Cour d'appel de Bourges, Chambre sociale, 18 décembre 2020, n° 19/00378

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bourges, ch. soc., 18 déc. 2020, n° 19/00378
Juridiction : Cour d'appel de Bourges
Numéro(s) : 19/00378
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Bourges, 10 février 2019
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

AJ-SD/AB

N° RG 19/00378 -

N° Portalis DBVD-V-B7D-DEXE

Décision attaquée :

du 11 février 2019

Origine :

conseil de prud’hommes – formation paritaire de Bourges

--------------------

S.A. UNIROUTE

C/

M. L-M Y

--------------------

Expéd. – Grosse

Me LE ROY DES 18.12.20

BARRES

Me CHAZAT

RATEAU

18.12.20

COUR D’APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 18 DECEMBRE 2020

N° 240 – 9 Pages

APPELANTE :

S.A. UNIROUTE

[…]

Représentée par Me Adrien-Charles LE ROY DES BARRES, avocat postulant au barreau de BOURGES

et pour avocat plaidant Me Sophie FERREIRA, du barreau de TOURS

INTIMÉ :

Monsieur L-M Y

[…]

Représenté par Me Marie-Pierre CHAZAT-RATEAU, avocat au barreau de BOURGES

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme K, Conseiller rapporteur

en l’absence d’opposition des parties et conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme JARSAILLON

Lors du délibéré : Mme K, conseillère la plus ancienne faisant fonction de président

Mme BRASSAT-LAPEYRIERE, conseillère

Mme JACQUEMET, conseillère

18 décembre 2020

DÉBATS : A l’audience publique du 23 octobre 2020, le président ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’arrêt à l’audience du 18 décembre 2020 par mise à disposition au greffe.

ARRÊT : Contradictoire – Prononcé publiquement le 18 décembre 2020 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

Monsieur L-M Y, né le […], a été embauché à compter du 24 février 1996 en qualité de conducteur grand routier, coefficient 138 M de la convention collective nationale des transports et activités auxiliaires de transport, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps plein, avec une reprise d’ancienneté à compter du 1er juin 1995, par la SA Uniroute, sise […]), spécialisée dans le transport et la logistique des véhicules finis.

Le 14 mai 1997, Monsieur X a été victime d’un accident de travail, avec une rechute le 9 mars 2016.

Le 11 avril 2016 puis le 2 mai 2016, il a fait l’objet de deux visites de reprise auprès du médecin du travail, aux termes desquelles, il a été déclaré 'inapte à un poste de chauffeur poids-lourds' mais 'apte à un poste léger, sans port de charges lourdes, sans manutention, sans conduite de poids lourds (inaptitude à la conduite poids lourds), les deux certificats médicaux mentionnant en outre : 'Poste administratif ou formation à un tel poste'.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 juin 2016, la société Uniroute a convoqué Monsieur Y à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 14 juin 2016. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juin 2016, elle a licencié le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Contestant notamment son licenciement, Monsieur Y a saisi le Conseil de prud’hommes de Bourges lequel, par jugement du 11 février 2019, a :

' requalifié la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' condamné la société Uniroute, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur L-M Y la somme de 45'000 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

' dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

' condamné la société Uniroute, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur Y la somme de 700 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

' ordonné le remboursement à Pôle emploi par la société Uniroute, prise en la personne de son représentant légal, des indemnités de chômage qu’elle a été amenée à verser à Monsieur Y, et ce dans la limite de 6 mois,

' débouté Monsieur Y de ses autres demandes,

' débouté la société Uniroute, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

' Mis la totalité des dépens à la charge de la société Uniroute, prise en la personne de son représentant légal, y compris les frais de huissier en cas d’exécution forcée de la présente décision et y compris les émoluments en sus.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 22 mars 2019, la SA Uniroute a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes, le critiquant en toutes ses dispositions

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causant grief et, notamment, en ce qu’il a requalifié la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné Uniroute à verser à Monsieur Y la somme de 45'000 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision, condamné Uniroute à verser à Monsieur Y la somme de 700 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ordonné le remboursement à Pôle emploi par la société Uniroute des indemnités de chômage qu’elle a été amenée à verser à Monsieur Y et ce dans la limite de 6 mois, débouté la société Uniroute de l’ensemble de ses autres demandes outre celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile et mis la totalité des dépens à la charge de la société Uniroute, et de façon plus générale voir la cour faire ce que le premier juge aurait dû faire et voir déclarer l’intimée irrecevable et mal fondée en ses prétentions à l’encontre du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bourges, section commerce, le 11 février 2019.

