Cour d'appel de Bordeaux, 8 janvier 2013, n° 12/01043

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 8 janv. 2013, n° 12/01043
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 12/01043
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bordeaux, 6 février 2012, N° 10/04431

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

SIXIÈME CHAMBRE CIVILE


ARRÊT DU : 08 JANVIER 2013

(Rédacteur : Franck LAFOSSAS, Président)

N° de rôle : 12/01043

MINISTERE PUBLIC

c/

Z X

D E I épouse X

AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR

Nature de la décision : AU FOND

10B

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 février 2012 par la Première Chambre du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (RG n° 10/04431) suivant déclaration d’appel du 21 février 2012

APPELANT :

MINISTERE PUBLIC

XXX

place de la République – CS 11385

XXX

représenté par Jean-Paul DUPONT, XXX

INTIMÉS :

Z X

né le XXX à XXX

de nationalité Française,

demeurant MOULIN DE LA RONZE

XXX

assistée de Maître Isabelle RAFFARD, avocat postulant au barreau de BORDEAUX et Maître Jean-Eric MALABRE, avocat plaidant au barreau de LIMOGES

D E I épouse X

née le XXX à XXX

de nationalité Algérienne

demeurant MOULIN DE LA RONZE

XXX

assistée de Maître Isabelle RAFFARD, avocat postulant au barreau de BORDEAUX et Maître Jean-Eric MALABRE, avocat plaidant au barreau de LIMOGES

AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR

Direction des affaires juridiques

XXX

XXX

assisté de Maître Carine GODET, avocat au barreau de BORDEAUX, substituant Maître Pascale MAYSOUNABE de la SELAS EXEME ACTION, avocats au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 novembre 2012 en audience publique, devant la Cour composée de :

Président : Franck LAFOSSAS

Conseiller : Catherine MASSIEU

Conseiller : B C

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Sylvie HAYET

Ministère Public : l’affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté à l’audience par Jean-Paul DUPONT, XXX qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 al. 2 du code de procédure civile.

*

Faits et procédure antérieure :

D E-I, de nationalité algérienne, a épousé Z X le XXX.

Le 12 juin 2009, D E-I a souscrit une déclaration devant le juge d’instance de Guéret en vue d’acquérir la nationalité française sur le fondement de l’article 21-2 du code civil.

Le 3 novembre 2009, le ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale a rejeté cette déclaration au motif que la preuve de la communauté de vie tant matérielle qu’affective des deux époux n’était pas établie à l’issue du rapport d’enquête réglementaire qui a fait apparaître que D E-I vivait et travaillait en région parisienne alors que son mari habitait dans la Creuse.

Le 28 avril 2010, Z X et D E-I ont assigné le procureur de la République et l’agent judiciaire du Trésor devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de contester le refus d’enregistrement de la déclaration de l’épouse et de voir constater qu’elle est française.

Par jugement du 7 février 2012, le tribunal a :

— constaté que D E-I a acquis la nationalité française depuis le 12 juin 2009 et ordonné son enregistrement,

— ordonné que soit portée mention de la nationalité française sur les actes de l’état civil de l’intéressée,

— dit que les services de l’Etat ont commis une faute en refusant d’enregistrer la déclaration de nationalité française de D E-I sans effectuer une enquête sérieuse au préalable,

— condamné l’agent judiciaire du Trésor à payer à D E-I la somme de 2.000 € et à Z X la somme de 1.000 € en réparation de leur préjudice,

— condamné l’agent judiciaire du Trésor à payer à Z X et à D E-I la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné l’agent judiciaire du Trésor aux dépens.

Procédure d’appel :

Par déclaration enregistrée le 21 février 2012, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux a relevé appel de cette décision. Cet appel n’est pas limité.

Par ses conclusions déposées le 14 mai 2012, le Procureur général demande :

— constater que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

— infirmer le jugement de première instance et constater l’extranéité de D E-I ,

— ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil.

