Tribunal Judiciaire de Bobigny, 2 juin 2022, n° 19/08896

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TJ Bobigny, 2 juin 2022, n° 19/08896
Numéro(s) : 19/08896

Texte intégral

TRIBUNAL JUDICIAIRE

de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 02 JUIN 2022

AFFAIRE N° RG 19/08896 – N° Portalis DB3S-W-B7D-TNFM N° de MINUTE : 22/00320 Chambre 9/Section 1

DEMANDEURS

Monsieur C X […] représenté par Me Kevin POUJOL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A 866

Monsieur D Y […] représenté par Me Kevin POUJOL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A 866

Monsieur E Z 3 chemin de la Basse Taye 54110 ROSIÈRES-AUX-SALINES représenté par Me Kevin POUJOL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A 866

Madame F A […] représentée par Me Kevin POUJOL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A 866

Monsieur M B N 42380 SAINT-NIZIER-DE-FORNAS représenté par Me Kevin POUJOL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A 866

C/

DÉFENDEUR

Syndicat SUD EDUCATION 93 Bourse du travail de Saint-Denis – 9-11 rue Génin 9-11 rue Génin 93200 SAINT-DENIS représentée par Me Raphaël KEMPF, avocat au barreau de PARIS, vestiaire :

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COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS

Président : Monsieur Ulrich SCHALCHLI, Vice-Président siégeant à juge rapporteur, conformément aux dispositions des articles 805 et suivants du code de procédure civile, ayant rendu compte au tribunal dans son délibéré Assisté de Madame O P, Greffière.

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DÉLIBÉRÉ
Monsieur M Q, Premier Vice-Président, Monsieur Ulrich SCHALCHLI, Vice-Président, Madame Hélène SAPEDE Vice-Présidente, Assistés de Madame O P, Greffière

DEBATS

Audience publique du 17 Mars 2022 Délibéré au 19 mai 2022, prorogé au 02 juin 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Exposant que dans le cadre de formations qu’il dispense auprès de ses membres, le syndicat SUD Education 93 a organisé, en 2017 et 2019, des “ateliers en non-mixité raciale” dont étaient exclus les enseignants “blancs” et violé par là le principe républicain de non-discrimination, qu’en mettant au coeur de ses formations la question de l’islamophobie de l’éducation nationale il a violé le principe républicain de laïcité, qu’en postulant que les enseignants “blancs” et “non blancs” avaient une vie professionnelle différente il a violé le principe républicain de fraternité, et qu’enfin il poursuit des objectifs politiques en contradiction avec l’essence d’un syndicat professionnel dont l’objet doit être exclusivement l’étude et la défense des droits et des intérêts matériels et moraux des personnes mentionnées dans ses statuts, Messieurs X, Y, Z, A et B demandent, par assignation du 24 juillet 2019, que soit ordonnée la dissolution du syndicat Sud Education 93 ou prononcée sa nullité, et subsidiairement que soit ordonnée la perte de la qualité syndicale de cette organisation et que le syndicat soit condamné à leur payer in solidum la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.

Ils demandent l’exécution provisoire du jugement.

Ils font valoir :

- que le syndicat a agi en violation de l’ordre public en dispensant de manière discriminatoire des formations syndicales et en violant les valeurs républicaines;

- que le syndicat est fondé et a agi dans un objectif politique, contraire à l’objet d’un syndicat professionnel ;

- qu’il est fondé sur une cause ou en vue d’un objet illicite.

Le syndicat SUD EDUCATION 93 conclut à l’irrecevabilité des demandeurs en leurs prétentions faute d’intérêt à agir.

Subsidiairement, il conclut au débouté des demandeurs en leurs prétentions ;

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Il demande la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il fait valoir :

- que les demandeurs ne justifient pas d’un intérêt direct et personnel à agir en dissolution du syndicat ;

- que si la cour de cassation a admis en dépit du texte de la loi que la dissolution d’un syndicat pouvait être demandée par toute personne qui justifie d’un intérêt à agir et non par le seul procureur de la République, une telle action doit être réservée aux employeurs et aux syndicats du même secteur professionnel qui seuls ont un intérêt spécial au succès de cette prétention ;

- que la liberté syndicale est fondamentale et garantie par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;

- que la notion de valeurs républicaines n’est pas précisément définie ni par les textes ni par la jurisprudence ;

- que le syndicat ne prône aucune discrimination d’aucune sorte et que les réunions en non-mixité choisie étaient ouvertes à toute personne se considérant subjectivement comme victime de discrimination, l’accès n’ayant été interdit à personne ;

