Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 21 octobre 2021, n° 18/06048

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 1re ch. civ., 21 oct. 2021, n° 18/06048
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 18/06048
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bordeaux, 26 septembre 2018, N° 16/00895
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE


ARRÊT DU : 21 OCTOBRE 2021

N° RG 18/06048 – N° Portalis DBVJ-V-B7C-KWZI

F C

c/

SA H ASSURANCES CARREFOUR

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 27 septembre 2018 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 16/00895) suivant déclaration d’appel du 08 novembre 2018

APPELANTE :

F C, agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure, G Y, née le […] à […]

née le […] à […]

de nationalité Française,

demeurant […]

représentée par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS – LACOSTE – JANOUEIX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Juliette GIARD substituant Maître Maryannick BRAUN de la SELARL MESCAM & BRAUN, avocats plaidants au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SA H ASSURANCES CARREFOUR, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis […]

représentée par Maître MORA substituant Maître Christophe BAYLE de la SCP BAYLE – JOLY, avocats au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a

été débattue le 09 septembre 2021 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Roland POTEE, président,

Vincent BRAUD, conseiller,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Après avoir été percuté par le véhicule de Mme X alors qu’il circulait en qualité de piéton sur la route de Bordeaux-Pauillac le 27 décembre 2013, puis évacué inconscient au CHU de Bordeaux, M. Y, père de G Y, est décédé le […].

Une transaction est intervenue entre la H Assurances, assureur du véhicule conduit par Mme X, concernant le préjudice d’affection des proches. S’agissant du préjudice personnel de M. Y, une expertise amiable sur pièces a été diligentée par l’assureur, confiée au Docteur Z et au Docteur A, médecin-conseil de la famille.

Les experts ont conclu le 21 juillet 2015 et fixé les préjudices au titre du déficit fonctionnel temporaire total et du préjudice esthétique temporaire, mais n’ont pu convenir d’un taux de souffrances endurées, le Docteur Z évaluant ce poste de préjudice à 4/7 et le Docteur A à 7/7.

C’est dans ces circonstances que par actes des 12 et 18 janvier 2016, Mme F C, ès qualité de représentante légale de G Y, fille de la victime, a fait assigner la société H Assurances et la CPAM de la Gironde devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins principalement de voir liquider le préjudice subi par M. Y et G Y.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 27 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

En premier ressort :

— Fixé le préjudice subi par Monsieur Y, suite aux faits dont il a été victime le 27 décembre 2013, à la somme totale de 338.998.04 euros, suivant le détail suivant :

— dépenses de santé actuelles DSA : 301.570 euros

— frais divers FD : 428,74 euros

— perte de gains actuels PGPA : 4.374,30 euros

— déficit fonctionnel temporaire gêne dans la vie courante : 2.625 euros

— souffrances endurées : 20.000 euros

— préjudice esthétique temporaire PET : 10.000 euros

— préjudice d’angoisse : rejet

— Condamné la H ASSURANCES à payer à Madame C ès qualité de représentante légale de G Y la somme de 35.283,81 euros au titre de réparation du préjudice corporel subi par son père décédé, après déduction de la créance des tiers payeurs, cette somme avec intérêts au taux légal a compter de ce jour,

— Condamné la H ASSURANCES à payer à Mme C ès qualité de représentante légale de G Y la somme de 22.684,40 euros en réparation de son préjudice économique, après déduction de la provision de 20.000 euros versée par H ASSURANCES, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

— Déclaré le présent jugement commun à la CPAM de la GIRONDE,

Avant dire droit :

— Invité Madame C ès qualité de représentante légale de G Y à mettre en cause selon les formes légales, la CAISSE LOCALE DELEGUEE DE CLERMONT- FERRAND POUR LA SECURITE SOCIALE DES TRAVAILLEURS INDEPENDANTS venant aux droits de la CAISSE RSI AUVERGNE agissant elle-meme pour le compte de la CAISSE RSI AQUITAINE,

— Ordonné à cet effet la réouverture des débats à l’audience de mise en état de la sixième chambre civile du 15 janvier 2019,

— Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision sur la décision relative à l’action successorale de Madame C es qualité de représentante légale de sa fille mineure G Y,

— Sursis à statuer sur les demandes relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, dans 1'attente de la mise en cause de la CAISSE LOCALE DELEGUEE DE CLERMONT-FERRAND POUR LA SECURITE SOCIALE DES TRAVAILLEURS H\IDEPENDANTS vient aux droits de la CAISSE RSI AUVERGNE agissant elle-meme pour 1e compte de la CAISSE RSI AQUITAINE.

