Tribunal administratif de Toulouse, Reconduite à la frontière, 29 décembre 2023, n° 2306342

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Toulouse, reconduite à la frontière, 29 déc. 2023, n° 2306342
Juridiction : Tribunal administratif de Toulouse
Numéro : 2306342
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 3 janvier 2024

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 18 octobre 2023 et des pièces enregistrées le 29 novembre 2023, Mme A D, représentée par Me Tercero, demande au tribunal :

1°) de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

2°) à titre principal d’annuler l’arrêté du 22 septembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de cette notification ;

4°) à titre subsidiaire, de suspendre l’exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français dans l’attente de la décision de la Cour nationale du droit d’asile ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 2 000 euros à son conseil, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et, dans l’hypothèse où elle ne serait pas admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle, le versement de cette même somme sur le seul fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— l’arrêté en litige méconnaît son droit d’être entendue tiré des dispositions des articles

41 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et des principes généraux de l’Union européenne ;

— elle n’a pas été informée de la confidentialité de sa demande d’asile et de sa possibilité de lever la confidentialité de sa demande d’asile en dépit de l’obligation d’information prévue aux articles R. 521-4 et R. 521-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— l’arrêté est entaché d’un défaut de motivation et d’un défaut d’examen de sa situation au regard des risques encourus dans son pays d’origine ;

— il méconnaît les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et est entaché d’une erreur de droit ;

En ce qui concerne les conclusions aux fins de suspension de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

— elle présente des éléments sérieux de nature à justifier son maintien sur le territoire au titre de l’asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 novembre 2023, le préfet de la

Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l’aide juridique,

— le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Le Fiblec, premier conseiller, pour statuer sur les demandes présentées au titre de l’article L. 614-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Le Fiblec,

— les observations de Me Tercero, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.

Me Tercero soulève également deux nouveaux moyens à l’encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français tirés, d’une part, de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et d’autre part, de l’erreur manifeste d’appréciation des conséquences de cette décision sur la situation de l’intéressée,

— les observations de Mme D, assistée de Mme C, interprète en arménien, qui répond aux questions du magistrat désigné,

— le préfet de la Haute-Garonne n’étant ni présent, ni représenté.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D, ressortissante arménienne, déclare être entrée sur le territoire français le 28 janvier 2023. Elle a sollicité son admission au bénéfice de l’asile le

8 février 2023 et sa demande a été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides le 10 juillet 2023. Par un arrêté du 22 septembre 2023, le préfet de la Haute-Garonne a obligé l’intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Sur le bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée : « Dans les cas d’urgence, sous réserve de l’appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président () ». Il y a lieu, eu égard à l’urgence qui s’attache à ce qu’il soit statué sur la requête de l’intéressée, de prononcer son admission provisoire à l’aide juridictionnelle.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

3. Aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

4. En l’espèce, Mme D s’est prévalue, lors de l’audience publique, de la présence en France de sa seconde fille ainsi que de celle de son gendre et de ses deux

petites-filles, et produit, à l’appui de ses allégations, l’original et la traduction de l’acte de naissance de sa fille résidant en France, le livret de famille de cette dernière et les actes de naissance de ses petites-filles nées en France en 2018 et en 2020. Elle verse également aux débats le titre de séjour de sa fille valable jusqu’au 9 mai 2024, la carte de résident de son gendre valable jusqu’au 25 janvier 2029, ainsi qu’une attestation d’hébergement établie par ce dernier. En outre, la requérante s’est également prévalue d’un risque d’isolement en cas de retour en Arménie en faisant valoir qu’elle est veuve depuis le décès de son mari en 2003, ce qu’elle démontre en produisant l’acte de décès de ce dernier. L’intéressée a également tenu des propos convaincants, lors de l’audience publique, par lesquels elle a expliqué avoir quitté sa région d’origine du Haut-Karabakh, enclavée en Azerbaidjan et objet d’un conflit avec ce pays, pour vivre, à partir de 2010, en Ukraine où réside sa fille aînée, dont elle produit également l’original et la traduction de l’acte de naissance à l’instance, puis être revenue dans le Haut-Karabakh lors du décès de sa mère en 2020, avant de finalement décider de rejoindre son autre fille en France, compte tenu de ce qu’elle ne pouvait revenir en Ukraine, depuis le début du conflit avec la Russie en février 2022 et de ce qu’elle n’a plus de contacts avec sa fille aînée restée dans ce pays. Au surplus, Mme D indique enfin qu’elle ne peut pas non plus retourner dans le Haut-Karabakh en raison de l’invasion de cette région par l’Azerbaïdjan en septembre 2023. Dès lors, il résulte de tout ce qui précède que l’intéressée, en dépit de son entrée récente sur le territoire français, doit être regardée comme ayant le centre de ses intérêts privés en France. Par suite, et dans les circonstances très particulières de l’espèce, Mme D est fondée à soutenir qu’en l’obligeant à quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Garonne a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris la décision attaquée. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être accueilli.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que Mme D est fondée à demander l’annulation de la décision du

22 septembre 2023 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne l’a obligée à quitter le territoire français. L’illégalité de cette décision prive de base légale la décision du même jour par laquelle cette même autorité a fixé le pays de renvoi.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

6. Il y a lieu d’enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de procéder au réexamen de la situation de Mme D dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement et de lui délivrer, dans l’attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette mesure d’injonction d’une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 250 euros à verser au conseil de la requérante, sous réserve de l’admission définitive de Mme D à l’aide juridictionnelle et sous réserve que Me Tercero renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans le cas où l’aide juridictionnelle ne serait pas accordée à la requérante par le bureau d’aide juridictionnelle, la somme de 1 250 euros lui sera directement versée.

D E C I D E :

Article 1er : Mme D est admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : L’arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 22 septembre 2023 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de procéder au réexamen de la situation de Mme D dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement en la munissant dans l’attente d’une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : Sous réserve de l’admission définitive de Mme D à l’aide juridictionnelle et sous réserve que Me Tercero renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, ce dernier versera à Me Tercero une somme de 1 250 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans le cas où l’aide juridictionnelle ne serait pas accordée à la requérante par le bureau d’aide juridictionnelle, la somme de

1 250 euros lui sera directement versée.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à Mme A D, à Me Tercero et au préfet de la Haute-Garonne.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.

Le magistrat désigné,

B. LE FIBLEC Le greffier,

M. B

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

No 230634

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