Cour d'appel de Caen, Chambre des appels correctionnels, 22 septembre 2010

  • Chèque·
  • Crédit agricole·
  • Banqueroute·
  • Sociétés·
  • Escroquerie·
  • Prêt·
  • Partie civile·
  • Cessation des paiements·
  • Constitution·
  • Délit

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CA Caen, ch. des appels correctionnels, 22 sept. 2010
Juridiction : Cour d'appel de Caen

Sur les parties

Texte intégral

²DOSSIER N° 09/00895

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2010

B J

B AK

N° 2010/671

CONTRADICTOIRE

COUR D’APPEL DE CAEN

CHAMBRE DES APPELS CORRECTIONNELS

AUDIENCE DU 15 MARS 2010

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2010

COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats

Président : Madame AU-AV, désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 30 décembre 2009

Conseillers : Monsieur C

Madame X

MINISTÈRE PUBLIC : représenté aux débats par Monsieur M, Substitut Général et au prononcé par Madame ROZE, Substitut Général.

GREFFIER : Madame THOMAS

PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :

1°) B AK, né le XXX à XXX

fils de B S et de XXX, de nationalité française, marié, au chômage

demeurant 7 rue Colbert – 29200 L

Prévenu, comparant, libre, assisté de Maître K Blaise, avocat au barreau de PARIS

2°) B J, né le XXX à L,

fils de B S et de XXX, de nationalité française, marié, directeur commercial

demeurant 18 rue Victor Hugo – 29200 L

Prévenu, libre, comparant, assisté de Maître K Blaise, avocat au barreau de PARIS

LE MINISTÈRE PUBLIC :

PARTIES CIVILES – DEMANDERESSES EN DOMMAGES-

INTÉRÊTS :

1°) S.A. BNP PARIBAS prise en la personne de son représentant légal,

dont le siège social est sis XXX

Absente, représentée par Maître Bertrand MOREAU, avocat à PARIS

2°) CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL du Finistère, dont le siège social est sis XXX

Absente, représentée par Maître BAZIRE, avocat à L

3°) H N, demeurant 9, rue Neptune 29200 L, en qualité de représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société Union Financière du Groupe B et de ses filiales E, D, F et A

Absente, représentée par Maître CHEVRET, avocat à CAEN, substituant Maître LOMBARD, avocat à L

4°) I P, demeurant XXX, administrateur judiciaire de la société Union Financière du Groupe B et de ses filiales E, D, F et A

Absente, représentée par Maître CHEVRET, avocat à CAEN, substituant Maître LOMBARD, avocat à L

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LE JUGEMENT :

Saisi de poursuites dirigées contre AK B :

— 'd’avoir à L, en tout cas dans le ressort du tribunal de grande instance de L, entre le 31 décembre 2001 et le 13 février 2002, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription :

en employant des manoeuvres frauduleuses, en l’espèce en effectuant des remises et des tirages croisés de quelques 292 chèques, dont la plupart, non provisionnés, sur les comptes n°10105274 ouvert au nom de la société SIREC et n°101121279 ouvert au nom de la société E dans les livres de la BNP PARIBAS, ainsi que sur les comptes n°674346001 ouvert au nom de la société F, n°93052001, ouvert au nom de la société A et n°88884001 ouvert au nom de la société AM AN dans les livres du Crédit Agricole du FINISTÈRE, trompé les deux établissements bancaires tirés, la BNP PARIBAS et le Crédit Agricole du FINISTÈRE, pour les déterminer à créditer les comptes desdites sociétés et plus particulièrement :

— au préjudice du Crédit Agricole du FINISTÈRE, 18 chèques, pour un montant de 1.055.830 €, chèques tirés sur le compte n°10121279 ouvert au nom de la société E auprès de la BNP PARIBAS, rejetés par cette banque, après avoir été crédités sur les comptes des sociétés AM AN, F et A,

