Tribunal administratif de Versailles, 23 décembre 2019, n° 1909393

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Versailles, 23 déc. 2019, n° 1909393
Juridiction : Tribunal administratif de Versailles
Numéro : 1909393
Décision précédente : Tribunal administratif de Versailles, 2 décembre 2019

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE VERSAILLES

1909393 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________
Mme Z X ___________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. B Le Méhauté Juge des référés Le tribunal administratif de Versailles ___________

Ordonnance du 23 décembre 2019 Le juge des référés ___________

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 décembre et 19 décembre 2019, Mme Z X, représentée par Me Matthieu Seingier, demande au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension des articles 3 à 7 de l’arrêté du 6 décembre 2019 par lesquels le maire de Mantes-la-Ville lui a infligé la sanction disciplinaire de l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;

2°) d’enjoindre au maire de la commune de Mantes-la-Ville de la rétablir dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Mantes-la-Ville une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme X soutient que :

- la condition d’urgence est remplie ; en effet, la décision contestée a pour conséquence de la priver de rémunération pendant trois mois alors qu’elle est veuve, élève seule sa fille de quatorze ans et a des charges fixes importantes, notamment en raison du remboursement d’un prêt immobilier ;

- il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision prise à son encontre ; en effet, la sanction contestée n’est pas suffisamment motivée en fait au regard des dispositions de l’article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, de l’article 14 du décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 relative à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux et des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration, alors même que cette décision s’écarte de l’avis émis par le conseil de discipline ; le dossier administratif qui lui a été adressé ne comportait aucun



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bordereau permettant de savoir le nombre de documents qu’il contenait et était incomplet, dès lors qu’il ne comprenait pas son évaluation de l’année 2018 ; le rapport disciplinaire du 8 août 2019 a été rédigé à charge et de façon non impartiale par la directrice générale des services qui lui était hostile ; la « fiche d’alerte d’exposition à un RPS » du 12 août 2019 a manifestement été rédigée par l’assistante de la directrice générale à sa demande ; il n’y a pas eu d’enquête administrative sérieuse et indépendante ; le manquement reproché au devoir de loyauté n’est pas pertinent pour un agent n’occupant pas un emploi fonctionnel ; l’accusation de « mise en cause des choix faits par la hiérarchie » est vague et mal fondée car elle n’a jamais critiqué son successeur ; le fait qu’elle a refusé la prise d’une journée de RTT à un agent et a accordé la prise de deux jours à un autre ne suffit pas à démontrer l’existence d’une faute disciplinaire ; le comportement irrespectueux qui lui est reproché à l’égard de sa hiérarchie n’est aucunement établi, de même que ses manquements à l’obligation de discrétion professionnelle ; si elle a enregistré une conversation, c’est pour se protéger dans un contexte de harcèlement et alors qu’elle avait pris peur à la suite des propos virulents tenus à son encontre par la directrice générale des services ; la sanction contestée est entaché de détournement de pouvoir et n’a eu pour but que de l’évincer des services municipaux ; elle est en outre disproportionnée, eu égard notamment à sa manière de servir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2019, la commune de Mantes-la- Ville, représentée par la Selarl d’avocat Woog et associés, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme X en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d’urgence n’est pas remplie, dès lors que la requérante ne justifie pas des difficultés financières engendrées par sa révocation et que son comportement a gravement perturbé le service ;

- il n’existe pas de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

Vu :

- les autres pièces du dossier et notamment celles produites à l’audience pour Mme X ;

- la requête enregistrée le 11 décembre 2019 sous le numéro 1909390 par laquelle Mme X demande l’annulation de la décision en litige.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Le Méhauté, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.



