Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 2e section, 26 novembre 2010, n° 09/14070

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Chronologie de l’affaire

Commentaires2

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 2e sect., 26 nov. 2010, n° 09/14070
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 09/14070

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

N° MINUTE :

Assignation du :

07 Septembre 2009

(footnote: 1)

JUGEMENT

rendu le 26 Novembre 2010

DEMANDEURS

Société AQ AR AS,S.A., représentée par son Président M N.

[…]

[…]

représentée par Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, , vestiaire #A0738

Monsieur O X

[…]

[…]

représenté par Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0738

DÉFENDEURS

Société TS PRODUCTIONS

73 rue Notre-Dame des Champs

RDC fond gauche

[…]

représentée par Me Yves-AO NEDELEC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1066

Monsieur P B

[…]

CHANTEMESLE

[…]

représenté par Me Yves-AO NEDELEC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1066

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Véronique RENARD, Vice-Président, signataire de la décision

Eric . HALPHEN, Vice-Président

Q R, Juge

assistée de Jeanine ROSTAL, FF Greffier, signataire de la décision

DEBATS

A l’audience du 14 Octobre 2010

tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé par remise de la décision au greffe

Contradictoire

en premier ressort

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur O X, qui précise être Maître de conférences à l’Université et Docteur en histoire de l’art, expose avoir soutenu en 1984 en Sorbonne une thèse de doctorat consacrée à AB de Z. Le fruit de cette thèse a fait ensuite l’objet d’une biographie publiée par les AQ AR AS sous le titre AB de Z en 1986.

Le 1er octobre 2008, un film intitulé AB, produit par la société TS PRODUCTIONS et dont le scénario, écrit par Monsieur P B, avait obtenu en 2006 le Grand Prix du meilleur scénario original, est sorti en salles. En février 2009, l’Académie des Césars a récompensé ce film par sept prix, dont le César du meilleur scénario original.

Estimant que le scénario de ce film contiendrait de nombreux passages qui seraient la reproduction servile ou quasi-servile de l’ouvrage publié en 1986, et après l’envoi, le 26 mars 2009, d’une mise en demeure restée infructueuse, Monsieur O X et la société AQ AR AS ont, par actes des 7 et 14 septembre 2009, fait assigner la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B en contrefaçon de droits d’auteur et subsidiairement concurrence déloyale et parasitisme.

Dans leurs conclusions en réponse et récapitulatives du 15 septembre 2010, Monsieur O X et la société AQ AR AS, après avoir réfuté les arguments présentés en défense, demandent au Tribunal de :

— dire et juger que la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B ont commis des actes de contrefaçon en reproduisant l’œuvre de Monsieur X sans autorisation préalable de celui-ci ni des AQ AR AS,

en conséquence,

— désigner aux frais de la société TS PRODUCTIONS, tel expert qu’il lui plaira avec pour mission de vérifier l’étendue de l’exploitation et de la diffusion du film AB, en France et à l’étranger et sur tous supports et de calculer le chiffre d’affaires réalisé au titre de cette exploitation,

— condamner in solidum la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B à verser à Monsieur O X la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la contrefaçon de l’œuvre précitée,

— condamner in solidum la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B à verser aux AQ AR AS la somme de 500.000 euros à titre de provision sur dommages-intérêts en réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon de l’œuvre précitée,

subsidiairement,

— dire et juger que la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à leur encontre,

en conséquence,

— condamner in solidum la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B à leur verser à ce titre la somme globale de 500.000 euros,

en tout état de cause,

— rejeter la demande reconventionnelle formée par les défendeurs,

— leur interdire toute exploitation de l’œuvre contrefaisante et notamment la commercialisation et la diffusion, sur quelque support que ce soit, le film AB tant en France qu’à l’étranger, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée à compter du prononcé du jugement,

— condamner les défendeurs à publier le jugement à intervenir dans cinq journaux de leur choix, à leurs frais, à hauteur de 10.000 euros HT par insertion,

— condamner les défendeurs à publier le jugement à intervenir, à leurs frais, au Registre Public de la Cinématographie et de l’Audiovisuel,

— ordonner l’exécution provisoire,

— condamner in solidum la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B à leur verser la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de leur conseil.

Dans leurs dernières écritures du 5 octobre 2010, la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B contestent tout acte de contrefaçon et de parasitisme et concluent au débouté de toutes les demandes. A titre reconventionnel, ils sollicitent la condamnation in solidum des demandeurs à leur payer à chacun la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à leur réputation professionnelle et à leur droit moral, et la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’une mesure de publication. En cas de condamnation, il est demandé de dire que Monsieur P B devra sa garantie à la société TS PRODUCTIONS, en vertu des contrats de scénariste et d’auteur-réalisateur conclus.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 octobre 2010.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le caractère protégeable de l’œuvre AB de Z

Les dispositions de l’article L.112-1 du Code de la propriété intellectuelle protègent par le droit d’auteur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, pourvu qu’elles soient des créations originales. En application de l’article L.112-2 1° du même Code, les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques sont considérées comme œuvres de l’esprit.

En l’espèce, l’ouvrage AB de Z constitue une biographie romancée de la peintre et femme de ménage AB Y, dit AB de Z, ayant vécu entre la fin du XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle.

Pour en contester, de manière non explicite mais persistante, l’originalité, les défendeurs font valoir que le livre se contenterait de raconter la vie de AB de Z en reprenant des faits historiques qui seraient donc dans le domaine public, et considèrent qu’aucun auteur ne saurait prétendre monopoliser de tels faits.

Ils ajoutent que Monsieur X aurait « jusqu’à plus soif et en toute impunité puisé » dans plusieurs ouvrages antérieurs au sien, en particulier les œuvres ou manifestations suivantes :

— Un cas de peinture spontanée, AB de Z, approche psychobiographique, thèse de 1984 de S A,

— AB de Z par W-AW AX, éd. L’œil du temps, 1968,

— Exposition AB, T U, mai 1962,

— AB, Galerie d’art de tradition populaire, et AB, bouquetière sans rivale des fleurs maudites de l’instinct, L’information artistique, par H.N. I,

- AB, peintre aliéné, thèse pour le doctorat de médecine de 1965 de M.-A. ORTAS-PERETTI,

 – Cinq maîtres primitifs, par Wilhem H, éd. Daudy, 1949,

 – AB de Z, catalogue de l’exposition par W AA, Z, 1972.

Cependant, s’il est exact que les faits historiques ou purement biographiques ne peuvent en eux-mêmes subir la moindre appropriation, il en va autrement lorsque le récit qui les décrit porte à la connaissance du public des événements ou des situations auparavant restées dans l’ombre et les traite d’une manière propre à son auteur, que ce soit dans l’éclairage qu’il leur donne que dans l’approche personnelle ou littéraire avec laquelle il les retranscrit ou les commente.

Plus particulièrement, Monsieur X justifie avoir fait connaître au grand public, dans le détail, non seulement les éléments purement biographiques de la vie de AB Y, mais encore des séquences de son existence et des traits de son caractère que les ouvrages qui lui sont opposés n’avaient fait qu’ébaucher.

Il donne ainsi la liste des nombreuses personnes qu’il avait contactées dans la phase préparatoire de son écriture, qui lui ont permis de rassembler des informations et des anecdotes qui n’avaient pas été rassemblées, analysées et relatées jusqu’alors.

De la sorte, il a appris à ses lecteurs des faits qui n’avaient pas été auparavant dévoilés, étant à cet égard précisé que, contrairement à ce qui est soutenu en défense, la thèse de Madame A, qui date de la même année que celle de Monsieur X et qui n’a été disponible en bibliothèque qu’en 1997, ne peut constituer aucune antériorité certaine sur le travail du demandeur.

Par ailleurs, la lecture du livre de Monsieur X montre que celui-ci ne s’est pas contenté d’un travail d’historien, mêlant dans son livre le récit de faits véridiques à de nombreuses AC qu’il a lui-même AD, donnant ainsi à son livre un caractère romanesque indéniable.

Enfin, cette même lecture révèle un style et une construction tout à fait caractéristiques de son auteur qui dénotent une approche littéraire qui n’est pas contestable.

En conséquence, portant l’empreinte de son auteur, le livre AB de Z de Monsieur X bénéficie de la protection prévue par le livre I du Code de la propriété intellectuelle.