— au préjudice de la BNP PARIBAS, 14 chèques pour un montant de 641.585 €, chèques tirés sur les comptes n°61674346001 ouvert au nom de la société F n°01293052001 ouvert au nom de la société A, et n°88884001 ouvert au nom de la société AM AN auprès du Crédit Agricole, rejetés par cette banque, après avoir été crédités sur le compte de la société E’ ;

infraction prévue et réprimée par les articles 313-1, 313-3, 313-7, 313-8 du code pénal ;

— 'd’avoir à L, en tout cas dans le ressort du tribunal de grande instance de L, entre le 1er janvier 2001 et le 13 février 2002, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant dirigeant de droit des sociétés A, SERIM, SERIS et E, faisant l’objet d’une procédure de redressement judiciaire et dont l’état de cessation de paiement a été fixé à novembre 2000, commis le délit de banqueroute en employant, dans le but d’éviter ou de retarder la procédure de redressement judiciaire, des moyens ruineux pour se procurer des fonds, en l’espèce en sollicitant et en obtenant des prêts à court terme assortis de sûretés pesantes dont les montants excédaient les capacités financières desdites sociétés’ ;

infraction prévue et réprimée par les articles L.626-1, L.626-2, L.626-3, L.626-5, L.626-7, L.626-8 du code du commerce ;

Saisi de poursuites dirigées contre J B :

— 'd’avoir à L, en tout cas dans le ressort du tribunal de grande instance de L, entre le 1er janvier 2001 et le 13 février 2002, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant dirigeant de droit des sociétés F et E, faisant l’objet d’une procédure de redressement judiciaire et dont l’état de cessation de paiement a été fixé à novembre 2000, commis le délit de banqueroute en employant, dans le but d’éviter ou de retarder la procédure de redressement judiciaire, des moyens ruineux pour se procurer des fonds, en l’espèce en sollicitant et en obtenant des prêts à court terme assortis de sûretés pesantes dont les montants excédaient les capacités financières desdites sociétés’ ;

infraction prévue et réprimée par les articles L.626-1, L.626-2, L.626-3, L.626-5, L.626-7, L.626-8 du code du commerce ;

Le Tribunal Correctionnel de L, par jugement contradictoire en date du 20 mars 2007, a renvoyé J B des fins de la poursuite, a déclaré AK B coupable des faits qui lui sont reprochés, a condamné AK B à 7.000 € d’amende, a prononcé à son encontre l’interdiction de gérer ou diriger une entreprise pendant 5 ans.

Sur l’action civile, ledit tribunal a :

— reçu la Société BNP PARIBAS en sa constitution de partie civile et l’a débouté de sa demande ;

— reçu Maître AI P, ès qualité, en sa constitution de partie civile, a condamné AK B à lui payer la somme de 1 € à titre de dommages-intérêts,

— reçu Maître H N, ès qualité, en sa constitution de partie civile, a condamné AK B à lui payer la somme de 1 € à titre de dommages-intérêts,

— reçu la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Finistère en sa constitution de partie civile, a condamné AK B à lui payer la somme de 783.175 € à titre de dommages-intérêts et 500 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

BNP PARIBAS, le 27 mars 2007, contre AK B à titre principal sur les dispositions civiles

BNP PARIBAS, le 27 mars 2007, contre J B à titre principal sur les dispositions civiles

B AK, le XXX, à titre principal sur les dispositions pénales et civiles

M. le Procureur de la République, le XXX, à titre incident sur les dispositions pénales contre AK B

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Finistère, le 30 mars 2007 à titre incident sur les dispositions civiles contre AK B et J B.

Par arrêt contradictoire en date du 29 mai 2008, la cour d’appel de RENNES a constaté le désistement de la BNP PARIBAS de son appel sur les dispositions civiles du jugement déféré à l’égard de J B, a rejeté les exceptions soulevées avant toute défense au fond.

Sur l’action publique, la Cour a constaté le caractère irrévocable de la décision de relaxe prononcée à l’égard de J B, a confirmé en toutes ses dispositions relatives à AK B, le jugement entrepris.

