Cour d'appel de Dijon, 10 décembre 2015, n° 14/00396

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Dijon, 10 déc. 2015, n° 14/00396
Juridiction : Cour d'appel de Dijon
Numéro(s) : 14/00396
Décision précédente : Conseil de prud'hommes, 12 octobre 2011, N° 11/00031

Sur les parties

Texte intégral

XXX

F Y

C/

SAS IMMO COLRUYT FRANCE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 10 DECEMBRE 2015

RÉPERTOIRE GÉNÉRAL N° 14/00396

Décision déférée à la Cour : AU FOND du 13 OCTOBRE 2011, rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE

RG 1re instance : 11/00031

APPELANTE :

F Y

XXX

51290 SAINTE-MARIE DU LAC NUISEMENT

représentée par Me Olivier WOIMBEE de la SELARL WOIMBEE ET VAN LINDEN, avocat au barreau de HAUTE-MARNE

INTIMÉE :

SAS IMMO COLRUYT FRANCE

XXX

39700 ROCHEFORT-SUR-NENON

représentée par Mme V W (Responsable relations sociales) en vertu d’un pouvoir spécial en date du 6 octobre 2015

assistée de Me Isabelle NICPON de la SCP GRANVELLE, avocat au barreau du Jura

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 octobre 2015 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Marie-Aleth TRAPET, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Roland VIGNES, Président de chambre,

Karine HERBO, Conseiller,

Marie-Aleth TRAPET, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Françoise GAGNARD, Greffier,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Roland VIGNES, Président de chambre, et par Françoise GAGNARD, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme F Y a été engagée par la société Codifrance à compter du 24 septembre 2008, en qualité de responsable du magasin Cash (établissement de Bettancourt-la-Ferrée), dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps complet. La société se livrait à une activité de revente de produits à prédominance alimentaire à des professionnels pour les besoins de leurs activités, la clientèle étant essentiellement constituée d’entreprises exerçant dans le domaine des métiers de bouche.

Mme Y a été licenciée par lettre du 20 juillet 2010 énonçant le motif du licenciement dans les termes suivants :

« Madame,

Nous faisons suite à l’entretien préalable à votre éventuel licenciement qui s’est déroulé le vendredi 16 juillet 2000 à 9 heures à notre magasin XXX, XXX auprès de Monsieur AC-AD C, chef des ventes, au cours duquel vous étiez assistée de Monsieur J K.

Nous vous notifions par la présente votre licenciement pour insubordination et insuffisance professionnelle constituant des motifs réels et sérieux et ceci, pour les raisons suivantes :

le 2 juillet 2010, votre superviseur, Mademoiselle P Q a effectué une visite au CASH de Bettancourt la Ferrée dont vous avez la responsabilité et a procédé à l’analyse de plusieurs points essentiels en vous les exposant, à savoir :

1) H D, employée au sein de notre magasin, passe les trois quarts de son temps de travail en caisse à facturer plutôt qu’à gérer l’espace fraîcheur. Depuis le lundi 28 juillet 2010, son horaire hebdomadaire est passé de 30 heures à 36 heures 75, pauses comprises. Cette augmentation d’horaires devait lui permettre d’effectuer les procédures HACCP, la mise en rayon des produits frais, faire les commandes et conseiller la clientèle. L’encaissement doit rester une tâche ponctuelle.

2) L B, embauché pour remplacer partiellement les personnes prévues sur le planning des congés payés du 17 juin 2010 au 5 septembre 2010 effectuait les tâches suivantes : relevés de température, tri fruits et légumes, mise en rayon frais alors que H D, chargé de ce rayon en remplacement du congé parental d’AA X, est en caisse.

3) Concernant les procédures HACCP, ces dernières ne sont pas respectées : pas de relevés de produits soldés depuis le 11 juin 2010. H D étant en congés payés du 14 juin 2010 au 26 juin 2010, L B n’a eu aucune connaissance de cette procédure.

4) Par ailleurs, lors de sa visite, Mademoiselle P Q a constaté que les sanitaires étaient sales, le frigo du point accueil très sale avec de la moisissure, les placards également dans un état désastreux avec des produits d’entretien et des denrées alimentaires mélangées.

