Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 19 mai 2017, n° 15/03223

  • Forme d'un "v" couché pointant vers la droite·
  • Exploitation sur le territoire français·
  • Altération du caractère distinctif·
  • Étendue territoriale de l'usage·
  • Déchéance de la marque·
  • Disponibilité du signe·
  • Principe de l'estoppel·
  • Dénomination sociale·
  • Action en déchéance·
  • Marque figurative

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

www.lachacinski-avocat.fr

Déchéance : l'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif. Mis en ligne en juin 2017 Le droit des marques suit la règle du premier arrivé, premier servi. Le titulaire de la marque bénéficie alors d'un droit exclusif d'exploitation sur le signe enregistré, en relation avec les produits et services visés dans l'acte d'enregistrement. Il peut donc l'opposer à tout acteur économique qui en ferait un usage non autorisé dans la vie des affaires. La contrepartie de ce droit d'occupation est l'obligation qui incombe au titulaire de faire …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 3e sect., 19 mai 2017, n° 15/03223
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 15/03223
Décision(s) liée(s) :
  • Tribunal de grande instance de Paris, 26 mai 2016, 2014/15915
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : ANTA
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 3558871 ; 3558852 ; 764381 ; 1551737
Classification internationale des marques : CL18 ; CL25 ; CL28
Référence INPI : M20170274
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 19 mai 2017

3e chambre 3e section N° RG : 15/03223

Assignation du 02 février 2015

DEMANDERESSE Société ANTA (CHINA) CO, LTD Dongshan Industrial Zone, Jingiang Fujian province REPUBLIQUE POPULAIRE représentée par Maître Tania KERN de l’AARPI KERN & WEYL, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0291

DÉFENDERESSE Société BROOKS SPORTS INC 3400 Stone W North 5th floor Seather WASHINGTON 98103 ETATS UNIS D’AMERIQUE représentée par Maître Franck VALENTIN de la SELARL ALTANA, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0021

COMPOSITION DU TRTBUNAL Béatrice F. Premier Vice-Président Adjoint Carine G, Vice-Président Florence BUTIN, Vice-Présidente assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier

DEBATS À l’audience du 27 février 2017 tenue en audience publique

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

Les parties La société ANTA est une société chinoise, créée en 1994, qui a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de vêtements de sports, de chaussures et d’accessoires sous sa propre marque. Elle se présente comme le deuxième plus gros producteur de vêtements de sport en Chine Continentale et la cinquième plus grosse entreprise d’articles de sport dans le monde (après Nike, Adidas, Puma et Asics). Elle est titulaire de plusieurs marques déposées en classes 18, 25 et 28:

— marque française figurative n°3558871

— marque française figurative n°3558852

déposées toutes deux le 27 février 2008 et enregistrées le 4 avril 2008 pour viser des produits en classes 18, 25 et 28 ;

- marque figurative internationale n°764381 désignant la France enregistrée le 28 août 2001, renouvelée le 10 octobre 2011 :

pour viser en classe 25 les produits suivants : « chaussures, vêtements, collets (vêtements), vêtements pour les enfants, layettes, costumes de bain, caleçons de bain, imperméables, chaussures de football, chaussures de sport avec crampons ».

La société BROOKS SPORTS INC (ci-après société BROOKS), qui a son siège dans l’État de Washington, aux États-Unis, indique qu’elle crée et produit des vêtements et chaussures de sport innovants ; elle soutient être connue pour ses chaussures de sport depuis 1970 qu’elle commercialise dans le monde entier ; elle expose commercialiser ses produits en France principalement via son site internet www.brooksrunning.com/fr .

Elle indique être titulaire de nombreux droits de propriété intellectuelle et en particulier de la marque figurative française n°1551737. Celle-ci a été déposée le 21 septembre 1989 par la société Wolverine World Wide Inc. et cédée à l’intéressée en 1993 ; elle vise les produits de la classe 25 Vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles, notamment ceux destinés aux loisirs et à la pratique des sports et comprend le signe suivant :

Le litige : Les sociétés BROOKS et ANTA sont en conflit à propos de leurs droits respectifs sur leurs marques figuratives. Une première procédure les a opposées, intentée, en septembre 2014, par la société BROOKS SPORTS Inc. devant le présent tribunal, qui a donné lieu à un jugement du 26 mai 2016 (RG 14/15915) par lequel le tribunal a déclaré irrecevable l’action formée

par la société BROOKS SPORTS INC en déchéance des marques de la société ANTA (China) Co Ltd. La société ANTA a engagé la présente procédure par acte introductif d’instance délivré par huissier de justice le 2 février 2015 pour solliciter le prononcé de la déchéance totale de la marque n° 1551737 de la société BROOKS SPORTS Inc. pour défaut d’usage sérieux de cette marque, ou à titre subsidiaire le prononcé de la déchéance totale de cette marque en raison de son usage sous une forme altérée en modifiant le caractère distinctif, ou encore la déchéance partielle pour absence de preuves d’usage de la marque en relation avec certains produits visés au dépôt.