Sur l’action civile, la Cour a confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a débouté de sa demande la BNP PARIBAS et condamné AK B au paiement de dommages-intérêts à l’égard de Maitre N H et Maître P I, a infirmé le jugement entrepris en ce qu’il a condamné AK B au paiement de dommages-intérêts à l’égard du Crédit Agricole, et statuant à nouveau de ce seul chef, a constaté qu’aucune demande n’était formée par le Crédit Agricole à l’égard de J B, a débouté le Crédit Agricole de sa demande en paiement de dommages-intérêts à l’égard de AK B, a condamné AK B à payer à Maître N H et Maître I, à chacune, la somme de 1.500 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

La B.N.P PARIBAS a formé un pourvoi en cassation le 2 juin 2008.

La Caisse Régionale du Crédit Agricole du Finistère a formé un pourvoi en cassation le 2 juin 2008

AK B a formé un pourvoi en cassation le 3 juin 2008

Par arrêt en date du 6 mai 2009, la Cour de Cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de RENNES du 29 mai 2008, a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de CAEN et a dit n’y avoir à application, au profit de la Caisse Régionale du Crédit Agricole du Finistère, de Maîtres P I et N H, ès-qualités de l’article 618-1 du code de procédure pénale.

DÉROULEMENT DES DÉBATS :

L’affaire a été appelée en audience publique le 15 mars 2010 avec les parties présentes ci-dessus nommées ;

Madame le Président a constaté l’identité de J B et de AK B, a donné lecture de leur casier judiciaire, des renseignements les concernant et du dispositif du jugement ; il a été relevé que J B avait été définitivement mis hors de cause sur les actions pénale et civile ;

Maître CHEVRET, Maître BAZIRE et Maître MOREAU ont déposé des conclusions qui ont été visées et versées au dossier ;

Maître K a déposé des conclusions d’exceptions de nullité in limine litis et au fond qui ont été visées et versées au dossier ;

Madame le Président indique que l’incident sera joint au fond.

Ont été entendus :

Madame AU-AV, en son rapport ;

Maître K en sa plaidoirie sur l’exception de nullité soulevée dans l’intérêt de B AK ;

Monsieur M, en ses réquisitions sur les exceptions de nullité soulevée ;

Maître K a eu la parole en dernier sur l’incident ;

L’incident a été joint au fond ;

Madame AU-AV, en son rapport complémentaire ;

AK B qui a été interrogé et qui accepte de comparaître volontairement pour des faits autrement qualifiés de banqueroute par émission de chèques par cavalerie ;

Maître BAZIRE, en sa plaidoirie ;

Maître MOREAU, en sa plaidoirie ;

Maître CHEVRET, en sa plaidoirie ;

Monsieur M en ses réquisitions ;

Maître K, en sa plaidoirie au fond ;

J B, en ses observations et qui a eu la parole en dernier ;

AK B, qui a eu la parole en dernier.

Puis la Cour a mis l’affaire en délibéré et informé les parties présentes qu’elle prononcerait son arrêt à l’audience publique du mercredi 26 mai 2010 à 8h30.

A l’audience du mercredi 26 mai 2010 à 8h30, la Cour a prorogé le prononcé du délibéré à l’audience du mercredi 9 juin 2010 à 8h30.

A l’audience du mercredi 9 juin 2010 à 8h30, la Cour a prorogé le prononcé de l’affaire à l’audience du mercredi 22 septembre 2010 à 8h30.

Et ce jour, la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu en audience publique l’arrêt suivant : prononcé par Mme AU-AV, Président, en présence de Madame ROZE, Substitut Général, assistés de Mme THOMAS, Greffier.

MOTIFS :

Rappel de la procédure antérieure :

La procédure antérieure a été rappelée dans l’en-tête du présent arrêt. Il sera simplement précisé que AK B avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel de L par ordonnance du 10 mars 2006 sur plainte avec constitution de partie civile déposée le 18 juin 2002 par la société BNP PARIBAS. Cette banque dénonçait au juge d’instruction de L des émissions croisées de chèques sans provision émis par AK B, à la tête d’une société familiale de holding regroupant d’autres sociétés de construction et de promotion immobilières.

Il est renvoyé au jugement frappé d’appel et au réquisitoire définitif, pour exposé plus détaillée du déroulement de l’instruction.