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Au cours de l’audience publique tenue en présence de Mme Gilbert, greffier d’audience, M. Le Méhauté a lu son rapport et entendu :

- Me Seingier, représentant Mme X, qui reprend les moyens développés dans ses écritures et précise que, depuis le mois d’août 2019, l’intéressée a bien la qualité de parent isolé et que les revenus fonciers qu’elle perçoit lui servent à rembourser un prêt immobilier ;

- Mme X, qui indique qu’elle n’a repris son service depuis la mesure de suspension intervenue en septembre 2019 et a été mise en congé par la commune avant la prise d’effet de son exclusion de fonctions ;

- Me Monnin, représentant la commune de Mantes-la-Ville, qui persiste dans ses moyens et précise que la sanction de la révocation a été rapportée, mais que la sanction proposée par le conseil de discipline était insuffisante eu égard aux faits reprochés et, qu’en outre, l’autorité territoriale n’est pas liée par l’avis du conseil de discipline.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience à 11h00.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de la vacance d’un emploi, la commune de Mantes-la-Ville a recruté Mme Z X par un contrat de travail à durée déterminée portant sur la période du 1er février 2017 au 31 janvier 2018, pour assurer, à temps complet, les fonctions d’agent d’état civil correspondant au grade d’adjoint administratif territorial de catégorie C. A compter du 4 décembre 2017, elle a été nommée responsable par intérim du service des affaires générales et de l’état civil. Elle a exercé ses fonctions sur le fondement d’un nouveau contrat, établi pour la période du 1er février au 31 mars 2018, puis a continué à les exercer après avoir été titularisée dans le grade d’adjoint administratif territorial à compter du 1er avril 2018. Par un arrêté du 2 avril 2019, le maire de Mantes-la-Ville lui a confié une délégation de fonction en matière d’état civil. Le 25 juin 2019, un appel à candidature interne a été lancé pour le poste de responsable du service de l’état civil et des affaires générales, sous la forme d’une note de service destinée aux agents de la collectivité. Mme X a postulé ce poste mais ne l’a pas obtenu et il a été attribué à M. Y, agent contractuel, à compter du 15 août 2019. Par un arrêté du 27 août 2019, Mme X a été suspendue de ses fonctions à compter du 2 septembre 2019, au motif qu’il lui était reproché « d’avoir commis une faute grave ». Le conseil de discipline de la fonction publique territoriale, réuni le 17 octobre 2019, a été d’avis de prononcer à son encontre la sanction de l’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de trois jours. Par un arrêté du 7 novembre 2019, le maire de Mantes-la-Ville a prononcé sa révocation. Par une ordonnance du 3 décembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a suspendu l’exécution de cet arrêté et a enjoint au maire de Mantes-la-Ville de procéder à la réintégration de Mme X dans un délai de quinze jours. Par un nouvel arrêté en date du 6 décembre 2019, le maire a rapporté son arrêté de révocation et prononcé à l’encontre de l’intéressée la sanction disciplinaire de l’exclusion de fonctions pour une durée de trois mois, en précisant que cette mesure prendrait effet sur la période du 16 décembre 2019 au 15 mars 2020 inclus. Mme X sollicite la suspension de ce dernier arrêté et demande en outre qu’il soit enjoint, sous astreinte, à l’autorité territoriale, de la rétablir dans ses fonctions dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir.



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Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (…) ». Aux termes de l’article L. 522-1 du même code : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique. (…) ». Enfin, aux termes du premier alinéa de l’article R. 522-1 dudit code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit (…) justifier de l’urgence de l’affaire. ».

En ce qui concerne l’urgence :

3. Il résulte des dispositions précitées que la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, d’apprécier concrètement, compte-tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.