Vu les conclusions d’appelant numéro 5, notifiées par RPVA le 19 octobre 2020, par lesquels la SA Uniroute demande à la cour de :

' dire et juger la société Uniroute recevable et bien fondée en son appel principal,

' dire et juger que la société Uniroute a parfaitement respecté son obligation en matière de recherche de reclassement,

En conséquence,

' dire et juger que le licenciement de Monsieur Y est parfaitement fondé,

' débouter Monsieur Y de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, développées à l’égard de la société Uniroute,

A titre subsidiaire,

si la cour devait par extraordinaire requalifier le licenciement de Monsieur Y en licenciement abusif,

' rapporter la demande formulée par Monsieur Y au titre des dommages et intérêts à la somme de 25'997,51 €,

' dire et juger que la société n’est pas tenue de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage qu’il a été amené à verser à Monsieur Y,

En tout état de cause,

' débouter Monsieur Y de son appel incident,

' condamner Monsieur Y à payer à la société Uuniroute la somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

' condamner Monsieur Y aux entiers dépens.

Vu les conclusions notifiées par RPVA le 22 mai 2020, par lesquelles Monsieur Y, intimé à titre principal, appelant à titre incident, demande à la cour de :

' dire et juger la société Uniroute mal fondée dans son appel,

' recevoir Monsieur L-M Y en son appel incident et l’en dire bien fondé,

' confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bourges en ce qu’il a dit le licenciement de Monsieur Y sans cause réelle et sérieuse sauf à le réformer dans son quantum,

' infirmer le jugement en ce qu’il a débouté Monsieur Y de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de formation,

' condamner la société Uniroute à payer à Monsieur Y :

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 60'000€,

* dommages et intérêts pour violation de l’obligation de formation : 10'000 €,

* article 700 du code de procédure civile : 2 000 €

' condamner la société Uniroute aux entiers dépens.

Vu l’ordonnance de clôture en date du 19 juin 2020, révoquée par ordonnance du 4 septembre 2020 et fixée de nouveau au 21 octobre 2020,

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Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

SUR CE,

- Sur le licenciement

Il sera rappelé qu’aux termes de l’article L 1226-10 du code du travail, dans sa version applicable à la présente espèce, 'lorsqu’à l’issue des périodes du suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte, par le médecin du travail, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail'.

En l’espèce, M. Y a été examiné au cours d’une première visite par le médecin du travail le 11 avril 2016. A l’issue de cette visite, le médecin du travail a conclu comme suit : 'Inapte temporaire à la reprise sur un poste de chauffeur poids lourds. Première visite dans le cadre d’une mise en inaptitude au poste ou d’un reclassement selon l’article R 4624-31 du code du travail. Etude de poste à prévoir semaine 15 ou 17. Serait apte à un poste léger, sans port de charges lourdes, sans manutention, sans conduite de poids lourds (inaptitude à la conduite poids lourds). Poste administratif ou formation à un tel poste. Deuxième visite prévue le 2 mai à 11h15".

Il résulte du document intitulé 'fiche d’intervention du médecin du travail', versé à la procédure par le salarié, que le Docteur C D a effectué une étude de poste le 25 avril 2016 en présence de la directrice des ressources humaines de l’entreprise, Mme E F et qu’elle a examiné à cette occasion l’ensemble des postes existant notamment à l’agence de Magny en Vexin mais encore dans les autres agences de la société ainsi qu’au siège social de cette dernière, à Bourges.

A l’issue de cette étude de poste, M. Y a de nouveau rencontré le Docteur D au cours d’une seconde visite le 2 mai 2016. Le médecin a alors rendu un avis définitif d’inaptitude au poste de travail rédigé comme suit : 'Inapte à un poste de chauffeur poids lourds. Deuxième visite dans le cadre d’une mise en inaptitude au poste ou d’un reclassement selon l’article R 4624-31 du code du travail. Etude de poste réalisée le 25 avril 2016. Apte à un poste léger, sans port de charges lourdes, sans manutention, sans conduite de poids lourds (inaptitude à la conduite de poids lourds). Poste administratif ou formation à un tel poste'.