Sur la procédure devant la cour d’appel :

Dés l’appel du dossier, il a été demandé de constater la mise hors de cause de J B cité à tort devant la Cour alors que sa relaxe était définitive en l’absence d’appel du ministère public et de demandes de parties civiles dirigées contre lui.

L’arrêt sera contradictoire à l’égard de AK B comparant en personne assisté de son conseil pour plaider sa relaxe, comme des parties civiles ayant donné pouvoir de représentation à leur avocat respectif.

La BNP PARIBAS sollicitait la somme principale de 714 249 € et le CRÉDIT AGRICOLE celle de 1 055 830 €, au titre du préjudice consécutif à l’escroquerie.

Maîtres H et I, non appelantes, sollicitaient la confirmation du jugement attaqué.

Le représentant du parquet général a requis la confirmation du jugement de L.

Rappel des faits :

La Cour se réfère à l’exposé très complet des faits, effectué par les premiers juges.

Sur l’exception de nullité de l’ordonnance de renvoi :

Avant toute défense au fond, étant précisé que l’incident a été aussitôt joint au fond, AK B a régulièrement excipé de la nullité de l’ordonnance de renvoi du 10 mars 2006.

C’est à bon droit que les premiers juges ont rappelé au prévenu que :

— l’article 385 du code de procédure pénale ne donne pas qualité au tribunal correctionnel saisi par une ordonnance de renvoi pour constater les nullités des procédures, sauf le cas où cette ordonnance a méconnu les dispositions de l’article 184 du même code ;

— que le visa de dispositions abrogées relatives à la banqueroute ne lui a pas fait grief puisque les nouveaux textes d’incrimination et de répression sont restés identiques ;

Ne lui a pas davantage fait grief, le fait que l’ordonnance critiquée visait la banqueroute par l’emploi de moyens ruineux par souscription de prêts à court terme, dont le juge d’instruction n’avait pas été saisi par les réquisitoire introductif et supplétif, dès lors que sa culpabilité n’a pas été retenue sur le fondement de ces faits.

Par conséquent, la Cour rejette ces exceptions de nullité.

Sur le délit d’escroquerie :

L’instruction a démonté les manoeuvres frauduleuses de tirage croisé de 272 chèques non causés émis entre le 31 décembre 2001 et le 13 février 2002 sur les comptes de la BNP PARIBAS et le CRÉDIT AGRICOLE au nom des sociétés du groupe B, mécanisme récapitulé dans le tableau suivant :

Bénéficiaire

E

SIREC

AN

A

F

Emettrice

F

cpte C.A

674346001

46 chèques

44 chèques

XXX

2 chèques

D 242/244

A

cpte C.A

93052001

61 chèques

49 chèques

D82/83/84/102/

126/ à 146, 148 à 155, 158 à 173

10 chèques

XXX

D 116 à 120

XXX

2 chèques

XXX

AN

cpte C.A

88884001

2 chèques

2 chèques

XXX

SIREC

cpte BNP

10105274

41 chèques

3 chèques

D11

32 chèques

D11

2 chèques

D11

AM

GROUPE

cpte BNP

101121279

126 chèques

12 chèques

D12

65 chèques

D12

49 chèques

D12

T0TAL

272 chèques

95 chèques

15 chèques

12 chèques

99 chèques

51 chèques

AK B n’a jamais contesté être le seul signataire de ces chèques mais a toujours soutenu que ses partenaires financiers, en particulier la BNP PARIBAS avaient une parfaite connaissance de ce montage destiné à se procurer de la trésorerie dans l’attente de la mise en place de crédits promoteurs, promis par les banques.

Les premiers juges ont rappelé :

— l’historique du groupe B de sa fondation par S B qui s’est lancé au milieu des années 1950 dans la reconstruction immobilière de L à la passation de pouvoir au début des années 1990 à ses quatre enfants AK, J, Clothilde et Y (ce dernier écarté des affaires en raison de problèmes de santé) ;

— la structure du groupe avec une entité de type holding dirigée par AK B, qui contrôle une douzaine de sociétés telles que la SIREC dirigée par sa soeur, la F et AM AN dirigées par son frère J, sociétés régissant elles même 16 sociétés civiles immobilières chargées de porter les programmes lancés par le groupe.