Sur la contrefaçon

Aux termes de l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en va de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». Il est de principe que la contrefaçon s’apprécie au regard des ressemblances, et non des différences, avec les éléments caractéristiques conférant à l’œuvre première son originalité.

En l’espèce, Monsieur X et la société AQ AR AS, qui rappellent n’avoir jamais été sollicités pour une quelconque adaptation ou reproduction partielle du livre dont s’agit, reprochent au scénario de Monsieur B, tel qu’il a été lu sur les ondes de la radio France-Culture les 13 mai et 2 décembre 2007 et 15 mars 2009, les 35 emprunts suivants (tableau extrait des conclusions des demandeurs) :

[…]

Biographie de M. X

(livre)

Scénario de M. B lu sur les ondes de France Culture

Présence dans le film

1. L’arrestation de AB par les gendarmes

« Les gendarmes l’entraînent dans le fourgon. Elle ne fait aucune résistance. Elle se laisse emmener, perdue dans sa propre histoire, ailleurs. » p. 152

« Mais AB de dit rien, ne fait rien, ne montre aucune résistance. On la fait monter dans un fourgon. » p.95

OUI

2. A l’hospice de Clermont où AB est internée

« On lui donne de la couleur, une palette, du papier. » p.161

« Mais je lui ai apporté des couleurs, une palette, du papier… il faut que je les lui donne. » p. 97

3. Idem

« Elle repousse tout avec dédain, avec ennui. Elle veut qu’on la laisse seule. » p. 161

« J’ai déjà essayé. Elle repousse tout avec dédain. Elle veut qu’on la laisse seule. » p. 98

OUI

4. Idem

« La peinture, dit-elle, c’est passé dans la nuit, ça s’est perdu dans la nuit. » p.161

« Elle dit que la peinture, c’est passé dans la nuit, ça s’est perdu dans la nuit, ce sont ses propres termes… » p.98

OUI

5. Sur l’admission de AB au pensionnat (après être restée un temps dans les pavillons communautaires)

« L’admission y était relativement chère. Elle eut donc sa chambre à elle, ses petites affaires personnelles, déjeuna en salle à manger, dans des assiettes en faïence, mais sans couteau, par peur du suicide. » p.160

« L’admission est relativement chère, mais ici, elle pourra avoir sa chambre à elle, ses petites affaires personnelles, déjeuner en salle à manger, manger dans des assiettes en faïence, sans couteaux évidemment… » p. 98

6. Idem

« On pouvait sortir dans le jardin, coudre, tricoter, jouer aux dés, dessiner, lire… » p.160

« Elle pourra même sortir seule dans le jardin… » p.98

7. AB montrant ses tableaux à Mme E

« Et elle lui montrait comme aurait fait une lanterne magique ses tableaux récents. Elle disait que c’était comme au spectacle… » p. 70

« AB change de tableau comme s’il s’agissait d’une représentation de lanterne magique. » p. 81

« Madame F, qui a pris place sur le tabouret et assiste au spectacle… »

OUI

(1h29mn)

8. Idem

« Mais figurez-vous, AB, que derrière vos beaux bouquets, il y a des choses que je distingue à peine, et qui me font peur. C’est comme ici, on dirait tout à coup que vos feuilles ont été blessées, déchiquetées, par un couteau, le cœur de vos fleurs, on dirait qu’il est tranché dans le vif, et que du sang en coule. » p. 70

« On dirait que derrière vos bouquets il y a des choses bizarres, des choses qui me font peur, AB. On dirait que vos feuilles ont été blessées, déchiquetées, par un couteau, que du sang va couler… » p. 81

OUI

9. Idem

« Je sais, Madame E, je sais. Quelquefois, quand je les regarde, comme maintenant, j’ai peur moi aussi de ce que j’ai fait… » p.70

« Je sais, Madame F… Quelquefois quand je les regarde comme maintenant, j’ai peur moi aussi de ce que j’ai fait… « p.81

OUI

10. AB parle de son processus créatif divin

« Quand il y a des fleurs qui poussent ainsi, je sens que des choses douces, que je ne pourrais pas vous expliquer, ma mère, coulent en moi. C’est comme vous diriez du miel, des liqueurs chaudes qui se glissent le long de tout mon être. Je me dis alors que Dieu m’aime. Il est là, en moi, il est comme un amoureux avec moi, il se coule dans moi. » p. 68-69

« Quand il y a des arbres qui poussent ainsi, je sens que des choses douces que je ne pourrais pas vous expliquer. C’est comme vous diriez du miel, des liqueurs chaudes. Je me dis alors que Dieu m’aime, il est comme un amoureux avec moi. » p. 74

11. La Mère supérieure à qui AB qui parle de sa passion pour la peinture

« - Tout ce qui est au dehors je ne l’entends plus. J’ai l’impression que Dieu se donne à moi seule. Qu’il m’a élue.

— Attention au péché d’orgueil, ma fille, veillez-y. » p. 69

AB : « Je ne peux pas arrêter c’est toute ma vie. » La Mère supérieure : « Péché d’orgueil ! » p. 53

OUI

12. Au sujet des voix de méchantes femmes que AB entend

« Elle prétend que ces voix lui ordonnent « d’abandonner la peinture, de reprendre le balai et la serpillière, qu’elles la brûleront vive avec ses toiles… » »p.62

« Elles me disent que je dois abandonner la peinture, reprendre le balai et la serpillière, qu’elles me brûleront vive, avec mes toiles ! » p. 69

OUI

13. Circonstances dans lesquelles AB s’adonne à la peinture

« Si elle est en compagnie, loin de son trou noir et misérable, son ‘'atelier'', et que « les voix » lui dictent quelque message, elle y court, abandonnant la compagnie et la conversation pour s’atteler, attentive, à la dictée surnaturelle. » p.146

« Mais cela m’a été dicté, Monsieur G… » p. 88

OUI

14. Idem

« Elle (la Vierge) me dit de faire la même chose que Dieu. Tout me vient d’en haut. » p.87

« C’est un ordre qui m’est venu d’en haut » p.88

OUI

AC AD par M. X et reprises servilement par M. B

Biographie de M. X

(livre)

Scénario de M. B lu sur les ondes de France Culture

Présence dans le film

15. Scène où elle ramasse de la boue dans les mares

« Quelquefois encore, elle ramassait de la terre bien molle qu’elle trouvait au bord des mares, de la terre aux teintes particulières, tantôt plus brunes, tantôt plus rousses, qu’elle voulait mêler à des pâtes, à ses laques. » p. 80

« Alliant des pigments inattendus à la pâte : sang, terre… » p.39

« Parfois je mêle à la peinture de la terre, de la boue, du sang. » p. 71

« AB marche dans un marécage, les jupons retroussés.

Elle plonge ses mains dans la boue, en sort de la glaise, des boues colorées, qu’elle verse dans des bocaux. Au sec, elle ramasse aussi des bouts de terre ». p.15

« Elle s’affaire à broyer, faire des mélanges. Terres glaises ramassées dans les marécages avec d’autres matières colorées, qu’elle verse dans ses nombreux flacons et bocaux : craies, fleurs, sang… » p.19

OUI

(16 mn)

16. Scène où AB montre ses toiles à ses voisines : comme au théâtre

« comme au spectacle… » p. 70 et 71

« comme au théâtre… » p. 80 et 81

OUI

(1h29)

17. Scène du rituel de la peinture

« Puis elle rentrait dans son puits pour y faire sa peintre, s’attaquer à un nouveau tableau, et c’était toujours le même cérémonial qui recommençait. D’abord il fallait prier, se mettre aux pieds de la Vierge, lui demander grâce, obtenir d’elle le pouvoir d’aller peindre. »p.82

« Elle va vers la fenêtre, sur laquelle est toujours posée la statue de la Vierge et se met à genoux, pour prier. » p. 63

OUI

(18 mn)

Autres éléments communs ou emprunts indirects

Biographie d’A. X

Scénario de M. B lu sur les ondes de France Culture

Présence dans le film

18. Sur la transubstantiation

« AB a tôt compris cette sensualité inhérente au culte catholique, seule religion au monde pratiquant la transubstantiation, cette anthropophagie divine. Le moment eucharistique est éminemment sensuel, culte chargé d’incantation, d’incarnation, puissamment érotisé… » p. 119 « Prête à donner son sang » p. 49 « C’est comme le vendredi saint, quand Jésus s’abandonne à son sacrifice. » p. 49