À cet effet, il soutient :

— que la communauté de vie doit être tant affective que matérielle,

— que la communauté de vie n’est pas présumée du fait même de l’existence du mariage,

— que la communauté de vie matérielle et affective de D E-I avec son conjoint français n’était pas établie au jour de la souscription de la déclaration,

— que la cour ne pourra qu’infirmer le jugement de première instance et constater l’extranéité de D E-I ,

— que la cour constatera en outre qu’une erreur matérielle a été commise lors de la rédaction du jugement en ce que le nom de D E-I a été orthographié

Blehadj-I.

Par ses conclusions déposées le 19 juillet 2012, l’agent judiciaire du Trésor demande :

— infirmer en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a constaté qu’il appartenait aux requérants d’apporter la preuve de l’existence d’une communauté de vie entre eux au moment de la déclaration de souscription de la nationalité française, conformément aux termes de l’article 30 du code civil, le jugement de première instance,

— constater que la mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique ne peut être recherchée que sur le fondement de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire,

— en conséquence,

— débouter Z X et D E-I de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

— en tout état de cause,

— condamner Z X et D E-I au paiement d’une indemnité sur la base de l’article 700 du code de procédure civile d’un montant de 1.500 € outre les entiers dépens.

A cet effet, il soutient :

— sur le fondement de l’action des demandeurs :

— que la responsabilité de la puissance publique obéit à un régime exorbitant du régime de droit commun et le caractère de la faute exigée pour la reconnaissance de cette responsabilité est conditionné par le régime applicable de sorte que l’article 1382 du code civil est inapplicable,

— que ce sont bien les dispositions de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire qui sont applicables en l’espèce,

— sur l’absence de faute de l’administration :

— que la mise en oeuvre de la responsabilité de l’Etat suppose que soit établie l’existence d’une faute lourde, imputable au fonctionnement défectueux du service de la justice en lien avec un préjudice certain, personnel et direct effectivement subi par l’usager,

— que les requérants ne rapportent pas cette preuve en l’espèce.

— que la communauté de vie entre la déclarante et son conjoint n’est pas démontrée et que c’est à bon droit que le Ministère chargé des naturalisations a refusé d’enregistrer la déclaration souscrite par D E-I,

— que les requérants ne peuvent arguer d’aucune faute qu’aurait commise l’administration dans le présent litige.

Par leurs dernières conclusions déposées le 1er août 2012, Z X et D E-I demandent à la cour de :

— confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,

— porter à 7.000 € pour elle et 4.000 € pour lui le montant des dommages-intérêts alloués, intérêts de la date de l’assignation,

— ordonner que soit dressé acte de naissance avec mention de la nationalité française dans le délai d’un mois de la notification de l’arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 200 € par jour de retard passé ce délai,

— condamner l’Etat à la somme de 3.588 € en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de leur avocat,

— dire et juger que les sommes allouées produiront intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisables, à compter de l’assignation.

A cet effet, ils soutiennent :

— sur la recevabilité :

— qu’il n’est pas justifié de l’acquittement du droit de 150 € dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire,

— que sauf à ce qu’il en soit justifié, l’appel sera donc jugé irrecevable,

— sur la nationalité :

— qu’il appartient à l’Etat, demandeur, d’apporter tous les éléments établissant l’absence de communauté de vie à la date de la déclaration, ce qui est impossible puisqu’elle est acquise avant, pendant et après celle-ci,

— que l’Etat ne rapporte pas la preuve du défaut de communauté de vie,

— sur le préjudice et les dommages-intérêts :

— sur le régime de responsabilité :

— qu’ils n’ont jamais recherché la responsabilité du parquet qui est simplement le représentant légal et obligatoire de l’Etat en matière de nationalité,

— que l’illégalité et la faute résultent nécessairement du constat de ce que le refus d’enregistrer la déclaration de nationalité française de droit et donc de respecter la loi a été pris à tort,

— sur le préjudice : que ce préjudice est moral et constitutif d’un trouble dans les conditions d’existence.

Sur quoi, la cour :

Sur le paiement des droits :

L’agent judiciaire du Trésor a régulièrement acquitté les droits de présence en appel et il n’en sera pas plus amplement discuté.