- que la non-mixité constitue un moyen de lutter contre les discrimination en ce qu’elle permet aux participants se sentant discriminés de parler librement et exprimer ce qu’il n’aurait pu en présence de personnes ne subissant pas des discriminations semblables ;

- que ses statuts actent son indépendance à l’égard de tout groupe religieux

Les demandeurs répondent :

- qu’ils justifient d’un intérêt pécuniaire en leur qualité de contribuables en ce que les syndicats jouissent directement et indirectement de financement public tant au titre des subventions qu’ils ne perçoivent qu’en raison des congés rémunérés dont bénéficient les fonctionnaires pour assister aux formations syndicales ;

- qu’un citoyen a un intérêt moral à faire cesser les atteintes aux valeurs de la Républiques par une association et la poursuite d’objectifs illicites par un syndicat professionnel ;

- qu'a fortiori, en leur qualité de parlementaires, qui ne représentent pas la circonscription dans laquelle ils sont élus mais la nation française tout entière, ils ont vocation à se préoccuper de toute la collectivité nationale ;

- qu’en leur qualité de parlementaires combattant les idées politiques prônées par le syndicat qui s’est immiscé dans un débat national et parlementaire, ils ont un intérêt personnel et direct ;

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MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité;

Le principe de libre constitution des syndicats ne fait pas obstacle à ce qu’indépendamment du droit pour le procureur de la république de demander la dissolution d’un syndicat dans les conditions prévues par l’article L 2136-1 du code du travail en cas d’infraction commise par ses dirigeants, toute personne justifiant d’un intérêt à agir soit recevable à contester la qualité de syndicat professionnel d’un groupement dont l’objet ne satisfait pas aux exigences des articles L 2131-1 et L 2131-2 du code du travail ou à demander la dissolution d’un syndicat qui dans son action poursuit un objectif illicite, contraire aux valeurs républicaines (CM 10 avril 1998; Soc 13 octobre 2010; Soc 9 septembre 2016) ;

Si l’intérêt du demandeur à une telle action doit être personnel et direct, ces critères ne sont pas exclusifs d’un intérêt général lorsque la défense de celui-ci n’a pas été réservée par un texte à un titulaire déterminé selon une action attitrée ;

Dès lors, toute personne de nationalité française peut se prévaloir d’un intérêt moral personnel au respect des valeurs de la République, sauf au défendeur à établir que par son comportement ou ses actions elle ne les respecte pas elle-même;

Corrélativement, tout contribuable a un intérêt personnel à ce que des deniers publics ne soient pas attribués directement, par des subventions, ou indirectement par des congés de formation syndicale, à un syndicat qui ne respecterait pas les valeurs de la République ou dont l’objectif serait illicite ;

Ainsi les demandeurs sont-ils recevables en leur action ;

Sur le fond ;

Selon l’article 1162 du code civil, le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but;

Selon l’article 3 de la loi du 1 juillet 1901, toute association fondée sur une cause ou sur uner objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes moeurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire et à la forme républicaine du Gouvernement est nulle et de nul effet ;

Par application combinée des articles 1162 du code civil et 3 de la loi du 1 juillet 1901, uner syndicat professionnel peut être dissous lorsqu’il est fondé en vue d’un objet illicite;

Un syndicat ne peut cependant être tenu pour fondé en vue d’un objet illicite que lorsque par son action il poursuit effectivement et prône un ou plusieurs objectifs illicites ;

Par suite, l’accomplissement par un syndicat d’une action illicite ponctuelle, si elle peut engager sa responsabilité, ne saurait justifier sa dissolution si elle ne révèle clairement l’orientation générale de son activité en vue d’un but illicite qui constituerait la cause impulsive et déterminante de sa constitution et lui serait essentielle ;

Il appartient à celui qui requiert la dissolution d’un syndicat ou la privation de cette qualité à un groupement de rapporter la preuve de la poursuite d’un objectif illicite ;

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Au soutien de leurs prétentions tendant à la dissolution du syndicat et subsidiairement à la perte par celui-ci de la qualité syndicale, les demandeurs proposent deux moyens, d’une part l’objet illicite caractérisé par la dispense discriminatoire de formations syndicales et la violation des valeurs républicaines de laïcité et de fraternité, d’autre part l’objet illicite caractérisé par la poursuite d’un objectif politique, contraire à l’objet d’un syndicat professionnel ;