« - Prenez, prenez, car ceci est mon corps…

(…)

- Prenez prenez, car ceci est mon sang… » p. 94

OUI

19. La flèche de la cathédrale de Z

« Elle voit la flèche de la cathédrale Notre Dame s’élancer avec une vivacité prodigieuse… » p.27

Dans un autre contexte, mais à plusieurs reprises : « AB regarde la flèche de la cathédrale. » p. 95

OUI

(1 mn, 7 mn, […], […], […], […], […], […], […]

20. Sa peinture reflète la nature « de l’intérieur »

« Ces vignes, ces bois, ces prés, qu’elle avait tant représentés « de l’intérieur » » p. 175

« Je n’étais qu’avec mes fleurs, mes feuilles, et ça faisait à l’intérieur un bruit de tous les diables » p.86

« Regardez-la vraiment, de l’intérieur » p.99

« Et puis souvent, il m’a semblé le voir de l’intérieur » p.83

21. Sur la maison bourgeoise que AB rêve d’acquérir

« Du cuir de Gênes tendu sur les murs, des lustres à breloques de cristal. » p. 63

« Entièrement tapissée de cuir de Cordoue… » p. 86

22. La peinture : une passion amoureuse

« C’est comme une passion, comprenez-vous, ça vous tient au collet, et ça ne vous lâche plus. Il paraît que c’est la même chose dans l’amour. Eh bien ! moi, je suis amoureuse de la peinture. » p.86

« C’est un esprit vierge qui entre en peinture comme on entre en religion. » p. 39

Ces deux membres de phrases sont reliés et deviennent :

« Quand on fait de la peinture, mademoiselle AU-AV, on n’a pas grand ‘chose à faire avec le monde d’ici-bas. C’est comme d’entrer en religion. On aime autrement, on met tout son amour là-dedans. » p. 83

OUI

23. AB parle aux arbres

« Melle H se souvient encore aujourd’hui des discours vibrants qu’elle adressait aux arbres, aux moindres fleurs des champs… » p. 65

« Elle parle aux arbres, maintenant, on aura tout vu ! » p. 74

OUI

24. Sur les secrets de AB dans la fabrication de ses couleurs

« H s’est souvent interrogé sur la qualité de ses rouges et sur la transparence émaillée de ses verts, d’autant plus qu’ils ne procédaient d’aucune préparation toute faite, mais de savants mélanges. AB s’est aussi ingéniée à conserver le mystère autour de ses moments de création, donnant ainsi à son travail l’allure de rites occultes et mystérieux. » p. 103

« - Quelle drôle de couleur… Je peux vous demander comment vous avez obtenu cette matière ? Ce jaune par exemple, c’est quel pigment…

— Que Monsieur ne me demande pas mes secrets. Je les garde pour moi, sinon ce ne seraient plus des secrets… » p. 34

OUI

25. AB a de l’or dans les mains

« Dans cette ville, un être fabrique de l’or… » p. 48

« Vous avez de l’or dans les mains » p.31

OUI

26. AB répond à ses maîtres

« Quelquefois, elle a des révoltes, elle répond plus sèchement à ses maîtres… » p.18

« Il faut que tu perdes l’habitude de répondre, AB… » p. 20

OUI

27. AB parle à la nature

« Elle parlait seule à la campagne… » p.29

« Vous savez, monsieur, moi, quand je suis trop triste, je vais dans la campagne, et là, je parle aux oiseaux, aux fleurs, aux insectes… » p. 15

OUI

28. AB peint avec ses doigts

« Elle fait passer la couleur de ses doigts à la toile » p.203

« AB travaille à la main et avec la chair de sa pâte devenue […] sa propre chair… » p. 204

« parlant seule, peignant avec ses doigts… » p. 62

OUI

([…] et 55 mn et […]

29. Episode sur la compassion qu’elle éprouve pour les bêtes

« Des bêtes, elle avait appris leur longue patience, leur indifférence devant le temps qui passe… p. 81

« Une vache, quand on lui prend son veau, elle pleure, bien sûr. » p. 32

OUI

30. La peinture de AB procure à H l’envie de vivre

« Elle avait un pouvoir de vie qui lui paraissait inégalé… Il sortait toujours de chez elle rasséréné, comme s’il avait fait des provisions pour lui-même. » p. 72

« Elle va te donner envie de vivre, tu verras ». p. 72

31. AB utilise du sang pour faire ses mélanges

« Elle apprendra plus tard à parfaire sa propre technique, peignant avec des brosses qu’elle confectionnera, alliant des pigments inattendus à la pâte : sang, terre… » p.39

« AB en profite pour sortir de son panier un flacon qu’elle trempe dans le bac plein de sang, à l’insu de la bouchère. Elle essuie le flacon, le cache dans son panier » p.8

OUI

(11mn et 18 mn)

32. Scène où AB dort dans sa chambre, très sale

« Jamais ménage n’était fait. Elle qui avait ailleurs le souci du travail bien accompli, se laissait envahir par le désordre, quelquefois la saleté. » p.105

« Elle buvait un peu de son « vin d’énergie », et dont la bouteille trônait toujours sur l’étagère(…), elle était sale, car en peignant, elle ne craignait pas de mettre de la peinture sur ses mains, sur son visage, dans ses cheveux(…) Elle se couchait en travers du lit, dans les émanations des laques et de l’alcool, et s’abolissait dans un sommeil lourd » p.49 et 50

« A côté d’un nouveau tableau… la bouteille de vin d’énergie presque vide… du désordre… Elle a de la peinture partout, sur ses mains, ses cheveux… elle ronfle (…) AB dort sur le ventre, toute habillée (… ) Elle regarde la petite pièce crasseuse qui lui sert d’habitation et d’atelier… La misère. » p. 33

OUI

33. Scène au petit matin après une nuit de travail

« Elle s’étonnait que la toile fût si riche : « C’est de moi ? disait-elle ? De moi ? Est-ce bien moi qui l’ai peinte ? « (…) Et elle s’étonnait même de son chef-d’œuvre, pleurait quelque fois, comme on pleure devant la beauté. » p.50

« Elle ouvre les yeux, hagarde… Elle regarde le tableau comme si elle le découvrait. Elle met sa main devant sa bouche. AB regarde la petite pièce crasseuse… AB se laisse tomber à genoux devant le tableau, le regarde. Les larmes lui coulent sur les joues …». p.34

RESSEMBLANCES ISSUES DE LA DRAMATIQUE RÉALISÉE PAR A.X POUR FRANCE CULTURE EN 1989

Dramatique de M. X

AC AD

Scénario de M. B lu sur les ondes de France Culture

Présence dans le film

34. Scène où un tiers ne comprend pas un de ses tableaux

« Mais enfin, AB, c’est des pommes, ça ? où donc en voyez-vous ainsi ? » p.14

« « Mon Dieu, ces pommes, elles ressemblent à tout sauf à de pommes. N’est-ce pas Anatole qu’on dirait tout sauf des pommes ? » p.22

OUI

35. Le fait que AB signe ses toiles de tous ses noms et surnoms

« Et puis j’écrivais AB Y AE, sans Rivale, et tout commençait… » p.24

« Une grande toile vierge, enduite d’un fond de couleur… la main de AB signe S. Y, puis elle ajoute, « AE, sans Rivale »… » p.80

Pour sa part, Monsieur P B, dans une note versée aux débats, explique : « Comme Mr X, je suis parti à la recherche de AB et je n’ai fait que tirer les mêmes conclusions logiques et vraisemblables à partir des mêmes éléments et des mêmes sources que lui, qui sont plus nombreuses qu’il ne veut bien le dire ». Il ajoute : « On peut dire que j’ai lu la biographie de Mr X comme on lit un manuel d’histoire, sans mettre en doute le contenu, au même titre que toute la documentation disponible sur la vie et l’œuvre de AB. J’ai pris des notes comme je l’ai fait avec tout ce que j’avais pu réunir et lire à ce sujet avant d’écrire le scénario, mais aussi avec tout ce qui m’avait été transmis de vive voix (…) Mais je n’ai pas adapté son livre. Ce n’était pas mon intention. La AB de Monsieur X me paraissait hystérique, persécutée, bavarde, je ne la voyais pas ainsi. Je voulais un film calme et silencieux, pudique, contemplatif, comme un mantra, une épure, une méditation sur la peinture et a fortiori la création. » Il conclut en disant : « Si j’ai commis une maladresse ou fait preuve de négligence en laissant dans une version intermédiaire du scénario en gestation quelques réminiscences de lecture de la biographie de Mr X, réminiscences qui ne sont d’ailleurs plus dans le film lui-même (mais je le répète, en tant que biographe et historien d’art, je pensais que ses sources étaient exactes et que les paroles qu’il attribue à AB étaient la vérité) cela ne justifie pas de sa part une campagne de dénigrement aussi virulente par la presse et sur Internet ».