Par ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 janvier 2017, la société ANTA demande au tribunal de : Vu l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, Vu l’article 700 du code de procédure civile, Vu les pièces versées aux débats,

À TITRE PRINCIPAL : DÉCLARER que la société ANTA a intérêt à agir en déchéance de la marque figurative française n° 1551737 et qu’elle est en conséquence recevable en son action, CONSTATER que les preuves d’usages de la marque figurative française n°1551737 fournies par la société BROOKS ne sont pas de nature à prouver l’usage sérieux de ladite marque en France, En conséquence, PRONONCER la déchéance de la marque figurative française n°1551737 à compter du 28 décembre 1996 et ce pour tous les produits qu9elle désigne en classe 25 : «vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles, notamment ceux destinés aux loisirs et à la pratique des sports ». À TITRE SUBSIDIAIRE : CONSTATER que les preuves d’usages de la marque figurative française n°1551737 fournies par la société BROOKS font état d’un usage de la marque sous une forme modifiée en altérant le caractère distinctif En conséquence, PRONONCER la déchéance de la marque figurative française n°1551737 à compter du 28 décembre 1996 et ce pour tous les produits qu9elle désigne en classe 25 : «vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles, notamment ceux destinés aux loisirs et à la pratique des sports ». À TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :

CONSTATER que les preuves d’usages de la marque figurative française n°1551737 fournies par la société BROOKS (pièces adverses n° 7 à 26) ne prouvent l’usage de la marque que pour les «chaussures de sport, tee-shirts et sweat-shirts». En conséquence, PRONONCER la déchéance de la marque figurative française n °1551737 à compter du 28 décembre 1996 et ce pour tous les produits qu9elle désigne en classe 25 : «vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles, notamment ceux destinés aux loisirs et à la pratique des sports », à l’exception des «chaussures de sport et tee- shirts». EN TOUT ETAT DE CAUSE : DÉBOUTER la société BROOKS SPORT INC de l’ensemble de ses demandes et fins de non-recevoir. DIRE ET JUGER que la décision à intervenir sera transmise à l’INPI aux fins d’inscription au Registre National des Marques sur réquisition du Greffier. CONDAMNER la société BROOKS SPORTS INC. à payer à la société ANTA (China) Co. Ltd la somme de 20.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. ORDONNER l’exécution provisoire de toute disposition pécuniaire du jugement à intervenir qui ferait droit – même partiellement – à une demande de la société ANTA (China). CONDAMNER la société BROOKS SPORTS INC. au payement des entiers dépens de la présente instance sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Tania KERN, avocat de l’AARPI Kern & Weyl La société ANTA fait valoir pour l’essentiel que :

- elle a intérêt à agir en déchéance pour défaut d’exploitation d’une marque proche en France contre une société concurrente directe, les marques figuratives en cause, constituées toutes deux de chevrons qui pourraient être considérées comme présentant certaines similarités visuelles et conceptuelles ; il existe un risque qu’un tribunal considère que les marques de la société ANTA, dont elle justifie l’usage en France, constituent l’imitation de la marque de la société BROOKS de nature à causer un risque de confusion dans l’esprit du public d’autant que les marques en cause désignent des produits identiques,
- elle souligne que dans la précédente procédure intentée par la société BROOKS, c’est le tribunal qui a soulevé d’office l’absence d’intérêt à agir de la demanderesse et précise qu’elle n’avait pas pris position dans ses écritures sur l’absence d’intérêt à agir de son adversaire ; elle conteste donc le moyen tiré de ce qu’elle se contredirait en poursuivant la déchéance des marques de la société BROOKS,

— sur le défaut d’usage de la marque litigieuse n° 155 1737 : les pièces versées en défense sont insuffisantes pour prouver un usage sérieux :