Il n’est pas contesté qu’aucun poste de reclassement n’a été proposé à M. Y, lequel a été licencié pour inaptitude par courrier recommandé avec accusé de réception du 17 juin 2016, mentionnant qu’aucune solution de reclassement n’avait pu être trouvée.

La SA Uniroute soutient avoir procédé à une recherche sérieuse et loyale de reclassement au profit de son salarié mais s’être trouvée dans l’impossibilité de suivre les préconisations du médecin du travail.

Elle relève que, dans la fiche récapitulative jointe au courrier du 3 mai 2016 l’informant qu’elle allait entreprendre des recherches de reclassement, M. Y a indiqué qu’il avait eu pour unique expérience professionnelle celle de 'chauffeur', qu’il ne pratiquait pas de langue étrangère et qu’il n’était pas mobile géographiquement. Elle ajoute qu’il n’a fourni aucune autre information relative à une quelconque expérience ou compétence diverse.

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Elle affirme avoir adressé un message électronique à 26 personnes appartenant aux différentes filiales du groupe STVA auquel la SA Uniroute appartient, ces mails n’ayant reçu que six réponses négatives.

L’appelante soutient que, sur la période allant du constat de l’inaptitude au licenciement, elle a uniquement procédé à des recrutements sur des postes qui n’étaient pas adaptés aux compétences de M. Y, lequel avait de surcroît déclaré, comme ci-dessus indiqué, qu’il n’était pas mobile. Elle fait valoir qu’elle n’était pas tenue de lui proposer un poste qui nécessite une formation de base différente de la sienne et relevant d’un autre

métier malgré les recommandations du médecin du travail. Elle conteste avoir refusé au salarié un bilan de compétences qui, selon elle, ne lui a jamais été demandé et qui n’avait pas davantage de caractère obligatoire.

Si elle a pu être amenée à proposer un poste de 'chargé de clientèle' à un autre chauffeur déclaré inapte à son poste de travail, M. Z, elle affirme l’avoir fait au regard de la bonne maîtrise par ce dernier de l’outil informatique tandis que, si elle a pu proposer un poste d’adjoint de responsable de parc à un autre chauffeur déclaré inapte, M. A, elle l’aurait fait uniquement à la demande des délégués du personnel, lesquels n’avaient pas émis la même préconisation pour M. Y.

Le salarié soutient pour sa part que la SA Uniroute a violé l’obligation de reclassement qui pesait sur elle en n’effectuant pas de recherche loyale et sérieuse en ce sens. Il fait observer que l’appelante ne justifie pas de ce qu’elle a interrogé toutes les entreprises du groupe STVA, en particulier la société GEODIS au sein de laquelle existait deux postes disponibles, un poste de chargé d’indemnisation et un poste d’exploitant Europe, proposé à l’un de ses collègues, M. Z.

M. Y fait par ailleurs valoir que la SA Uniroute aurait dû lui proposer les postes dont il était établi qu’ils étaient disponibles entre les mois de mars et juin 2016 et lui assurer la formation adaptée si nécessaire, ce d’autant qu’entre le mois d’avril et le mois de septembre 2016, le livre du personnel montre qu’elle a embauché 16 personnes.

Rappelant que l’employeur est tenu de prendre en compte les préconisations du médecin du travail, il soutient qu’en l’espèce, l’appelante ne s’est pas rapprochée de ce dernier pour lui faire connaître les motifs qui s’opposaient à la préconisation de formation à un poste administratif. Il fait observer que la SA Uniroute n’a pas exercé de recours contre l’avis du médecin du travail, de sorte que, selon lui, elle était liée par lesdites préconisations.