— les difficultés financières du groupe jusqu’alors florissant, lorsqu’il va adjoindre à son coeur de métier des activités de nettoyage industriel ou d’hôtellerie puis va se heurter à la crise affectant le secteur immobilier, des problèmes de retard dans la livraison de certains chantiers, de stocks d’invendus.

Ces difficultés sont clairement rapportées par :

— AW-BA BB, le commissaire aux comptes des sociétés E, A et F à l’origine d’une procédure d’alerte au président du tribunal de commerce de L en décembre 1997, qui signale dès cette époque un résultat courant déficitaire, une capacité d’autofinancement négative, temporairement masquée par les cessions d’actifs importants (Hôtel Holiday Inn, activité de gestion de biens) et les avances en compte courant intra sociétés autorisées par la convention de trésorerie souscrite à compter du 15 décembre 1990 ;

— V W, qui signale que son arrivée en novembre 1990 comme directeur financier du groupe, a coïncidé avec les pertes liées aux investissements notamment hôteliers et qui estime que l’ensemble du groupe était déjà en état de cessation de paiement fin 1999 puisque les actifs négociables avaient déjà été réalisés ;

— AC AD, expert mandaté par le tribunal de commerce de L, qui fait remonter l’état de cessation de paiement au 31 décembre 1998, ajoute que les membres de la famille B ont pu retenir une valeur vénale de leur patrimoine supérieure au marché ;

— Maîtres I et H, respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers, confirmaient que sur la déclaration de cessation de paiement de AK B du 22 avril 2002, le tribunal de commerce de L ouvrira le 26 avril 2002, une procédure de redressement judiciaire, qui sera étendue à l’ensemble des sociétés du groupe, qui fixera la cessation de paiements du 31 août 2001 au 03 novembre 2000 et aboutira à un plan de continuation le 23 décembre 2003.

Maître I avait déjà été désignée en mai-juin 2001 pour négocier un prêt de restructuration de 1 500 000 francs pour le groupe B, auprès du CRÉDIT LYONNAIS et du CRÉDIT MUTUEL.

La Cour constate qu’à la fin des années 1990, lorsque le CRÉDIT AGRICOLE a décidé de se désengager de la promotion immobilière, la BNP PARIBAS est devenue le partenaire privilégié du groupe B, non seulement comme bailleur de fonds en s’associant dans cette activité de promotion immobilière.

En attestent les pièces produites par la défense :

— les nombreux actes de prêts notariés ou de découverts autorisés s’échelonnant de 1998 à début 2002 finançant des programmes immobiliers ;

— mais aussi des mandats exclusifs de vente souscrits par les filiales de la BNP PARIBAS comme les sociétés SINVIM et GERER.

La Cour estime que fin 2001-février 2002, période des faits reprochés, la banque avait une parfaite connaissance de la situation de trésorerie tendue du groupe B, par les instruments à sa disposition comme les états comptables, la convention 'service échange de fichiers’ permettant le suivi en direct de ses comptes, par les avenants prorogeant les prêts qu’elle venait de lui accorder et surtout des contacts directs ou des échanges de courriers.

Le prévenu avait indiqué que début 2001 des réunions avaient été tenues avec les responsables régionaux et parisiens de la banque sur les crédits promoteurs et qu’il avait été demandé aux frères et soeur B :

— de transformer les découverts autorisés, crédits promoteurs en prêts à un an avec prise d’hypothèque,

— d’acheter sur leurs deniers les 'queues de programme';

— de se porter caution solidaire des découverts.

Il a produit une télécopie de Monsieur Z, directeur de l’agence régionale de L, donnant à sa soeur pareilles consignes, ce qui signe une véritable immixtion de la banque dans la gestion du groupe B.

La Cour est persuadée que face aux difficultés grandissantes du groupe B, la BNP PARIBAS, qui s’était verbalement engagée à financer d’autres programmes comme l’opération SAINT LOUIS, a voulu s’entourer de garanties, tout en évitant le reproche d’encourager la fuite en avant de son client.