- les catalogues invoqués (pièces 7 à 10 adverses) sont destinés au marché américain ou britannique (rédigés en langue anglaise, sans traduction, prix libellés en dollars, service client situé aux USA…) ; les catalogues printemps 2015 et automne 2016 sont postérieurs à la demande et ne doivent pas être pris en compte,
- les impressions de pages du site internet de la défenderesse produites sont postérieures à la demande (datées du 20 janvier 2016 : pièces 11 à 11-3 et 26), de même pour les publications sur Facebook et Instagram (pièces 12-1 et 12-2 et 24) et ne peuvent pas être retenues comme preuves pertinentes d’usage de la marque de BROOKS, la jurisprudence étant exigeante pour l’admission de telles preuves,
- les factures n’établissent pas un usage sérieux : seules des factures de 2010 (pour 9.304,64 euros) et 2014 (2.969,60 euros) sont produites concernant la période de référence, qui n’établissent pas que la marque invoquée était apposée sur les produits, ces pièces ne pouvant établir au mieux qu’un usage symbolique,
- il faut tenir compte des usages dans le secteur économique concerné pour maintenir des parts de marché, de la nature des produits, des caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque : or le secteur des chaussures et vêtements de sport est en pleine expansion,
- l’usage à titre promotionnel invoqué à l’aide de factures de 2014 d’un montant nul n’est pas établi (on ignore à qui les produits -qui sont en faible nombre – ont été envoyés, il semble s’agir essentiellement de vêtements et non de chaussures, on ne sait pas si ces produits portent la marque litigieuse),
- en application de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle il faut prononcer la déchéance de la marque figurative française n° 1551737,
- à titre subsidiaire, si le tribunal retenait les pièces produites par la société BROOKS, il est demandé déjuger que : * l’usage de la marque sous une forme modifiée, à savoir :

en altère le caractère distinctif ; le signe déposé est constitué d’un chevron de couleur noire, de forme simple de sorte qu’une seule modification en altère l’impression d’ensemble ; parfois le chevron est allongé, parfois les deux branches sont droites sans reproduire l’arrondi du logo d’origine, ou est de couleur ; ces signes ont une physionomie différente du signe de la marque ;

* de même, l’adjonction du terme « Brooks » au chevron modifié altère également le caractère distinctif de la marque telle que déposée,
-à titre infiniment subsidiaire : la déchéance partielle de la marque figurative litigieuse n° 1551737 est encourue pour défaut d’usage pour une partie des produits visés dans son libellé : la jurisprudence admet la possibilité d’une re-définition du libellé d’une marque en le limitant aux produits en relation avec lesquels la marque est éventuellement exploitée ;la défenderesse ne justifie pas l’usage de sa marque pour les vêtements (en général) ni pour l’intégralité des catégories de chaussures visées («les bottes, les souliers et les pantoufles, notamment ceux destinés aux loisirs et à la pratique du sport»), à l’exception des chaussures de sport. La société BROOKS SPORTS INC a notifié par voie électronique le 17 janvier 2017 des conclusions n°4 en réponse par lesquelles elle demande au tribunal de : Vu l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, Vu l’article 700 du Code de procédure civile, Vu les éléments versés aux débats,

À TITRE PRINCIPAL : - Déclarer la société ANTA (China) Co., Ltd irrecevable à agir en déchéance de la marque française

n°155173 7 conformément au principe de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui ;

À TITRE SUBSIDIAIRE : - Constater l’usage sérieux de la marque française

n°1551 737 – dans sa forme déposée ou à tout le moins dans une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif – par la société BROOKS SPORTS Inc. pour l’ensemble des produits visés en classe 25 : « vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles, notamment ceux destinés aux loisirs et à la pratique des sports » ; - Débouter la société ANTA (China) Co., Ltd de l’ensemble de ses demandes ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- Condamner la société ANTA (China) Co., Ltd au paiement d’une somme de 27 624 euros à la société BROOKS SPORTS Inc. au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens en application de l’article 696 du même code dont le recouvrement pourra être opéré par La SELAS Valsamidis, Amsallem, Jonath, Flaicher & Associés selon les modalités prévues à l’article 699 dudit Code ;
- Ordonner l’exécution provisoire de toute disposition pécuniaire du jugement à intervenir qui ferait droit – même partiellement – à une demande de la société BROOKS SPORTS.

