Tribunal de grande instance de Strasbourg, 1re chambre civile, 15 décembre 2003

  • Usage dans le sens du langage courant·
  • Caractère faiblement distinctif·
  • Usage à titre de marque·
  • Caractère évocateur·
  • Secteur d'activités·
  • Procédure abusive·
  • Dépôt frauduleux·
  • Préjudice moral·
  • Connaissance·
  • Contrefaçon

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Sur la décision

Référence :
TGI Strasbourg, 1re ch. civ., 15 déc. 2003
Juridiction : Tribunal de grande instance de Strasbourg
Publication : GAZ PAL, 326-328, 21-23 novembre 2004, p. 19-21, note de Véronique Staeffen ; PIBD 2004, 782, IIIM-171
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : MAMAN JE T'AIME
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 97708105
Classification internationale des marques : CL14
Référence INPI : M20030671
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Texte intégral

Monsieur P est propriétaire, sur le territoire national, de droits sur la marque « Maman je t’aime » déposée à l’INPI le 05.12.1997, sous le n° 97 708 105. Il a également déposé un modèle portant sur un pendentif comportant les mots « Maman je t’aime », enregistré le 01.12.1997 à l’INPI. Les 22 et 24 mai 2002, après y avoir été autorisé par le Président du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG, Monsieur P a fait procéder à des saisies contrefaçon qui permettaient d’établir que les pendentifs saisis, portant l’inscription « Maman je t’aime » avaient pour fournisseur la société BIJOUX ALTESSE, ayant son siège à SAINT MARTIN DE VALAMAS. Selon acte introductif d’instance signifié le 30.05.2002, Monsieur Jean-Yves P a fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG la SA ALTESSE BIJOUX afin d’obtenir sa condamnation au paiement de dommages-intérêts pour contrefaçon de marque ainsi que :

- la réserve de ses droits à parfaire le quantum de sa demande ;

- l’interdiction à la société ALTESSE BIJOUX de poursuivre l’usage de la marque déposée par Monsieur P pour commercialiser des bijoux, articles d’horlogerie, porte-clefs, et ce, sous astreinte de 228, 67 euros par usage constaté à compter du prononcé du Jugement ;

- la destruction du stock détenu par la société ALTESSE, à charge pour elle d’en justifier par constat d’huissier et ce, sous astreinte de 304, 90 euros par jour de retard à compter du prononcé du Jugement ;

- la publication du Jugement à intervenir dans la presse locale (DNA, L’ALSACE) aux frais de la société ALTESSE et dans la limite de 1 524, 49 euros ;

- la condamnation de la société ALTESSE aux entiers frais et dépens, ainsi qu’aux frais de saisie contrefaçon des 22 et 24 mai 2001 et au paiement de la somme de 4 573, 47 euros sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- l’exécution provisoire. Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 03.09.2003, Monsieur Jean-Yves P demande au Tribunal de :

- juger que la société ALTESSE BIJOUX a contrefait la marque « Maman je t’aime » déposée par Monsieur P ;

- débouter la société ALTESSE BIJOUX de l’ensemble de ses prétentions ;

- condamner la société ALTESSE BIJOUX au paiement de la somme de 45 734, 71 euros à titre de dommages-intérêts du fait de la contrefaçon de sa marque ;

- réserver ses droits à parfaire le quantum de sa demande ;

- faire interdiction à la société ALTESSE de poursuivre l’usage de la marque déposée par Monsieur P pour commercialiser des bijoux, articles d’horlogerie, porte-clefs, et ce, sous astreinte de 228, 67 euros par usage constaté à compter du prononcé du Jugement à intervenir ;

- ordonner la destruction du stock détenu par la société ALTESSE à charge pour elle d’en justifier par constat d’huissier, et ce, sous astreinte de 304, 90 euros par jour de retard à compter du prononcé du Jugement ;

- 4 ordonner la publication du Jugement à intervenir dans la presse locale (DNA, l’ALSACE) aux frais de la société ALTESSE et dans la limite de 1 524, 49 euros ;

- condamner la société ALTESSE au paiement de la somme de 4 573, 47 euros sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

— condamner la société ALTESSE aux entiers frais et dépens, ainsi qu’aux frais de saisie contrefaçon des 22 et 24 mai 2001 ;

- ordonner l’exécution provisoire. Il fonde ses prétentions sur les dispositions des articles L.713-2, L.716-1, L.716-9 et L.716-13 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ainsi que l’article 1382 du Code civil, et les articles 12 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile. Au soutien de ses prétentions Monsieur P expose que :

- les 3 mots de la marque sont certes courants mais ne sont pas associés systématiquement à des bijoux, et ne constituent donc pas l’appellation usuelle des produits ou services couverts par la marque ;

- la contrefaçon est réalisée par la reproduction pure et simple d’une marque enregistrée pour des produits identiques, mais aussi par la reproduction quasi-servile en raison de l’inversion de la marque ;

- ni le changement de calligraphie, ni l’inversion des mots ne saurait enlever tout caractère illégal à la fabrication des pendentifs par la société ALTESSE BIJOUX ;

