Tribunal Judiciaire de Paris, 4 mars 2021, n° 21/80055

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 4 mars 2021, n° 21/80055
Numéro(s) : 21/80055

Texte intégral

TRIBUNAL RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUDICIAIRE

DE PARIS

N° RG 21/80055 – N° Portalis 352J-W-B7F-CTR5Y PÔLE DE L’EXÉCUTION JUGEMENT rendu le 04 mars 2021 N° MINUTE :

CE aux avocats + CCC aux parties via LRAR le

DEMANDERESSE

S.A. BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE RCS PARIS 542 097 902 1 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS

représentée par Me Philippe METAIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #J0002

DÉFENDEUR

Monsieur Y-Z X […]

représenté par Me Charles CONSTANTIN-VALLET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #E1759

JUGE : Monsieur D E, 1er Vice-Président adjoint

Juge de l’Exécution par délégation du Président du Tribunal judiciaire de PARIS.

GREFFIER : Madame Jade PONS, lors des débats, Madame B C, lors du prononcé

DÉBATS : à l’audience du 14 Janvier 2021 tenue publiquement,

JUGEMENT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe

contradictoire

susceptible d’appel

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EXPOSE DU LITIGE

Par un acte notarié du 5 novembre 2008, la société BNP Paribas Personal Finance a consenti à M. X un prêt immobilier « Helvet Immo » libellé en francs suisses, en vue d’une opération d’investissement locatif défiscalisé.

Le 26 février 2020, la 13e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a déclaré la société BNP Paribas Personal Finance coupable du délit de pratique commerciale trompeuse à l’occasion de la commercialisation de ce crédit.

Statuant sur l’action civile, elle a alloué certaines sommes à M. X.

La société BNP Paribas Personal Finance a interjeté appel de ce jugement.

Le 25 septembre 2020, saisi en application de l’article 515-1 du code de procédure pénale, le premier président de la cour d’appel de Paris a rejeté sa demande en suspension de l’exécution provisoire assortissant le jugement du 26 février 2020.

Le 26 octobre 2020, à la requête de M. X, il a été procédé à une saisie-attribution des avoirs de la société BNP Paribas Personal Finance dans les livres de la banque BNP Paribas.

Le 28 octobre suivant, cette saisie a été dénoncée à la société BNP Paribas Personal Finance.

Après y avoir été autorisée par une ordonnance rendue le 19 novembre 2020 à sa requête, la société BNP Paribas Personal Finance a, par exploit du 26 novembre 2020, assigné à bref délai M. X devant le juge de l’exécution en contestation de cette mesure d’exécution forcée, pour l’audience du 14 janvier 2021, à laquelle l’affaire a été plaidée.

La société BNP Paribas Personal Finance sollicite l’annulation de la saisie comme pratiquée :

- en violation des dispositions de l’article R. 211-1, 3°, du code des procédures civiles d’exécution, en raison de l’inexactitude du décompte figurant à l’acte de saisie ;

- pour des condamnations au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;

- pour des intérêts majorés n’ayant pu commencer à courir ;

- pour des frais hypothétiques ;

- malgré la compensation légale de la dette résultant du jugement correctionnel avec la créance qu’elle détient contre M. X au titre du prêt du 5 novembre 2008, qui a fait l’objet d’une déchéance du terme antérieure à la saisie.

A titre subsidiaire, la société BNP Paribas Personal Finance demande la mainlevée de la saisie-attribution, pratiquée pour des sommes indues ou déjà réglées ; plus subsidiairement, elle en sollicite le cantonnement. En tout cas, elle réclame une indemnité de procédure de 2.500 €, après avoir, à l’audience, oralement renoncé à sa demande de dommages intérêts.

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En défense, le conseil de M. X conclut au rejet de ces prétentions, subsidiairement au cantonnement de la saisie-attribution, et réclame une indemnité de procédure de 6.000 €.

MOTIFS

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait référence à leurs conclusions écrites respectives visées à l’audience.