5) D’autre part, le mercredi 7 juillet 2010, vous avez décidé de prendre un jour de congé le lendemain, soit le jeudi 8 juillet 2010, sans en demander l’autorisation à votre responsable hiérarchique et sans vous soucier de votre remplacement en magasin.

Ainsi, votre gestion du magasin de Bettancourt la Ferrée est plus que légère, tant au niveau du management, de l’organisation et de l’entretien.

Non seulement vous n’avez pas entendu les remarques de votre supérieur, mais en plus vous avez alors fortement tout contesté avec un ton agressif et des propos injurieux à l’encontre de votre supérieure hiérarchique et celui du service commercial, propos relatés ci-après :

« Je suis responsable de magasin, gestionnaire, c’est donc à moi de donner des ordres, si je décide que H doit toujours être en caisse, elle y sera, ici on fait ce que je dis, on fait comme je dis.

De plus le contrat de H D comporte employer commercial, dont elle ne gère pas le frais, alors il faudrait peut-être que votre service du personnel face son boulot correctement et apprennent les lois.

Il faudrait peut-être que vous tous, vous vous bougiez pour nous aider à trouver des solutions pour faire du chiffre d’affaires '

Arrêtez de me faire « chier » avec vos procédures, alors qu’il y a plus grave dans la vie.

Venez pas me bassiner alors que je connais le terrain, je connais mon équipe, mes clients, je sais ce que j’ai à faire.

Vous appliquez les procédures, mettez des chaussures de sécurité plutôt que vos chaussures la.

Mettez moi un avertissement et JP C peut me convoquer, j’en ai rien à foutre, je n’irai pas sauf s’il me loue une voiture’ »

Pour répondre à vos propos :

Vous êtes responsable de magasin certes, mais vous avez aussi une hiérarchie directe dont les consignes doivent être respectées.

Concernant le contrat de H D, elle a été embauchée pour remplacer AA X qui effectuait la gestion de frais et le poste d’employée commerciale englobe toutes les tâches à effectuer dans un commerce de détail et de gros.

Quant au chiffre d’affaires, nous estimons que vous avez tous les moyens à disposition pour augmenter le CA du CASH. Vous n’admettez aucune remarque et n’acceptez pas de vous remettre en question.

Vous affirmez connaître votre équipe mais vous entretenez un climat détestable au sein de votre établissement puisque vous n’hésitez pas à accuser vos collègues de vol.

Lorsque Mademoiselle P Q fait ses visites en CASH, elle n’est pas appelée à faire de la manutention et n’a donc pas lieu de porter des chaussures de sécurité.

Par ailleurs, le mardi 6 juillet 2010 à 9 heures 05, vous avertissez que les deux jeux de clef, comprenant clés des portes et du coffre-fort, ont disparu du CASH.

Le même jour à 16h48, vous envoyez à nouveau un mail pour prévenir que les clés ont « réapparus » et que le coffre était indemne.

Nous vous rappelons que le service technique n’a guère apprécié la plaisanterie puisque cela a eu pour conséquence le rachat d’un coffre-fort et des heures de travail pour les techniciens.

Votre manque de respect vis-à-vis de votre hiérarchie et les propos que vous avez tenus sont tout à fait inadmissibles. Vous persistez à ne pas appliquer les consignes données et à ne faire que comme bon vous semble.

D’une façon générale, nous devons constater que votre gestion du magasin est plus que légère, que vous n’arrivez pas à reconnaître vos erreurs ce qui vous empêche d’en prendre conscience et donc de changer de comportement, et rien ne nous laisse espérer un changement d’attitude de votre part.

Nous vous rappelons que vous avez déjà fait l’objet d’un avertissement le 4 août 2009.

Vous comprendrez que nous ne puissions supporter plus longtemps une telle insubordination et un tel manque de respect nous nous voyons donc contraint de mettre un terme à notre collaboration.

C’est pourquoi, nous sommes contraints de vous confirmer votre licenciement pour insubordination et insuffisance professionnelle dûment constatées et constituant des motifs réels et sérieux.

Votre contrat de travail prendra fin à l’issue de votre préavis légal de deux mois qui a commencé à courir à compter de la première présentation de la lettre recommandée avec accusé de réception, préavis que nous vous dispensons effectuer.