Sur la dispense discriminatoire de formations syndicales et la violation des valeurs républicaines;

Sur les “formations discriminatoires”;

Les demandeurs incriminent :

- l’organisation par le syndicat, lors d’une formation en décembre 2017, de deux “ateliers en non- mixité raciale” dont ils soutiennent qu’ils étaient interdits aux personnes de couleur blanche, l’exclusion des enseignants “blancs”, qu’elle soit ou non imposée par le syndicat, résultant de facto de l’objet même des ateliers dont l’un avait pour objet d’expliciter la vie professionnelle des “enseignants racisés” ou “non blancs” et de leur présentation qui répétait plus de 8 fois les pronoms “nous” et “nos” rapportés à “enseignants racisés”;

- l’organisation en 2019 d’un “atelier en non-mixité” intitulé “comment se défendre dans son environnement professionnel”;

La plaquette du stage de 2017 présente ainsi les deux ateliers dénoncés :

- “Pratiques de classes : outils pour déconstruire les préjugés de race, de genre et de classe A partir de nos constats, nous allons établir des outils de lutte et des stratégies pour faire face aux oppressions liées au concept de race mais aussi de genre et de classe à l’école Intervenantes : deux professeurs des écoles dans le 93

Atelier en non-mixité raciale”;

- “Atelier récit d’expérience : quelle vie professionnelle pour les enseignants.e.s racisé.e.s ? Nous, enseignant.e.s non-blanc.he.s, nous avons une vie professionnelle différente. Quels sont nos positions et les enjeux auxquels nous devons faire face, que ce soit vis-àvis de l’administration, des élèves, des parents ou des collègues? Réunissons-nous entre nous pour définir les termes qui nous caractérisent et discuter des problématiques et enjeux auxquels nous devons faire face, que l’on soit enseignant.e contractuel.le ou titulaire, souvent isolé.e.s dans nos établissements. Retour sur nos expériences et sur nos cadres de vie professionnelle. Intervenante : G H, professeure d’anglais dans un collège du 93

Atelier en non-mixité raciale”;

La plaquette de 2019 produite ne contient que l’intitulé de l’atelier critiqué (“comment se défendre dans son environnement professionnel (atelier en non-mixité)”);

Les ateliers de 2017 s’inscrivaient dans une formation générale intitulée “Au croisem ent des oppressions Où en est-on de l’antiracisme à l’école?” dont l'”edito” était ainsi rédigé :

Programmes d’histoire servant le roman national, sur-orientation dans les filières professionnelles des élèves issu- e-s des imm igrations en particulier post-coloniales, islamophobie et instrumentalisation de la laïcité, politiques migratoires durcies qui concernent de nombreux élèves et leurs familles, violences policières qui touchent les élèves à l’extérieur et dans l’école… L’analyse du racisme d’Etat dans la société et en particulier dans l’Education nationale s’impose. Comment déconstruire chez et avec les enseignant-e-s les discriminations raciales? Comment travailler avec les élèves pour leur donner des outils de lutte en vue d’une transformation sociale? Ce stage propose des conférences et des ateliers pour se forger des outils théoriques et pratiques capables de répondre à cet enjeu pédagogique ignoré et validé par l’institution. Il est urgent de le traiter.” ;

Cette contextualisation permet d’établir sans ambiguïté que l’objectif poursuivi par le stage litigieux n’était pas de prôner la discrimination entre les personnes mais au contraire de critiquer de prétendues discriminations raciales à l’école ;

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Dès lors, il ne peut raisonnablement être soutenu que la tenue d'”ateliers en non-mixité raciale” révélerait que le syndicat SUD EDUCATION 93 serait fondé sur l’objectif illicite de discrimination des personnes qui constituerait selon la terminologie du doyen Hauriou “l’idée d’oeuvre à réaliser” ou la cause impulsive et déterminante de son existence ;

Il n’est dès lors pas utile d’apprécier le bien-fondé de la méthode d’organisation des ateliers critiqués, dite en “non mixité raciale”, qui à défaut d’illustrer un objectif délibéré de discrimination fondateur du syndicat, n’est pas de nature à justifier la dissolution du syndicat;

Sur la violation des valeurs républicaines de laïcité et de fraternité ;

[…] ;

Les demandeurs soutiennent que le syndicat n’a eu de cesse de présenter des revendications religieuses en mettant l’islam au coeur de ses formations et a ainsi violé le principe de laïcité;