M. Y soutient encore avoir sollicité la réalisation d’un bilan de compétences, comme en témoigne le conseiller qui l’a assisté lors de l’entretien préalable, ce que la SA Uniroute lui aurait refusé. Il affirme également qu’elle ne lui a pas proposé de stage de reclassement professionnel. Il fait valoir en toute hypothèse que son employeur ne justifie pas de son impossibilité à occuper l’un des postes disponibles, même, au besoin, avec une courte formation, ce d’autant que deux autres chauffeurs déclarés inaptes, M. Z et M. A, se sont vus proposer plusieurs de ces postes. Il prétend que, compte tenu de son expérience professionnelle, plusieurs postes disponibles lui étaient accessibles.

Il sera fait en premier lieu observer en l’espèce qu’à la suite de l’avis d’inaptitude définitive au poste de chauffeur poids-lourds, prononcé par le médecin du travail le 2 mai 2016, la SA Uniroute s’est abstenue d’interroger de nouveau le Docteur D sur la capacité résiduelle de M. Y, alors que cette dernière avait mentionné : 'Apte à un poste léger, sans port de charges lourdes, sans manutention, sans conduite de poids lourds (inaptitude à la conduite de poids lourds). Poste administratif ou formation à un tel poste'.

L’employeur a toutefois adressé le 3 mai 2016 à l’ensemble des 'correspondants RH’ du groupe STVA un mail dans lequel il reprenait l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail,

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l’identité et l’ancienneté de M. Y, la catégorie professionnelle à laquelle il appartenait, son lieu de résidence et sa rémunération, ce, afin de connaître l’ensemble des postes disponibles correspondant aux préconisations du médecin du travail.

Ce mail unique, adressé en des termes strictement similaires à l’ensemble des directions des ressources humaines du groupe, sans indication précise des compétences acquises par le salarié et avec, au demeurant, la seule mention 'Diplômes : non connu', ne peut cependant suffire à caractériser une recherche loyale et sérieuse de reclassement.

Certes, dans la fiche technique jointe au courrier que lui avait adressé la SA Uniroute le 3 mai 2016, M. Y a mentionné ses emplois précédents, lesquels étaient tous des emplois de chauffeur, son salaire, l’absence de pratique d’une langue étrangère et a coché la case 'non’ en face de l’item 'mobilité géographique', sans indiquer par ailleurs d’expériences et de compétences autres mais il sera fait observer que cette fiche technique a été remplie et signée par le salarié postérieurement aux messages électroniques envoyés à l’ensemble des directions des ressources humaines du groupe, soit le 10 mai 2016.

Par ailleurs, le seul envoi d’une fiche technique ne peut suffire à caractériser un véritable échange entre l’employeur et le salarié déclaré inapte mais doté de capacités résiduelles de travail, au sujet des postes qui pourraient lui être proposés dans le cadre du reclassement. Les réponses qui y sont apportées par le salarié ne peuvent pas davantage exonérer l’employeur de son obligation de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités sans avoir pris soin d’évaluer complètement ces dernières et au motif qu’il n’aurait pas mentionné d’expériences ou de compétences autres que celles développées à son poste de travail. L’employeur ne peut en outre se retrancher derrière la mention selon laquelle il n’est pas mobile géographiquement pour s’abstenir de lui proposer un poste éloigné de son domicile.

Certes, comme le rappelle la SA Uniroute, elle n’avait pas à offrir à M. Y une formation équivalente à une formation initiale afin de lui permettre d’occuper un poste administratif tel que préconisé par le médecin du travail mais elle ne peut davantage affirmer comme en témoigne le conseiller ayant assisté le salarié lors de l’entretien préalable, M. G B, qu’elle 'n’avait pas besoin de faire un bilan de compétences' pour évaluer les capacités de M. Y à occuper ce type de poste.

Si ce bilan ne pouvait lui être imposé, d’une part, il résulte du compte-rendu de M. B que, contrairement à ce que soutient l’appelante, il a bien été demandé par le salarié à son employeur, ce que M. Y H dans le courrier du 24 juin 2016, par lequel il conteste son licenciement. D’autre part, une réponse positive à la demande du salarié aurait témoigné du réel investissement de la SA Uniroute dans son reclassement puisque, parallèlement, il résulte des pièces versées à la procédure que, sur la période couvrant le mois d’avril au mois de juin 2016, non seulement plusieurs postes conformes aux préconisations du médecin du travail étaient disponibles au sein de la société et d’une autre filiale du groupe STVA, la société GEODIS, mais encore que plusieurs de ces postes ont été proposés à des chauffeurs déclarés inaptes à leurs postes de travail.

