Cour d'appel de Caen, 1re chambre civile, 26 avril 2022, n° 20/00256

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Caen, 1re ch. civ., 26 avr. 2022, n° 20/00256
Juridiction : Cour d'appel de Caen
Numéro(s) : 20/00256
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Caen, 18 décembre 2019, N° 18/03120
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 29 septembre 2022
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Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 20/00256 – N° Portalis DBVC-V-B7E-GPQ5

ARRÊT N°

ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance de CAEN du 19 Décembre 2019

RG n° 18/03120

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 26 AVRIL 2022

APPELANTS :

Monsieur [S] [L]

né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 8] (27)

[Adresse 5]

[Localité 2]

représenté et assisté de Me Alice DUPONT-BARRELLIER, avocat au barreau de CAEN

La SA MAAF ASSURANCES

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 7]

[Localité 6]

représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN

assisté par LA SELARL DOLLA-VIAL et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Monsieur [S] [L]

né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 8] (27)

[Adresse 5]

[Localité 2]

représenté et assisté de Me Alice DUPONT-BARRELLIER, avocat au barreau de CAEN

La SA MAAF ASSURANCES

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 7]

[Localité 6]

représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN

assisté par LA SELARL DOLLA-VIAL et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

L’ ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE

pris en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 3]

non représenté bien que régulièrement assigné,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

Mme COURTADE, Conseillère,

DÉBATS : A l’audience publique du 08 février 2022

GREFFIER :M. COLLET

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 26 Avril 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [S] [L] a été victime le 5 septembre 2010 d’un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. [G] [P] assuré auprès de la société Maaf Assurances (ci-après la Maaf).

M. [L] a été transporté au Centre Hospitalier Universitaire de [Localité 2] où il a été amputé partiellement du majeur gauche.

L’accident a été pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail.

Une procédure amiable a été diligentée par les Mma, assureur de M. [L]. Une expertise amiable a été confiée aux docteurs [Z] et [W].

Les experts ont déposé leur rapport le 26 juin 2014.

Les Mma ont adressé pour le compte de la Maaf deux offres d’indemnisation à M. [L] en date du 19 décembre 2014 et du 10 novembre 2016 qui ont été refusées.

Par actes d’huissier du 25 septembre 2018, M. [L] a fait assigner la Maaf ainsi que l’Etablissement National des Invalides de la Marine (ci-après l’Enim) en qualité de tiers payeur devant le tribunal de grande instance de Caen afin d’être indemnisé de ses préjudices.

Par jugement du 19 décembre 2019 auquel il est renvoyé pour un exposé complet du litige en première instance, le tribunal de grande instance de Caen a :

— fixé l’indemnisation du préjudice subi par M. [L] à la suite de l’accident de la circulation survenu le 5 septembre 2010 comme suit, déduction faite de la créance de l’Enim :

*dépenses de santé actuelles : 218euros

*frais divers : 1 26398 euros

*tierce personne temporaire : 3 18549 euros

*perte de gains professionnels actuels : 14 76287 euros

*incidence professionnelle temporaire : 0 euros

*dépenses de santé futures : 26 euros

*perte de gaines professionnels futurs : 0 euros

*incidence professionnelle : 50 000 euros

*déficit fonctionnel temporaire : 2 56350 euros

*souffrances endurées : 8 000 euros

*préjudice esthétique temporaire : 3 000 euros

*déficit fonctionnel permanent : 61 31979 euros

*préjudice d’agrément permanent : 10 000 euros

*préjudice esthétique permanent : 3 500 euros

soit au total : 142 860,94 euros

en conséquence,

— condamné la Maaf à payer à M. [L] la somme de 126 860,94 euros déduction faite de la provision de 16 000 euros en réparation de son préjudice corporel subi à la suite de l’accident survenu le 5 septembre 2010 avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision

— condamné la Maaf à payer à M. [L] en application des dispositions de l’article L211-13 du code des assurances, des intérêts au double du taux légal sur la somme de 94 941,85 euros du 5 mai 2011 au 11 mars 2018

— ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis plus d’une année conformément aux dispositions de l’article 1353-2 du code civil

— dit n’y avoir lieu à déclarer le présent jugement commun et opposable à l’Etablissement National des Invalides de la Marine (Enim)

— condamné la Maaf à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

— condamné la Maaf aux dépens de la présente instance et dit qu’il sera fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Dupont-Barrelier

— rejeté toute demande plus ample ou contraire

— ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration du 30 janvier 2020, la Maaf a formé appel de ce jugement.