Compte tenu des faits qui vous sont reprochés, nous avons décidé d’annuler votre mise à pied conservatoire. Par conséquent, vous n’aurez pas de déduction de salaire jusqu’à la fin de votre préavis ».

Mme Y a été classée dans la catégorie des travailleurs handicapés par décision de la maison départementale des personnes handicapées en date du 20 juillet 2010 pour la période courant du 1er juin 2010 au 31 août 2015.

Par jugement du 13 octobre 2011, le conseil de prud’hommes de Chaumont, en sa section Commerce, saisi par Mme Y le 28 janvier 2011, a accordé à la salariée une somme de 2 151 euros brut, outre les congés payés afférents, à titre de complément d’indemnité de préavis en raison du classement de l’intéressée dans la catégorie des travailleurs handicapés.

Une somme de 250 euros a encore été allouée à Mme Y qui a été déboutée de toutes ses autres demandes, les premiers juges laissant à chacune des parties la charge de ses dépens.

Cette décision a été frappée d’appel par la salariée qui demande à la cour de dire qu’elle aurait dû bénéficier d’un classement au niveau 7 et non au niveau 5, compte tenu de l’emploi qu’elle a tenu, de condamner en conséquence la société Codifrance à lui payer un rappel de salaire de 14 290,70 euros brut augmenté des congés payés afférents.

Mme Y réclame encore :

—  1 922,80 euros brut au titre des repos compensateurs non pris,

—  2 660,28 euros brut correspondant à un troisième mois de préavis,

—  266,07 euros brut de congés payés afférents,

—  10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice causé par l’absence d’affiliation à la caisse des cadres,

—  30 000,72 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

enfin, 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Codifrance forme un appel incident, concluant au débouté de l’ensemble des demandes formées par la salariée. Elle sollicite la condamnation de Mme Y à lui payer une indemnité de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l’audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur la classification de Mme Y

Mme Y conteste la légitimité de sa classification à un poste de niveau 5, correspondant au premier niveau des postes d’agent de maîtrise. Elle soutient qu’elle obtiendrait un nombre de points cumulés supérieur à 487,5 points au titre des cinq critères prévus par la convention collective applicable (à savoir : les connaissances, l’aptitude, les relations, le respect du travail et l’autonomie), correspondant à un poste de niveau 7, de catégorie cadre, de sorte qu’elle revendique un rappel de salaire calculé sur la base des minima prévus pour le niveau 7 ainsi que l’indemnisation du préjudice lié au fait que la société Codifrance n’a pas cotisé à la caisse des cadres en sa faveur.

Mme Y soutient que la surface de vente confiée à sa responsabilité était davantage un supermarché qu’un magasin, compte tenu de sa surface. En outre, la délégation de pouvoirs qui lui avait été donnée l’aurait conduite à assumer l’entière responsabilité de l’exploitation et du fonctionnement du magasin sur le plan pénal, et, dans ces conditions, de la gestion du magasin.

La société Codifrance fait valoir que pour pouvoir prétendre à une classification de niveau 7 (statut cadre), la salariée aurait dû participer à l’élaboration du budget prévisionnel du magasin. Or, l’unique mission qui lui avait été confiée en matière comptable avait été celle d’atteindre les objectifs fixés par la direction. La société s’emploie à démontrer qu’en fonction des cinq critères permettant, par pondération, d’obtenir le nombre de points dont découle ensuite le niveau de classification, le poste de responsable de Cash obtient un score de 375 points qui ne correspond pas à la classification sollicitée par la salariée.

Attendu que la qualification professionnelle d’un salarié dépend des fonctions qu’il exerce réellement ;

Attendu que la lettre d’engagement du 27 octobre 2008 détermine avec précision les tâches confiées à Mme Y de la manière suivante :

« Les différentes tâches composant votre poste et que vous devrez maîtriser à l’issue de votre période de stage de 6 mois sont les suivantes :

— Utilisation de l’outil informatique et facturation ;

— Gérer les rotations de produits et les dates de péremption ;

— Avoir une connaissance des produits ;

— Gérer les fonds de caisse ;

— Assurer le service à la clientèle ;

— Appliquer la législation et la politique commerciale de la société ;

— Gérer le personnel et manager son équipe ».

