Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 25 juin 2019, n° 17/02653

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Chambéry, 1re ch., 25 juin 2019, n° 17/02653
Juridiction : Cour d'appel de Chambéry
Numéro(s) : 17/02653
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bonneville, 19 novembre 2017, N° 16/01201
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

PG/SL

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile – Première section

Arrêt du Mardi 25 Juin 2019

N° RG 17/02653 – N° Portalis DBVY-V-B7B-F3KR

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Grande Instance de BONNEVILLE en date du 20 Novembre 2017, RG 16/01201

Appelants

M. C-D E X

né le […] à […], demeurant […]

Mme Z A B Y divorcée X

née le […] à […], demeurant […]

Représentés par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentés par la SELARL IXA, avocats plaidants au barreau d’ANNECY

Intimée

DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES, dont le siège social est situé […]

Représentée par Me Georges PEDRO, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL LEXWAY AVOCATS, avocats plaidants au barreau de GRENOBLE

— =-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 29 avril 2019 avec l’assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

—  Monsieur Philippe GREINER, Président, qui a procédé au rapport

—  Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,

—  Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

— =-=-=-=-=-=-=-=-

Procédant au contrôle des déclarations d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) des consorts X/Y, au titre des années 2010, 2011, 2012 et 2013, la Direction Générale des Finances Publiques a émis une proposition de rectification le 27/11/2013 concernant les valeurs déclarées des comptes courants des consorts X/Y dans la société GROUPE X.

Le 10/02/2014, l’administration a maintenu ses observations suite à celles des contribuables du 21/01/2014.

Dans son avis du 27/06/2014, la commission départementale de conciliation a validé l’analyse de l’administration, qui a mis en recouvrement le 16/12/2014 des impositions supplémentaires pour 638.176 euros outre 310.098 euros de pénalités.

La réclamation contentieuse des consorts X/Y du 13/01/2015 a été rejetée le 30/06/2016.

Auparavant, le 23/05/2014, les consorts X/Y ont cédé une partie de leurs créances en compte courant dans la société GROUPE X à la société SIGESTEL (3.439.764,97 euros pour Mme Y et 3.208.520,09 euros pour M. X) moyennant le prix de un euro, étant convenu en outre que « la société SIGESTEL réclamera à la société GROUPE X une partie de la trésorerie disponible au 30 avril de chaque année au titre du remboursement de la créance objet de la cession. Toutes les sommes perçues par la société SIGESTEL de la part de la société GROUPE X en remboursement de ladite créance seront reversées à Mme Y et à M. X en complément de prix jusqu’à 90% du prix de cession, 10% restant acquis in fine à la société SIGESTEL ».

Par acte du 26/08/2016, les consorts X/Y ont assigné la Direction Générale des Finances Publiques devant le tribunal de grande instance de Bonneville en annulation de la décision de redressement fiscal et en paiement de la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 20/11/2017, le tribunal a débouté les consorts X/Y de leurs demandes, a dit qu’ils étaient redevables des impositions mises à leur charge à hauteur de la somme de 948.274 euros, outre 310.098 euros de majoration et les a condamnés aux dépens.

Par déclaration du 14/12/2017, les consorts X/Y ont relevé appel de cette décision.

Dans leurs conclusions en réponse et récapitulatives du 05/04/2019, ils demandent à la Cour de :

— avant dire droit, désigner un expert aux fins d’estimer la valeur des comptes courants au 01/01/2010, 01/01/2011, 01/01/2012 et 01/01/2013 ;

— réformer le jugement déféré, faire droit à leur demande, débouter la Direction Générale des Finances Publiques de ses demandes, annuler la décision de rejet et les redressements en découlant et dire que la valorisation de leurs comptes courants dans la société GROUPE X est conforme aux dispositions légales de l’article 885 du code général des impôts ;

— à titre subsidiaire, prononcer en leur faveur la décharge de la majoration de 40% pour manquement délibéré, celle-ci étant non fondée ;

— condamner la Direction Générale des Finances Publiques au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir en substance que :

— si un compte courant doit être déclaré à l’ISF, c’est pour sa valeur vénale, qui est sa valeur probable de recouvrement, et ce, au 1er janvier de l’année d’imposition ;

— les comptes courants détenus dans la société GROUPE X ont été estimés à une valeur symbolique compte tenu de la situation de la société et de ses capacités de remboursement au 1er janvier de l’année d’imposition, indépendamment de leur valeur nominale ;

— ainsi, ils ont été évalués à la somme de 19.250 euros, qui correspondait aux seules disponibilités de la société GROUPE X ;