Sur la recevabilité de la contestation

La contestation, formée dans le mois de la dénonciation de la saisie, a été dénoncée à l’huissier instrumentaire par lettre recommandée avec accusé de réception avant l’expiration du premier jour ouvrable suivant l’assignation introductive d’instance.

Elle est donc recevable au regard des dispositions de l’article R. 211-11 du code des procédures civiles d’exécution, ce qui n’est pas contesté en défense.

Sur la demande d’annulation de la saisie-attribution fondée sur l’erreur du décompte

Aux termes de l’article R. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution, l’acte de saisie-attribution contient, à peine de nullité, 3° Le décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus, majorées d’une provision pour les intérêts à échoir dans le délai d’un mois prévu pour élever une contestation.

Seule l’absence de ce décompte peut entraîner la nullité, l’erreur qu’il comporte n’affectant pas la validité de la saisie-attribution (2ème Civ., 27 mai 2004, n°02-20.160, publié ; 19 septembre 2002, n°00-22.086, publié ; 28 juin 2012, n°10-13.885), mais seulement sa portée (2ème Civ., 20 janvier 2011, n°09-72.080).

La demande d’annulation de la saisie-attribution contestée ne peut ainsi qu’être rejetée en ce qu’elle est fondée sur la prétendue erreur affectant le décompte qui y figure.

Sur l’étendue de l’exécution provisoire assortissant le jugement du tribunal correctionnel

Selon l’article 475-1 du code de procédure pénale, le tribunal correctionnel condamne l’auteur de l’infraction à payer à la partie civile la somme qu’il détermine, au titre des frais non payés par l’Etat et exposés par celle-ci, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

L’article 506 du code de procédure pénale dispose que pendant les délais d’appel et durant l’instance d’appel, il est sursis à l’exécution du jugement, sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 464, deuxième et troisième alinéas, du même code.

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Cet effet suspensif de l’appel s’applique aussi bien aux dispositions pénales qu’aux dispositions civiles du jugement correctionnel, sous les réserves limitativement énumérées à l’article 506.

Selon l’article 464, 2e alinéa, du code de procédure pénale, le tribunal correctionnel peut ordonner le versement provisoire, en tout ou partie, des dommages intérêts qu’il alloue à la partie civile.

Aux termes du 3e alinéa du même texte, il a aussi la faculté, s’il ne peut se prononcer en l’état sur la demande en dommages-intérêts, d’accorder à la partie civile une provision, exécutoire nonobstant opposition ou appel.

En cas d’appel, selon l’article 515-1 du code de procédure pénale, lorsque le tribunal a ordonné en tout ou partie le versement provisoire des dommages intérêts, le premier président peut arrêter cette exécution provisoire.

Les dérogations au principe général de l’effet suspensif de l’appel prévues à l’article 464 sont d’interprétation stricte (Crim, 16 octobre 1968, n°67-91.992, publié).

De la combinaison de ces textes et principes, il résulte que les sommes allouées au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ne sont pas des dommages intérêts (Crim, 10 décembre 1990, n°90-80.282, publié) ; que le versement provisoire ne peut être ordonné que des dommages intérêts ; qu’en cas d’appel, le jugement correctionnel n’est de plein droit exécutoire qu’en ce qu’il alloue à la partie civile une provision (Crim, 10 décembre 1990, n°90-82.329, publié), et n’est en aucun cas exécutoire en ce qu’il lui alloue une indemnité sur le fondement de l’article 475-1.

Par contraste, en matière civile, lorsqu’elle n’est pas de droit, l’exécution provisoire peut être ordonnée des condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile (depuis le revirement opéré par 2ème Civ., 31 mai 2001, n°99-13.712, publié au rapport annuel).

En l’espèce, le jugement dont l’exécution est poursuivie ordonne dans son dispositif le versement provisoire des dommages intérêts ainsi que des provisions allouées aux parties civiles.

