Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 1re chambre a, 7 novembre 2017, n° 16/02613

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 1re ch. a, 7 nov. 2017, n° 16/02613
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 16/02613
Importance : Inédit
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 1 novembre 2022
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Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

1ère Chambre A

ARRET SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 07 NOVEMBRE 2017

L.V

N°2017/

Rôle N° 16/02613

[L] [P]

[S] [V] épouse [P]

C/

[X] [R]

[W] [R]

[O] [R]

[B] [R]

Grosse délivrée

le :

à :Me Alligier

Me Badie

Arrêt en date du 07 Novembre 2017 prononcé sur saisine de la cour suite à l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 14/01/2016, qui a cassé et annulé l’arrêt n° 239 rendu le 12/06/2014 par la Cour d’Appel d’ AIX EN PROVENCE ( 4ème Chambre B).

DEMANDEURS SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur [L] [P]

né le [Date naissance 1] 1954 à [Adresse 1] (Russie), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assisté par Me Pascal KLEIN de la SCP KLEIN, avocat au barreau de NICE substitué par Me Estelle CIUSSI, avocat au barreau de NICE, plaidant

Madame [S] [V] épouse [P]

née le [Date naissance 2] 1955 à [Adresse 2] (Russie), demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assistée par Me Pascal KLEIN de la SCP KLEIN, avocat au barreau de NICE substituée par Me Estelle CIUSSI, avocat au barreau de NICE, plaidant

DEFENDEURS SUR RENVOI DE CASSATION

Madame [X] [R], demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

assistée par Me Jean-Marc SZEPETOWSKI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [W] [R]

né le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 1], demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

assisté par Me Jean-Marc SZEPETOWSKI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [O] [R], demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

assisté par Me Jean-Marc SZEPETOWSKI, avocat au barreau de NICE

Monsieur [B] [R], demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

assisté par Me Jean-Marc SZEPETOWSKI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 02 Octobre 2017 en audience publique .Conformément à l’article 785 du code de procédure civile, Madame VIGNON, Conseiller a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries devant la cour composée de :

Madame Anne VIDAL, Présidente,

Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2017.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2017

Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Selon acte authentique en date du 1er février 2005, M. [L] [P] et son épouse Mme [S] [V] ont acquis de la SCI L’HEURE BLEUE, une propriété située à [Localité 2], lieudit ' [Localité 3]', consistant en une maison d’habitation et un terrain avec escalier d’accès cadastré section AE n°[Cadastre 1] pour 4a 53 ca.

Ils accédaient à leur maison par un chemin appartenant aux consorts [R] jusqu’à ce que ces derniers ferment ce chemin en 2011 par l’installation d’un portail métallique électrique avec digicode.

Par acte d’huissier en date du 28 septembre 2011, M. [L] [P] et Mme [S] [V] ont fait assigner M. [O] [R], Mme [X] [R], M. [B] [R], M. [W] [R] aux fins de voir:

— juger que, par prescription acquisitive, leur fonds cadastré section AE n°[Cadastre 1] sis [Adresse 8] à [Localité 2], d’une contenance de 4 a 53 ca bénéficie d’une servitude de passage sur le fonds appartenant aux consorts [R], cadastré section AE n°[Cadastre 2],[Cadastre 3],[Cadastre 4],[Cadastre 5] et [Cadastre 6],

— constater que l’assiette de servitude est matérialisée par le chemin goudronné traversant les fonds de l’indivision [R] jusqu’au chemin des Serres,

— condamner les consorts [R] solidairement à laisser libres la servitude de passage et l’assiette et ce, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

— désigner, en tant que de besoin, tel expert judiciaire avec mission habituelle en la matière, et notamment de déterminer l’assiette de la servitude de passage sur les fonds appartenant à l’indivision [R] au profit de la propriété de M. [L] [P] et Mme [S] [V],

— subsidiairement, constater l’état d’enclave de leur fonds,

— juger que leur fonds cadastré section AE n°[Cadastre 1] sis [Adresse 8] à [Localité 2], d’une contenance de 4 a 53 ca bénéfice d’une servitude de passage sur le fonds appartenant aux consorts [R], cadastré section AE n°[Cadastre 2],[Cadastre 3],[Cadastre 4],[Cadastre 5] et [Cadastre 6],