— dans le cadre de leur procédure de divorce, l’expert désigné en 2013 pour l’évaluation des actifs communs a retenu alors une valeur qui n’a pas été contestée par l’administration ;

— les résultats des hôtels propriétés de la holding (600.000 euros pour les exercices 2009 à 2011 et 350.000 euros pour l’exercice 2012) n’ont jamaispu permettre des remontées de dividendes suffisantes pour permettre le remboursement des comptes courants ;

— les résultats du groupe se sont du reste réduits de manière significative, nécessitant le blocage des comptes courants en 2009 et 2010 dans le cadre d’un réendettement de la société holding en 2009 pour un montant de 1,8 millions d’euros, de façon à réinjecter les capitaux empruntés dans les sociétés filiales et en particulier dans la société GINESTEL, propriétaire de la plupart des fonds de commerce hôteliers du groupe, celui-ci manquant de trésorerie ;

— ils se sont comportés de bonne foi en évaluant la valeur des comptes courants en fonction des disponibilités de la société, ce qui exclut l’application de majorations, les comptes courants n’étant pas du tout liquides, alors qu’ils sont censés être remboursables à tout moment ;

— ils n’ont jamais voulu éluder le paiement de l’impôt, n’ayant fait que s’appuyer sur le droit positif et des décisions jurisprudentielles ;

— c’est du reste ce qui a déjà été jugé pour la période 2007/2009, et ce d’autant que leurs comptes courants ont été cédés en 2014 pour une valeur de un euro.

Dans ses conclusions du 28/05/2018, la Direction Générale des Finances Publiques conclut au débouté des appelants de leurs demandes, à la confirmation de la décision déférée et réclame 2.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile, soutenant en substance que :

— les comptes courants doivent être évalués à leur valeur nominale, comme cela a été du reste fait dans une décision antérieure relative aux années 2007/2009 ;

— en effet, l’entreprise étant bénéficiaire, la créance sera à terme remboursée ; ce n’est que dans le cas d’une entreprise en difficulté que le compte courant doit être évalué à sa valeur probable de recouvrement ;

— la preuve de la recouvrabilité des comptes courants ne repose pas sur l’administration mais sur le contribuable ;

— le groupe X est dans une très bonne situation financière et a la capacité de rembourser les comptes courants, sa valeur nette comptable atteignant plus de 25 millions d’euros au 31/10/2012, la valeur nette comptable des participations étant de 34.972.946 euros à cette date ;

— les manquements des appelants sont délibérés eu égard à l’ampleur de la sous-évaluation des comptes courants ;

— le recours à une expertise n’est pas nécessaire dans la mesure où les pièces du dossier sont suffisantes pour permettre à la Cour de statuer.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la valeur des comptes courants

Aux termes de l’article 885 E du code général des impôts, « l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l’année, de l’ensemble des biens, droits et valeurs imposables », l’article 885 S ajoutant que «la valeur des biens est déterminée suivant les règles en vigueur en matière de droits de mutation par décès ».

Au préalable, il convient de relever que le solde créditeur d’un compte courant d’associé constitue une avance consentie par un associé au profit de la société et non pas des fonds propres, de telle sorte que les sommes inscrites au crédit du compte courant ne peuvent être assimilées à des biens professionnels, et qu’ainsi elles sont soumises à l’ISF.

La valeur à déclarer est la valeur réelle, au 1er janvier de l’année d’imposition, des sommes figurant au compte courant d’associé.

Si, à défaut de convention particulière ou statutaire, tout associé bénéficie du droit d’obtenir le remboursement immédiat de son compte courant d’associé, même lorsque la société fait face à des difficultés financières, pour autant le compte courant doit être valorisé non pas seulement en fonction des liquidités disponibles, mais à ce qui pourra être recouvré dans le futur, eu égard à la situation économique et financière réelle de l’entreprise.

En effet, le compte courant a pour objet de permettre à une entreprise de bénéficier d’apports de trésorerie de la part de ses associés, de façon à favoriser, de façon souple, le financement de son développement. Considérer que les sommes apportées doivent pouvoir être remboursées immédiatement à première demande d’un associé, et ce en permanence, reviendrait à ôter tout intérêt au compte courant, qui est justement d’accompagner l’entreprise sur le moyen ou long terme dans sa croissance ou de l’épauler en cas de difficultés, car cela reviendrait à imposer à l’entreprise à ne pouvoir utiliser les avances d’associés que pour des opérations de trésorerie à très court terme.