Il résulte de la loi et des termes de son dispositif que ce jugement ne peut, un appel étant pendant, faire l’objet d’aucune mesure d’exécution forcée en vue du recouvrement des indemnités allouées aux parties civiles au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

C’est donc sans fondement que la saisie-attribution contestée a été pratiquée pour paiement de l’indemnité allouée à M. X au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Contrairement à ce qui est soutenu par la partie défenderesse, la nature des arguments présentés par la société BNP Paribas Personal Finance au premier président de la cour d’appel, à l’occasion de l’examen de sa demande de suspension de l’exécution provisoire, est à cet égard indifférente.

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Sur la majoration des intérêts

L’article L. 313-3 du code monétaire et financier dispose en son premier alinéa : En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision.

Aux termes de l’article 503 du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels il sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire. Cette exigence s’applique aux jugements rendus en matière pénale (2ème Civ., 15 mars 1995, n°93-13.655, publié ; 16 juin 2005, n°03-18.982, publié).

Il résulte de la combinaison de ces deux textes que le taux de l’intérêt légal majoré n’est applicable qu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de condamnation a été notifiée (2ème Civ., 4 avril 2002, n°00-19.822, approuvé par le professeur Perrot qui, à la revue Procédures n°6 de juin 2002, comm. 114, rappelle l’état de la jurisprudence antérieure qui résultait notamment de l’arrêt rendu le 13 mars 1991 par la 2ème chambre civile, bull. n° 86, invoqué en défense, la Cour ayant commencé à évoluer dès 1992, par un arrêt 3ème Civ., 3 juin 1992, n°90-16.792, publié ; 1ère Civ., 28 février 2006, n°04-11.510). Cette solution s’applique naturellement à l’exécution des décisions rendus sur les intérêts civils par les juridictions pénales (2ème Civ., 23 février 2017, n°15-26.346 ; voir notamment la deuxième branche du moyen, écartée, et le commentaire de l’arrêt par le professeur Strickler, à la revue Procédures n° 5, Mai 2017, comm. 81).

En l’espèce, le jugement correctionnel du 26 février 2020 et l’ordonnance du premier président ont été signifiés à la société BNP Paribas Personal Finance le 23 octobre 2020.

Au jour de la saisie-attribution contestée, un délai de deux mois suivant cette signification ne s’était pas écoulé.

C’est donc à tort, comme le soutient à juste titre la demanderesse, que cette saisie a été pratiquée pour des intérêts calculés au taux légal majoré à compter du 27 avril 2020, date postérieure de deux mois au prononcé du jugement. Contrairement à ce que soutient la partie défenderesse, il est indifférent à cet égard que ce jugement ait été prononcé contradictoirement à l’égard de la société BNP Paribas Personal Finance.

Sur les frais d’exécution

L’article R. 211-1, 3°, déjà cité, énumère de manière exhaustive la liste des sommes pouvant être recouvrées par le biais d’une saisie- attribution, parmi lesquels les frais et intérêts échus, mais aussi la provision pour les intérêts à échoir dans le délai d’un mois prévu pour élever une contestation.

Une telle saisie n’est donc pas valable pour le paiement de frais d’exécution à venir n’ayant encore donné lieu à la réalisation effective d’aucun acte tarifé (voir en ce sens CA Paris, 26 octobre 2017, n°16/09219 ; 8 mars 2018, n°17/02518 ; 19 janvier 2020, n°19/15417).

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En l’espèce, c’est irrégulièrement que la saisie-attribution litigieuse a été pratiquée pour le coût estimé d’un certificat de non-contestation, de la signification de ce certificat et d’un acte de « mainlevée quittance ».

Sur l’exception de compensation

Selon l’article 1347-1 du code civil, la compensation n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. Son effet extinctif se réalise de plein droit à l’instant où les deux dettes réciproques présentent ces caractères.

Le juge de l’exécution doit statuer sur l’exception de compensation soulevée par le débiteur (2ème Civ., 15 novembre 2007, n°06-20.057, publié ; 21 janvier 2010, n°09-65.011), par exemple à l’occasion de la contestation d’une saisie-attribution, nonobstant le principe de l’attribution immédiate des fonds saisis (2ème Civ., 16 décembre 2004, n°03-13.117, publié).