— condamner les consorts [R] au paiement de la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts outre 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir

Par jugement en date du 29 août 2013, le tribunal de grande instance de Nice a:

— débouté M. [L] [P] et Mme [S] [V] de l’intégralité de leurs demandes,

— condamné M. [L] [P] et Mme [S] [V] à payer aux consorts [R] la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Le tribunal a rejeté la demande des époux [P] tendant à leur faire reconnaître la prescription acquisitive d’une assiette de servitude de passage sur le fonds des consorts [R] mais a constaté l’état d’enclave du fonds [P]. Il les a, en revanche, déboutés de leur demande de fixation de l’assiette de la servitude de passage sur la parcelle de l’indivision [R] aux motifs que les demandeurs:

— ne démontraient pas que les défendeurs avaient la qualité de voisins, aucun document cadastral n’étant versé aux débats permettant d’établir le caractère mitoyen des fonds,

— n’établissaient pas qu’ils avaient la possibilité de stationner leur véhicule automobile sur leur parcelle compte tenu de sa faible contenance, la reconnaissance d’une servitude de passage n’ayant pas pour effet de leur conférer un droit de stationnement sur le fonds de leurs voisins.

Par déclaration en date du 10 septembre 2013, les époux [P] ont formé appel de cette décision.

Dans son arrêt en date du 12 juin 2014, la cour d’appel dAix-en-Provence a:

— confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté les prétentions des époux [P], les a condamnés aux dépens et au paiement de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— l’a infirmé en ce qu’il a reconnu l’état d’enclave de la parcelle cadastrée section AE n°[Cadastre 1] à [Localité 2], lieudit ' [Localité 3]',

Et statuant à nouveau:

— dit que cette parcelle n’est pas enclavée,

Y ajoutant:

— rejeté la demande de dommages et intérêts des époux [P] à l’encontre des consorts [R],

— condamné les époyx [P] aux dépens d’appel et à payer aux consorts [R] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. et Mme [P] ont régularisé un pourvoi en cassation et par arrêt du 14 janvier 2016 la Cour de Cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 12 juin 2014 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait rejeté l’état d’enclavement du fonds des époux [P] aux motifs que ' l’arrêt retient que la maison des époux [P] est desservie par un escalier extrêmement pentu et que, si l’approche de la maison en véhicule est impossible, l’accès à la propriété reste possible moyennant certains aménagements'

La Cour de Cassation a en effet précisé que ' l’accès par un véhicule automobile correspond à l’usage normal d’un fonds destiné à l’habitation'.

Par déclaration en date du 15 février 2016, M. [L] [P] et Mme [S] [V] épouse [P] ont saisi la cour d’appel d’Aix-en-Provence, après renvoi de cassation, pour voir reconnaître le bénéfice à leur profit d’une prescription acquisitive et, à titre subsidiaire, un état d’enclavement leur permettant de revendiquer le bénéfice d’une servitude de passage.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées par la voir électronique le 22 août 2017, M. [L] [P] et Mme [S] [V] demandent à la cour de:

— réformer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nice en date du 29 juin 2013 et l’arrêt de la cour d’appel du 12 juin 2014 en ce qu’ils ont rejeté les demandes des époux [P],

A titre principal, au visa de l’article 685 du Code civil:

— dire et juger que par prescription acquisitive, le fonds de la propriété [P], cadastrée section AE n° [Cadastre 1], sise [Adresse 8] à [Localité 2], pour une superficie de 4a 53ca, bénéficie d’une servitude de passage sur les fonds appartenant en co-indivision à M. [O] [R], Mme [X] [R], M. [B] [R], M. [W] [R] , sis sur le territoire de la commune de [Localité 2], Chemin des Serres, cadastrées section AE n°[Cadastre 3] et section AE n° [Cadastre 2], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6],

— constater et confirmer que l’assiette de la servitude au profit du fonds des époux [P] (cadastre Section AE [Cadastre 1]) est matérialisée par le chemin des serres cadastré Section AE [Cadastre 3] lequel traverse les fonds de l’indivision [R] (AE n° [Cadastre 2], n°[Cadastre 3], n°[Cadastre 4], n° [Cadastre 5], et n°[Cadastre 6]),

— condamner les consorts [R] conjointement et solidairement à laisser libre d’accès la

servitude de passage et l’assiette, et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir.