Attendu que la délégation de pouvoirs correspondait aux tâches ainsi confiées à Mme Y ;

Attendu que des objectifs de chiffre d’affaires et de fonctions étaient par ailleurs fixés lors de l’entretien annuel ; que Mme Y avait indiqué, au chapitre des « compétences non utilisées dans le poste actuel » : « la négociation commerciale, en terme de prix », soulignant qu’elle pensait « ne pas avoir de marge de man’uvre » ;

Attendu que les annexes à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire définissent des « emplois repères » ; qu’ainsi, le chef de magasin constitue un emploi repère correspondant au niveau 5 dans la filière agent de maîtrise, ses fonctions étant ainsi définies : « assure la bonne marche d’un magasin maxi-discompte ou d’une supérette et l’atteinte des résultats fixés, dans le cadre des politiques et règles fixées par la société. Supervise et anime le personnel de l’établissement » ;

Attendu que les fonctions de niveau 7 « comportent la participation à l’élaboration des objectifs et à la réalisation de ceux-ci dans son unité » ; que la fonction de « directeur/directrice de supermarché » est ainsi définie : « assure la responsabilité de la marche de son supermarché et l’atteinte des résultats fixés, dans le cadre des politiques commerciale, de gestion, sociale, établies par la société. Dirige et anime son équipe. Il/elle participe à l’élaboration du budget prévisionnel du magasin » ;

Attendu qu’il résulte des pièces produites et des débats que la « Cash » de Bettancourt-la-Ferrée n’a pas le statut de supermarché ; que quatre salariés y étaient affectés ; qu’au surplus, si Mme Y était tenue de réaliser les objectifs de chiffres d’affaires fixés par l’employeur, elle ne démontre pas ' ni même n’allègue ' qu’elle aurait « participé à l’élaboration du budget prévisionnel du magasin » ;

Attendu que Mme Y est déboutée de ses demandes relatives au changement de classification revendiqué pour la première fois devant la cour ;

Sur le licenciement de Mme Y

Mme Y conteste les griefs formés à son encontre et souligne que l’insuffisance professionnelle est la conséquence d’actes non volontaires, de sorte qu’elle ne ressortit pas du domaine disciplinaire. Elle reproche à l’employeur de n’avoir pas distingué les motifs disciplinaires des motifs ne présentant pas ce caractère dans la lettre de licenciement.

La salariée souligne par ailleurs la coïncidence entre la convocation à un entretien préalable au licenciement et sa demande de paiement d’heures supplémentaires sur des périodes d’astreinte. Elle fait également état de la difficulté pour la société Codifrance d’accepter les contraintes liées à l’exigence d’aménagement du poste de Mme Y selon les préconisations du médecin du travail qui avait fixé des limites à son aptitude sans pour autant la déclarer inapte à son poste, ajoutant qu’un changement de statut du magasin se profilait qui allait se concrétiser à la fin de l’année 2010, la société Promocash, filiale du groupe Carrefour, ayant racheté huit magasins à la société Codifrance dont le magasin de Bettancourt-la-Ferrée, lesquels sont désormais franchisés.

La société Codifrance soutient qu’elle rapporte la preuve, par les pièces versées au débat, de la légitimité du licenciement prononcé à l’encontre de Mme Y.

Les différents comptes rendus de visite établis par Mme P Q, superviseur de la société, sur la période de novembre 2009 à mai 2010, mettraient en évidence de nombreuses carences relevées au sein du magasin Cash placée sous la responsabilité de Mme Y, dont elle avait reçu régulièrement la communication. En abandonnant la gestion du magasin, Mme Y serait responsable d’une « baisse vertigineuse et constante » de son chiffre d’affaires. Par ailleurs, d’importants dysfonctionnements seraient apparus de manière récurrente dans la gestion du personnel et notamment dans l’affectation au sein de l’établissement des salariés placés sous son autorité.

Des problèmes relatifs à l’hygiène auraient en outre été constatés. Mme Y aurait également fait preuve d’un comportement inadapté envers ses subordonnés, notamment en tenant des accusations de vol envers deux salariés. Enfin, elle se serait montrée désagréable envers la clientèle.