Sans qu’il y ait lieu d’écarter des débats le document relatif aux recherches de reclassement réalisées au profit de M. Z, document dont il n’est pas démontré qu’il ait été obtenu frauduleusement, il en résulte que ce dernier, inapte à la conduite de poids-lourds, s’est vu proposé par courrier du 29 avril 2016, cinq postes administratifs disponibles tant au sein de la société Uniroute que de filiales du groupe STVA, les sociétés Geodis et Naviland Cargo. Or, il n’est pas contesté que ces postes n’ont pas été proposés à M. Y, alors que le premier avis d’inaptitude le concernant était intervenu dès le 11 avril 2016.

Pourtant, si le curriculum vitae de M. Z, tel que versé à la procédure par la SA Uniroute, mentionne des compétences informatiques sur certains logiciels, compétences que l’employeur relie aux mandats que le salarié avait exercé au sein des institutions représentatives du personnel de la société, la cour observe, d’une part, qu’à l’instar de

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M. Y, M. Z n’a occupé, en dehors d’un très ancien poste saisonnier dans la restauration, que des postes de chauffeur, notamment dans le transport international et, d’autre part, qu’au contraire de M. Z, elle n’a nullement sollicité de M. Y la rédaction d’un curriculum vitae permettant d’affiner ses compétences, n’ayant pas même cherché à connaître les diplômes dont il disposait.

De même, elle affirme avoir proposé à un autre chauffeur également déclaré inapte à son poste, M. A, le poste de responsable adjoint de parc alors ouvert à Magny en Vexin seulement à la suite de la demande qui lui en a été formulée par les délégués du personnel lors de la réunion du 25 mai 2016. Pour autant, quelle que soit

la catégorie professionnelle dont relevait le poste considéré, la SA Uniroute se contredit en estimant que M. A était susceptible de disposer des compétences requises pour l’occuper, alors que M. Y n’en aurait pas disposé, ce, sans verser à la procédure un quelconque élément permettant de différencier leurs diplômes, compétences et expériences professionnelles respectives.

En définitive, là où, dans l’hypothèse de M. Z et de M. A, la SA Uniroute a estimé que seule une adaptation au nouveau poste de travail serait nécessaire, elle affirme sans le démontrer que, s’agissant de M. Y une formation longue équivalente à une formation initiale l’aurait été.

Ce faisant, l’appelante s’est abstenue, alors que les dispositions précitées de l’article L 1226-10 du code du travail lui en faisaient l’obligation, de respecter les préconisations du médecin du travail. Le Conseil de prud’hommes en a par conséquent déduit à juste titre qu’elle n’avait pas procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement de M. Y, privant de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude professionnelle de ce dernier. Le jugement querellé sera par conséquent confirmé de ce chef.

En application des dispositions de l’article L 1226-15 du code du travail, dans leur version applicable à la présente espèce, le caractère dépourvu de cause réelle et sérieuse du licenciement pour inaptitude professionnelle ouvre droit, au profit du salarié, à une indemnité équivalente à minima à douze mois de salaires.

En l’espèce, il résulte des pièces versées à la procédure que M. Y avait plus de 20 années au sein de l’entreprise lorsqu’il a été licencié. Il était âgé de 57 ans et bénéficiait d’une reconnaissance de travailleur handicapé. Il justifie de ce qu’il a perçu des indemnités de chômage du mois de juillet 2016 au mois de juin 2019 sans avoir pu retrouver d’emploi. Il pourra faire valoir ses droits à la retraite en juin 2021. Le préjudice qu’il a subi conduit par conséquent à confirmer le jugement du Conseil de prud’hommes en ce qu’il lui a alloué la somme de 45 000 euros de dommages et intérêts, cette somme venant réparer intégralement le préjudice subi du fait du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse dont il a fait l’objet.

Enfin, s’il est avéré que les dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail, dans leur version applicable à la présente espèce, ne concernaient pas le licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle déclaré nul, notamment du fait du harcèlement moral subi par le salarié licencié, tel n’était pas le cas du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement par l’employeur à l’obligation de reclassement qui pesait sur lui.