Subsidiairement:

Vu l’article 682 et suivants du code civil,

Vu l 'arrêt du 14 janvier 2016 de la Cour de Cassation,

— constater que ' l’accès par un véhicule automobile correspond à 1'usage normal d’un fonds destiné à l’habitation ',

— constater que le fonds appartenant aux époux [P] sis à [Localité 2], [Adresse 8], cadastre section AE n° [Cadastre 1] n’a pas d’accès automobile,

— constater que les fonds appartenant aux consorts [R] cadastrés section AE n° [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6], supportent déjà le chemin existant goudronné cadastré section AE[Cadastre 3],

— constater que le tracé de 1'assiette de la servitude constituée par le chemin goudronné traversant les fonds de l’indivision [R] (AE n° [Cadastre 2], n°[Cadastre 3], n°[Cadastre 4], n° [Cadastre 5], et n° [Cadastre 6]) nommée Chemin des Serres et cadastrée section AE [Cadastre 3] est la seule route permettant un accès automobile et de désenclaver le fonds [P] cadastré section AE [Cadastre 1],

— constater que la solution de l’assiette de passage par le chemin existant à savoir le chemin des serres cadastré parcelle AE n°[Cadastre 3] appartenant aux consorts [R] sur un linéaire d’environ 150 mètres points D à E en annexe 3 du rapport [K] est le chemin ayant le plus court accès et occasionnerait le moins de dommage à la propriété traversée de sorte qu’il remplit les dispositions de l’article 683 du code civil,

— ordonner le désenclavement du fonds [P] cadastré Section AE [Cadastre 1] selon le tracé de 1'assiette de la servitude constituée par le chemin goudronné traversant les fonds appartenant aux consorts [R] (AE n° [Cadastre 2], n°[Cadastre 3], n°[Cadastre 4], n° [Cadastre 5], et n° [Cadastre 6]) nommé Chemin des Serres et cadastré section AE [Cadastre 3].

— constater qu’aucun frais de construction ne sera entraîné par la création de cette servitude de passage, le chemin existant déjà et celui-ci étant régulièrement utilisé par des co riverains,

— prendre acte que les frais relatifs à l’entretien courant seront supportés à hauteur de 1/6 èmes par les époux [P],

— condamner les consorts [R] conjointement et solidairement à laisser libres d’accès la servitude de passage et l’assiette, et sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,

— dire que le présent arrêt sera publié à la Conservation des Hypothèques à l’initiative de la partie la plus diligente,

— condamner les consorts [R] conjointement et solidairement à payer aux époux [P] la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts,

Très subsidiairement:

— ordonner la désignation d’un expert judiciaire chargé de réaliser une expertise avec pour mission de :

*se rendre sur les lieux en présence des parties, ou à défaut, de celles-ci régulièrement convoquées par lettre avec demande d’avis de réception ,

* se faire communiquer par les parties tous documents ou pièces qu’il estimera nécessaires à l’accomplissement de sa mission, notamment des titres de propriété, des plans annexés à ces titres, documents cadastraux, des documents d 'arpentage et de bornage ;

* entendre, si besoin est seulement, tous sachants conformément aux dispositions de l’article 276 du code de procédure civile ;

* décrire les lieux, en dresser le plan et prendre toutes photographies utiles, et ce après étude des documents précédemment énumérés ,

* fournir tous éléments d’appréciation permettant utilement à la juridiction saisie de déterminer l 'état d 'enclave de la parcelle cadastrée section AE n° [Cadastre 1], sise [Adresse 8] à [Localité 2],

* de constater que le seul accès par voie automobile à ladite parcelle ne peut se faire que par l’utilisation du chemin carrossable des Serres, propriété des consorts [R] utilisée par ailleurs par d’autres co-riverains,

* fournir tous les éléments permettant de fixer l’indemnité à attribuer aux propriétaires des fonds en réparation du dommage qu 'ils subiront de ce fait,

* d’une façon générale, procéder à toutes investigations d 'ordre technique utiles à la solution du litige,

* s’expliquer techniquement dans le cadre de ces chefs de mission sur les dires et les observations des parties après leur avoir fait part de ses pré-conclusions,

* fournir tous les éléments permettant de fixer l 'indemnité à attribuer aux propriétaires des

fonds sur lesquels la voie devra être établie, en réparation du dommage qu 'ils subiront de ce fait,

* d’une façon générale, procéder à toutes investigations d’ordre technique utiles à la solution du litige,

* s’expliquer techniquement dans le cadre de ces chefs de mission sur les dires et les observations des parties après leur avoir fait part de ses pré-conclusions.