Mme F C, agissant en qualité de représentante légale de G Y a relevé appel de ce jugement par déclaration faite le 8 novembre 2018 à l’encontre de la SA H Assurances.

Par conclusions déposées le 17 juillet 2019, Mme F C, ès qualité de représentante légale de G Y, demande à la cour de :

— Infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 27 septembre 2018, en portant les sommes qui ont été allouées à Madame F C, ès-qualité de représentante légale d’G I J, au titre des préjudices subis par Monsieur Y avant décès, après prise en compte des créances des tiers payeurs :

— A 110.000 ' pour les souffrances endurées

Soit au total la somme de : 125.283,74 '

— Constater que la créance de la CPAM s’élève à la somme de 303.714,23 '

— Condamner en conséquence la H ASSURANCES à payer lesdites sommes, avec intérêt au taux légal à compter du jugement dont appel en application de l’article 1231-7 du code civil,

— Confirmer le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

— Condamner la H ASSURANCES aux dépens d’appel et à payer à Madame F C, ès-qualité de représentante légale d’G Y, la somme de 3.000 ' sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 6 mai 2019, la H Assurances Carrefour demande à la cour de :

— Infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 27 septembre 2018 en ce qu’il a alloué à Madame C, es qualité de représentante légale de sa file G Y, la somme de 20.000 ' au titre des souffrances endurées par Monsieur Y,

Partant,

— Débouter Madame C, ès qualité de représentante légale de sa fille G Y de sa demande tendant à l’octroi de la somme de 70.000 ' au titre des souffrances physiques endurées par Monsieur Y,

— Débouter Madame C, ès qualité de représentante légale de sa fille G Y de sa demande tendant à l’octroi de la somme de 40.000 ' au titre des souffrances psychiques endurées par Monsieur Y,

— Dire et juger que l’indemnisation allouée a Madame C, ès qualité de représentante légale de sa fille G Y au titre des souffrances endurées par Monsieur Y ne saurait excéder la somme de 12.000 '.

— Confirmer 1e jugement en toutes ses autres dispositions.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 août 2021 et l’affaire a été fixée à l’audience du 9 septembre 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

L’appelante n’a intimé que la seule société H de sorte que la cour n’est pas saisie des dispositions du jugement concernant la CPAM de la Gironde.

Sur l’évaluation des préjudices subis par M. Y avant son décès

L’appel de Mme C, ès qualité de représentante légale d’G Y, porte sur les postes de préjudice fixés comme suit par le tribunal :

— souffrances endurées : 20.000 euros

— préjudice d’angoise : 0

Mme C ès qualités sollicite l’indemnisation des souffrances endurées par la victime avant son décès à hauteur de 110.000 euros, décomposée comme suit :

* 70.000 euros au titre des souffrances endurées

* 40.000 euros au titre du préjudice d’angoisse de mort

La société H propose d’indemniser les souffrances endurées à hauteur de 12.000 euros et conclut au rejet du préjudice d’angoisse de mort, soutenant qu’aucune preuve d’un état de conscience de l’imminence de son décès par M. Y n’était rapportée.

Il est constant que M. Y, âgé de 46 ans, a été victime d’un accident de la circulation le 26 décembre 2013.

Le certificat médical initial montre qu’à la prise en charge par le SAMU, il présente un score de Glasgow à 3. Il a été intubé, sédaté et ventilé sur place puis admis en urgence au CHU de Bordeaux. Le bilan lésionnel était alors le suivant :

— au niveau cérébral : un hématome sous-dural bilatéral, une hémorragie sous arachnoidienne prédominant en frontal, bilatérale, des contusions hémorragiques frontales, bilatérales, temporales droites du mésencéphale et pontique, une pneumencéphalie, une compression du tronc basilaire,

— au niveau osseux : une fracture verticale du clivus, de la partie basilaire de l’os occipital, une fracture zygomatique droite, une fracture de l’os pariétal droit, une fracture de C6-C7, une fracture ilio et ischio pubienne droite,

— au niveau du thorax : volet costal droit avec pneumothorax droit, contusion pulmonaire bilatérale minime,

— au niveau abdominal : contusion rénale droite au niveau du pôle supérieur, épanchement péritonéal droit.

Le rapport d’expertise amiable indique que M. Y a subi plusieurs opérations chirurgicales dont notamment une craniotomie pour évacuation de son hématome sous dural, la mise en place d’un double drainage puis postérieurement d’un 3e drain antérieur en raison d’une décompensation respiratoire, la pose d’une gastrostomie face à l’apparition d’une pancréatite aigüe.