Ils précisent : “en assimilant l’institution de l’éducation nationale à l’islam, ou plus exactement à sa peur supposée et donc sa haine de l’islam, le syndicat milite politiquement sur une ligne profondément anti-laïque. En remettant en cause le principe de séparation de l’Etat (ici l’éducation nationale) et de l’Eglise (ici l’Islam), le Syndicat a organisé des formations violant le principe de laïcité”;

Ils ajoutent que les personnes dispensant ces formations sont également le signe d’une violation manifeste du principe de la laïcité puisque parmi les “formateurs figurent des membres d’organismes défendant une vision racialiste et non laïque de la société tels que le collectif contre l’islamophobie en France et le parti des Indigènes de la République, et invoquent à l’appui un article paru dans le journal “Marianne”;

Quels que soient les mérites respectifs des opinions et arguments développés dans le cadre du débat que nourrit avec passion depuis quelques années la société française autour du concept de laïcité, et plus spécialement de la place de l’Islam dans la société et dans les représentations collectives, le seul fait d’employer le terme “islamophobie” ou d’affirmer qu’il désigne un fait sociologique ne saurait constituer une violation du principe de laïcité ou révéler l’intention du locuteur de remettre en cause ce principe ;

Pour étayer en fait leur accusation, les demandeurs se réfèrent exclusivement aux deux plaquettes de présentation des stages de 2017 et 2019 organisés par le syndicat et à un article paru dans le journal “Marianne” en novembre 2017 ;

Les seules références à l’islam dans les documents évoqués émanant du syndicat sont :

- dans la plaquette de 2017 :

“ La question de l’islamophobie dans l’Eduction nationale : Enjeux et débats” :

Le terme “islamophobie” recouvre l’ensemble des actes de discriminations ou de violence contre des institutions ou des individus en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à l’islam. En France, ce mot continue de faire débat. Pourquoi de telles controverses, notamment dans les discussions concernant les discriminations à l’école? Quelle réalité recouvre ce terme dans le système scolaire? Défense de la laïcité et lutte contre l’islamophobie sont- elles incompatibles, comme certain-es tendent à le faire croire dans l’espace public? Quel rapport entre l’islamophobie et d’autres inégalités scolaires mieux documentées? Les intervenant-es débattront avec la salle de toutes ces questions.

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Intervenant-es : I J, ancien directeur du CCIF (collectif contre l’islamophobie en France), un-e membre du cercle des enseignants laïc

Modération : G H, enseignante dans le 93.”;

- dans la plaquette de 2019 :

Les plénières seront consacrées respectivement au traitement de la question coloniale et de l’islam par les manuels scolaires”

“Plénière 4 – Accueillir les parents racisés, les défendre contre les attaques racistes et islamophobes de l’institution et les soutenir” ;

Si ces lignes présupposent manifestement l’existence de discriminations de la part de l’institution scolaire en raison de l’appartenance réelle ou supposée de certains individus à la religion islamique, elles ne contiennent aucune critique du principe de laïcité et moins encore une remise en cause du principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Si intervenait à la plénière de 2017 un membre du CCIF, intervenait également un membre du cercle des enseignants laïcs, ce qui révèle plutôt la volonté de procéder à un débat contradictoire et de questionner des faits et des concepts que de soumettre l’institution scolaire à une religion;

L’article évoqué par les demandeurs, écrit par Monsieur K L et publié par le journal Marianne, ne contient pas un mot sur les prétendues atteintes au principe de laïcité alléguées par les demandeurs ;

Ainsi, les demandeurs ne démontrent-ils nullement que le syndicat aurait violé le principe de laïcité, et encore moins que la remise en cause de ce principe serait un objectif fondateur du syndicat ;

2- Fraternité ;

Les demandeurs soutiennent que la violation du principe de fraternité résulterait de la comparaison des enseignants en fonction de leur distinction raciale fondée sur le postulat d’une vie professionnelle des enseignant.e.s racisé.e.s et des enseignants blancs, de la proposition de réfléchir “collectivement à nos postures d’enseignant.e.s blanc.he.s” et de “poursuivre une réflexion critique sur nos privilèges [d’enseignants blancs], nos représentations et nos pratiques à l’intérieur de l’école, et de la mise en exergue des difficultés des personnels racisés et l’étal de la position dominante des “enseignants blancs”, qui illustreraient la déconstruction “du lien de solidarité entre personnes d’une même communauté, d’une même fratrie”;