Il est à préciser que les défendeurs insistent en effet sur le fait que ce tableau a pour seule référence le scénario déposé à la SACD en juillet 2005 et non pas le scénario de tournage, terminé en mai 2007 après plusieurs versions intermédiaires. Cependant, il convient de préciser que l’œuvre incriminée est bien ce scénario et non le film qui en a été tiré, de sorte que la comparaison portera sur les ressemblances entre le livre et ce scénario.

Dans la mesure où ces ressemblances sont contestées, il convient de les examiner une à une.

1) L’arrestation de AB par les gendarmes

En page 152 du livre de Monsieur X figurent les phrases suivantes : « Les gendarmes l’entraînent dans le fourgon. Elle ne fait aucune résistance. Elle se laisse emmener, perdue dans sa propre histoire, ailleurs ».

En page 95 du scénario litigieux, il est écrit : « Mais AB ne dit rien, ne fait rien, ne montre aucune résistance. On la fait monter dans un fourgon ».

Les demandeurs contestent la reprise des expressions « aucune résistance » et « fourgon ».

Les défendeurs, s’agissant du premier de ces termes, indiquent que ne montrer/ne faire aucune résistance est une expression d’usage courant. Ils considèrent surtout que Monsieur X aurait emprunté cette scène :

— d’une part au catalogue de l’exposition de 1972, qui évoque page 12 : « 25 février 1932 – Est transférée à l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise, dans un état d’apathie qui ne devait plus la quitter »,

— d’autre part au livre de AF AG de 1977-78, qui reprend les mêmes termes que le catalogue, en anglais,

— également à la thèse de Madame A, qui dit : « Car cette malheureuse devenait incapable de se diriger et de se conduire elle-même »,

— enfin au livre de 1949 de W.H qui, page 139, dit : « Quand rien de tout cela ne se produisit, il apparut qu’il n’y avait en elle nul ressort de résistance ».

Pour ce qui est du mot fourgon, il serait selon eux la conséquence logique du fait que AB Y avait été transférée, puisque, à l’époque, elle ne pouvait l’être que par fourgon.

Même si les antériorités alléguées ne reprennent pas les expressions litigieuses, celles-ci sont néanmoins trop banales pour qu’une quelconque contrefaçon soit constituée de ce chef.

2) A l’hospice de Clermont où AB est internée

En page 161 du livre de Monsieur X figure la phrase suivante : « On lui donne de la couleur, une palette, du papier ».

En page 97 du scénario il est écrit : « Mais je lui ai apporté des couleurs, une palette, du papier… il faut que je les lui donne ».

De même, bien que les antériorités invoquées par les défendeurs ne reprennent pas exactement ces mots, il apparaît que la formulation utilisée, purement informative, est trop banale et impersonnelle pour qu’une contrefaçon soit constituée de ce chef.

[…]

En page 161 du livre figurent les phrases suivantes : « Elle repousse tout avec dédain, avec ennui. Elle veut qu’on la laisse seule ».

En page 98 du scénario il est écrit : « J’ai déjà tout essayé. Elle repousse tout avec dédain. Elle veut qu’on la laisse seule ».

Pour justifier l’emploi de l’expression avec dédain, les défendeurs invoquent plusieurs antériorités, à savoir :

— J-P AX, AB de Z, page 58 : «  Quelques personnes (…) pensèrent à lui procurer un petit matériel de dessin et de peinture (…) Mais AB le refusa très simplement en disant : 'tout est terminé maintenant’ »,

- F. A, Un cas de peinture spontanée…, page 99 : « Mais pendant dix ans d’internement, AB ne peindra plus : 'on ne pratique pas mon métier dans ces endroits là', dira-t-elle »,

— M-A ORTAS-PERETTI, AB peintre aliénée, page 6 : « On ne travaille pas à l’Art dans ces établissements, écrira-t-elle. Ça ne représente pas ma profession ni mon genre de caractère ».

Ils ajoutent que le dédain serait fortement suggéré par la caractère sarcastique de ces remarques. De même, qu’on la laisse seule serait la conclusion logique des remarques de AB aux infirmières, rapportées ci-dessus.

Cependant, la reprise mots pour mots de ces deux expressions qui ne sont pas, contrairement à ce qui est ainsi soutenu, la conséquence logique de la situation vécue par AB Y, et qui n’ont rien de banal dans la formulation, outre le fait qu’elles soient reprises à l’identique dans le même ordre que rien n’imposait, établit les faits de contrefaçon, étant précisé que l’existence alléguée de « réminiscences » chez le scénariste ne l’empêchait pas de vérifier, avant d’apposer ces mots sur le papier, qu’ils étaient libres

de droit.

[…]

En page 161 du livre figure la phrase suivante : « La peinture, dit-elle, c’est passé dans la nuit, ça s’est perdu dans la nuit ».

En page 98 du scénario, il est écrit : « L’interne : ''Elle dit que la peinture, c’est passé dans la nuit, ça s’est perdu dans la nuit'', ce sont ses propres termes ».

C’est en vain que les défendeurs invoquent des antériorités qui, pour préciser l’état de dénuement mental dans lequel se trouvait AB Y, ne le décrivent pour autant pas dans les mêmes termes que le demandeur. Ceux-ci, au contraire de ce qui est soutenu en défense, loin de contenir la moindre banalité, supportent des images poétiques capables de faire comprendre avec une économie de mots la psychologie de AB.

Par ailleurs, le fait que Monsieur B ait pu penser que cette phrase avait réellement été prononcée par AB Y, ce que expliquerait selon lui l’emploi des guillemets et l’adjonction des mots « ce sont ses propres termes », ne le dispensait pas, une nouvelle fois, de procéder en ce sens à toutes vérifications utiles, étant ajouté que la bonne foi ainsi alléguée est inopérante en matière de contrefaçon.

Celle-ci est donc établie de ce chef.

5) L’admission de AB au pensionnat

En page 160 du livre figurent les phrases suivantes : « L’admission y était relativement chère. Elle eut donc sa chambre à elle, ses petites affaires personnelles, déjeuna en salle à manger, dans des assiettes en faïence, mais sans couteau, par peur du suicide ».

En page 98 du scénario il est écrit : « L’interne : ''' L’admission est relativement chère, mais ici elle pourra avoir sa chambre à elle, ses petites affaires personnelles, déjeuner en salle à manger, manger dans des assiettes en faïence, sans couteaux évidemment'' ».

Les défendeurs, qui se retranchent une nouvelle fois derrière la notion de « réminiscence », font valoir que seule une description banale aurait ainsi été reprise.

Néanmoins, outre que certains détails, concernant en particulier la faïence et les couteaux, sont repris à l’identique alors qu’ils ne découlent pas de manière naturelle de la présence de AB Y dans un pensionnat, la formulation utilisée dans le scénario, à savoir l’emploi de l’adverbe relativement et de l’adjectif petites qui figurent dans le livre sans nécessité historique ou littéraire, est révélatrice d’une contrefaçon qui, une nouvelle fois, ne peut être légitimée par la bonne foi alléguée.

Les faits de contrefaçon sont également constitués de ce chef.

[…]

En page 160 du livre figurent la phrase suivante : « On pouvait sortir dans le jardin, coudre, tricoter, jouer aux dés, dessiner, lire ».

En page 98 du scénario il est écrit : « Elle pourra même sortir seule dans le jardin ».

Sans qu’il soit nécessaire de se référer à la photographie produite en défense montrant l’hôpital de Clermont-de-l’Oise, il apparaît que la phrase contestée, qui évoque simplement l’idée d’une sortie dans le jardin et ne reprend qu’une partie de la phrase opposée, laquelle ne présente aucune originalité dans l’expression comme dans l’information, ne peut en soi constituer une contrefaçon.