4. En l’espèce, la sanction disciplinaire de l’exclusion de fonctions prise à l’encontre de Mme X a pour effet de la priver de rémunération pour trois mois alors qu’elle élève seule sa fille de quatorze ans et doit faire face au remboursement d’un emprunt immobilier. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le comportement et la manière de servir de l’intéressée, en sa qualité d’agent affecté à la gestion du cimetière communal, porterait gravement atteinte au fonctionnement du service. Ainsi, même si Mme X perçoit des revenus fonciers qui lui servent à rembourser l’emprunt immobilier, elle justifie suffisamment, eu égard à la sanction financière de privation de toute rémunération qui lui est infligée pour une période de trois mois, de son exclusion du service après une précédente mesure de révocation rapportée et du retentissement psychologique de ces décisions pendant la période de fin d’année, d’une situation d’urgence justifiant que le juge du référé suspension se prononce avant que soit effectivement rendu, compte tenu des délais de jugement prévisibles, un jugement au fond.

En ce qui concerne l’existence d’un moyen sérieux :

5. Aux termes de l’article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : « Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / Premier groupe : / l’avertissement ; / le blâme ; / l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; / (…) Troisième groupe : / la rétrogradation ; / l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / (…) ».

6. L’arrêté en litige a pour objet de sanctionner Mme X pour « la mise en cause des choix faits par la hiérarchie et/ou les élus », pour « un management disproportionné », une



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« méconnaissance du devoir de respect envers sa hiérarchie » et du « devoir de discrétion professionnelle marquée par la propagation de rumeurs » et en raison de « l’enregistrement audio clandestin » réalisé lors d’un entretien professionnel. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme X a sollicité elle-même et accepté son retour sur le poste de gestionnaire du cimetière qu’elle occupait avant d’occuper le poste de responsable du service de l’état civil. Par ailleurs, la commune produit peu d’éléments de nature à caractériser une faute disciplinaire en ce qui concerne le grief du « management disproportionné ». En ce qui concerne les reproches portant sur le devoir de respect de la hiérarchie et de discrétion professionnelle, il ressort de l’ensemble des pièces du dossier qu’une ambiance de familiarité existait entre les agents du service, indépendamment de leur positionnement hiérarchique, renforcée par l’existence de liens d’amitié ou familiaux entre plusieurs d’entre eux. Dans ses conditions, eu égard à la gravité relative des seuls faits pouvant être regardés comme établis et de nature à constituer une faute disciplinaire et compte tenu des qualités professionnelles de Mme X telles qu’elles ressortent de ses évaluations, le moyen tiré de l’erreur manifeste commise par l’autorité territoriale dans le choix de la sanction disciplinaire de l’exclusion de fonctions pour une durée de trois mois est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

7. La suspension de l’exécution de l’arrêté portant révocation de Mme X implique nécessairement que l’intéressée soit réintégrée à titre provisoire dans ses fonctions, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de la sanction en litige. Il convient, dès lors, de faire droit aux conclusions de la requérante et d’enjoindre au maire de la commune de Mantes-la-Ville de procéder à sa réintégration dans un délai de quinze jours. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte de 50 euros par jour de retard, à défaut pour la commune de justifier de l’exécution de la présente ordonnance dans un délai de quinze jours à compter de sa notification.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions de la commune de Mantes-la-Ville dirigées contre Mme X qui n’est pas, dans la présente instance de référé, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Mantes-la-Ville la somme de 1 500 euros à verser à Mme X en application des mêmes dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution de l’arrêté du 6 décembre 2019 par lequel le maire de Mantes-la-Ville a prononcé à l’encontre de Mme X la sanction disciplinaire de l’exclusion de fonctions pour une durée de trois mois est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint au maire de Mantes-la-Ville de procéder à la réintégration de Mme X dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : Une astreinte de 50 euros par jour de retard est prononcée à l’encontre de la commune de Mantes-la-Ville s’il n’est pas justifié de l’exécution de la présente ordonnance dans le délai mentionné à l’article 2 ci-dessus.



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Article 4 : La commune de Mantes-la-Ville versera à Mme X la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées pour la commune de Mantes-la-Ville au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Z X et à la commune de Mantes-la-Ville.

Fait à Versailles, le 23 décembre 2019.

Le juge des référés, Le greffier,

signé signé

[…]

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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