La défenderesse soutient essentiellement que :

- la demande en déchéance est irrecevable en application du principe dit de l’estoppel reconnu comme principe général par la Cour de cassation selon lequel le comportement procédural d’un plaideur est sanctionné par une fin de non-recevoir emportant l’irrecevabilité de la demande du plaideur, si le changement de position est de nature à induire l’autre partie en erreur sur ses intentions,
- en l’espèce, la société ANTA (China) Co. Ltd avait suggéré, dans la première procédure soumise au tribunal sur la saisine de la société BROOKS, que celle-ci n’avait pas d’intérêt à agir en déchéance de ses marques, position adoptée par le jugement rendu le 26 mai 2016 ; dans la présente procédure, la société ANTA se contredit au détriment de son adversaire puisqu’elle soutient avoir quant à elle un intérêt à agir en déchéance des marques de la société BROOKS, ce qui constitue des prétentions totalement contradictoires,
- à titre subsidiaire, elle établit l’usage sérieux de sa marque en France :

- sous sa forme déposée : par des offres à la vente de produits marqués * par les catalogues publiés 2 fois par an proposant notamment les chaussures Chariot, Vanguard, Vantage qui reproduisent sur leur flanc la marque en cause, peu important la rédaction de ces documents en anglais, les images étant déterminantes en ce domaine ou le fait que le prix soit exprimé en dollars, lequel n’empêche pas un paiement en France, le catalogue Printemps 2015 a forcément été communiqué au public avant le 2 février 2015 date de l’assignation, elle produit le catalogue 2014 qui n’est pas critiqué par la demanderesse, * sur le site internet www.brooksrunning.com/fr qui propose des vêtements, des chaussures (Chariot, Vanguard,…) portant le signe de la marque, les copies d’écran de pages du site constituent des preuves admissibles ; elle soutient qu’elle établit que son site est actif depuis mai 2010 et même depuis le 28 janvier 2007, * l’usage sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram (il est par exemple relaté un événement sportif en Corse avec des photos montrant la marque figurative), la demanderesse ne conteste que la forme des pièces et non le contenu,

* ventes en France des produits en cause : elle produit de nombreuses factures datées montrant des ventes en 2014, 2015 et 2016 qui ne sont pas accidentelles ou sporadiques, * elle établit aussi un usage promotionnel pour l’année 2014 portant en particulier sur les chaussures portant le signe de la marque,
-ou tout au moins sous une forme modifiée qui n’en altère pas le caractère distinctif à savoir :

le chevron étant pareillement orienté vers la droite et les extrémités étant arrondies, les ressemblances visuelles et conceptuelles entre ces signes amèneront les consommateurs à voir le second signe comme une forme plus moderne du signe d’origine ; l’usage du signe complexe intégrant le nom Brooks

permet également de valider l’usage du signe dans sa forme modifiée ; l’usage du signe modifié résulte des catalogues 2010, 2012, 2013, 2014 dont il ressort de l’attestation du contrôleur de gestion, secrétaire et trésorier de Brooks, qu’ils ont été distribués en France, des articles de presse parus au cours de la période pertinente et des factures de ventes de produits en France en 2010 et 2014 ; l’usage de ce signe modifié se poursuit sur son site internet www.brooksrunning.com/fr pour des vêtements et des chaussures ; il a été utilisé lors des envois promotionnels en France pour l’année 2014,
- la société BROOKS souligne que la limitation de la déchéance sollicitée à titre subsidiaire par la demanderesse est impossible, les chaussures de sport et tee-shirts ne figurant pas dans le libellé de la marque. L’ordonnance de clôture a été prononcée le 21 février 2017 et l’affaire plaidée au cours de l’audience du 27 février 2017. Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures précitées des parties, pour l’exposé de leurs prétentions respectives et des moyens qui y ont été développés. MOTIVATION:

Sur la recevabilité de la demande de la société ANTA :

Chacune des parties a assigné l’autre en déchéance de marques; la société BROOKS a attrait la société ANTA devant le présent tribunal autrement composé par acte du 30 septembre 2014, alors que la société ANTA a saisi le tribunal de la présente procédure par assignation du 2 février 2015.

L’action intentée par la société BROOKS a été déclarée irrecevable par jugement du 26 mai 2016 rendu par une autre formation du présent tribunal.