7) AB montrant ses tableaux à Madame E

En page 70 du livre figurent les phrases suivante : « Et elle lui montrait comme aurait fait une lanterne magique ses tableaux récents. Elle disait que c’était comme au spectacle ».

En page 81 du scénario il est écrit : « AB change de tableau comme s’il s’agissait d’une représentation de lanterne magique. Madame E, qui a pris place sur le tabouret et assiste au spectacle… ».

Les antériorités invoquées ne contiennent ni l’image de la lanterne magique, ni celle du spectacle, mais seulement celle de représentation (J-P AX, page 42). D’autre part, le fait que les phrases litigieuses ne figurent ni dans le scénario définitif, ni dans le film, est indifférent ainsi qu’il a été ci-dessus exposé.

D’autre part, si la notion de spectacle est susceptible de contestation, car plutôt banale et sans recherche particulière, il n’en va pas de même de la comparaison inattendue avec une lanterne magique, qui ne découle pas de manière naturelle tant du contexte historique que de la biographie de AB Y.

Sa reprise à l’identique, que les défendeurs tentent de justifier par un développement inopérant sur les intentions du réalisateur, est constitutive de contrefaçon.

[…]

En page 70 du livre figurent les phrases suivantes : « Mais figurez-vous, AB, que derrière vos beaux bouquets, il y a des choses que je distingue à peine, et qui me font peur. C’est comme ici, on dirait tout à coup que vos feuilles ont été blessées, déchiquetées par un couteau, le cœur de vos fleurs, on dirait qu’il est tranché dans le vif, et que du sang en coule ».

En page 81 du scénario il est écrit : « On dirait que derrière vos bouquets il y a des choses bizarres, des choses qui me font peur, AB. On dirait que vos feuilles ont été blessées, déchiquetées, par un couteau, que du sang va couler ».

En dépit de l’existence, dans certaines antériorités, de l’adjectif ensanglanté ( H-M I page 67) et du verbe déchiqueter (M-A ORTAS-PERETTI page 22), il n’en demeure pas moins qu’associer une œuvre d’art à la sensation de peur constitue une image audacieuse et originale que sa reprise, dans une formulation similaire, précédant comme dans l’œuvre opposée tant le couteau que le sang, est constitutive de contrefaçon.

[…]

En page 70 du livre figurent les phrases suivantes : « Je sais, Madame E, je sais. Quelquefois, quand je les regarde, comme maintenant, j’ai peur moi aussi de ce que j’ai fait ».

En page 81 du scénario il est écrit : « Je sais, Madame E… Quelquefois quand je les regarde comme maintenant, j’ai peur moi aussi de ce que j’ai fait ».

Sans qu’il soit besoin d’étudier les antériorités avancées, lesquelles au demeurant, si elles la suggèrent, n’évoquent pas explicitement la peur, sans qu’il soit davantage utile de s’attarder sur l’attestation de Madame AH AI, comédienne qui joue le rôle de AB dans le film et qui prétend avoir ressenti, elle aussi, de la peur en découvrant les tableaux de AB, il apparaît que la reprise à l’identique de la formulation de Monsieur X, quasiment à la virgule près, qui plus est dans un passage qui suit de peu l’emprunt précédent, est constitutive de contrefaçon.

10) AB parle de son processus créatif divin

En pages 68-69 du livre figurent les phrases suivantes : « Quand il y a des fleurs qui poussent ainsi, je sens que des choses douces, que je ne pourrais pas vous expliquer, ma mère, coulent en moi. C’est comme vous diriez du miel, des liqueurs chaudes qui se glissent le long de tout mon être. Je me dis alors que Dieu m’aime. Il est là, en moi, il est comme un amoureux avec moi, il se coule dans moi ».

En page 74 du scénario il est écrit : « Quand il y a des arbres qui poussent ainsi, je sens que des choses douces que je ne pourrais pas vous expliquer. C’est comme vous diriez du miel, des liqueurs chaudes. Je me dis alors que Dieu m’aime, il est comme un amoureux avec moi ».

Les défendeurs font valoir que certaines expressions utilisées par Monsieur X proviendraient de la Bible (Cantique des Cantiques), rapprochement déjà mis en valeur par Monsieur H, ainsi que de Sainte Thérèse d’K, et estiment banale l’expression du demandeur.

Toutefois, si ces antériorités parlent effectivement du miel et d’une divine liqueur, il n’en demeure pas moins que l’application des ces thèmes à la personnalité de AB est originale, et que la formulation de Monsieur B reprend une nouvelle fois, à l’exception notable de l’arbre au lieu des fleurs – laquelle serait d’ailleurs de nature à évoquer un calcul certain dans la reprise – , dans le même ordre, les mots de Monsieur X, y compris dans la comparaison entre Dieu et un amoureux qui ne figure pas, en ces termes, dans lesdites antériorités.

La contrefaçon est établie de ce chef.

11) La Mère supérieure à AB

En page 69 du livre figurent les phrases suivantes : « Tout ce qui est au dehors je ne l’entends plus. J’ai l’impression de Dieu se donne à moi seule. Qu’il m’a élue.

- Attention au pêché d’orgueil, ma fille, veillez-y.  ».

En page 53 du scénario il est écrit : « AB : ''Je ne peux pas arrêter, c’est toute ma vie.'' La Mère supérieure :''Pêché d’orgueil !'' ».

Le terme de pêché d’orgueil est trop banal pour que sa reprise soit illicite.

12) Au sujet des voix de méchantes femmes que AB entend

En page 62 du livre figure la phrase suivante : « Elle prétend que ces voix lui ordonnent ''d’abandonner la peinture, de reprendre le balai et la serpillière, qu’elles la brûleront vive avec ses toiles'' ».

En page 69 du scénario il est écrit : « Elles me disent que je dois abandonner la peinture, reprendre le balai et la serpillière, qu’elles me brûleront vive, avec mes toiles ».

Même si la formulation de Monsieur X est reprise quasiment à l’identique, il apparaît que Monsieur J-P AX, en pages 39-40 de son ouvrage déjà cité qui date de 1968, avait écrit : « AB, laisse tes pinceaux, laisse tes couleurs. Tu n’as pas le droit de faire des peintures ! Tu n’es qu’une domestique. Tu ne sais rien ! (…) A toi le balai, la serpillière ! Frotte les parquets, AB ! Si tu oses encore faire des peintures, nous nous vengerons ! Tu sera jetée dehors ! On te brûlera avec toutes tes horreurs ! ». Cet extrait, qui contient tant l’idée des voix que les allusions à l’abandon de la peinture, à la reprise du balai et de la serpillière, et à l’éventualité de brûler avec ses toiles, est de nature à retirer toute originalité à la phrase opposée.

13) Circonstances dans lesquelles AB s’adonne à la peinture

En page 146 du livre figure la phrase suivante : « Si (…) les voix lui dictent quelque message, elle y court ».

En page 88 du scénario il est écrit : « Mais cela m’a été dicté, Monsieur G ».

La phrase opposée, en particulier l’emploi du seul verbe dicter, ne contient aucune originalité.

1[…]

En page 87 du livre figure la phrase suivante : « Elle (la Vierge) me dit de faire la même chose que Dieu. Tout me vient d’en haut ».

En page 88 du scénario il est écrit : « C’est un ordre qui m’est venu d’en haut ».

Là encore, la phrase opposée ne supporte aucune originalité, comme le confirme l’antériorité figurant en page 53 du livre de J-P AX : « Mon inspiration vient d’en haut ».

15) AB ramasse de la boue

En page 80 du livre figure la phrase suivante : « Quelquefois encore, elle ramassait de la terre bien molle qu’elle trouvait au bord des mares, de la terre aux teintes particulières, tantôt plus brunes, tantôt plus rousses, qu’elle voulait mêler à des pâtes, à ses laque ». En page 39 du livre figure la phrase suivante : « Alliant des pigments inattendus à la pâte : sang, terre… ». En page 71 du livre on trouve : « Parfois je mêle à la peinture de la terre, de la boue, du sang ».