La déclaration a été signifiée à l’Enim par acte d’huissier du 24 mars 2020.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 29 juillet 2020 et signifiées à l’Enim par acte du 6 août 2020, la Maaf demande à la cour de:

— infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

*a fixé l’indemnisation du préjudice subi par M. [L] à la suite de l’accident de la circulation survenu le 5 septembre 2010, comme suit, déduction faite de la créance de l’Enim

déficit fonctionnel permanent : 61 319,79 euros

et en conséquence

*l’a condamnée à payer à M. [L] la somme de 126 860,94 euros, déduction faite de la provision de 16 000 euros, en réparation de son préjudice corporel subi à la suite de l’accident survenu le 5 février 2010, avec au intérêts au taux légal à compter de cette décision

le confirmer pour le surplus

et statuant à nouveau de ces seuls chefs

— fixer l’évaluation de l’indemnisation de M. [L], après déduction de la créance de l’Enim à 12 150 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent

— confirmer le jugement s’agissant de l’évaluation des autres préjudices de M. [L]

— cantonner en conséquence toute condamnation à l’égard de M. [L] à la somme de 77 691,15 euros, déduction faite de la provision de 16 000 euros, en réparation de son préjudice corporel subi à la suite de l’accident survenu le 5 février 2010

— débouter M. [L] de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes formulées en cause d’appel

— dire et juger que toute condamnation devra être arrêtée après déduction des provisions versées à M. [L] et déduction faite des indemnités perçues des tiers payeurs

— condamner M. [L] à lui rembourser le trop-perçu afférent au montant des indemnités versées

— débouter M. [L] de toutes demandes complémentaires ou contraire

— condamner tout succombant aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées 8 février 2022, M. [L] demande à la cour de:

— le déclarer recevable et bien fondé en son appel

— infirmer le jugement en ce qu’il a :

*rejeté la demande d’indemnisation des pertes de gains professionnels actuels et futurs

*rejeté la demande d’indemnisation de l’incidence professionnelle temporaire

*limité à 50 000 euros l’indemnisation de l’incidence professionnelle

*limité à 61 319,79 euros l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent

*limité l’application de l’article L.211-13 du code des assurances à la période du 5 mai 2011 au 11 mars 2019

le confirmer pour le surplus

statuant à nouveau,

— condamner la Maaf à lui payer 499 715,01 euros en réparation des préjudices dont appel:

*dépenses de santé actuelles : 2,18 euros

*dépenses de santé futures : 26 euros

*frais divers avant consolidation : 1 263,98 euros

*tierce personne temporaire : 3 185,49 euros

*perte de gains professionnels actuels : 18 679,15 euros

*perte de gains professionnels futurs : 40 363,24 euros

*incidence professionnelle temporaire : 6 585,35 euros

*incidence professionnelle permanente : 301 367,11 euros

*déficit fonctionnel temporaire : 2 653,50 euros

*déficit fonctionnel permanent : 101 179 euros

*souffrances endurées : 8 000 euros

*préjudice d’agrément : 10 000 euros

*préjudice esthétique temporaire : 3 000 euros

*préjudice esthétique permanent : 3 500 euros

— dire que le montant total du préjudice incluant la créance des organismes sociaux et provisions non déduites, portera intérêts au double du taux légal du 5 mai 2011 jusqu’au jour la décision sera définitive

y ajoutant,

— condamner la Maaf à lui payer 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens et dire qu’ils seront recouvrés par Me Dupont-Barrelier, avocat.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été prononcée le 19 janvier 2022.

A l’audience, les parties ont exprimé leur accord pour que l’ordonnance de clôture soit rabattue et que la nouvelle clôture soit fixée à la date de l’audience.