- la société ALTESSE BIJOUX ne démontre à aucun moment être l’auteur du pendentif « Maman je t’aime » en forme de coeur. Suivant des conclusions récapitulatives notifiées le 13.05.2003, la SA ALTESSE BIJOUX demande au Tribunal de :

- juger que Monsieur P a agi dans un esprit de fraude avertie en déposant la marque « Maman je t’aime » dans la classe de produits 14 le 05.12.1997 ;

- prononcer en conséquence la nullité rétroactive de la marque « Maman je t’aime » au jour du dépôt, soit le 05.12.1997 ;

- juger en conséquence que Monsieur P est irrecevable à agir en contrefaçon à l’égard de la société ALTESSE BIJOUX faute d’être titulaire de la marque « Maman je t’aime » ;

- subsidiairement, si le Tribunal reconnaissait la validité du dépôt de la marque « Maman je t’aime », juger que la société ALTESSE BIJOUX utilise l’expression dans son sens courant et que Monsieur P ne peut en interdire l’emploi ;

- débouter Monsieur P de ses demandes ;

- condamner Monsieur P aux entiers dépens et au paiement des sommes de :

- 15 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La défenderesse fait valoir que :

- le modèle de pendentif en forme de coeur de la société ALTESSE BIJOUX, comportant l’inscription « Maman je t’aime » est protégé au plus tard, au titre du droit d’auteur, depuis le 20.02.1997 ;

- le dépôt du modèle par Monsieur P est donc bien postérieur ;

- l’article 512-4 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que l’enregistrement d’un dessin ou modèle est déclaré nul par décision de Justice notamment s’il porte atteinte au droit d’auteur des tiers ;

- l’existence d’un dépôt ne suffit pas à prouver sa validité ;

- la protection voulue est semi figurative et ne porte donc pas sur la seule dénomination ;

- Monsieur P avait connaissance de l’usage qui était fait du signe au moment du dépôt ;

- l’association du sentiment et du bijou est constante dans ce domaine ;

- le titulaire des droits sur une marque ou une expression appartenant au langage courant ne peut empêcher l’usage de ce mot ou de cette expression dès lors qu’elle est employée

dans son sens habituel et non pas à titre de marque, c’est-à-dire pour désigner un objet présenté ou offert à la vente ;

- les saisies contrefaçon diligentées ont altéré l’image de sérieux de la société ALTESSE BIJOUX. La procédure a été clôturée par ordonnance du Juge de la Mise en Etat prononcée le 06.11.2003.

I – Sur la demande reconventionnelle en nullité du dépôt de la marque : La nullité du dépôt de la marque opéré en fraude des droits des tiers doit être prononcée lorsqu’il est établi que le déposant avait connaissance de l’utilisation antérieure par un tiers du même signe, ou qu’il avait la volonté de s’accaparer un marché en détournant le droit des marques, voire pour interdire à la victime de la fraude de se livrer à l’exploitation du marché fraudé. S’agissant de la première hypothèse, il convient de rechercher si celui à l’encontre duquel la fraude est alléguée connaissait ou n’a pu manquer de connaître l’utilisation antérieure du signe déposé ensuite à titre de marque, quelle que soit la forme de cette utilisation antérieure. En l’espèce, s’il est constant que les activités de Monsieur P et de la société ALTESSE BIJOUX présentent une proximité sectorielle, à savoir le domaine de la bijouterie, il n’en reste pas moins que la défenderesse ne justifie pas avoir utilisé les mots « maman je t’aime » sur des bijoux avant le premier semestre de l’année 1997, et encore, uniquement sur une période déterminée, c’est-à-dire à l’occasion de la fête des mères. La marque « maman je t’aime » a été déposée par Monsieur P en décembre 1997. Il n’est donc pas exclu que ce dernier ait pu avoir connaissance de l’utilisation antérieure des signes déposés à titre de marque, néanmoins en l’absence d’exploitation importante et continue tout au long de l’année, et ce depuis au moins quelques années, le Tribunal ne dispose pas d’éléments suffisants et déterminants pour caractériser la réalité de cette connaissance. Quant à la volonté de s’accaparer le marché existant antérieurement au dépôt de la marque, elle n’apparaît pas non plus établie en l’état de la procédure. En effet, si l’usage d’expressions du langage courant, évoquant des sentiments, est très répandu dans le domaine de la bijouterie, il apparaît que ces sentiments ne sont pas exprimés par le seul usage des mots « maman je t’aime », de sorte qu’en déposant cette marque Monsieur PATACHEK ne pouvait obtenir le monopole du marché des bijoux porteurs d’un message d’affection. De même, il n’est pas démontré qu’immédiatement après le dépôt de sa marque, Monsieur PATACHEK ait tenté de s’accaparer le marché existant, le monopole de ce marché. Ainsi, la société ALTESSE BIJOUX indique elle-même que tous les acteurs du marché font référence à des expressions ou des mots du langage courant évoquant l’amour ou l’amitié, en créant des collections spéciales, notamment à l’occasion de fêtes ou événements précis. Toutefois, au regard des éléments de la procédure, il n’est nullement démontré que