En page 15 du scénario il est écrit : « AB marche dans un marécage, les jupons retroussés. Elle plonge ses mains dans la boue, en sort de la glaise, des boues colorées, qu’elle verse dans des bocaux. Au sec, elle ramasse aussi des bouts de terre ». En page 19 du scénario il est écrit : « Elle s’affaire à broyer, faire des mélanges. Terres glaises ramassées dans les marécages avec d’autres matières colorées, qu’elle verse dans ses nombreux flacons et bocaux : craies, fleurs, sang ».

Des antériorités avancées par les défendeurs, il ressort que le mystère demeure sur les ingrédients et la composition précise des couleurs et des matières utilisées par AB Y. Monsieur X a, dans son livre, résolu ce mystère en révélant, « fût-ce de manière imaginaire », qu’elle utilisait de la terre, de la boue, du sang.

Si l’utilisation par elle du sang est un fait historique maintenant avéré, comme le confirme la lettre envoyée par Monsieur O AJ à la productrice du film Madame AK AL en septembre 2007 (« Elle faisait paraît-il son rouge avec du sang récupéré à la boucherie »), aucune antériorité produite ne fait état de l’utilisation de terre et de boue.

Cependant, cette interprétation de Monsieur X, pour personnelle qu’elle soit, n’est somme toute qu’une idée, qu’un scénariste/réalisateur ayant fait des recherches est susceptible d’avoir retenue sans que pour autant cette reprise soit illicite, les idées étant de libre parcours.

Dès lors, aucune contrefaçon n’est constituée de ce chef.

16) Scène où AB montre ses toiles à ses voisines

En pages 70 et 71 du livre figure le passage suivant : « comme au spectacle ».

En pages 80 et 81 du scénario il est écrit : « comme au théâtre ».

Outre que ces faits ont déjà été évoqués au 7), la formulation manque d’originalité pour que l’éventuelle imitation puisse constituer une quelconque contrefaçon.

[…] de la peinture

En page 82 du livre figurent les phrases suivantes : « Puis elle rentrait dans son puits pour y faire sa peinture, s’attaquer à un nouveau tableau, et c’était toujours le même cérémonial qui recommençait. D’abord il fallait prier, se mettre aux pieds de la Vierge, lui demander grâce, obtenir d’elle le pouvoir d’aller peindre ».

En page 63 du scénario il est écrit : « Elle va vers la fenêtre, sur laquelle est toujours posée la statue de la Vierge et se met à genoux pour prier ».

Les antériorités proposées évoquent la présence d’une statue de la Vierge, ainsi que la station agenouillée avant de peindre (J-P AX, H-M I). Par ailleurs, il s’agit là d’une simple idée qui n’est pas susceptible d’appropriation.

Aucune contrefaçon n’est constituée de ce chef.

18) Sur la transsubstantiation

Dans le livre figurent, en page 119, les phrases suivantes : « AB a tôt compris cette sensualité inhérente au culte catholique, seule religion au monde pratiquant la transsubstantiation, cette anthropophagie divine. Le moment eucharistique est éminemment sensuel, culte chargé d’incantation, d’incarnation, puissamment érotisé », et en page 49 les phrases suivantes : « Prête à donner son sang… C’est comme le vendredi saint, quand Jésus s’abandonne à son sacrifice ».

En page 94 du scénario il est écrit : « Prenez, prenez, car ceci est mon corps… Prenez prenez, car ceci est mon sang ».

Même si, comme il le revendique, Monsieur X est le seul, parmi ceux qui ont écrit sur AB Y, à avoir expressément parlé à son sujet de transsubstantiation, il n’en demeure pas moins que plusieurs des auteurs qui ont écrit avant lui ont relevé, comme il le reconnaît lui-même, la dimension sensuelle de sa peinture, alliée à ses propos mystiques et prophétiques. Ainsi, W. H parle en page 134 de son livre d’une « passion extraordinaire, une ferveur sacrée, une ardeur médiévale », alors que H-M I dit pour sa part de AB, en page 67 de son ouvrage, que « au début de 1931, au paroxysme de l’inquiétude, on la vit aller et venir pour affirmer l’indignité du monde et annoncer la punition des méchants (…) elle vivait dans une atmosphère de vendredi Saint, hors de l’espace et du temps ».

Dans la mesure où il n’est pas possible de s’approprier des phrases issues de l’eucharistie du Nouveau testament et où la formulation

employée dans les deux cas ne présente pas de similitude, il convient d’écarter toute contrefaçon de ce chef.

19) La flèche de la cathédrale de Z

En page 27 du livre figure la phrase suivante : « Elle voit la flèche de la cathédrale Notre-Dame s’élancer avec une vivacité prodigieuse ».

En page 95 du scénario il est écrit : « AB regarde la flèche de la cathédrale ».

Puisque AB demeurait à Z, toute allusion à la cathédrale de cette ville et à sa flèche, logique et attendue, n’est pas susceptible d’appropriation en l’absence d’une quelconque originalité de forme.

20) Sa peinture reflète la nature de l’intérieur

Cette formulation apparaît à plusieurs reprises dans le livre, en pages 86 : « Je n’étais qu’avec mes fleurs, et ça faisait à l’intérieur un bruit de tous les diables », 99 : « Regardez-la vraiment, de l’intérieur » et 175 : « Ces vignes, ces bois, ces prés, qu’elle avait tant représentés de l’intérieur ».

En page 83 du scénario il est écrit : « Et puis souvent, il m’a semblé le voir de l’intérieur ».

Cette expression, d’ailleurs utilisée de part et d’autre dans des contextes différents, est trop banale pour qu’elle soit susceptible d’appropriation.

21) Sur la maison bourgeoise que AB rêve d’acquérir

En page 63 du livre figure la phrase suivante : « Du cuir de Gênes tendu sur les murs, des lustres à breloque de cristal ».

En page 86 du scénario il est écrit : « Entièrement tapissée de cuir de Cordoue ».

Les défendeurs font valoir d’une part que l’idée du cuir de Cordoue serait venue à Monsieur B de sa maison de famille en Corrèze dans laquelle se trouvait un tel cuir, « à ses yeux d’enfant le comble du luxe », d’autre part le fait que J-P AX, en page 43 de son livre, parle à propos de cette même maison rêvée de « panneaux tapissés de velours ».

Si la première de ces affirmations n’est pas établie, l’antériorité invoquée, même si elle concerne du velours et non du cuir, est de nature à priver la phrase de Monsieur X de toute originalité dans la mesure où à l’époque les murs étaient couverts soit de tissus, soit de velours, soit de cuir.

22) La peinture, une passion amoureuse

En page 86 du livre figure les phrases suivantes : « C’est comme une passion, comprenez-vous, et ça ne vous lâche plus. Il paraît que c’est

la même chose dans l’amour. Eh bien moi, je suis amoureuse de la peinture », et en page 39 : « C’est un esprit vierge qui entre ne peinture comme on entre en religion ».

En page 83 du scénario il est écrit : « Quand on fait de la peinture, mademoiselle AU-AV, on n’a pas grand chose à faire avec le onde d’ici-bas. C’est comme entrer en religion. On aime autrement, on met tout son amour là-dedans ».

Les antériorités invoquées en défense, si elles évoquent « une façon mystique dans ces messages d’amour (M-A ORTAS-PERETTI) ou une « adoration perpétuelle » (T AM), ne font pas comme Monsieur X le lien entre peinture, passion, religion et amour. De plus, les termes employés, sans être identiques au mot près, sont néanmoins très similaires, ces termes recouvrant une réelle originalité.

La contrefaçon est établie de ce chef.

23) AB parle aux arbres

En page 65 du livre figure la phrase suivante : « Melle H se souvient encore aujourd’hui des discours vibrants qu’elle adressait aux arbres, aux moindres fleurs des champs ».

En page 74 du scénario il est écrit : « Elle parle aux arbres maintenant, on aura tout vu ! ».

Dans la mesure où J-P AX, en page 52 de son livre, a écrit que AB s’adressait « au ciel, aux nuages, aux arbres, aux fleurs des champs, à tous les être de la nature », il convient de noter que la phrase de Monsieur X emprunte cette idée à cet auteur, rendant de ce fait sa phrase, dépourvue d’originalité, non protégeable.