L’Enim n’a pas constitué avocat.

Pour l’exposé complet des prétentions et de l’argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS :

Sur la procédure :

A l’audience, M. [L] et la Maaf ont expressément exprimé leur accord pour qu’il soit fait droit à la demande de rabat de l’ordonnance de clôture formée par M. [L] et la fixation de la nouvelle clôture à la date de l’audience afin que l’affaire puisse être retenue à cette même audience.

Compte tenu de ces observations, il convient de rabattre l’ordonnance de clôture et de fixer la nouvelle clôture de l’instruction à la date du 8 février 2022.

Sur le fond :

M. [S] [L] a été victime le 5 septembre 2010 d’un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. [G] [P] assuré auprès de la société Maaf Assurances (ci-après la Maaf).

Le droit à indemnisation de M. [L] et la garantie de la Maaf en qualité d’assureur de responsabilité du conducteur ne sont pas contestés.

L’appel principal porte sur l’évaluation du déficit fonctionnel permanent et l’appel incident sur les pertes de gains professionnels (actuels et futurs), l’incidence professionnelle (temporaire et post consolidation), le déficit fonctionnel permanent et la période pendant laquelle le doublement des intérêts au taux légal a été prononcée.

Il convient d’examiner chacun des postes contestés.

Les médecins experts ont fixé la date de consolidation au 5 septembre 2011 retenant une incapacité permanente partielle de 9 % correspondant à l’amputation de la deuxième phalange du majeur de la main gauche avec persistance d’une sensation gênante de membre fantôme, une importante hyperesthésie au contact sur le moignon d’amputation, ainsi que les séquelles psychologiques décrites.

Compte tenu des principes applicables aux recours des tiers payeurs tels que définis aux articles 28 et suivants de la loi du 5 juillet 1985, il convient de distinguer les préjudices patrimoniaux (soumis à recours des tiers payeurs) et les préjudices extra-patrimoniaux (non soumis à recours sous réserve des dispositions de l’article 31 in fine).

A / Sur les préjudices patrimoniaux :

Sur la perte de gains professionnels actuels :

A titre liminaire, on constatera que M. [L] indique dans ses écritures que le poste perte de gains professionnels actuels a été rejeté par le jugement de première instance de telle sorte qu’il demande l’infirmation du jugement sur ce point.

Toutefois, le dispositif du jugement mentionne que ce poste est fixé à 14762,87 euros. Il s’agit manifestement d’une erreur matérielle puisque dans sa motivation, le tribunal indique sous le titre 'perte de gains professionnels actuels’ que 'Monsieur [L] échouant à rapporter la preuve du montant de ses revenus avant l’accident et par suite de l’existence certaine d’une perte de salaires imputable à celui-ci, il convient de rejeter la demande à ce titre.'

En outre, le montant global des préjudices mentionné dans le dispositif, soit 142860,94 euros correspond à la somme de tous les autres préjudices (hors perte de gains professionnels actuels), c’est à dire que la condamnation porte bien sur la somme à laquelle le tribunal a évalué dans sa motivation l’ensemble des préjudices à l’exclusion de tout préjudice au titre de la perte de gains professionnels actuels.

Le jugement sera donc rectifié en ce sens que la mention '14762,87 euros’ apparaissant dans le dispositif sera remplacée par la mention '00,00 euros'.

La perte de gains professionnels actuels indemnise la perte ou la diminution de revenus subie par la victime dans la sphère professionnelle du fait des séquelles dont elle demeure atteinte avant consolidation.

Ce poste n’a pas été retenu en première instance au motif que la preuve d’une perte de revenu n’était pas rapportée faute de justificatifs.

À la suite de son accident de la circulation, M. [L] alors âgé de 18 ans qui exerçait la profession de marin pêcheur, a été placé en arrêt de travail jusqu’au 2 novembre 2010.

Il résulte des bulletins de paie produits qu’il a perçu un salaire net de 7664,09 euros de juin à décembre 2008 (soit 1094,87 euros par mois en moyenne), un salaire net imposable de 8354,34 euros d’avril à décembre 2009 (étant constaté que le salaire net imposable est supérieur au salaire perçu), soit 928,26 euros par mois en moyenne.