— débouter les consorts [R] de toutes leurs demandes fins et conclusions,

— condamner les consorts [R] à payer aux époux [P] une indemnité de 8.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’appui de leurs prétentions, les époux [P] rappellent que depuis leur acquisition, ils ont toujours librement accédé en voiture à leur villa par une rampe d’accès goudronnée : le chemin des Serres, prenant naissance sur le Boulevard Maréchal Joffre et qu’ à compter de 2011, cet accès a été rendu impossible en raison de l’installation d’un portail métallique équipé d’un système de digicode situé à 25 m de la voie publique et à 100 m de leur propriété. Ils précisent que le seul accès à leur propriété, qui est située 100 m plus haut que la voie publique, est désormais limité à l’emprunt d’un escalier étroit en très mauvais état de 99 marches, très pentu, sinueux avec un dénivelé très important et que Mme [P], gravement malade, ne peut plus accéder à sa maison.

S’appuyant sur les dispositions de l’article 685 du code civil, ils invoquent, à titre principal, le bénéfice de la prescription acquisitive de l’assiette de la servitude :

— dans leur acte de propriété, il est précisé que le vendeur (la SCI L’HEURE BLEUE) confirme avoir, depuis un arrêt de la cour d’Aix-en-Provence du 29 avril 1976, utilisé la route d’accès litigieuse 'de manière, paisible, publique et continue jusqu’à ce jour, '

— depuis leur acquisition le 1er février 2005 et jusqu’à la date du constat d’huissier dressé le 14 mars 2011,ils ont toujours accédé à leur propriété par ce fameux chemin bitumé appartenant à l’indivision [R],

— il s’est donc écoulé plus de 30 ans entre l’arrêt de la cour d’appel du 29 avril 1976 et ce procès-verbal de constat, justifiant du bénéfice de la prescription acquisitive de la servitude de passage,

— la tolérance de bon voisinage invoquée par les consorts [R] n’est pas démontrée.

A titre subsidiaire, ils demandent à la cour de constater l’enclavement de leur propriété laquelle n’a pas de voie d’accès par véhicule automobile et de déterminer l’assiette de la servitude de passage par le chemin goudronné des Serres. Ils font valoir que:

— la desserte normale d’un fonds impose le passage d’un véhicule automobile,

— la sécurité des personnes et des biens n’est plus assurée, aucun secours de pompiers, ni ambulance ne pouvant parvenir sur les lieux,

— Mme [P] est dans l’impossibilité de monter et de descendre les 99 marches de l’escalier, compte tenu de son état de santé,

— ils limitent leur demande à un accès à leur fonds en empruntant le chemin des Serres, comme cela a toujours été le cas depuis 30 ans, sans exiger l’autorisation de stationner en permanence.

S’agissant du chemin nécessaire pour procéder au désenclavement du fonds, ils s’appuient sur les dispositions de l’article 683 du code civil et soutiennent que le chemin revendiqué est le trajet le plus court du fonds enclavé à la voie publique et le passage le moins dommageable.

Ils ajoutent qu’ils ont saisi M. [K], géomètre-expert, afin que soient recherchés les accès possibles à leur propriété autres que celui qu’ils revendiquent dans le cadre de la présente procédure. Celui-ci a estimé que la solution de l’assiette de passage par le chemin existant, à savoir le Chemin des Serres appartenant à l’indivision [R], occasionnerait le moins de dommage à la propriété traversée et remplit les conditions de l’article 683 du code civil.

A titre infiniment subsidiaire, ils sollicitent l’instauration d’une mesure d’expertise judiciaire.