La société BROOKS soutient que la demanderesse est irrecevable à agir en déchéance de marque à son encontre dans la mesure où c’est sur sa suggestion que la 4e section de la 3e chambre de ce tribunal a, par jugement du 26 mai 2016, déclaré la société BROOKS irrecevable en sa propre demande en déchéance des marques de la société ANTA. Elle invoque le principe selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui». Il résulte toutefois du jugement du 26 mai 2016 que la société ANTA, défenderesse, avait conclu par ses écritures signifiées le 24 mars 2015 au rejet de l’ensemble des demandes, sans que l’irrecevabilité des prétentions de la demanderesse ne soit invoquée. Dans ces conditions, le moyen – dit estoppel – tiré du comportement procédural prétendument contradictoire de la société ANTA, qui avait elle-même assigné la société BROOKS en déchéance de marque avant la clôture de la procédure ayant donné lieu au jugement du 26 mai 2016, est dénué de pertinence. En outre, quand bien même la société ANTA aurait soutenu – oralement à l’audience – que son adversaire était irrecevable à agir à son encontre faute de justifier de son intérêt à agir, cette position procédurale n’est pas en contradiction avec la demande tendant à faire déchoir son concurrent potentiel des marques dont il n’a pas fait un usage sérieux conformément aux dispositions de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle.

En l’espèce, la société ANTA justifie être titulaire de marques figuratives françaises comportant un signe pouvant être considéré comme ressemblant au chevron constituant la marque de la société BROOKS. Il n’est pas contesté que les parties sont en concurrence sur le marché des chaussures et vêtements de sport. Dans ces conditions, la société ANTA justifie d’un intérêt économique à voir libérer le titre qui est susceptible de lui être opposé. Elle doit être déclarée recevable en ses demandes.

Sur la déchéance pour défaut d’usage sérieux de la marque figurative n°1551737:

L’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que : "Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Est assimilé à un tel usage : a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ; b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif; c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation. La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés. L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’v fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande. La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens. La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu". Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par le titre. L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et circonstances propres à établir la réalité de son exploitation commerciale dans la vie des affaires, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, leur nature, les caractéristiques du marché en cause, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque. La preuve de l’exploitation, qui incombe au titulaire de la marque, peut être rapportée par tous moyens.

Pour justifier de l’usage en France de sa marque figurative française

la société BROOKS produit aux débats la copie de différents catalogues. Les catalogues intitulés « automne 2016 » (pièce 7) et « fall 2015 » (pièce 7-1) ne sont pas des preuves pertinentes s’agissant de documents postérieurs à l’assignation du 2 février 2015. Si les catalogues « spring 2015 » (soit « printemps 2015 », pièce 8 et 8bis pour une traduction libre partielle), « Héritage lookbook Fall 2014 » (catalogue chaussures pièce 9 et catalogue chaussures et vêtements pièce 9-1 avec des traductions libres) et « Holiday 2014 » (traduit comme « hiver 2014 » pièces 10 et 10 bis) visent des périodes antérieures à l’assignation et comprennent des photographies d’articles, en particulier des chaussures, revêtus du signe de la marque tel que déposé, ces documents sont produits en simples copies, sans pagination, ni justification de leur mode de diffusion. Ils sont rédigés en langue anglaise, les prix sont exprimés en dollars US et les coordonnées mentionnées en fin de catalogue visent une adresse à SEATTLE aux USA. Ces pièces n’établissent pas que les produits revêtus de la marque litigieuse aient été commercialisés en France. Pour établir qu’elle commercialise ses produits à destination de la France, la société BROOKS invoque également le fait qu’elle offre ses produits, marqués du signe de sa marque française, à la vente via son site internet français accessible à l’adresse www.brooksrunning.com/fr et produit à ce propos des copies d’écrans de ce site en pièces 11-1 à 11-3 montrant un T-shirt et des chaussures (« Vanguard », « Chariot » et « Vantage » en particulier) portant le signe en cause. Toutefois, ces pièces sont datées du 22 janvier 2016, soit postérieurement à l’assignation ; le fait que la société BROOKS soutienne – par la consultation du site web.archive.org – que, contrairement à ce qu’avance la demanderesse, son site a été régulièrement consulté par le biais des adresses www.brooksrunning.com ou www.brooksrunning.fr de 2007 à 2016 ou au moins depuis 2010 est indifférent dans la mesure où cela n’établit pas que la marque litigieuse y était visible et utilisée à titre de marque pendant ces périodes. La copie d’écran du compte « facebook » de Brooksrunning – imprimée le 20 janvier 2016 – reproduisant un commentaire, daté du 23 mai 2013, faisant mention d’un événement sportif en Corse, avec une photographie de personnes présentées comme victorieuses portant des vêtements semblant revêtus du signe de la marque (pièce 12-1), ne constitue pas une preuve suffisante eu égard à l’absence de certitude sur la véracité des éléments y figurant et de tout autre

élément accréditant le fait qu’un tel événement a eu lieu en présence de ces personnes. Les copies de pages « Instagram » de brooksrunningfr qui mentionnent comme date « 23 sem » et « 49 sem » ne permettent aucunement d’établir un usage de la marque antérieurement à l’assignation, l’année des photographies y figurant n’étant pas précisée (pièce 12-2). Enfin, la société BROOKS produit aux débats diverses factures datées de 2014 et 2015 visant des envois d’articles à destination de la France.