Pour l’année 2010, il est établi qu’il a perçu 321,96 euros en février, 365,38 euros en septembre (mois où l’accident s’est produit) et 1904,07 euros en novembre (soit après reprise de son travail le 2 du même mois).

Les pièces parcellaires produites ne permettent pas de calculer un revenu mensuel moyen perçu sur l’année 2010.

En outre, aucune pièce ne permet de démontrer qu’il aurait perçu en septembre ou octobre 2010, c’est à dire pendant son arrêt de travail initial, un salaire supérieur aux indemnités journalières versées par l’Enim (soit 1634 euros).

Après le 2 novembre 2010, M. [L] a pu reprendre le travail, avec cette précision que son salaire de novembre 2010 est supérieur au salaire qu’il percevait avant son accident.

La preuve qu’il a été mis fin à son contrat de travail en janvier 2011 en raison de son état de santé, n’est pas rapportée étant observé qu’il résulte de son relevé de carrière qu’il a à nouveau travaillé comme matelot dés la fin du mois d’avril suivant.

En effet, le rapport d’expertise mais aussi les autres pièces se rapportant à la perte de gains professionnels ne permettent pas d’établir un lien de causalité direct et certain entre la pénibilité accrue au travail et la fin du contrat de travail au début de l’année 2011.

M. [L] soutient qu’il est dans l’impossibilité de produire les pièces justifiant de ses revenus exacts et qu’il ne peut produire que des pièces parcellaires puisque son logement a été détruit par incendie. Toutefois, il lui était possible de produire ses relevés bancaires (puisqu’il résulte des bulletins de paie que son salaire lui était versé par chèque bancaire), étant rappelé que les banques ont l’obligation de conserver leurs archives pendant dix ans et que la décision de première instance a été rendue moins de 9 ans après l’accident.

M. [L] n’était donc pas dans l’impossibilité de rapporter la preuve des revenus précisément perçus sur la période litigieuse.

En conclusion, il n’est pas démontré que M. [L] a subi une perte de salaire supérieure aux indemnités journalières perçues pendant les arrêts de travail, ni une perte de salaire pendant les autres périodes antérieures à la date de consolidation, en lien direct et certain avec son accident.

Compte tenu de l’ensemble de ces observations, il convient de rejeter la demande de M. [L] afférente à la perte de gains professionnels actuels et de confirmer sur ce point le jugement rectifié comme précédemment rappelé.

Sur la perte de gains professionnels futurs :

Ce poste indemnise la perte de ressources résultant de la perte de l’emploi ou du changement d’emploi après consolidation.

Il est justifié que l’Enim ne verse pas de rente ou de pension à M. [L].

Comme rappelé précédemment, il n’est pas démontré que M. [L] a mis fin à son contrat de travail initial en raison des séquelles de son accident. Il est d’ailleurs établi qu’il est habituel pour un marin pêcheur de changer d’employeur (c’est à dire de chalutier), M. [L] ayant rapidement après son accident, poursuivi sa carrière de marin pêcheur dans le cadre d’un nouvel emploi de matelot (comme en atteste son relevé de carrière, pièce n° 4-1).

Les bulletins de paie et avis d’imposition parcellaires produits montrent qu’il a perçu 1605,39 euros en juin 2012 (pour un demi mois travaillé), 1768,63 euros en juillet 2012, 6366,04 euros de revenu net imposable de janvier à avril 2013, 5337,21 euros de revenu net imposable de juin à septembre 2013 puis 4019,11 euros de revenu net imposable du 13 novembre à la fin du mois de décembre 2013, soit un total de 15722,36 euros pour 9 mois et demi en 2013.

Il est encore établi qu’il a touché un revenu net imposable de 22041 euros en 2015, 3086 euros en 2016, 34359 euros en 2017.

Cette variation de revenus n’est pas imputable à l’état de santé de M. [L] puisque son état est consolidé depuis le 5 septembre 2011. Aucune corrélation ne peut donc être faite entre l’état de santé de M. [L] et la variation de ses salaires sur la période litigieuse.