24) Sur les secrets de AB dans la fabrication de ses couleurs

En page 103 du livre figurent les phrases suivantes : « H s’est souvent interrogé sur la qualité de ses rouges et sur la transparence émaillée de ses verts, d’autant plus qu’ils ne procédaient d’aucune préparation toute faite, mais de savants mélanges. AB s’est aussi ingéniée à conserver le mystère autour de ses moments de création, donnant ainsi à son travail l’allure de rites occultes et mystérieux ».

En page 34 du scénario il est écrit : « Quelle drôle de couleur… Je peux vous demander comment vous avez obtenu cette matière ? Ce jeune par exemple, c’est quel pigment ? – Que Monsieur ne me demande pas mes secrets. Je les garde pour moi, sinon ce ne seraient plus des secrets ».

A propos de ces couleurs, W. H avait écrit : « Le mystère de cette composition reste un secret qu’elle ne confie à personne », J-P AX « Elle use déjà de matières qu’elle compose elle-même, de préparation personnelle… Mais si on ose l’interroger sur la nature de ses mélanges, elle élude en affirmant ''J’ai ma manière'' », alors qu’on trouve des remarques identiques chez H-M I et T AM.

Dans ces conditions, le passage opposé n’est pas susceptible d’appropriation.

25) AB a de l’or dans les mains

En page 48 du livre figure la phrase suivante : « Dans cette ville, un être fabrique de l’or ».

En page 31 du scénario il est écrit : « Vous avez de l’or dans les mains ».

Avoir de l’or dans les mains est une expression courante. Fabriquer de l’or à propos de la peinture est une comparaison plus originale qui n’a pas été reprise. Aucune contrefaçon n’est donc établie de ce chef.

26) AB répond à ses maîtres

En page 18 du livre figure la phrase suivante : « Quelquefois, elle a des révoltes, elle répond plus sèchement à ses maîtres ».

En page 20 du scénario il est écrit : « Il faut que tu perdes l’habitude de répondre, AB ».

AX avait écrit que AB « répondait un peu sèchement ». Par ailleurs, il n’y a aucune similitude entre l’expression de Monsieur X et celle de Monsieur B.

27) AB parle à la nature

D’un côté, « elle parlait seule à la campagne » (page 29 du livre de Monsieur X), de l’autre « Vous savez, monsieur, moi, quand je suis trop triste, je vais dans la campagne, et là, je parle aux oiseaux, aux fleurs, aux insectes » (page 15 du scénario litigieux.

Ainsi qu’il a été noté au point 23), l’antériorité de J-P AX prive la phrase du demandeur, au demeurant très différente tant sur le fond que sur la forme du dialogue contesté, de toute possibilité de protection.

28) AB peint avec ses doigts

En pages 203 et 204 du livre figurent les phrases suivantes : « Elle fait passer la couleur de ses doigts à la toile (…) AB travaille à la main ».

En page 62 du scénario il est écrit : « parlant seule, peignant avec ses doigts ».

Les défendeurs produisent d’une part plusieurs antériorités censées relater que AB Y AN avec ses mains ou ses doigts, d’autre part deux attestations émanant d’une part de Madame A, d’autre part de Monsieur L, chef décorateur du film, selon lesquelles Monsieur B aurait eu des discussions avec eux sur la manière de peindre de AB et sur le fait que ses toiles pouvaient avoir été peintes avec les doigts.

Néanmoins, contrairement à ce qui est ainsi soutenu, les antériorités évoquent la possibilité que soient peints à la main les tableaux de Vivin, et non ceux de AB. Par ailleurs, les discussions relatées par les auteurs des attestations sont inopérantes pour savoir si Monsieur B, qui avait lu Monsieur X, a pu trouver chez un autre que celui-ci une quelconque référence à une utilisation de la main ou des doigts pour peindre.

Or, les auteurs antérieurs à Monsieur X ont tous insisté au contraire sur le fait que AB Y AN en cachette, refusant de laisser quiconque, y compris son protecteur Monsieur H, pénétrer dans son activité créatrice.

Dès lors, la relation de cette manière de peindre, dans une formulation comparable à celle du demandeur, est constitutive d’une contrefaçon.

29) La compassion qu’éprouve AB pour les bêtes

En page 81 du livre figure la phrase suivante : « Des bêtes, elle avait appris leur longue patience, leur indifférence devant le temps qui passe ».

En page 32 du scénario il est écrit : « Une vache, quand on lui prend son veau, elle pleure, bien sûr ».

Outre que la tendresse ou l’affection éprouvée par AB Y pour les animaux résulte à l’évidence des ouvrages de M-A ORTAS-PERETTI et de H-M I, aucune reprise ni similitude ne peut être perçue, tant sur la forme que sur le fond, dans les deux passages comparés.

30) La peinture de AB procure à H l’envie de vivre

En page 72 du livre figurent les phrases suivantes : « Elle avait un pouvoir de vie qui lui paraissait inégalé… Il sortait toujours de chez elle rasséréné, comme s’il avait fait des provisions pour lui-même ».

En page 72 du scénario il est écrit : « Elle va te donner envie de vivre, tu verras ».

Les antériorités mises en avant en défense parlent de la communion de AB avec la « vie première », et du fait qu’elle apportait à H des « raisons d’espérer ». En conséquence, il était possible d’en conclure qu’elle pouvait lui donner envie de vivre. Dès lors que l’élément biographique pouvait se déduire des autres livres que de celui de Monsieur X, et que la formulation utilisée dans les deux œuvres est différente, aucune contrefaçon n’est établie de ce chef.

31) AB utilise du sang pour faire ses mélanges.

En page 39 du livre figurent les phrases suivantes : « Elle apprendra plus tard à parfaire sa propre technique, peignant avec des brosses qu’elle confectionnera, alliant des pigments inattendus à la pâte : sang, terre… ».

En page 8 du scénario il est écrit : « AB en profite pour sortir de son panier un flacon qu’elle trempe dans le bac plein de sang, à l’insu de la bouchère.

Comme indiqué en point 15), l’utilisation par AB Y du sang pour confectionner ses couleurs est un fait historique avéré, de sorte que, les formulations n’étant en rien comparables, aucune contrefaçon n’est constituée à ce titre.

32) Scène où AB dort dans sa chambre très sale.

En page 105 du livre figurent les phrases suivantes : « Jamais ménage n’était fait. Elle qui avait ailleurs le souci du travail bien accompli, se laissait envahir par le désordre, quelquefois la saleté », et en pages 49 et 50 ce passage : « Elle buvait un peu de son ''vin d’énergie'' et dont la bouteille trônait toujours sur l’étagère (…) elle était sale, car en peignant, elle ne craignait pas de mettre de la peinture sur ses mains, sur son visage, dans ses cheveux (…) Elle se couchait en travers du lit, dans les émanations des laques et de l’alcool, et s’abolissait dans un sommeil lourd ».

En page 33 du scénario il est écrit : « A côté d’un nouveau tableau… la bouteille de vin d’énergie presque vide… du désordre… Elle a de la peinture partout, sur ses mains, ses cheveux… elle ronfle (…) AB dort sur le ventre, toute habillée (…) Elle regarde la petite pièce crasseuse qui lui sert d’habitation et d’atelier… La misère ».

Monsieur X expose être le premier à évoquer une combinaison de la saleté ou le désordre de la chambre de AB, sa crasse, le vin et sa manière de s’abandonner dans le sommeil. Il affirme que les commentaires parlent en général de l’ordre qui régnait chez AB.

Cependant, comme l’indiquent les défendeurs, ces commentaires se rapportaient, non à la chambre de AB avant la guerre de 1914, mais à la période ultérieure à 1927.

S’agissant de la première période, AO AP, dans son ouvrage Souvenirs d’enfance d’un senlisien (1972) indique au contraire : « AB vivait en deux ou trois pièces d’un vieux logis négligé », alors que H-M I précise, en page 3 de son livre, que la misère de AB « était extrême ». De même, W.H évoque « une pauvre chambrette », J-P AX parlant lui de dénuement. De surcroît, les défendeurs produisent une photographie de AB Y en train de peindre, la blouse couverte de peinture. Enfin, le penchant de celle-ci pour le vin est attesté par plusieurs auteurs dont J-P AX.

Dans ces conditions, il était logique d’imaginer que le logis de AB pouvait être en désordre et que, fatiguée et prise de boisson, elle pouvait dormir d’un sommeil lourd ou ronfler.