Pour établir la valeur probable de recouvrement d’un compte courant, il doit être tenu compte :

— des éléments comptables inscrits dans les déclarations fiscales de l’entreprise ;

— de la valeur de ses actifs immobiliers ;

— des liquidités disponibles.

Ainsi, si le compte courant d’associé est détenu au sein d’une entreprise qui connaît des difficultés de trésorerie, un abattement peut être effectué s’il s’avère que la société ne sera pas capable de rembourser en totalité le compte courant. En revanche, si la société est saine et en croissance, aucune minoration de la valeur du compte ne devra être opérée, le recouvrement par un associé de son avance n’étant pas en péril.

En l’espèce :

— la société GROUPE X a présenté toujours un résultat bénéficiaire lors des exercices considérés, soit 657.019 euros en 2009, 650.665 en 2010, 734.503 euros en 2011 et 373.746 euros en 2012 ;

— sa valeur nette comptable a toujours été largement supérieure au montant des comptes courants, soit 23.242.121 euros en 2009, 23.932.787 euros en 2010, 24.727.290 euros en 2011 et 25.161.037 euros en 2012 ;

— la valeur nette comptable des participations de la société GROUPE X, qui est une holding est elle aussi importante, de plus de 34 millions d’euros pour les exercices considérés ;

— le GROUPE X est ainsi une société en parfaite santé, dont les participations dans de multiples hôtels haut de gamme sont fructueuses, s’agissant d’établissements réputés, à la clientèle fidèle et huppée, et investissant en permanence pour la conserver et la développer ; le recouvrement des comptes courants ne s’avère ainsi n’être pas en péril, d’autant que les apports réalisés par les appelants montrent leur volonté d’assurer la pérennité de la société familiale et un souci de s’inscrire dans le long terme ;

— le fait qu’une partie des comptes courants ait pu être cédée pour un euro est sans incidence, dès lors qu’un complément de prix a été prévu, de façon à rembourser la créance cédée dans son intégralité ;

— si une estimation des comptes courants a été faite à un montant inférieur au nominal dans le cadre de la liquidation du régime de communauté, suite au divorce d’entre les époux X/Y, et qu’un acte portant répartition des actifs ait été enregistré, ne démontrent pas là encore que l’administration fiscale aurait donné son accord sur cette évaluation, cet accord ne pouvant être donné en réalité que de façon expresse et sans équivoque, comme à l’issue d’un contrôle.

Dans ces conditions, c’est exactement que l’administration a évalué à leur valeur nominale les comptes courants des appelants. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef, étant observé qu’une expertise s’avère inutile, puisque tous les documents comptables nécessaires ont été produits.

Sur la majoration de 40% pour manquement délibéré

Aux termes de l’article 1729 du code général des impôts, « les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’État entraînent l’application d’une majoration de 40 % en cas de manquement délibéré (..) ».

La Direction Générale des Finances Publiques, à qui incombe la preuve de l’existence d’un manquement délibéré, fait valoir d’une part que les consorts X/Y, en leur qualité de dirigeants du groupe, connaissaient parfaitement sa situation financière exacte, et ne pouvaient ignorer que leur société holding ne rencontrait aucune difficulté financière, et d’autre part, qu’une procédure de rectification identique leur avait été notifiée au titre des années 2007 à 2009.

Pour autant :

— les appelants ont déclaré en parallèle d’autres comptes courants pour leur montant nominal, lorsque les sociétés considérées disposaient de la trésorerie suffisante pour les régler, ce qui exclut toute man’uvre de leur part ;

— si les appelants ont été condamnés par arrêt de cette Cour à régler une imposition calculée sur le montant nominal de leurs comptes courants, cette décision n’a été rendue que le 14/10/2014, soit après la procédure de redressement.

Dans ces conditions, la Cour considère que la mauvaise foi des appelants n’est pas suffisamment établie et qu’en conséquence, leur manquement délibéré n’est pas démontré. La Direction Générale des Finances Publiques sera donc déboutée de sa demande relative à la majoration appliquée, le

jugement déféré étant réformé de ce chef.

Enfin, l’équité ne commande pas l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a dit que M. X et Mme Y étaient redevables des impositions mises à leur charge à hauteur de la somme de 948.274 euros,

LE REFORME pour le surplus,

STATUANT A NOUVEAU et y ajoutant,

DIT n’y avoir lieu à application de la majoration de 40 %,

DIT n’y avoir lieu à paiement des frais visés à l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. X et Mme Y aux dépens.

Ainsi prononcé publiquement le 25 juin 2019 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Philippe GREINER, Président et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, Le Président,

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