Les contrats d’engagement ne permettent pas plus d’établir une perte de revenu liée à l’état séquellaire de M. [L].

M. [T] [B] indique dans une déclaration écrite que M. [L] avait 'du mal à exercer son métier’ en raison de la perte de la deuxième phalange du majeur de la main gauche et qu’il ne trouvait plus d’embarquement. Toutefois, cette affirmation est contredite par les avis d’imposition susvisés et le relevé de carrière.

C’est donc à juste titre que le premier a constaté qu’il n’était pas démontré que M. [L] avait subi une perte de revenus après consolidation en lien direct et certain avec son accident.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire afférente à la perte de gains professionnels futurs.

Sur l’incidence professionnelle :

L’incidence professionnelle correspond aux incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison de la dévalorisation sur le marché du travail, de la perte de chance professionnelle, de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi occupé.

Dans le cas présent, il résulte du relevé de carrière que M. [L] a travaillé comme marin pêcheur sur la période allant du 2 novembre 2010 à janvier 2011, puis d’avril à juillet 2011, c’est à dire avant consolidation.

Il résulte de son relevé de carrière qu’il poursuit son métier de marin pêcheur depuis.

Or, il résulte du rapport d’expertise que ce travail est devenu plus pénible en raison de l’hyperesthésie au contact de l’eau froide sur le moignon. De même, il est gêné dans certaines taches comme celle se rapportant à la réparation des filets ce qui est à l’origine d’une légère dévalorisation sur le plan du marché du travail afférent à sa profession. En effet, il n’est pas démontré que cette gêne aurait une incidence importante sur ses capacités professionnelles eu égard aux taches à accomplir.

Il résulte du relevé de carrière de M. [L] qu’il a été embauché au rang de matelot catégorie 4 à compter de juillet 2012 qu’il a conservé jusqu’en 2018 à l’exception de courtes périodes où il a été embauché au rang de matelot catégorie 3 (c’est à dire le rang qu’il occupait au moment de son accident). Il a donc été embauché à un rang supérieur à celui qui était le sien au moment de l’accident malgré son état séquellaire.

Les conséquences préjudiciables de ses séquelles sur son évolution de carrière, si elles ne sont pas contestables dans leur principe, demeurent donc très minimes.

La pénibilité de l’emploi occupé apparaît comme la principale composante de l’incidence professionnelle pour M. [L]. En effet, son métier impose d’être en contact avec l’eau froide, ce qui déclenche des sensations de décharge électrique qu’il décrit comme insupportables, une lenteur et une fatigabilité accrue.

En conclusion, le préjudice d’incidence professionnelle subi par M. [L] est composé principalement de la pénibilité accrue du travail et marginalement d’une perte de chance professionnelle et de la dévalorisation sur le marché du travail.

Il n’est donc pas opportun de le chiffrer en se fondant sur un pourcentage du salaire puisqu’il n’existe aucune corrélation entre le montant du salaire perçu et la pénibilité accrue du travail qui constitue l’essentiel du préjudice d’incidence professionnelle (les deux autres composantes étant marginales).

La méthode de calcul proposé par M. [L] sera donc écartée.

Compte tenu de ces observations et de la durée de la période allant de l’accident jusqu’à la consolidation (soit une année), l’incidence professionnelle temporaire sera évaluée à hauteur de 1500 euros (le jugement étant infirmé sur ce point).

M. [L] avait 19 ans au moment de la consolidation de telle sorte que l’incidence professionnelle va perdurer pendant la quasi totalité de sa carrière de marin. L’incidence professionnelle définitive (post consolidation) sera donc fixée à hauteur de 50 000 euros (le jugement étant confirmé sur ce point).

B / Sur les préjudices extra-patrimoniaux :

Sur le déficit fonctionnel permanent :

Ce poste indemnise la réduction définitive (après consolidation) du potentiel physique, psychosensoriel et intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques (et notamment le préjudice moral) et les troubles dans les conditions de l’existence.