L’écrit incriminé, constituant la page 7 de la plaquette de 2017 est le suivant :

MARDI APRES-MIDI – 4 sessionème 14h Atelier récit d’expérience : quelle vie professionnelle pour les enseignant.e.s racisé.e.s? Nous, enseignant.e.s non-blanc.he.s, nous avons une vie professionnelle différente. Quels sont nos positions et les enjeux auxquels nous devons faire face, que ce soit vis-àvis de l’administration, des élèves, des parents ou des collègues? Réunissons-nous entre nous pour définir les termes qui nous caractérisent et discuter des problématiques et enjeux auxquels nous devons faire face, que l’on soit enseignant.e contractuel.le ou titulaire, souvent isolé.e.s dans nos établissements. Retour sur nos expériences et sur nos cadres de vie professionnelle. Intervenante : G H, professeure d’anglais dans un collège du 93 Atelier en non-mixité raciale” ;

Enseignant.e.s blanc.he.s :

interroger nos représentations et nos postures dominantes Cet atelier proposera de réfléchir à nos postures d’enseignant.e.s blanc.he.s dans des classes où la majorité des élèves subissent quotidiennement, à l’extérieur et à l’intérieur de l’école, le racisme systémique. Il s’agira, à partir de lectures et/ou de récits d’expérience, d’entamer (ou de poursuivre) une réflexion critique sur nos privilèges,

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nos représentations et nos pratiques à l’intérieur de l’école.

Atelier en autogestion animé par des militant.e.s de SUD Education 93";

Si ces lignes révèlent en effet le postulat de vies professionnelles différentes des enseignants selon qu’ils sont blancs ou pas, qui peut effectivement constituer une entorse à la fraternité, ou même à l’égalité, il s’agit d’un postulat de fait et non de droit, et il est assez incohérent d’en déduire l’intention du syndicat de porter atteinte au principe de fraternité ;

En d’autre termes, ces deux ateliers en miroir, partant du constat, exact ou erroné, de situations différentes des enseignants dans l’institution selon qu’ils sont blancs ou non, proposent une réflexion sur cette situation de fait sa conscientisation et les moyens de la dépasser plutôt qu’ils ne révèlent une volonté de la pérenniser ou de l’aggraver au détriment du principe de fraternité;

Si les demandeurs sont parfaitement en droit de contester le postulat de fait, ils ne peuvent sans une interprétation hasardeuse déduire de cette prétendue erreur de fait la volonté du syndicat de bafouer le principe de fraternité et moins encore que cette volonté serait au principe de la constitution du syndicat ;

Sur la poursuite d’un objectif politique;

Selon l’article L 2131-1 du code du travail, les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts;

Par un arrêt de chambre mixte du 10 avril 1998, la cour de cassation a jugé que par application combinée des articles 1131 du code civil, L 411-1 et L 411-2 du code du travail, un syndicat ne peut être fondé sur une cause ou en vue d’un objet illicite, qu’il en résulte qu’il ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques ni agir contrairement aux dispositions de l’article L 122-45 du code du travail et aux principes de non-discrimination contenus dans la constitution, les textes à valeur constitutionnelle et les engagements internationaux auxquels la France est partie ;

Les demandeurs en déduisent qu’il n’appartient pas à un syndicat professionnel de s’intéresser à la “politique raciale” de la France et à l’intégration de cette politique dans le système éducatif ou encore d’appréhender les concepts raciaux et politiques de “blanchité” ;

Ils soutiennent que tant les orientations générales adoptées en congrès en 2016 (“nous devons combattre le racisme sous toutes ses formes, antisémitisme, islamophobie, négrophobie, romophobie, et d’où qu’il vienne, en particulier le racisme d’Etat et institutionnel qui le banalise, comme système de discrimination et de divisions des travailleurs et des travailleuses”) que les statuts de SUD Education 93 (“oeuvrer à la transformation de l’école et de la société, […] , contre la hiérarchie et pour l’autogestion, en construisant l’unité avec les organisations des mouvements sociaux au niveau national et international, indépendamment du patronat, de l’Etat et de tout groupe politique ou religieux, en vue de la socialisation des moyens de production et la rupture avec le système capitaliste”) démontrent que l’essence du syndicat est politique et utilise la forme associative syndicale à seule fin de distiller un message politique ;