Cette attitude a d’ailleurs été sanctionnée par un arrêt de la Chambre commerciale de la cour d’appel de RENNES en date du 04 mars 2008 qui a annulé les contrats de prêts et inscriptions passés en période suspecte, motif pris de la connaissance par la banque de l’état de cessation de paiement et qu’ils visaient à contourner la législation sur les procédures collectives.

La Cour observe que lors de son audition, la représentante de la banque dit tout ignorer des deux télécopies adressées le dimanche 23 décembre 2001 à 19h47 et 20h48 par lesquelles AW-AX Z signale des flux financiers d’un montant anormal et enjoint au prévenu de couvrir les chèques émis avant 15h, à défaut de quoi il exigera des chèques de banque ou ne les réglera pas.

Au cours d’une confrontation, Monsieur Z avait d’ailleurs convenu qu’il était en contact permanent avec Monsieur B et avait connaissance des encours.

J B a été le témoin d’un échange téléphonique avec Monsieur Z en janvier 2002 laissant entendre que le déblocage du prêt n’était qu’une question de jours.

La Cour est convaincue que la BNP PARIBAS, loin d’ignorer le système de cavalerie mis en place par Monsieur B, l’a sciemment encouragé pour présenter des comptes en équilibre et faciliter le passage en commission de prêt repoussé en janvier 2002 et qu’elle n’a pas pu croire à une situation prospère, par le croisement des chèques.

Par conséquent, le délit d’escroquerie tel qu’articulé par la prévention n’est pas constitué au préjudice de la BNP PARIBAS.

Pour ce qui concerne le CRÉDIT AGRICOLE, la Cour s’étonne :

— qu’ait échappé à sa vigilance la multiplication par 4 des flux financiers en janvier 2002 par rapport à ce qui se réalisait en décembre 2001 alors qu’elle disposait d’instruments de surveillance des comptes, comparables à ceux de BNP PARIBAS ;

— que postérieurement au rejet des chèques, elle ait continué à entretenir des relations d’affaire avec le groupe B en laissant fonctionner les comptes, procéder à des virements et en consentant un nouveau crédit promoteur le 21 mars 2002 avec une seule promesse d’affectation hypothécaire.

Mais la Cour n’a pas caractérisé pareille implication dans la gestion des affaires du groupe B .

Monsieur G, responsable juridique, explique que sa banque avait au contraire souhaité se désengager de la promotion immobilière face au manque de visibilité de la politique du holding et des cessions intra-groupe.

C’est d’ailleurs, le CRÉDIT AGRICOLE qui va alerter la BNP PARIBAS le 14 février 2002 de sa décision de rejeter les chèques émis sur ses caisses par les sociétés F, A et AM AN au profit des sociétés E et SIREC.

Le délit d’escroquerie poursuivi est donc caractérisé au préjudice du CRÉDIT AGRICOLE.

Sur le délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux :

Il est rappelé que la responsabilité pénale de AK B ne pouvait être recherchée pour le délit de banqueroute par l’emploi de moyens ruineux constitués par le recours à des prêts à court terme assortis de sûretés onéreuses, lesquels prêts n’entraient pas dans la saisine in rem du juge d’instruction.

AK B a néanmoins accepté de comparaître volontairement du chef de banqueroute, pour avoir dans l’intention de retarder l’ouverture d’une procédure collective, employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds par l’émission croisée de chèques non causés.

Force est de constater, que, si pareille émission est par nature génératrice de frais bancaires importants, aucun élément n’a été recueilli au cours de l’information sur ces frais financiers tels que des agios ou autres pénalités.

Fait donc défaut la preuve du caractère ruineux par rapport aux capacités financières de l’entreprise du moyen employé qui est un des éléments constitutifs de l’infraction, avec la connaissance de l’état de cessation de paiement et la volonté de retarder en connaissance de cause le déclenchement de la procédure collective.

Il faut d’ailleurs relever que ce mécanisme de cavalerie était destiné à faire une présentation avantageuse des comptes pour obtenir les prêts qui n’étaient que la reprise de financements antérieurs à des conditions similaires.