Dès lors, c’est à tort que la SA Uniroute affirme en l’espèce que les dispositions précitées ne s’appliquent pas à M. Y.

Par voie de conséquence, le jugement querellé sera également confirmé en ce qu’il a ordonné d’office le remboursement au profit de Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d’indemnités.

- Sur l’obligation de formation

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Il sera rappelé qu’en application des dispositions de l’article L 6321-1 du code du travail, dans sa version applicable à la présente espèce, l’employeur a l’obligation d’assurer l’adapta-

tion des salariés à leurs postes de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences ainsi qu’à la lutte contre l’illetrisme. Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévus, le cas échéant, par le plan de formation mentionné au 1 de l’article L 6312-1.

M. Y soutient en l’espèce n’avoir bénéficié que de formations de mise à niveau, relatives à la conduite des poids lourds, de sorte que la SA Uniroute aurait manqué à son obligation de formation en ne veillant pas à favoriser le maintien de sa capacité à occuper un emploi et en ne lui proposant aucune formation pour participer au développement de ses compétences, de sorte qu’il a été privé d’une chance de pouvoir élargir son champ professionnel, aussi bien pendant le temps de sa relation salariale avec l’appelante principale que postérieurement à la rupture de son contrat de travail.

La SA Uniroute lui rétorque que les dispositions précitées visent seulement à conférer à l’employeur l’obligation d’assurer l’adaptation des salariés à l’emploi qu’ils occupent sans avoir pour objet de leur permettre d’acquérir une qualification différente ou de bénéficier d’une promotion professionnelle. Elle affirme qu’en l’espèce, M. Y a bénéficié des formations obligatoires des conducteurs routiers, de sorte qu’elle a pleinement rempli l’obligation qui pesait sur elle. Elle ajoute que, pour sa part, le salarié n’a jamais sollicité de formations qui lui auraient été refusées.

En l’espèce, la SA Uniroute justifie de ce que M. Y a régulièrement bénéficié de formations, en l’espèce tous les cinq ans, dans le cadre de la formation obligatoire des conducteurs routiers 'marchandises', prévue par l’accord-cadre du 20 janvier 1995, lequel prévoit une formation initiale obligatoire et une formation continue obligatoire de sécurité au cours de toute période de 5 années consécutives de la vie professionnelle du conducteur routier (articles 9 et 11 de l’accord-cadre).

Cette formation continue obligatoire répond cependant aux objectifs suivants, visés à l’article 11 précité :

— perfectionnement aux techniques de conduite en situation normale comme en situation difficile;

— actualisation des connaissances de l’ensemble des réglementations du transport, de la circulation (code de la route) et du travail dans les transports, connaissance et utilisation des dispositifs de contrôle ;

— sensibilisation à la sécurité routière et respect des autres usagers.

Elle n’est pas suffisante, au regard des dispositions ci-dessus évoquées de l’article L 6321-1, pour attester de ce que la SA Uniroute a effectivement veillé au maintien de la capacité de M. Y à occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Alors qu’il appartient à l’employeur de prendre l’initiative de proposer à ses salariés des formations favorisant leur maintien dans l’emploi, la SA Uniroute ne peut opposer à M. Y son absence de toute sollicitation à cet effet durant le temps de la relation salariale.

Par conséquent, en violant l’obligation de formation qui pesait sur elle, la SA Uniroute a causé au salarié un préjudice distinct de celui résultant de la rupture de son contrat de travail, lequel sera justement indemnisé par l’allocation d’une somme de 2 000 euros de dommages et intérêts, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

18 décembre 2020

Il y aura lieu, en outre, de condamner la SA Uniroute aux dépens, outre à payer à M. Y la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement du Conseil de prud’hommes de Bourges, sauf en ce qu’il a débouté M. L-M Y de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation,

Statuant dans la limite du seul chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la SA Uniroute à payer à M. L-M Y la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la SA Uniroute aux dépens ainsi qu’à à payer à M. L-M Y la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme K, conseillère la plus ancienne ayant participé aux débats et au délibéré, et Mme I, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA CONSEILLÈRE,

S. I A. K

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