Les consorts [R], dans leurs dernières conclusions déposées et signifiées le 23 août 2017, demandent à la cour, au visa des articles 682 et suivants, et 2255 et suivants du code civil, de:

— confirmer le jugement entrepris en l’ensemble de ses dispositions et débouter les époux [P] de l’intégralité de leurs prétentions,

— condamner les époux [P] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils rappellent que:

— la voie d’accès litigieuse, le Chemin des Serres, leur appartient exclusivement et n’est grevée d’aucune servitude de passage profitant à la propriété [P],

— l’arrêt de la cour d’appel en date du 29 avril 1976 a d’ailleurs débouté l’auteur des [P] de sa demande tendant à se voir reconnaître le bénéfice d’une servitude de passage et celui-ci a par la suite sollicité à titre exceptionnel, en raison de son grand âge, que lui soit accordée une tolérance éminemment précaire et révocable,

— lorsqu’ils ont procédé en 1980 à l’installation d’un portail d’accès empêchant ainsi l’accès au Chemin des Serres, ils ont accordé à titre exceptionnel à l’auteur des [P] la possibilité de continuer à utiliser ce passage mais dans des cas d’urgence,

— les époux [P] étaient informés de cette situation lorsqu’ils ont acquis leur propriété.

Ils concluent à l’absence de toute prescription de l’assiette de la servitude de passage en rappelant que la servitude de passage, étant discontinue, ne peut s’acquérir par prescription et qu’en l’occurrence, ils se sont toujours régulièrement opposés à l’utilisation de leur voie à titre de passage et n’ont, de façon épisodique, fait que conférer une simple tolérance permettant à certains voisins d’emprunter la voie de façon épisodique et pour des motifs particuliers, mais non comme un droit de passage.

Ils précisent que de tels actes ne sont jamais constitutifs de droits et ne sont pas susceptibles de fonder une quelconque possession par prescription.

Quant à la demande subsidiaire des époux [P], ils considèrent que ces derniers ne peuvent solliciter un désenclavement par le Chemin des Serres, au motif qu’il s’agirait du chemin le plus ' pratique’ sans que les autres propriétés susceptibles d’êtres concernées soient appelées dans une expertise destinée à identifier juridiquement et factuellement le passage à emprunter. Ils soutiennent ainsi que dans l’hypothèse d’un état d’enclave caractérisé, ils appartient donc aux époux [P] d’initier une procédure expertale au contradictoire de l’ensemble des fonds concernés. Ils en tirent pour conséquence que leurs demandes doivent être rejetées, faute pour eux d’avoir appelé en la cause l’ensemble des propriétaires des fonds voisins.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 septembre 2017.

MOTIFS

Sur la prescription acquisitive de la servitude de passage :

M. et Mme [P] rappellent qu’ils ont acquis, par acte authentique du 1er février 2005, de la SCI L’HEURE BLEUE, une propriété située à [Localité 2] à laquelle ils accédaient en voiture, à partir du boulevard Maréchal Joffre , en empruntant le chemin des Serres situé sur une parcelle, propriété des consorts [R], jusqu’à ce que ces derniers fassent installer un portail métallique électrique avec digicode en remplacement de l’ancien portail.

Ils précisent avoir fait constater cet état de fait par procès-verbal d’huissier en date du 14 mars 2011, et indiquent que désormais pour accéder à leur propriété, ils doivent emprunter un escalier de 99 marches, en très mauvais état, ce qui ne permet plus à Mme [P], gravement malade et lourdement handicapée, de rejoindre sa maison. Ils se prévalent de la mention contenue dans l’acte de vente, par laquelle le vendeur avait confirmé utiliser, depuis un arrêt de la cour d’Aix-en-Provence du 29 avril 1976, la route d’accès litigieuse 'de manière, paisible, publique et continue jusqu’à ce jour’ et considèrent qu’un délai de trente ans s’est donc écoulé entre cette décision et le procès-verbal de constat dressé le 14 mars 2011.

En application de l’article 691 du code civil, les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes ne peuvent s’établir que par titres, la possession même immémoriale ne suffisant pas pour les établir.

La demande des époux [P] tendant à voir constater l’existence d’une servitude de passage par prescription acquisitive ne peut être accueillie dès lors qu’une servitude de passage est, par nature, une servitude discontinue, relevant par conséquent, des dispositions de l’article 691 sus rappelé.

M. et Mme [P] invoquent également les dispositions de l’article 685 du code civil qui précisent que l’assiette et le mode de servitude de passage pour cause d’enclave sont déterminés par trente ans d’usage continu.

