette situation particulière, une carence constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l’issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu’en cas de circonstances exceptionnelles. Constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l’aide sociale à l’enfance, l’existence d’un risque grave pour la santé ou la sécurité d’enfants mineurs, dont l’intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant.

7. D’une part, il résulte de l’instruction que la demande d’asile des requérants a été rejetée et qu’ils ne bénéficient plus de ce fait, en vertu des dispositions de l’article L. 542-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, du droit de se maintenir sur le territoire français. Il résulte toutefois de l’instruction que l’état de santé des enfants, leur sécurité et leur scolarisation tel qu’ils ont été décrits au point 4 ci-dessus, doivent être regardés comme constituant une circonstance exceptionnelle au sens du point 6 ci-dessus.

8. D’autre part, si toutes les demandes d’hébergement d’urgence ne peuvent de toute évidence être satisfaites par les services de l’Etat, le préfet de la Haute-Garonne n’a produit aucun mémoire en défense susceptible d’informer le tribunal, notamment, quant aux possibilités d’hébergement effectives des requérants, à leur degré de priorité par rapport à d’autres demandeurs, aux diligences éventuellement accomplies par l’Etat et à la situation actuelle d’occupation du dispositif d’hébergement d’urgence. Aussi, au vu de la gravité de son état de santé, du nombre d’appels qu’ils ont formulés auprès du numéro d’appel 115 sans obtenir d’hébergement, et de la saisine écrite circonstanciée formulée par son conseil, les requérants sont fondés à soutenir que l’absence de prise en charge par l’Etat constitue, dans les circonstances de l’espèce, une carence caractérisée des autorités de l’Etat dans l’application des dispositions de l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles et porte dès lors une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l’hébergement d’urgence.

9. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de prendre en charge les intéressés et leurs enfants dans le cadre de l’hébergement d’urgence, avec mise à l’abri continue, dans un délai de quarante-huit heures suivant la notification de la présente ordonnance et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. M. B F et Mme A G ayant été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle globale à titre provisoire, leur avocat peut se prévaloir des dispositions du second alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sous réserve qu’il renonce à percevoir la part contributive de l’Etat, en application desdites dispositions. Dans le cas où l’aide juridictionnelle ne serait pas accordée à la requérante par le bureau d’aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros sera versée globalement à M. B F et Mme A G.

O R D O N N E :

Article 1er : M. B F et Mme A G sont admis globalement au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de faire droit à la demande d’hébergement d’urgence de M. B F et Mme A G en leur assurant une mise à l’abri continue, ainsi qu’à leurs deux enfants, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 100 (cent) euros par jour de retard à compter de cette échéance fixée par la présente ordonnance.

Article 3 : L’Etat versera au conseil de M. B F et Mme A G une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve pour

Me Pougault de renoncer au bénéfice de la part contributive de l’Etat à l’aide juridictionnelle.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B F et Mme A G, à Me Pougault et au préfet de la Haute-Garonne.

Fait à E, le 26 décembre 2022.

Le juge des référés, La greffière,

M. D H

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

la greffière en chef,

ou par délégation la greffière.

N°2207219

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