Aucune amélioration de son état de santé n’étant constatée, l’arrêt des thérapeutiques actives était décidé et M. Y décédait le […].

Le poste de préjudice 'souffrances endurées’ est caractérisé par les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, hospitalisations qu’elle a subis depuis l’accident jusqu’à la consolidation.

Il est constant que l’état végétatif chronique de la victime d’un accident n’excluant aucun chef d’indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments.

En l’espèce, les experts ont divergé sur la cotation des souffrances endurées, le Docteur A retenant un taux de 7/7 pour 'l’importance du traumatisme initial entraînant de nombreuses et graves blessures responsables d’un coma et d’une défaillance multiviscérale, pour l’hospitalisation en secteur de réanimation avec une période de soins médico chirurgicaux lourds et une période de limitation et arrêt des thérapeutiques actives suivi du décès. Comme indiqué dans le barême des souffrances endurées, cette situation dépasse les cas précédents' et le Docteur Z fixant un taux de 4/7 au motif que 'Dans l’estimation des souffrances endurées jusqu’au décès, il convient de tenir compte de la gravité des lésions initiales, des interventions subies, de la longue réanimation mais aussi de l’absence de réactivité ur le plan neurologique, de l’importance de la sédation et de l’analgésie mise en place dans le cadre de la réanimation pour éviter au patient la souffrance et enfin de la durée totale d’évolution inférieure à 4 mois. Un taux de souffrances endurées à 6 ou 7/7 n’aurait été concevable que si le patient avait survécu à ce polytraumatisme grave et avait dès lors eu à subir dans le temps un état végétatif chronique ou pauci relationnel.'

Compte tenu de la gravité des lésions initiales, des interventions subies, de l’hospitalisation en réanimation entre l’accident et le décès soit pendant 4 mois, il doit être admis que M. Y a subi des souffrances importantes.

S’agissant du préjudice d’angoisse de mort imminente, qui constitue une des composantes du préjudice de souffrance et ne peut donner lieu à une indemnisation distincte du poste des souffrances endurées, il est constant que ce préjudice ne peut exister que s’il est établi que la victime est consciente de son état.

Or, au vu des pièces versées aux débats, il n’est pas démontré que M. Y a eu conscience de la gravité de son état et du caractère inéluctable de son décès.

En effet, il ressort de l’audition de M. E, témoin arrivé sur les lieux juste après l’accident, que M. Y était 'sans connaissance'. Le Docteur Hiquet, médecin légiste, écrit dans son rapport en date du 30 décembre 2013 que la victime était inconsciente à son arrivée à l’hôpital. Le certificat médical initial note qu’à l’arrivée des secours, le patient présente un score de Glasgow à 3, ce qui correspond à un coma profond. Le compte-rendu 'Hospitalisation Réanimation Chirurgicale’ rédigé par le Docteur Leger relève que 'l’état neurologique reste au bout de trois mois toujours aussi pauvre. Il n’a pas été observé la moindre réactivité, le moindre signe de communication ou de contact (…). Devant la gravité et la persistance de ce coma, une décision de limitations et arrêt des thérapeutiques actives (LATA) est prise (…) Absence de réveil à plus de trois mois. Décision de LATA'.

Faute d’élement médical permettant d’établir que M. Y a eu conscience de l’imminence de son décès, c’est à bon droit que les premiers juges n’ont pas pris en compte le préjudice d’angoisse de mort imminente.

Au regard de l’importance des souffrances subies par M. Y, la cour évalue ce préjudice à la somme de 35.000 euros. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Sur ce fondement, la société H Assurances sera condamnée aux dépens d’appel.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre

des frais exposés et non compris dans les dépens. La société H Assurances sera condamnée à payer à Mme C, ès qualité de représentante légale de G Y, la somme de 2.000 ' en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme partiellement le jugement entrepris en ce qui concerne le montant de la condamnation au titre des souffrances endurées,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société H Assurances à payer à Mme C ès qualité de représentante légale de G Y la somme de 35.000 euros au titre des souffrances endurées ;

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement en date du 27 septembre 2018 à concurrence des sommes allouées par ledit jugement, et à compter du présent arrêt pour le surplus,

Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ; Y ajoutant,

Condamne la société H Assurances à payer à Mme C ès qualité de représentante légale de G Y la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société H Assurances aux dépens d’appel ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

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