Attendu que les motifs énoncés par la société Codifrance pour licencier Mme Y sont mixtes ; que, d’une part, le licenciement est de nature disciplinaire en ce qu’il prétend sanctionner des fautes, à savoir l’insubordination de Mme Y, comme une agressivité et un manque de respect à l’égard de l’employeur ; que, d’autre part, il est motivé par une insuffisance professionnelle caractérisée par une « gestion légère » du magasin, ce qui ressortit de la mauvaise exécution contractuelle ;

Attendu que l’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts ;

Attendu qu’il y a lieu de rechercher si les motifs disciplinaires invoqués par l’employeur suffisent à justifier la rupture du contrat de travail ou si les motifs invoqués au titre de l’insuffisance professionnelle permettent de légitimer une mesure de licenciement ;

Attendu que, selon l’article O1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; que si un doute subsiste, il profite au salarié ;

Attendu qu’aux termes de l’article L. 1232-6 du code du travail, l’employeur est tenu d’énoncer les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige ; que les motifs invoqués doivent consister en des griefs matériellement vérifiables ;

Attendu qu’en l’espèce, pour justifier le grief d’insubordination, la société Codifrance invoque le fait que Mme Y aurait affecté à l’encaissement Mme A, embauchée par contrat à durée déterminée pour pourvoir au remplacement de Mme X, elle-même « affectée par le service du personnel à la gestion du rayon frais », et ce, malgré le désaccord de la direction, préférant assigner à la gestion du rayon fraîcheur M. B, également sous contrat à durée déterminée ; que la gestion approximative du personnel aurait été faite au préjudice de l’organisation du magasin, générant selon l’employeur des « risques judiciaires » de requalification d’un contrat de travail, les salariés en contrat à durée déterminée étant engagés pour des motifs et des tâches données ;

Attendu que Madame Y avait reçu mission de « gérer le personnel et manager son équipe »; que Mme D avait d’abord été engagée, du 24 mai 2010 au 30 juin 2010, pour « pallier le surcroît d’activité occasionné par les journées alcool », avant la signature de contrats à durée déterminée successifs, desquels il résultait qu’elle devait assurer le remplacement de Mme X, salariée en congé parental, se voyant alors chargée, selon les termes mêmes des contrats, de la mise en rayon et de la mise en place des présentations, du travail de caisse, de l’accueil et du conseil à la clientèle, ainsi que de l’entretien du magasin ; qu’il n’est question de la gestion de l’espace fraîcheur dans aucun des documents produits ;

Attendu que, dans la réponse circonstanciée apportée à la lettre de licenciement dès réception de celle-ci, Mme Y a précisé qu’à la date à laquelle a eu lieu le contrôle auquel se réfère l’employeur, l’une des salariées du magasin se trouvait en congés payés ; qu’en raison de l’augmentation de l’activité les 1er, 2 et 3 juillet 2010, ayant eu besoin d’un renfort en caisse, elle avait affecté ponctuellement Mme D à cette fonction, estimant qu’elle était la plus compétente pour effectuer les encaissements ; que si l’organisation proposée après-coup par la société Codifrance avait été mise en place, elle-même se serait trouvée seule en caisse alors que le port de charge lui était interdit par le médecin du travail ;

Attendu qu’en toute hypothèse, la polyvalence des emplois, reconnue à l’audience par l’employeur, permettant à la directrice du magasin de « gérer le personnel » avec une grande latitude, le chef de magasin étant conduit, comme les salariés placés sous sa responsabilité, à effectuer des travaux de ménage, le « risque judiciaire » allégué par la société n’était pas lié à la situation dénoncée ;

Attendu que la preuve d’une insubordination n’est pas rapportée par la société Codifrance ;