La Cour infirme donc le jugement attaqué et renvoie le prévenu des fins de la poursuite.

*

Pour ce qui est de la sanction adaptée, la Cour prend en compte le fait que AK B n’a pas été condamné, ni avant ni après, le seul délit retenu à son encontre ; qu’il a déjà été dessaisi de la gestion du groupe B dans le cadre de la procédure collective ; qu’il a pu être encouragé dans cette entreprise par son principal partenaire financier et par ses partenaires familiaux lui laissant les coudées franches.

La Cour le condamne à une peine d’amende de 7.000 euros dont la moitié sera assortie du sursis simple et à la peine de 3 ans d’interdiction d’exercer l’activité à l’occasion de laquelle le délit a été commis, peine complémentaire prévue pour l’escroquerie et adaptée aux errements de la gestion de AK B.

Sur l’action civile :

de la BNP PARIBAS :

Ensuite de la relaxe pour escroquerie à son préjudice prononcée ci-dessus, la constitution de la BNP PARIBAS est déclarée irrecevable.

du CRÉDIT AGRICOLE :

Il a été jugé ci-dessus que le CRÉDIT AGRICOLE a été trompé par l’opération de cavalerie qualifiée d’escroquerie commise par AK B ce qui lui ouvre droit à entière réparation d’un préjudice dont elle doit établir le montant.

Il appartient donc à la banque de démontrer que le crédit qui aurait été artificiellement créé par cette opération de cavalerie a été utilisé à son détriment.

La banque considère que son préjudice correspond au montant des18 chèques non causés qu’elle a escomptés et qui ont fait l’objet du rejet par la BNP PARIBAS soit la somme de 1.055.830 euros.

Le juge commissaire de la procédure collective a ordonné le sursis à statuer sur l’admission de ces créances qui sont contestées.

La Cour, qui se doit d’évaluer le préjudice direct et certain de la banque à la date de sa décision, a constaté que le montant exact des chèques ne peut être calculé avec certitude.

Ainsi, la Cour a vérifié que la banque avait déclaré les créances chirographaires suivantes sur la procédure collective comme suit :

1 chèque de 29.050 euros tiré par E sur la BNP émis le 01 février 2002 rejeté le 14 février 2002 ;

7 chèques tirés par E sur la BNP émis les 01, 04 et 06 février 2002 à l’ordre de F rejetés les 14 et 18 février pour un montant de 430.184 euros ;

10 chèques tirés par E sur la BNP les 01, 04, 05 et 06 février 2002 à l’ordre de A rejetés les 14 et 18 février 2002 pour un montant de 596 596 euros.

Si la banque a produit copie des chèques, ils ne sont assortis d’attestations de rejet en date de février 2002 pour défaut de provision, qu’à hauteur de la somme de 754.s125 euros pour les chèques du montant suivants :

(63.530 euros, 68.230 euros, 59.150 euros, 62.230 euros, 68.450 euros, 51.240 euros, 61.410 euros, 68.245 euros, 69.347 euros, 68.245 euros, 65.323 euros, 48.725 euros).

Or, curieusement, il ressort des pièces de la BNP PARIBAS que ces rejets ont été régularisés, au vu d’une attestation de régularisation de tous les effets tirés sur le compte E, en date du 09 avril 2002 et du document daté du même jour indiquant à. AK B que la banque n’a pu procéder au rejet des chèques contrairement à ses précédentes indications.

La Cour considère que si le CRÉDIT AGRICOLE a un principe de préjudice, il ne justifie pas du montant du préjudice dont il demande réparation. Il est débouté de ses demandes.

des organes de la procédure collective :

La Cour confirme les dispositions civiles relatives à Maîtres H et I considérant que c’est à bon droit que les premiers juges ont déclaré leur constitution de partie civile recevable et fait droit à leur demande de dommages-intérêts.

Il leur sera alloué à chacune la somme de 1 500 € par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale pour l’ensemble de la procédure.