Monsieur P ait fait interdire, ou tenté de faire interdire à d’autres acteurs de ce marché, l’utilisation des dits signes. Au regard des pièces de la procédure, la preuve n’est pas rapportée de ce que le dépôt de la marque « maman je t’aime » aurait été opéré en fraude des droits des tiers, de sorte que la société ALTESSE BIJOUX sera déboutée de sa demande en nullité. II – Sur l’action en contrefaçon de marque : Il est constant que l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété incorporel, consistant en un droit exclusif d’exploitation, opposable à tous, et que des termes évocateurs mais non descriptifs peuvent constituer une marque valable. Par ailleurs, s’il est admis que des mots du langage courant peuvent constituer une marque valable, leur protection ne peut cependant qu’être limitée. En l’espèce, la marque « maman je t’aime », déposée dans la classe de produits et services 14 (métaux précieux et alliages…, joaillerie, bijouterie, pierres précieuses, horlogerie et instruments chronométriques) est constituée d’un assemblage de mots appartenant au langage courant. Il s’agit d’une marque évocatrice dont le pouvoir distinctif est très faible. Par suite, dès lors que cette expression est employée dans son sens habituel et non à titre de marque, c’est-à-dire afin de désigner un objet présenté ou offert à la vente, le titulaire de la marque ne saurait en empêcher l’usage. En commercialisant des bijoux en forme de coeur, portant l’inscription « maman je t’aime », la société ALTESSE BIJOUX n’a fait qu’utiliser le sens commun de cette expression, afin d’exprimer un sentiment, et ce, à l’occasion d’un événement bien précis, à savoir la fête des mères. En effet, il résulte des pièces de la procédure que les saisies ont été effectuées à cette période de l’année, et les catalogues produits démontrent également que les bijoux portant l’inscription incriminée étaient diffusés à l’occasion de la fête des mères. La fonction de la marque est de garantir le consommateur ou l’utilisateur final de l’identité du produit, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit de ceux qui ont une autre provenance. Néanmoins, dans le contexte du cas d’espèce, il apparaît que l’expression en cause n’a pas été utilisée à titre de marque, mais exclusivement dans son sens commun et nécessaire, perdant ainsi son individualité et son pouvoir distinctif. Il est indéniable qu’en acquérant un bijou portant cette inscription, ce n’est pas la marque qui est recherchée et déterminante, mais le sentiment exprimé, adressé à celui à qui le bijou est offert. L’expression utilisée par la société ALTESSE BIJOUX n’avait en aucun cas pour but de définir le produit, de désigner le bien vendu en lui-même, mais uniquement d’exprimer un message d’affection, d’évoquer un sentiment. Il s’ensuit que la contrefaçon n’est pas constituée en l’espèce, et en conséquence Monsieur P sera débouté de son action à ce titre. III – Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts : La société ALTESSE BIJOUX sollicite la condamnation de MONSIEUR P au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et dans la mesure où les deux saisies contrefaçon diligentées auprès de ses clients ont altéré l’image de sérieux de cette société,

fabricant des bijoux depuis plus de 70 ans. Dans la mesure où il est établi que la société ALTESSE BIJOUX n’a jamais fait qu’utiliser l’expression « maman je t’aime » dans son sens courant, et à aucun moment à titre de marque, Monsieur PATACHEK ne pouvait sérieusement prétendre à l’existence d’actes de contrefaçon, d’autant que la marque déposée est très faiblement distinctive. De même, il ne peut être contesté que le fait de faire procéder à des saisies contrefaçon chez deux clients atteint la réputation et le sérieux de la société avec laquelle ils sont en relations d’affaire. Compte tenu de la nature et de l’importance des préjudices ainsi subis, il y a lieu de condamner Monsieur P à verser à la société ALTESSE BIJOUX une indemnité de 2 500 euros en réparation du préjudice moral et pour procédure abusive. IV – Sur le surplus des demandes : La société ALTESSE BIJOUX a dû exposer des frais irrépétibles à l’occasion de la présente instance. Il apparaît équitable de ne pas les laisser intégralement à sa charge et de condamner en conséquence Monsieur Jean-Yves P à lui verser une indemnité de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Aux termes de l’article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile, la partie qui succombe supporte la charge des dépens. Par suite Monsieur Jean-Yves P sera condamné aux entiers frais et dépens de la procédure. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ; DEBOUTE Monsieur Jean-Yves P de l’intégralité de ses demandes ; DEBOUTE la société ALTESSE BIJOUX de sa demande reconventionnelle en nullité du dépôt de la marque pour contrefaçon ; CONDAMNE Monsieur Jean-Yves P à payer à la S.A. ALTESSE BIJOUX la somme de DEUX MILLE CINQ CENT EUROS (2 500 euros) à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et préjudice moral ; CONDAMNE Monsieur Jean-Yves P à verser à la S.A. ALTESSE BIJOUX une indemnité de DEUX MILLE CINQ CENT EUROS (2 500 euros) en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; CONDAMNE Monsieur Jean-Yves P aux entiers frais et dépens de la procédure ; REJETTE toutes prétentions plus amples ou contraires.

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