Attendu que le grief tiré de l’agressivité manifestée par Mme Y et un manque de respect de sa part à l’égard de l’employeur ne sont pas davantage fondés, la société Codifrance ne versant au débat aucune attestation en établissant la réalité et alors surtout que les propos rapportés par l’employeur auraient été tenus durant l’entretien préalable au licenciement ; que la vivacité de la « réaction » de Mme Y à des remarques formulées par sa supérieure hiérarchique quatre mois plus tôt relativement à l’état de propreté du magasin ne saurait être sanctionnée alors qu’il était indiqué, à la fin du compte rendu de la visite du 19 avril 2010 : « NB : La responsable de Cash peut réagir à ce CR » ; que Mme Y n’a pas dépassé les limites de la liberté d’expression imparties à un directeur de magasin en rappelant qu’un « cash de 1 300 m² ne pouvait pas être rangé et nettoyé à fond par une seule personne en deux jours », qu’elle tenait le planning de nettoyage à disposition de l’employeur, ajoutant alors : « Vous ne semblez pas vouloir en tenir compte, mais il devient très pénible d’avoir d’avoir à travailler quotidiennement dans ces conditions d’extrême tension. En conclusion, N L. n’est effectivement pas technicienne de surface. MOI NON PLUS. Et le restant de l’équipe non plus. Pourtant, aucun ne rechigne au nettoyage, sans se plaindre » ;

Attendu que la société Codifrance reproche injustement à Mme Y de s’être absentée sans autorisation le 8 juillet 2010 sans se soucier de son remplacement dans le magasin, alors qu’elle rapporte la preuve de ce qu’au lendemain de la réception de la lettre la convoquant à un entretien préalable au licenciement, elle avait formulé sa demande de congé en respectant les procédures habituelles et que M. T U, cadre de la société Codicash, avait été présent au magasin les du 7 au 9 juillet 2010 pour assurer son remplacement ;

Attendu enfin que l’employeur ne peut évoquer la notification antérieure d’un avertissement du 4 août 2009, alors qu’il ne produit pas la lettre matérialisant cette sanction que Mme Y a contesté avoir jamais reçue, et ce dès réception de la lettre de licenciement qui y faisait pour la première fois référence ;

Attendu qu’aucune faute de nature disciplinaire n’est susceptible d’être valablement reprochée à Mme Y ;

Attendu que le licenciement de la salariée est encore motivé par une insuffisance professionnelle caractérisée par une « gestion légère » du magasin ; que l’insuffisance professionnelle ne constitue une cause de licenciement qu’à condition d’être fondée sur des éléments objectifs la caractérisant ;

Attendu que seuls peuvent être pris en compte à cette fin les faits ne présentant pas de caractère disciplinaire, un même fait ne pouvant caractériser à la fois une faute et une insuffisance professionnelle, laquelle n’a pas de caractère fautif ;

Attendu que le « manque de politesse envers certaines clientes » reproché à Mme Y par une dame Z, cliente du magasin en sa qualité de boulangère, qui s’en est plaint par lettre du 6 avril 2010 adressée à la société Codifrance, ne peut justifier la réalité d’une insuffisance professionnelle, alors que celle-ci se manifeste dans ses répercussions en tant qu’elle perturbe la bonne marche de l’entreprise, une telle perturbation n’étant ni alléguée ni justifiée en l’espèce ;

Attendu qu’il résulte au contraire du bilan annuel de compétence établi le 12 février 2010 concernant Mme Y et produit par la société Codifrance qu’est souligné, comme « point fort » le fait que Mme Y « a apporté de la convivialité, de la proximité envers les clients » ; que s’agissant de la non-atteinte des objectifs du Cash, l’employeur avait lui-même imputé la baisse du chiffre d’affaires à « la crise économique » dans les bilans annuels de compétence ;

Attendu que la société Codifrance ne saurait reprocher à Mme Y d’invoquer comme cause véritable de son licenciement l’embarras causé à l’employeur par l’avis d’aptitude médicaledélivré par le médecin du travail en faveur de Mme Y, l’aptitude étant soumise à des restrictions dont l’employeur admet dans ses écritures qu’elles l’avaient placé « dans une situation problématique en permettant à Mme Y de travailler sans chaussures de sécurité alors que leur port est obligatoire en raison des manutentions fréquentes réalisées au cours de la journée de travail » ; que la société Codifrance fait encore valoir que « la restriction prolongée sur le port de charges l’obligeait à modifier de façon substantielle le contrat de travail de Mme Y car son poste de responsable de Cash nécessitait obligatoirement de la manutention et le port de charges lourdes » ;

