CE, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 369102

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Sur la décision

Référence :
CE
Juridiction : Conseil d'État
Précédents jurisprudentiels : 94-353/356 DC du 11 janvier 1995 l'
CAAP n° 03PA02500 et 03PA03398 M. C, 13 mars 2006
CAA Versailles n° 04VE03411, M. D, 21 septembre 2006
CE 23 septembre 1998, APHP, n° 184162
CE 28 mars 2008, M. et Mme Z de A, n° 279514
CE 30 mars 1990, n° 57018
CE 8 septembre 1999, M. Y n° 127 376

Texte intégral

11PA03997 M. F X c/ ministre de l’intérieur
Audience du 3 décembre 2012
Lecture du 25 mars 2013
CONCLUSIONS de M. Stéphane Dewailly, Rapporteur public
Faits :
En 1995, M. F X s’est présenté comme candidat à l’élection présidentielle. Au premier tour de scrutin, le 23 avril 1995, il obtint 0,28% des suffrages.
En application de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, l’Etat lui a versé, en sa qualité de candidat à cette élection, une somme d’un million de francs (soit 152 449,02 euros) à titre d’avance sur le remboursement forfaitaire de ses dépenses de campagne.
Le compte de campagne de M. X fut transmis, comme la loi l’y obligeait, au CC. Par une décision du 11 octobre 1995, ce dernier a rejeté ce compte de campagne, au motif que ce candidat avait perçu d’importantes sommes d’argent, que le CC assimilait à des dons, ce qui était contraire aux dispositions du code électoral.
Précisons que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours selon l’article 62 de la Constitution, dans sa rédaction alors en vigueur.
Par conséquence, M. X, se vit réclamer le remboursement de la somme forfaitaire perçue lors de la campagne électorale. A cet effet, le ministre de l’intérieur l’a informé de cette situation, dans un courrier du 18 octobre 1995, puis, le 21 novembre 1995, a émis, à l’encontre de l’intéressé, un titre de perception correspondant à cette avance. M. X n’ayant pas payé honoré le commandement de payer, qui lui fut notifié le 4 avril 1996, cette somme fut majorée de 4.573,47 euros.
Entre 1996 et 2010, les services de la direction régionale des finances publiques d’Ile-de-France ont tenté, à plusieurs reprises, mais en vain, d’obtenir le recouvrement de cette somme due par M. X, notamment en déposant des hypothèques sur ses biens.
Enfin, par des courriers en date des 21 mai et du 9 juillet 2010, M. X s’est opposé à l’exécution du titre de perception émis le 21 novembre 1995 en invoquant notamment la prescription quadriennale instituée par l’article L. 274 du livre des procédures fiscales .
Par une décision en date du 31 août 2010, le directeur régional des finances publiques de la région Ile-de-France et du département de Paris a rejeté cette prescription. M. X a alors saisi le TAP d’une requête tendant à l’annulation de cette décision et à la décharge de la somme de 152.449,02 euros.
Par jugement en date du 28 juin 2011, le tribunal a rejeté sa demande. M. X interjette appel de ce jugement, en demandant l’annulation. Il demande aussi qu’il soit fait droit à ses demandes et qu’il soit mis à la charge de l’Etat une somme de 2.200 euros au titre des frais irrépétibles.
Par un mémoire distinct, enregistré le 7 septembre 2012, M. X a demandé à la Cour, de transmettre au Conseil d’Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l’article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Les défendeurs concluent au rejet de ces demandes.
Discussion :
1 – Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
Aux termes de l’article 61-1 de la constitution: «Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.».
Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d’appel, saisie d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition cumulative :
- que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
- qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
- et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
Les dispositions querellées sont celles de l’article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 relative à la l’élection du Président de la République, dans leur version résultant de la loi organique du 19 janvier 1995 modifiant diverses dispositions relatives à l’élection du Président de la République et à celle des députés à l’Assemblée nationale et la loi organique du 20 janvier 1995 relative au financement de la campagne en vue de l’élection du Président de la République.
Cet article est, dans ses dispositions utiles au jugement de cette QPC, ainsi rédigé : « […] Le plafond des dépenses électorales prévu par l’article L. 52-11 est fixé à 90 millions de francs pour un candidat à l’élection du Président de la République. Il est porté à 120 millions de francs pour chacun des candidats présents au second tour. […] Les comptes de campagne adressés au Conseil constitutionnel par les candidats sont publiés au Journal officiel de la République française dans le mois suivant l’expiration du délai de deux mois prévu au troisième alinéa du II du présent article. Pour chaque candidat, la publication comporte la liste exhaustive des personnes morales qui lui ont consenti des dons, avec l’indication du montant de chacun de ces dons. […] Lors de la publication de la liste des candidats au premier tour, l’Etat verse à chacun d’entre eux une somme d’un million de francs, à titre d’avance sur le remboursement forfaitaire de leurs dépenses de campagne prévu à l’alinéa suivant. Si le montant du remboursement n’atteint pas cette somme, l’excédent fait l’objet d’un reversement. […] Le remboursement forfaitaire prévu à l’alinéa précédent n’est pas effectué aux candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions des deuxième et troisième alinéas du paragraphe II ci-dessus ou à ceux dont le compte de campagne a été rejeté. ».