Au fond :

L’article 215 du code civil, placé par le législateur au sein des 'devoirs et des droits respectifs des époux', stipule qu’ils s’obligent mutuellement à une communauté de vie, sans définir davantage cette 'communauté de vie'. Les intimés font exactement valoir que la jurisprudence relative au mariage aborde cette notion de façon extensive. Et l’article 108 du code civil admet que deux époux aient des domiciles distincts 'sans qu’il soit pour autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de vie'. Cela tient à cette absence de définition ainsi qu’au caractère mutuel de l’obligation de cohabitation.

Une telle jurisprudence extensive ne peut être appliquée à l’article 21-2 du code civil, pas davantage que l’article 108 ne peut lui être opposé, et il n’existe entre ces deux textes aucune contrariété.

En effet, le mariage avec une personne de nationalité française n’entraîne pas, à lui seul, la nationalité française.

L’article 21-2 du code civil, qui édicte un délai d’attente de quatre ans, soumet cette acquisition à deux conditions :

.d’une part la conservation par le conjoint français de sa nationalité,

.d’autre part l’existence 'd’une communauté de vie tant affective que matérielle’ ininterrompue depuis le mariage.

Il appartient donc au juge, statuant en matière de nationalité à raison du mariage, de vérifier non seulement l’existence du mariage pendant le délai d’attente mais encore l’existence de cette 'communauté de vie tant affective que matérielle’ ininterrompue, imposée par la loi et non pas résultant de l’obligation mutuelle des époux.

Or, en l’espèce, il est constant que, mariés le XXX, les époux n’ont plus habité ensemble depuis le 24 avril 2006, date de prise de fonctions de la femme en région parisienne, le mari restant vivre dans la Creuse.

Sur son passeport algérien, la femme a déclaré pour domicile la ville de Fontenay-sous-Bois (94). Il en est de même pour son immatriculation au consulat d’Algérie. Sur ces deux documents, établis après son mariage, elle n’a pas fait mentionner son nom d’épouse.

Sa carte vitale la domicilie à Champigny-sur-Marne (94), ce qui correspond à son lieu de travail depuis le 24 avril 2006.

Lors de l’enquête diligentée elle a déclaré rejoindre son mari dans la Creuse lors de vacances scolaires, longs week-end et congès et a montré les justificatifs de quinze voyages aller-retour.

En cours de procédure, elle communique une attestation collective de voisins, dactylographiée et signée à la manière d’une pétition, selon laquelle elle vit avec son mari 'une vie commune, les absences de Mme X étant dues à des raisons professionnelles’ et selon laquelle elle 'vient régulièrement rejoindre son mari'. Plusieurs autres témoignages, ainsi que le maire de Saint-Sulpice-Laurière (87) en attestent.

Il en résulte que les époux X ont choisi de vivre séparés la plupart du temps, pendant que la femme travaille en région parisienne, et que tous deux ont accepté ce mode de vie résultant selon eux de l’impossibilité de trouver un travail à proximité. Aucun des deux ne s’en plaint et aucun des deux ne déclare estimer que l’autre enfreint l’obligation mutuelle de communauté de vie au sens de l’article 215 du code civil.

Cependant la cour, qui ne se prononce pas sur leur vie maritale mais sur la demande d’acquisition de la nationalité française par l’épouse, ne peut que constater que cette pratique ne correspond pas à la communauté de vie 'tant affective que matérielle’ et ininterrompue exigée par la loi, distincte de la seule obligation mutuelle du mariage.

À défaut de remplir cette condition, sa demande sera rejetée, par infirmation.

La République française n’a pas commis de faute en exigeant le respect de la condition légale de 'communauté de vie tant affective que matérielle’ ininterrompue depuis le mariage, et il n’y a pas lieu de rechercher si une juridiction civile se trouvait compétente à la condamner.

Z X et D E épouse X, qui perdent leur action, supporteront les dépens.

Par ces motifs :

Constate que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

Infirmant,

Constate l’extranéité de M E-I épouse X,

Ordonne la mention de l’article 28 du code civil,

Laisse les dépens à la charge de Z X et D E épouse X.

L’arrêt a été signé par le président Franck Lafossas et par Sylvie Hayet, greffier auquel il a remis la minute signée de la décision.

Le greffier Le président

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Cour d'appel de Bordeaux, 8 janvier 2013, n° 12/01043