Si la possession prolongée pendant trente ans a pour effet de fixer l’assiette et le mode d’exercice d’une telle servitude, il est nécessaire que:

— le principe de la servitude soit établi,

— les faits de possession invoqués soient nettement caractérisés,

— la possession doit être paisible et non équivoque.

En outre, aux termes de l’article 2232 du code civil, les actes de pure faculté et de simple tolérance ne peuvent fonder ni prescription, ni possession.

En l’espèce, il ressort des pièces produites au dossier que:

— le fonds, propriété des époux [P], ne bénéficie d’aucune servitude de passage sur le fonds [R], ainsi que l’a jugé un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 29 avril 1976,

— l’acte de vente des époux [P] en date du 1er février 2005 précise en page 14 que ' l’acquéreur déclare avoir été parfaitement informé qu’une procédure a opposé la société venderesse à la propriété mitoyenne appartenant à M. [R] concernant l’utilisation d’une voie d’accès par la route située entre ces deux propriétés, et qu’aux termes d’un arrêt, devenu définitif de la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 29 avril 1976, la société venderesse a été déboutée de ses prétentions. L’acquéreur déclare en faire son affaire personnelle à l’entière décharge du vendeur et du notaire, desquels il déclare avoir reçu toutes informations ainsi que par la lecture qu’il a pu faire tant de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 29 avril 1976 que du jugement réformé du tribunal de grande instance de Nice en date du 15 janvier 1975, dont copies demeureront ci-jointes et annexées après mention. Le vendeur confirme expressément, par ailleurs, avoir, depuis l’issue de ce procès, utilisé cette route d’accès de manière paisible, publique et continue jusqu’à ce jour.'

— par deux courriers en date du13 décembre 1976 et 24 septembre 1980, la SCI L’HEURE BLEUE ( auteur des époux [P]), représentée par Mme [M], indiquait ne pas former de pourvoi de cassation à l’encontre de l’arrêt du 13 décembre 1976 mais sollicitait, en raison de son grand âge, qu’une tolérance personnelle et exceptionnelle lui soit accordée de pouvoir emprunter la route litigieuse ' dans des cas d’urgence, genre visite de médecin etc…'.

Au regard de ces éléments, les consorts [R] se sont régulièrement opposés à l’utilisation de leur voie à titre de passage, ont fait installer, dès 1980, sur le chemin des Serres, qui leur appartient et qui n’est grevé d’aucune servitude de passage, un portail et ont uniquement conféré, de façon épisodique, une simple tolérance permettant à certains voisins d’emprunter la voie litigieuse, pour des motifs particuliers, et non à titre de droit de passage.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté les époux [P] de leur demande tendant à leur reconnaître, par prescription acquisitive, le bénéfice d’une servitude de passage sur le fonds des consorts [R].

Sur l’état d’enclave de la propriété de M. et Mme [P] :

M. et Mme [P] demandent à la cour de:

— constater l’enclavement de leur propriété laquelle n’a pas de voie d’accès par véhicule automobile,

— de déterminer l’assiette de la servitude de passage par le chemin goudronné des Serres traversant les fonds de l’indivision [R], jusqu’à leur propriété.

En application de l’article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner.

Le droit pour le propriétaire d’une parcelle enclavée, de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins est fonction de l’utilisation normale du fonds quelle qu’en soit la destination.

Ainsi en est-il d’une maison d’habitation exigeant son accès par un véhicule automobile, compte tenu des conditions actuelles de la vie et de la nécessité de permettre un secours rapide en cas d’incendie.

En l’espèce, il est constant que, depuis l’installation par les consorts [R] d’un portail électrique sur le Chemin des Serres, la propriété des époux [P] n’est accessible qu’à pied ' par un escalier de 99 marches en très mauvais état, extrêmement pentu, sinueux, avec un dénivelé important', selon les constatations de l’huissier de justice dans son procès-verbal en date du 14 mars 2011.

L’approche de la maison en véhicule par les escaliers qui la desservent étant impossible, privant ainsi les époux [P] d’un usage normal de leurs fonds destiné à l’habitation, c’est à bon droit que le tribunal a constaté l’état d’enclave de la parcelle cadastrée section AE n°[Cadastre 1], propriété des appelants.