Attendu que les restrictions imposées par le médecin du travail n’interdisaient pas à la société Codifrance, contrairement à ce qu’elle soutient, d’honorer vis à vis de Mme Y son obligation de sécurité résultat ; qu’il lui appartenait d’adapter son poste pour la dispenser du port de charges, cette dispense rendant sans conséquence la « dispense de port de chaussures de sécurité pour raisons médicales » prononcée pour une durée d’une année le 12 novembre 2009 ;

Attendu que les démarches réalisées par la société Codifrance auprès du médecin du travail étant demeurées vaines, il résulte d’un échange de courriels entre la direction des ressources humaines de la société et M. C, chef des ventes, que ce dernier, apprenant que la seconde visite de reprise avait été sollicitée auprès du médecin du travail qui, le 9 juin 2010, avait déclaré Mme Y « apte à la reprise, sous réserve, pas de port de charges pendant six mois », a formulé le 11 juin 2010 le v’u suivant : « J’espère que l’inaptitude sera confirmée » ; que l’employeur avait préalablement informé le médecin du travail qu’elle avait consenti un effort ' ce qu’elle ne démontre au demeurant pas ' mais qu’elle ne pourrait plus poursuivre cet effort pendant les six mois à venir ;

Attendu que la mesure de licenciement prononcée à l’encontre de Mme Y le 20 juillet 2010 se trouve privée de toute cause réelle et sérieuse ;

Attendu que le jugement est infirmé en ce que les premiers juges ont estimé, sans motiver autrement leur décision, « que Mme Y n’apportait aucun élément permettant de requalifier le licenciement sans cause réelle et sérieuse » ;

Attendu que, compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise (plus de dix salariés), des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme Y (en fonction d’un revenu moyen mensuel de 2 151 €), de son âge (trente-neuf ans), de son ancienneté (moins de deux ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l’article L. 1235-5 du code du travail, une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;

Sur le complément d’indemnité de préavis

La société Codifrance ne développe aucun moyen au soutien de son appel incident tendant au débouté de la demande de complément d’indemnité de préavis accueillie par le conseil de prud’hommes.

Attendu que, selon l’article L. 5213-9, alinéa 1, du code du travail, fixant les droits et garanties des travailleurs handicapés, « en cas de licenciement, la durée du préavis déterminée en application de l’article L. 1234-1 est doublée pour les bénéficiaires du chapitre II, sans toutefois que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au-delà de trois mois la durée de ce préavis » ;

Attendu que Mme Y – remplissant les conditions fixées par ce texte – est bien fondée à solliciter le paiement d’un troisième mois de préavis, dont le montant n’est pas subsidiairement contesté ;

Attendu que le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné la société Codifrance à payer à Mme Y 2 151 euros brut, outre les congés payés afférents ;

Sur la demande de paiement d’un rappel de salaire

Mme Y soutient que la mise en place d’un forfait horaire hebdomadaire ne dispenserait pas l’employeur de contrôler le temps de travail du salarié. Elle reproche à la société Codifrance d’avoir calculé un temps de pause sur la base de son horaire global dès lors que, selon l’article 5-4 de la convention collective, une pause payée est attribuée à raison de 5 % du travail effectif, les pauses et coupures étant fixées au niveau de chaque entreprise ou établissement en fonction de l’organisation du travail en vigueur.

Mme Y fait valoir qu’à défaut d’accord sur ce point, tout travail consécutif d’au moins quatre heures doit être coupé par une pause payée prise avant la réalisation de la cinquième heure. Elle invoque encore l’article 5-3 de la convention collective selon laquelle, lorsque les salariés d’un établissement ne sont pas occupés selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné doit être décomptée selon des modalités précisément définies.

A défaut d’information de la société CODICASH sur le système de décompte individualisé du temps de travail de ses salariés, les heures décomptées comme temps de pauses rémunérées sur les bulletins de salaires de Madame Y devraient être considérées comme des heures de travail effectif.

Cette analyse conduit Mme Y à réclamer un rappel de salaire de 14 290,70 euros, ainsi que 1 922,80 euros brut de repos compensateurs non pris et une somme de 1 429,07 euros brut au titre des congés payés afférents.