L’expert a évalué l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique (AIPP) à 9 % correspondant à l’amputation de la deuxième phalange du majeur de la main gauche avec persistance d’une sensation gênante de membre fantôme, une importante hyperesthésie au contact sur le moignon d’amputation, ainsi que les séquelles psychologiques décrites.

Il convient d’évaluer le déficit fonctionnel permanent de M. [L] en prenant en compte non seulement l’AIPP mais aussi les deux autres composantes précitées.

Dans le cas présent, le préjudice de M. [L] est constitué :

— de l’AIPP engendrée par l’amputation de la seconde phalange du majeur gauche chez un gaucher avec limitation importante de la flexion de l’inter-phalangienne et prise impossible en flexion, une sensation gênante de membre fantôme, une importante hyperesthésie au contact sur le moignon d’amputation, les séquelles psychologiques caractérisées par un énervement fréquent devant les difficultés à utiliser sa main gauche, un refus d’accepter sa situation

— des souffrances endurées (douleurs quotidiennes du moignon d’amputation sur le majeur gauche à type de décharges électriques accentuées lors des variations de température

— des troubles subis quotidiennement par M. [L] dans les actes quotidiens (se raser, fermer les boutons de ses chemises, nouer ses lacets, écrire, habiller sa fille, caresser son chien ou encore tenir une tasse).

Il n’y pas lieu d’évaluer ce préjudice en se fondant sur une indemnité journalière fixée à 4,50 euros qu’il conviendrait de multiplier par le nombre de jours échus depuis la consolidation jusqu’à la date de l’arrêt avant d’évaluer distinctement la part du préjudice à venir calculé en multipliant cette indemnité journalière par un nombre de jours déterminé en fonction de l’espérance de vie de l’intéressé. En effet, il ne peut être retenu que les séquelles vont entraîner des troubles dans les actes quotidiens qu’il convient d’évaluer de la même façon quelque soit l’âge de l’intéressé.

Compte tenu de ces observations en particulier celles se rapportant à la description des différentes composantes du préjudice, et étant rappelé que M. [L] avait 19 ans à la date de la consolidation, il convient d’évaluer le déficit fonctionnel permanent à la somme de 29220 euros (le jugement étant infirmé de ce chef).

C / Sur les condamnations :

Il résulte des observations précédentes que les chefs du jugement contestés relatifs à l’indemnisation des différents préjudices sont tous confirmés à l’exception de l’incidence professionnelle temporaire (rejetée en première instance, et indemnisée en cause d’appel à hauteur de 1 500 euros) et du déficit fonctionnel permanent (évalué à 61 319,79 euros en première instance et fixé à 29 220 euros en cause d’appel), soit une différence de 30599,79 euros.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a fixé le montant total des préjudices de M. [L] à 142860,94 euros et condamné la Maaf à lui payer une somme globale de 126860,94 euros déduction faite de la provision de 16 000 euros d’ores et déjà versée.

Statuant à nouveau, il convient de fixer le montant global des préjudices de M. [L] à 112 261,15 euros et de condamner la Maaf à payer à M. [L] la somme de 96261,15 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt.

Il n’y a pas lieu d’ordonner le remboursement du trop versé en exécution du jugement puisque la présente décision constitue un titre permettant à la Maaf d’obtenir ce même remboursement.

La demande afférente sera rejetée.

D / Sur le doublement des intérêts :

M. [L] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a limité la période de doublement des intérêts du 5 mai 2011 au '11 mars 2019'. Toutefois, dans son dispositif le jugement a fixé cette période du 5 mai 2011 au 11 mars 2018. M. [L] a en effet raisonné par rapport à la motivation du jugement qui montre clairement qu’il s’agit du 11 mars 2019 (date expressément mentionnée) et non du 11 mars 2018. Il s’agit d’une erreur matérielle manifeste.

En revanche, il n’est pas sollicité d’infirmer le jugement en ce qu’il a fixé l’assiette du doublement des intérêts à 94941, 85 euros.

La cour est donc uniquement saisie d’une demande d’infirmation portant sur la période de doublement des intérêts.