Les factures produites en pièces 14 et 15 visent des envois postérieurs à l’assignation. Le récapitulatif des ventes par E-commerce des produits « Vanguard », « Vantage » et « Chariot » (qui portent le signe en cause ainsi que cela résulte des catalogues 2014) de 2014 à 2016 totalise 27 ventes pour un montant de 1.978,87 euros ; sur les factures produites pour 2014, que ce soit pour des ventes contre paiement ou des envois promotionnels, les coordonnées des destinataires sont occultées, seule la mention de la commune française du lieu de livraison étant lisible (pièces 13, 16 et 16 bis).

Compte tenu de la nature des produits en cause (chaussures de sport et vêtements) et des caractéristiques du marché concerné qui, s’agissant en tous cas des chaussures de sport, connaît une croissance importante touchant des articles tant pour hommes que pour femmes, toutes générations confondues (cf l’article de la revue LSA Commerce & Consommation du 4 novembre 2015 – pièce n°9 de la défenderesse), le faible nombre de ventes justifiées par la société BROOKS antérieurement à l’assignation, ne permet pas de considérer qu’il ait été fait un usage sérieux de la marque n°155 1737 pour ces produits. La société BROOKS soutient ensuite qu’elle établit avoir fait usage de sa marque sous une forme modifiée reprenant un chevron au design modernisé plus arrondi et allongé avec parfois le nom « BROOKS » accolé, n’altérant pas, selon elle, son caractère distinctif, par exemple :

Toutefois, ce logo redessiné, s’il peut évoquer le signe d’origine en ce qu’il reprend la forme d’un « V » couché pointant vers la droite, comporte une branche inférieure nettement plus longue et large que la branche supérieure et des extrémités très arrondies. L’aspect général est plus allongé et moins ramassé que le signe initial.

Au regard de l’apparence très épurée du signe déposé à titre de marque constitué d’un élément unique, une modification même d’importance relative en modifie la perception. Dans ces conditions, les différences touchant aux contours arrondis et la forme allongée du signe modifié avec le dessin d’origine altèrent indéniablement le caractère distinctif de ce dernier. En outre, comme le relève la société ANTA, le recours à l’image du chevron est régulièrement utilisé par les fabricants d’articles de sport (par exemple par les marques Nike et Hummel), de sorte que le public sera d’autant moins enclin à attribuer à la même marque deux logos constitués de chevrons d’aspects différents. En conséquence, l’usage de ce signe modifié, quand bien même son usage en France dans la période de référence serait établie, ne peut pas être pris en compte pour justifier de l’usage de la marque telle que déposée. La demande en déchéance des droits sur la marque figurative française n°1551737 doit donc être accueillie pour l’ensemble des produits visés à l’enregistrement du signe selon les modalités précisées au dispositif et, eu égard à l’ancienneté de la date d’enregistrement de la marque et à l’incertitude quant aux conditions d’exploitation de la marque après son enregistrement à compter du 2 février 2015, date de l’assignation en l’absence de preuve d’exploitation dans les cinq années précédentes

Sur les autres demandes :

La société BROOKS SPORTS INC qui succombe, supportera la charge des dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à paver à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. En l’espèce, il y a lieu de condamner la société BROOKS SPORTS INC à verser la somme de 5.000 euros à la société ANTA à ce titre.

Aucune circonstance particulière ne justifie le prononcé de l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DECLARE la société ANTA recevable en son action en déchéance intentée à rencontre de la société BROOKS SPORTS INC ; PRONONCE la déchéance des droits de la société BROOKS SPORTS INC sur la marque figurative française

n° 1551737 à compter du2 février 2015 pour l’ensemble des produits visés à son enregistrement en classe 25 à savoir « Vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles, notamment ceux destinés aux loisirs et à la pratique des sports » ; DIT que la décision une fois définitive sera transmise à l’INPI à l’initiative de la partie la plus diligente, pour transcription sur le registre national des marques; CONDAMNE la société BROOKS SPORTS INC aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Tania KERN, avocat de l’AARPI Kern & Weyl ; CONDAMNE la société BROOKS SPORTS INC à payer à la société ANTA (China) Co. Ltd la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 19 mai 2017, n° 15/03223