En l’espèce, la société BNP Paribas Personal Finance fait valoir qu’elle détient contre M. X une créance au titre du prêt Helvet Immo, dont la déchéance du terme a été prononcée avant la date de la saisie- attribution contestée ; que cette créance est supérieure au montant global pour paiement duquel cette saisie a été pratiquée.

Il est soutenu par M. X que les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies parce que, en premier lieu, la créance résultant du jugement du 26 février 2020 ne serait pas certaine, dès lors que ce jugement n’est pas définitif. Ce moyen est irrecevable, au regard du principe de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, comme incohérent avec l’ensemble des autres moyens proposés en défense au soutien de la thèse de la validité de la saisie-attribution pratiquée sur le fondement même de ce jugement. Il est au demeurant manifestement mal fondé, dès lors que le jugement correctionnel est en partie assorti de l’exécution provisoire.

Il est soutenu en second lieu par M. X que la créance tirée par la société BNP Paribas Personal Finance de l’acte notarié de prêt du 5 novembre 2008 n’est ni certaine ni liquide, parce qu’elle est contestée à l’occasion d’une instance pendante devant une juridiction civile ayant sursis à statuer dans l’attente de la décision pénale définitive.

Mais la seule introduction d’une instance judiciaire ayant pour objet de voir annuler le contrat de prêt ou déclarer abusives certaines de ses clauses ne remet pas en question l’existence du titre exécutoire constitué par l’acte authentique qui en est le support, partant le principe de créance ; il n’est pas contesté, d’autre part, que la déchéance du terme ait été valablement prononcée, ce qui a entraîné l’exigibilité des sommes prévues au contrat en cas de défaillance de l’emprunteur.

Il n’est pas ici demandé au juge de l’exécution de se prononcer sur la validité des engagements contenus dans l’acte notarié à l’appui duquel la demanderesse invoque une exception de compensation, cette question faisant l’objet d’une instance au fond.

Page 6



Au reste, pour réparer le préjudice financier de chacun des emprunteurs, le tribunal correctionnel s’est notamment fondé (jugement, pp.260 et 261) sur la variation péjorative du capital restant dû liée à la réalisation du risque de change ; enfin, quand bien même, à la suite des décisions attendues de la Cour de justice de l’Union européenne au printemps 2021, les contrats de prêt viendraient à être annulés ou que certaines de leurs clauses essentielles viendraient à être réputées non écrites, il n’est pas soutenu par M. X que le montant qui resterait alors dû au prêteur puisse être inférieur à celui des réparations fixées par le tribunal correctionnel.

La saisie-attribution critiquée a été pratiquée pour paiement d’une somme globale de 132.187 € ; il n’est pas contesté que la déchéance du terme a rendu contractuellement exigible la somme de 283.243,75 €.

A une date antérieure à celle de la saisie-attribution critiquée, il s’est ainsi opéré de plein droit une compensation telle que la créance de M. X sur la société BNP Paribas Personal Finance résultant du jugement du 26 février 2020 a été éteinte.

Il s’ensuit que la saisie-attribution du 26 octobre 2020 doit être annulée.

Sur les demandes accessoires

La situation économique respective des parties n’impose pas d’allouer d’indemnité de procédure à la demanderesse.

D’autre part, il est établi que par une correspondance officielle du 12 octobre 2020, antérieure de quelque deux semaines à la saisie critiquée, son conseil a avisé celui de M. X de l’extinction de la créance tirée du jugement du 26 février 2020 par le jeu de la compensation légale.

Ainsi, la saisie et sa contestation subséquente auraient pu être évitées. Il convient en conséquence de rejeter la demande de M. X au titre des frais non compris dans les dépens.

Compte tenu de l’issue du litige, les dépens seront supportés par M. X.

PAR CES MOTIFS,

le juge de l’exécution

Annule la saisie-attribution du 26 octobre 2020 ;

Dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. X aux dépens.

LE GREFFIER LE JUGE DE L’EXÉCUTION

B C D E

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