La société Codifrance précise que, comme la salariée le note elle-même dans ses écritures, sa journée de travail était calquée sur les heures d’ouverture et de fermeture du magasin avec une coupure de 12h à 14h, les horaires étant affichés sur la devanture du magasin. Elle produit par ailleurs les courriels échangés concernant les demandes de récupérations formulées par Mme Y lorsqu’il lui arrivait d’effectuer quelques heures supplémentaires, singulièrement lorsqu’elle travaillait deux samedis matin consécutifs alors qu’elle n’était contractuellement tenue à travailler qu’un samedi sur deux.

Attendu que l’article 5.4 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire précise en ces termes le régime de rémunération des pauses instituées au profit des salariés :

« On entend par « pause » un temps de repos – payé ou non – compris dans le temps de présence journalier dans l’entreprise pendant lequel l’exécution du travail est suspendue.

La « coupure » interrompt la journée de travail de façon collective (fermeture de l’établissement) ou individuelle (temps imparti par roulement, pour le déjeuner par exemple).

Les pauses et coupures sont fixées au niveau de chaque entreprise ou établissement en fonction de l’organisation du travail qui y est en vigueur.

Une pause payée est attribuée à raison de 5 % du temps de travail effectif.

Les conditions de prise des pauses sont fixées au niveau de chaque entreprise ou établissement.

A défaut d’entente sur ce point, tout travail consécutif d’au moins 4 heures doit être coupé par une pause payée prise avant la réalisation de la 5e heure. Il est, en outre, rappelé qu’en application de l’article L. 220-2 du code du travail aucun temps de travail quotidien ne peut atteindre 6 heures sans que le salarié bénéficie d’une pause d’une durée minimale de 20 minutes.

La durée des pauses et le paiement correspondant doivent figurer sur une ligne distincte du bulletin de paie » ;

Attendu que l’examen des bulletins de paie de Mme Y permet de vérifier l’existence d’une ligne distincte consacrée à la rémunération de « pauses payées » correspondant à 5 % du temps de travail effectif de la salariée ;

Attendu qu’à défaut d’accord particulier sur la fixation de la prise de pause par les salariés de l’établissement, l’alinéa 6 du texte susvisé avait vocation à s’appliquer qui exigeait seulement une pause payée avant la réalisation de la cinquième heure de travail ; que le respect de cette exigence par la société Codifrance résulte du seul fait que les huit heures de travail quotidien (réduit à quatre heures les samedis travaillés) effectué par les salariés du magasin, durant ses heures d’ouverture, étaient constituées de deux plages de quatre heures chacune, séparées par une coupure entre 12 h et 14 h ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu à application de l’article 5.3 de la convention collective relatif à l’organisation et au contrôle du temps de travail, les modalités de décompte du temps de travail de chacun des salariés concernés n’étant prévues par les dispositions conventionnelles que « lorsque les salariés d’un établissement ne sont pas occupés selon le même horaire collectif de travail affiché » ; qu’en l’espèce, les horaires d’ouverture du magasin de gros, correspondant strictement aux horaires de travail fixés contractuellement à Mme Y, étaient affichés sur la porte du magasin ;

Attendu qu’il est par ailleurs justifié que Mme Y a bénéficié de toutes les récupérations qu’elle a sollicitées pour les quelques heures travaillées au delà de son horaire contractuel, la société Codifrance ayant toujours fait droit à ses demandes, fussent-elles formulées la veille du jour qu’elle entendait prendre, y compris les 24 décembre ou 2 janvier ;

Attendu que Mme Y est déboutée de ce chef de demande formulé pour la première fois devant la cour ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Codifrance à payer à Mme F Y une somme de 2 151 euros brut à titre de complément d’indemnité de préavis outre 215,10 euros au titre des congés payés afférents et 250 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant le conseil de prud’hommes,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne la société Codifrance à payer à Mme F Y une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

Déboute Mme F Y du surplus de ses demandes,

Condamne la société Codifrance à payer à Mme F Y une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

Déboute la société Codifrance de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Confirme le jugement déféré pour le surplus,

Condamne la société Codifrance aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

Françoise GAGNARD Roland VIGNES

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Cour d'appel de Dijon, 10 décembre 2015, n° 14/00396