DISPOSITIF

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement,

Vu l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 06 mai 2009 cassant et annulant en toutes ses dispositions l’arrêt de la Cour d’appel de RENNES en date du 29 mai 2008 ;

Reçoit en leur appel respectif AK B, le ministère public contre le seul AK B, la société BNP PARIBAS, la CAISSE RÉGIONALE DU CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTÈRE ;

Constate le désistement de la BNP PARIBAS de son appel sur les dispositions civiles du jugement déféré à l’égard de J B ;

Vu l’absence d’appel du ministère public sur le renvoi de J B des fins de la poursuite pour banqueroute par emploi de moyens ruineux,

Constate le caractère irrévocable de cette décision de relaxe ;

Rejette les exceptions de nullité régulièrement soulevées par AK B ;

Infirme le jugement du tribunal correctionnel de L en date du 20 mars 2007 ;

Sur l’action publique :

Constate que AK B comparaît volontairement du chef de banqueroute par emploi de moyens ruineux consistant en la remise et le tirage de 292 chèques pour la plupart non provisionnés sur les comptes ouverts dans les livres de la banque BNP PARIBAS et du CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTÈRE, visés dans l’ordonnance de renvoi du 10 mars 2006 ;

Renvoie AK B des fins de la poursuite du chef d’escroquerie au préjudice de la BNP PARIBAS ;

Renvoie AK B des fins de la poursuite du chef de banqueroute par emploi de moyens ruineux consistant en la remise et le tirage de 292 chèques pour la plupart non provisionnés sur les comptes ouverts dans les livres des banques BNP PARIBAS et CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTÈRE, visés dans l’ordonnance de renvoi du 10 mars 2006 ;

Déclare AK B coupable du délit d’escroquerie commis au préjudice du CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTÈRE ;

Condamne AK B à la peine d’amende de sept mille euros (7.000 €) dont trois mille cinq cent euros (3.500 €) assortis du sursis ;

Le Président a averti le condamné que si dans le délai de 5 ans à compter du prononcé de cette peine, il commettait à nouveau un crime ou un délit suivi d’une nouvelle condamnation sans sursis, cette dernière condamnation entraînera l’exécution de la présente condamnation avec sursis, sans confusion possible. A l’inverse en l’absence dans le même délai, de nouvelle condamnation de cette nature, la présente condamnation sera réputée non avenue ;

Prononce à l’encontre de AK B l’interdiction de gérer ou diriger une entreprise pendant une durée de trois (3) ans ;

Sur l’action civile :

Vu le renvoi de AK B des fins de la poursuite du chef d’escroquerie au préjudice de la BNP PARIBAS ;

Déclare la BNP PARIBAS irrecevable en sa constitution de partie civile ;

Reçoit le CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTÈRE en sa constitution de partie civile mais la déclare mal fondée ;

Déboute le CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTÈRE de ses demandes.

Reçoit Maître H N en qualité d’administrateur judiciaire en sa constitution de partie civile .

Condamne AK B à payer à Maître H N, ès qualité, la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts ;

Condamne AK B à payer à Maître H, ès qualité, la somme de

mille cinq cents euros (1.500 €) par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale pour l’ensemble de la procédure ;

Reçoit Maître I P en qualité de représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société UNIFINANCIERE DU GROUPE B et de ses filiales E, D, F et A, en sa constitution de partie civile ;

Condamne AK B à payer à Maître I P, ès qualité, la somme d’un euro (1 €) à titre de dommages-intérêts ;

Condamne AK B à payer à Maître I P, ès qualité, la somme de mille cinq cents euros (1.500 €) par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale pour l’ensemble de la procédure ;

La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d’un montant de 120 € dont est redevable le condamné ;

Le Président avertit le condamné que, s’il s’acquitte du montant de l’amende et du droit fixe dans le délai d’un mois dans les conditions posées par l’article 707-2 ou l’article R55-1 du code de procédure pénale, ce montant sera diminué de 20% sans que cette diminution puisse excéder 1.500 euros ;

Le Président informe le condamné que le paiement de l’amende ne fait pas obstacle à l’exercice des voies de recours.

— Magistrat rédacteur :Mme AU-AV

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Elisabeth THOMAS AB Régine AU-AV

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Caen, Chambre des appels correctionnels, 22 septembre 2010