La première condition est donc remplie.
Cette loi de 1995 a été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel qui, par une décision n° 94-353 /356 DC du 11 janvier 1995 l’a déclaré conforme à la Constitution dans toutes ses dispositions à l’exception de l’article 7 loi organique n° 95-62 du 19 janvier 1995 modifiant diverses dispositions relatives à l’élection du Président de la République et à celle des députés à l’Assemblée nationale relatif au fonctionnement de certains bureaux de vote à l’étranger.
La seconde condition n’est donc pas remplie, ce qui dispense la Cour d’examiner la troisième condition dès lors que l’une au moins des précédentes n’est pas remplie.
Dans ces conditions, vous pourrez rejeter la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. X.
2 – Sur la régularité du jugement :
A – M. X soutient d’abord que le tribunal a entaché son jugement d’une omission à statuer.
Il explique qu’en effet il ne s’est pas prononcé sur son moyen selon lequel le ministre de l’intérieur ne peut se substituer au Conseil constitutionnel pour fixer la somme qu’il est tenue de verser au Trésor public.
En réalité, ce moyen n’est qu’un argument au soutien d’un moyen tiré de l’application de l’article L 274 du Livre des procédures fiscales. Il n’est d’ailleurs invoqué par M. X qu’à l’occasion des échanges avec l’administration autour de l’article L 52-15 du code électoral.
Vous le savez, la motivation d’un jugement doit être fonction de l’argumentation développée par les parties (CE 23 septembre 1998, APHP, n°184162), mais le juge du fond n’est pas tenu de répondre à tous les arguments (CE 8 septembre 1999, M. Y n°127 376). En outre, est admise une motivation implicite (CE 28 mars 2008, M. et Mme Z de A, n°279514).
Vous pourrez donc écarter ce moyen.
B – M. X soutient aussi que l’article L. 52-15 du code électoral, ne prévoyait la restitution totale ou partielle de l’avance qu’en cas de rejet du compte de campagne pour un motif autre que le dépassement du plafond des dépenses électorales et que, par suite, le tribunal, en ne citant pas le texte faisant obligation à l’Etat de demander le reversement de l’avance en dehors de l’hypothèse du dépassement du plafond des dépenses électorales, n’a pas donné une base légale à son jugement.
Ce moyen sera facilement écarté dès lors que les premiers juges se référent en réalité aux dispositions sur lesquelles ils entendent fonder leur décision pour rejeter la demande de M. X : article 3 loi 6 novembre 1962 ; articles 80 à 92 du décret du 29 décembre 1962 ; article L 274 du Livre des procédures fiscales.
Vous pourrez ainsi écarter ce second moyen.
Le jugement n’est donc pas irrégulier.
3 – Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
A – M. X soutient que la rédaction des premiers juges est erronée, lorsqu’ils indiquent : « (…) que le remboursement forfaitaire des dépenses de campagne n’est pas effectué aux candidats à l’élection présidentielle qui ont méconnu, notamment, les dispositions du code électoral relatives au financement de leur campagne électorale ou dont le compte de campagne a été rejeté par le Conseil constitutionnel; que, dès lors, l’Etat est tenu de demander à un candidat qui ne remplit pas les conditions d’attributions prévues pour son octroi le reversement de l’avance qui lui a été consentie sur le remboursement forfaitaire de ses dépenses de campagne ».
Selon lui, on ne peut considérer que les « modalités de calcul » de l’avance « sont définies en fonction des suffrages obtenus au premier tour », alors que l’octroi de l’avance est subordonné à la collecte des parrainages nécessaires à la recevabilité du dépôt de la candidature. Or, explique-t-il, il remplissait les conditions pour en bénéficier, son compte de campagne ayant été rejeté suite à la requalification de prêts gratuits de particuliers en dons.
Vous noterez qu’en effet, les termes employés par le tribunal sont inadéquats, mais vous ne pourrez pour autant conclure que cela a eu une incidence sur le raisonnement juridique tenu par le tribunal.
Vous écarterez ce moyen.
B – L’appelant poursuit en soutenant que les dispositions de l’article L 274 du Livre des procédures fiscales s’appliquent en l’espèce et que l’action en recouvrement était prescrite puisque quatre années s’étaient écoulées depuis l’émission du titre.
Toutefois, il semble difficile de suivre l’appelant sur cette voie. En effet, si la prescription est acquise c’est sous deux réserves :
- que la matière en cause, relève de l’impôt, c’est-à-dire qu’il s’agisse de créances fiscales ;
- qu’aucun acte interrompant la prescription ne soit intervenu à l’intérieur de cette période.