M. [L] critique le jugement en ce qu’il a considéré que l’offre contenue dans les conclusions du 11 mars 2019 est complète et suffisante. Il demande au contraire que cette offre soit jugée insuffisante et incomplète puisque ne communiquant aucune pièce relative à la créance du tiers payeur.

Toutefois, les propositions de la Maaf dans ses écritures du 11 mars 2019 sont complètes et suffisantes. On ne peut lui reprocher de conclure au rejet de l’indemnisation des pertes de gains professionnels actuels et futurs puisque le tribunal et la cour ne les ont pas retenues. Le poste le plus important (incidence professionnelle) est évalué à hauteur de la proposition de la Maaf. Les autres propositions n’apparaissent pas insuffisantes, même si elles ont inférieures pour certaines à l’évaluation judiciaire.

On relèvera que la somme globale proposée par la Maaf dans ses écritures de première instance s’élevait à 89005,90 euros, soit 92,46 % de la somme finalement allouée par la cour d’appel.

La créance des tiers payeurs existe au titre des dépenses de santé actuelles, dépenses de santé futures et perte de gains professionnels actuels.

Ce dernier poste n’est pas retenu de telle sorte qu’il ne peut être fait reproche à la Maaf de ne pas avoir mentionné la créance du tiers payeur, celle-ci ayant indiqué que ce préjudice n’était pas établi.

S’agissant des deux autres postes (dépenses de santé actuelle et dépenses de santé futures), on relèvera que la Maaf a proposé à M. [L] de lui régler les sommes qu’il réclamait après imputation des créances des tiers payeurs (soit 2 euros et 26 euros) qui apparaissaient dans ces écritures de telle sorte que l’offre contenait implicitement imputation de ces créances mentionnées dans les écritures de M. [L] (puisque la Maaf a acquiescé aux demandes de M. [L] calculées après imputation des créances des tiers payeurs dont le montant était rappelé dans ses conclusions écrites).

L’offre de la Maaf dans ses écritures notifiées le 11 mars 2019 était donc à la fois complète et suffisante.

C’est donc à juste titre qu’en application des articles L 211-9 et suivants du code des assurances, la période de doublement des intérêts a été fixée jusqu’au 11 mars 2019.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point, sauf à rectifier la mention du dispositif ayant indiqué '11 mars 2018' au lieu de '11 mars 2019' conformément à la motivation du jugement parfaitement claire sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles :

Confirmé dans l’essentiel de ses dispositions, le jugement sera aussi confirmé sur les dépens et frais irrépétibles.

Succombant, M. [L] sera condamné aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct au profit des avocats de la cause qui en ont fait la demande.

M. [L] sera débouté de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt rendu par défaut, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Rabat l’ordonnance de clôture du 19 janvier 2022 ;

Fixe la nouvelle clôture de l’instruction au 8 février 2022 ;

Rectifie le jugement en ce sens que la mention '14762,87 euros’ du dispositif doit être remplacée par la mention '00,00' et la mention '11 mars 2018' doit être remplacée par la mention '11 mars 2019' ;

Confirme le jugement ainsi rectifié sauf en ce qu’il a :

— rejeté la demande d’indemnisation de l’incidence professionnelle temporaire

— fixé le déficit fonctionnel permanent à 61319,79 euros

— fixé le total des préjudices à 142 860,94 euros

— condamné la Maaf à payer à M. [L] la somme de 126 860,94 euros déduction faite de la provision de 16 000 euros avec intérêts à compter du jugemen t;

L’infirme de ces chefs ;

Statuant à nouveau,

Fixe l’incidence professionnelle temporaire à 1500 euros ;

Fixe le déficit fonctionnel permanent à 29 220 euros ;

Fixe le total des préjudices de M. [L] à 112 261, 15 euros ;

Condamne la Maaf à payer à M. [L] la somme de 96 261, 15 euros (déduction faite de la provision de 16000 euros) avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt;

Condamne M. [L] aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct au profit des avocats de la cause qui en ont fait la demande ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires comme précisé aux motifs.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

M. COLLETG. GUIGUESSON

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Cour d'appel de Caen, 1re chambre civile, 26 avril 2022, n° 20/00256