Dès lors que, sur le plan purement formel, aucune reprise n’est constatée, il convient de dire que la contrefaçon alléguée n’est pas constituée.

33) Scène au petit matin après une nuit de travail

En page 50 du livre figurent les phrases suivantes : « Elle s’étonnait que la toile fût si riche : ''C’est de moi ? Disait-elle. De moi ? Est-ce bien moi qui l’ai peinte ?'' (…) Et elle s’étonnait même de son chef-d’oeuvre, pleurait quelquefois comme on pleure devant la beauté ».

En page 34 du scénario il est écrit : « Elle ouvre les yeux, hagarde… Elle regarde le tableau comme si elle le découvrait. Elle met sa main devant sa bouche. AB regarde la petite pièce crasseuse… AB se laisse tomber à genoux devant le tableau, le regarde. Les larmes lui coulent des joues ».

La notion de l’étonnement devant sa toile, voire de sa découverte est la seule, à part les larmes qui n’ont rien d’originales, à figurer dans les deux passages. Elle découle, tant de M-A ORTAS-PERETTI, qui parle de l’émerveillement toujours nouveau de AB, que de J-P AX qui évoque une peinture ne ressemblant pas « aux réalisations d’une conception de la conscience claire ». Dès lors, aucune contrefaçon n’est constituée.

34) Scène où un tiers ne comprend pas un des tableaux

La comparaison, pour ce point et le suivant, concerne non le livre de Monsieur X, mais la dramatique, tirée de celui-ci, qu’il a écrite pour France-Culture en 1989.

En page 14 de cette dramatique figure la phrase suivante : « Mais enfin, AB, c’est des pommes, ça ? Où donc en voyez-vous ainsi ? ».

En page 22 du scénario il est écrit : « Mon Dieu, ces pommes, elles ressemblent à tout sauf à des pommes. N’est-ce pas Anatole qu’on dirait tout sauf des pommes ? ».

Cette anecdote sur les pommes, élément biographique connu qu’on cite notamment chez W.H, est trop banale pour que, la forme étant de surcroît différente, la contrefaçon alléguée soit constituée.

35) Le fait que AB signe ses toiles de ses nom et surnom

En page 22 de la dramatique figure la phrase suivante : « Et puis j’écrivais AB Y AE, sans Rivale, et tout commençait ».

En page 80 du scénario il est écrit : « Une grande toile vierge, enduite d’un fond de couleur… La main de AB signe S.Y, puis elle ajoute AE, sans Rivale ».

Contrairement à ce qui est indiqué par les demandeurs, se surnom de sans Rivale apparaît bien avant le livre de Monsieur X, en particulier dans les ouvrages de J-P AX et M-A ORTAS-PERETTI. Aucune contrefaçon n’est constituée de

ce chef.

Cette comparaison permet de retenir que les œuvres en cause ont pour points communs de brosser avec précision les traits de caractère de AB Y, dite AB de Z.

Si dans de nombreux cas, les ressemblances alléguées ont pour source, soit des éléments biographiques extraits de la réalité qui se trouvent donc dans le domaine public, soit des idées de libre parcours, soit encore des expressions de forme ne présentant pas d’originalité et n’étant pas de ce fait protégeables, il en va différemment pour 9 cas précis pour lesquels, outre la reprise d’éléments biographiques inventés par Monsieur X, on note une similitude dans la formulation employée, parfois au mot près, ce qui permet d’exclure la simple réminiscence derrière laquelle se retranchent les défendeurs.

La contrefaçon alléguée est en conséquence constituée.

Sur la concurrence déloyale

Bien qu’elle soit invoquée uniquement à titre subsidiaire, elle doit être examinée pour les cas où la contrefaçon a été écartée.

Monsieur X et la société AQ AR AS considèrent qu’en reproduisant des passages de l’ouvrage AB de Z, les défendeurs ont tiré bénéfice des recherches entreprises par l’auteur et du travail fourni par ce dernier pour rassembler et mettre en forme tous les éléments recueillis, commettant ainsi des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Cependant, à partir du moment où les passages litigieux mais jugés non contrefaisants sont la simple reprise d’idées ou d’éléments historiques ou biographiques réels et antérieurement diffusés faisant comme tels partie du domaine public, aucune faute de nature à constituer des actes de déloyauté ou de parasitisme n’est constituée.

La demande présentée à ce titre sera donc rejetée.

Sur la demande reconventionnelle en dénigrement

Monsieur B et la société TS PRODUCTIONS exposent que Monsieur X n’aurait pas hésité à prétendre que le film AB était l’adaptation de son livre, et que lui ainsi que son éditeur auraient initié postérieurement à la sortie de ce film à une campagne de presse, portant ainsi atteinte à leur droit moral et à leur réputation professionnelle.

Néanmoins, dans la mesure où l’action en contrefaçon a été en partie accueillie, les faits de dénigrement allégués ne sont pas établis.

Sur la garantie

La société TS PRODUCTIONS demande à être garantie par Monsieur P B de toute condamnation prononcée à son encontre, y compris les dépens et les frais de procédure, en s’appuyant sur l’article 4 du contrat de scénariste ayant lié l’auteur au producteur.

Bien que ce contrat n’ait pas été versé aux débats, il y a lieu de prendre acte de l’absence de contestation sur ce point de la part de Monsieur P B, et de dire qu’il devra garantir la société TS PRODUCTIONS de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre.

Sur les mesures réparatrices

Il ne sera pas fait droit à la mesure d’interdiction du film sollicitée, d’une part parce que tous les coauteurs de celui-ci, qui sont susceptibles de voir leurs droits atteints, n’ont pas été appelés en la cause, d’autre part parce que seule une version du scénario est contrefaisante, et non le film.

Par ailleurs, l’absence de mention du nom de Monsieur X, tant au générique de ce film que sur l’antenne de France-Culture lorsque le scénario litigieux a été lu et sur la page de garde du scénario lui-même, nonobstant une reprise partielle de son œuvre, constitue une atteinte à son droit moral qui sera réparée par l’octroi d’une somme de 25.000 euros.

Sans qu’il soit besoin de recourir à l’expertise sollicitée, dans la mesure où un scénariste n’est en général pas associé aux revenus futurs nés de l’exploitation du film, il convient d’allouer à la société AQ AR AS, en réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux née de l’absence d’achat des droits du livre qu’elle a édité, la somme de 25.000 euros.

Enfin, il sera fait droit à la mesure de publication dans les conditions fixées au dispositif de la présente décision.

Sur les autres demandes

Il y a lieu de condamner Monsieur P B et la société TS PRODUCTIONS, parties perdantes, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

En outre, ils doivent être condamnés à verser aux défendeurs, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 6.000 euros pour chacun des défendeurs.

Enfin, les circonstances de l’espèce justifient le prononcé de l’exécution provisoire, qui est de plus compatible avec la nature du litige.

************

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

— DIT que le livre AB de Z dont Monsieur O X est l’auteur bénéficie de la protection instaurée par le livre I du Code de la propriété intellectuelle ;

— DIT qu’en reproduisant 9 passages de cette œuvre dans la première version du scénario du film AB sans autorisation préalable, la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B ont commis des actes de contrefaçon ;

— CONDAMNE in solidum la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B à payer à Monsieur O X la somme de 25.000 euros en réparation de l’atteinte portée à son droit moral d’auteur ;

— CONDAMNE in solidum la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B à payer à la société AQ AR AS la somme de 25.000 euros en réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux ;

— ORDONNE la publication du dispositif du présent jugement dans 3 journaux ou magazines du choix des demandeurs et aux frais des défendeurs, dans la limite de 3.500 euros HT par insertion ;

— DIT que Monsieur P B devra garantir la société TS PRODUCTIONS de l’intégralité des condamnations prononcées contre elle ;

— REJETTE le surplus des demandes ainsi que la demande reconventionnelle ;

— CONDAMNE in solidum la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B à payer à Monsieur O X la somme de 6.000 euros et à la société AQ AR AS la même somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— CONDAMNE in solidum la société TS PRODUCTIONS et Monsieur P B aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;

— ORDONNE l’exécution provisoire.

Fait et jugé à PARIS le 26 novembre 2010

Le Greffier Le Président

Le Greffier Le Président

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 2e section, 26 novembre 2010, n° 09/14070