L’organisme opérant le recouvrement étant indifférent pour apprécier la nature de la créance (CE 30 mars 1990, n° 57018), puisque c’est le Trésor public qui en est chargé (art. 85 et suivants du décret du 29 décembre 1962).
Voir pour des illustrations : CE n° 258555 M. B, 22 février 2006, concernant les frais de scolarité à l’ENA ; CAAP n° 03PA02500 et 03PA03398 M. C, 13 mars 2006, concernant la contribution spéciale prévue par le code du travail, mise à la charge de l’employeur ; CAA Versailles n° 04VE03411, M. D, 21 septembre 2006 pour des frais de scolarité à l’école technique normale de Ville d’Avray.
Dans ces conditions, les dispositions en cause ne prévoient une prescription plus courte que pour la catégorie de créances relevant strictement de la matière fiscale. Pour les autres, le reversement des sommes dues à l’Etat est soumis à la prescription trentenaire de l’article 2262 du code civil. D’ailleurs, force est de constater que dans ses écritures, l’appelant soutient, en page huit : « qu’il n’invoquait pas la prescription de la créance de l’Etat à son encontre mais seulement la caducité du titre de recette exécutoire ». et poursuit en soutenant que « la caducité du titre de recettes, qui résulte de « la perte du recours » et de la « déchéance de tous droits et actions contre le redevable », sanctionne l’inaction du comptable du Trésor qui avait en charge l’exécution ; cette sanction ne peut pas être confondue, comme l’a fait indûment le tribunal, avec la prescription extinctive de la créance, qui n’a pas le caractère d’une sanction ; les premiers juges ont commis une confusion ».
Enfin, s’il soutient, en lien avec le moyen tiré de l’irrégularité du jugement que l’article L 52-15 du code électoral, ne s’appliquait pas pour le reversement de l’avance en dehors de l’hypothèse du dépassement du plafond des dépenses électorales, force est de constater pourtant que cette obligation découle de l’interprétation de l’article 3 V de la loi du 6 novembre 1962, dans ses dispositions utiles au litige : « Lors de la publication de la liste des candidats au premier tour, l’Etat verse à chacun d’entre eux une somme d’un million de francs, à titre d’avance sur le remboursement forfaitaire de leurs dépenses de campagne prévu à l’alinéa suivant. Si le montant du remboursement n’atteint pas cette somme, l’excédent fait l’objet d’un reversement. Une somme égale au vingtième du montant du plafond des dépenses de campagne qui leur est applicable est remboursée, à titre forfaitaire, à chaque candidat ; cette somme est portée au quart dudit plafond pour chaque candidat ayant obtenu plus de 5 p. 100 du total des suffrages exprimés au premier tour. Elle ne peut excéder le montant des dépenses du candidat retracées dans son compte de campagne. Le remboursement forfaitaire prévu à l’alinéa précédent n’est pas effectué aux candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions des deuxième et troisième alinéas du paragraphe II ci-dessus ou à ceux dont le compte de campagne a été rejeté. ».
Cette avance a une nature provisoire dès lors qu’elle est indissociable du remboursement forfaitaire, et n’est pas acquise pour les candidats à l’élection présidentielle qui ont méconnu, notamment, les dispositions du code électoral relatives au financement de leur campagne électorale ou dont le compte de campagne a été rejeté par le Conseil constitutionnel.
En toute hypothèse, compte tenu des tentatives de recouvrement et des recours déposés notamment par M. X, la prescription de quatre ans n’est pas acquise. La procédure judiciaire engagée en 1996 afin que soit déclaré inopposable, dans le cadre du recouvrement de l’avance forfaitaire, la procédure d’affectation hypothécaire consenti le 9 août 1996 par le requérant à M. E à hauteur de 1.134.000 francs, a interrompu le délai de prescription de la créance jusqu’au 11 septembre 2003, date à laquelle la Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt. Dès lors, la saisie-attribution exécutée à l’encontre de M. X le 31 juillet 2006 a été effectuée moins de trois ans après la réouverture du délai de prescription de la créance.
Certes, la prescription a été modifiée, par une loi du 17 juin 2008 qui prévoit: « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » ;
Mais, aux termes de l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 : « (…) II. – Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (…) ».
Or, la prescription trentenaire de l’article 2262 du code civil invoquée précédemment n’était pas acquise à la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, puisque le titre de perception a été émis le 21 novembre 1995 et celle de l’article 2224 du code civil, dans sa rédaction alors applicable à la date de présentation de la réclamation préalable par l’intéressé, c’est-à-dire en 2010, ne l’était pas non plus.
La créance n’était donc pas prescrite. Vous pourrez donc rejeter ce dernier moyen et la requête de M. X.
4 – Dans ces conditions, vous pourrez rejeter les autres conclusions présentées par M. X.
Par ces motifs, nous concluons :
- au rejet de la QPC déposée par M. X ;
- au rejet de la requête de M. X.
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