Ils ajoutent que les stages organisés par le syndicat ont pour objet des thèmes éminemment politiques comme le “racisme d’Etat dans la société et en particulier dans l’éducation nationale”, l’histoire décoloniale”, “déconstruire le roman national”, l'”introduction à l’antiracisme politique” et le féminisme politique, et sont ouverts à un public qu’il n’a pas vocation à viser (“personnes membres de la communauté éducative : enseignant.e.s, parents et responsables, élèves”) ce qui démontre un objet intrinsèquement politique consistant à défendre la thèse d’une éducation nationale intrinsèquement raciste, islamophobe et discriminatoire et à lutter, en conséquence, contre cette institution ;

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Cependant, le principe de spécialité des syndicats, énoncé par l’article L 2131-1 du code du travail, dont la rédaction remonte à 1884, et éclairé par la jurisprudence de la cour de cassation, n’interdit pas aux syndicats de manifester leur inclination pour des orientations politiques dès lors qu’elle ne sont pas directement contraires à la forme républicaine du gouvernement ou aux valeurs républicaines et que leur action n’est pas essentiellement politique mais contribue à la défense des intérêts matériels et moraux des personnes mentionnées dans leurs statuts ;

A cet égard, il convient de rappeler que l’arrêt de la chambre mixte de la cour de cassation du 10 avril 1998, rejetant le pourvoi formé par le groupement dénommé front national de la police contre l’arrêt lui ayant interdit de se prévaloir de la qualité de syndicat, a retenu que les juges du fond avaient souverainement constaté que ce groupement n’était que l’instrument d’un parti politique qui était à l’origine de sa création et dont il servait exclusivement les intérêts et les objectifs en prônant des distinctions fondées sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique ;

C’est en raison donc de cette dépendance structurelle à un parti politique et de l’apologie des discriminations (“prôner”) que ce groupement s’est vu dénier judiciairement la qualité de syndicat qu’il revendiquait ;

En l’espèce, il n’est ni invoqué ni démontré que le syndicat SUD Education 93 serait la marionnette d’un parti politique dont il servirait exclusivement les intérêts, comme il n’est pas allégué que ce syndicat n’agirait pas pour la défense des intérêts des travailleurs mentionnés dans ses statuts ;

En outre, la volonté manifestée par le syndicat dans ses statuts et ses plaquettes de stage soit d’oeuvrer à la transformation de l’école et de la société soit de combattre le racisme institutionnel ne peut être considérée comme étrangère à la défense des intérêts moraux des enseignants dans la mesure où est visée l’institution même dans laquelle évoluent les personnels de l’éducation dont le syndicat a pour objectif d’assurer la défense ;

En effet, le préambule des statuts cité par les demandeurs, tronqué d’une partie sous le sigle […] mentionne dans sa version complète “oeuvrer à la transformation de l’école et de la société, à travers une pratique syndicale de lutte et de terrain, contre toute form e de discrim inations au titre d’un handicap, d’exploitation, d’exclusion sociale, de précarité, de fascism e, de sexism e, de racism e, de lgbtqphobie, contre la hiérarchie et pour l’autogestion, en construisant l’unité avec les organisations des mouvements sociaux au niveau national et international, indépendamment du patronat, de l’Etat et de tout groupe politique ou religieux, en vue de la socialisation des moyens de production et la rupture avec le système capitaliste” ;

Il en résulte clairement que les transformations prônées par le syndicat ont pour objectif essentiel le respect du principe de non-discrimination dans l’école, milieu dans lequel travaillent les personnels de l’éducation et dont les intérêts moraux sont ainsi recherchés ;

Que les constats effectués par le syndicat puissent être tenus pour erronés ou excessifs relève naturellement du débat démocratique mais ne saurait justifier l’imputation d’un objectif essentiellement politique, ni par conséquent la dissolution du groupement ou la privation de la qualité de syndicat ;

Les demandeurs seront donc déboutés de toutes leurs prétentions;

Sur les frais irrépétibles ;

Il est équitable d’allouer au syndicat au titre des frais irrépétibles la somme de 5000 euros à laquelle les demandeurs ont eux-mêmes estimé le coût du procès qu’ils ont intenté;

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PAR CES MOTIFS ;

LE TRIBUNAL Statuant par jugement public, contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe,

- DÉBOUTE Messieurs X, Y, Z, A et B de toutes leurs demandes ;

- CONDAMNE in solidum Messieurs X, Y, Z, A et B à payer au syndicat SUD Education 93 la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles;

- CONDAMNE in solidum Messieurs X, Y, Z, A et B aux dépens.

Fait à Bobigny, le 02 juin 2022

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

O P M Q

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