M. et Mme [P] revendiquent, comme passage pour désenclaver leur fonds, le chemin goudronné des Serres, traversant la propriété [R]. Ils se prévalent d’un rapport établi par un géomètre expert M. [K], qui a confirmé que la solution de l’assiette de passage par le chemin existant, à savoir le chemin des Serres, occasionnerait le moins de dommage à la propriété traversée et remplirait les conditions de l’article 683 du code civil. Ils produisent également un extrait du plan cadastral ainsi qu’une image satellite des propriétés datant de 2013.

Les consorts [R] contestent une telle analyse et font valoir que le désenclavement ne peut se faire sue leur fonds uniquement parce qu’il s’agirait du chemin le plus 'pratique’ pour les époux [P] sans que les autres propriétés susceptibles d’être concernées soient appelées dans une expertise destinée à identifier le passage à emprunter.

L’article 683 du code civil rappelle que le passage doit être régulièrement pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique. Néanmoins, il doit être fixé dans l’endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé.

A l’examen du plan cadastral, il apparaît que:

— le passage revendiqué par les époux [P] n’est pas le seul permettant un accès à la voie publique,

— deux autres parcelles, en l’occurrence la parcelle [Cadastre 7], propriété de la SARL BERRI ARTOIS et la parcelle [Cadastre 8], propriété [S], voisins des époux [P], ont également un accès à la voie publique.

Les éléments communiqués par les appelants ne permettent pas d’établir que le chemin répond aux exigences posées par l’article 683 du code civil et notamment qu’il s’agit du passage le plus court. Les constatations effectuées par M. [K] sont par ailleurs insuffisantes dans la mesure où elles ont été établies uniquement à partir du fonds [P] puisque le géomètre n’a pu pénétrer sur les autres parcelles et à partir des déclarations de ces derniers, sans recueillir la position des autres voisins susceptibles d’être concernés. De même, aucune solution à partir de la propriété [S] n’a été recherchée. Enfin, l’analyse de la situation par M. [K] est particulièrement succincte ( une page), de même que ses conclusions restent très imprécises ' notre expérience en la matière laisse à penser que le coût engendré pour les travaux précités serait très important …'

Dès lors que M. et Mme [P], demandeurs au désenclavement, n’établissent pas que le passage qu’ils réclament répond aux prescriptions de l’article 683 du code civil et que les autres parcelles susceptibles de supporter ce passage n’ont pas été attraites en la cause, la demande de fixation de l’assiette de passage le chemin goudronné des Serres traversant les fonds de l’indivision [R] est irrecevable.

Il en est de même pour la demande tendant à l’instauration d’une mesure d’expertise qui ne peut être ordonnée au seul contradictoire des consorts [R].

En conséquence, le jugement déféré sera infirmé uniquement en ce qu’il a débouté les époux [P] de leur demande de fixation de l’assiette de la servitude de passage et d’expertise, au lieu de déclarer de telles demandes irrecevables.

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Vu l’article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

sur renvoi de la Cour de cassation,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Nice déféré en ce qu’il a :

— débouté M. [L] [P] et Mme [S] [V] de leur demande tendant à se voir reconnaître la prescription acquisitive d’une assiette de servitude de passage sur le fonds des consorts [R],

— constaté l’état d’enclave du fonds cadastré section AE n°[Cadastre 1] appartenant à M. [L] [P] et Mme [S] [V],

— condamné M. [L] [P] et Mme [S] [V] à payer aux consorts [R] la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

L’infirme pour le surplus et statuant à nouveau sur ces points:

Déclare irrecevable la demande de désenclavement du fonds [P] cadastré section AE n°[Cadastre 1] selon le tracé de l’assiette de la servitude constituée par le chemin goudronné traversant les parcelles appartenant aux consorts [R] (cadastrés AE n°[Cadastre 2], [Cadastre 3],[Cadastre 4],[Cadastre 5] et [Cadastre 6] ), à défaut pour les demandeurs d’avoir appelé à la procédure les propriétaires de l’ensemble des fonds riverains ;

Déclare irrecevable la demande d’expertise judiciaire formulée par M. [L] [P] et Mme [S] [V] à titre subsidiaire ;

Y ajoutant:

Condamne M. [L] [P] et Mme [S] [V] à payer à M. [O] [R], Mme [X] [R], M. [B] [R], M. [W] [R] la somme de 2.000 € application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [L] [P] et Mme [S] [V] aux dépens de l’instance.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 1re chambre a, 7 novembre 2017, n° 16/02613